Chroniques rebelles
Slogan du site
Descriptif du site
Samedi 25 septembre 2021
Un fait d’été de Claire Auzias. Rétrospective Kelly Reichardt : L’Amérique retraversée. 26ème Festival du cinéma allemand. 3ème Festival du cinéma social. En route pour le milliard de Dieudo Hamadi. La Traversée de Florence Miailhe. Guermantes de Christophe Honoré. Les Intranquilles de Joachim La fosse.
Article mis en ligne le 29 septembre 2021

par CP

Un Fait d’été
Claire Auzias (TheBook Édition)

Festivals et rétrospectives
Kelly Reichardt : L’ Amérique retraversée
du 14 au 24 octobre 2021 au centre Pompidou, Beaubourg

26ème Festival du cinéma allemand
Au cinéma L’Arlequin à partir du 29 septembre 2021

3ème Festival du cinéma social
Au Forum des images (ouverture le 4 octobre 2021)

En route pour le milliard
Film documentaire de Dieudo Hamadi (29 septembre 2021)

La Traversée
Film d’animation de Florence Miailhe (29 septembre 2021)

Guermantes
Film de Christophe Honoré (29 septembre 2021)

Les Intranquilles
Film de Joachim La fosse (29 septembre 2021)

Samedi 25 septembre 2021
À PARTIR DE 12h
Festivals et rétrospectives
Rétrospective des films de Kelly Reichardt : L’ Amérique retraversée

du 14 au 24 octobre 2021 au centre Pompidou, Beaubourg
En présence de la cinéaste

Sortie d’un livre intitulé également L’Amérique retraversée

La rétrospective intégrale des films de Kelly Reichardt, avec de nombreuses rencontres, se font dans le cadre du festival d’Automne à Paris, avec en exergue cette phrase de la cinéaste :
« To make the space tell the story » « Laisser l’espace raconter l’histoire »

Kelly Reichardt change le regard sur les États-Unis, elle observe la réalité et l’influence de l’histoire du pays sur celle-ci. S’attachant à tout ce qui a été gommé — les sans voix, ceux et celles qui sont rendu.es invisibles par les mythes nationaux, les anti héros, les sacrifié.es —, force est de constater que son œuvre est une retraversée du temps, de l’espace et de l’imaginaire pour une subversion du regard et l’émergence d’une conscience nouvelle.

Beaubourg propose la rétrospective intégrale de ses films, c’est-à-dire un autre regard revisitant le cinéma états-unien, road movies, thrillers et westerns, avec ce qui n’est guère montré : les doutes, les échecs, la fragilité…
Après avoir travaillé avec Todd Haynes qu’elle a connu en 1991, alors qu’elle était régisseuse sur le film Poison (introuvable ! Mais que vous pourrez voir le 22 octobre dans le cadre de la rétrospective), une longue amitié naît entre les deux cinéastes, et Todd Haynes devient son producteur délégué. Kelly Reichardt réalise River of Grass en 1994 — « road-movie sans route, histoire d’amour sans amour, affaire criminelle sans crime » —, et il lui faudra encore quelques années et sa découverte de l’Oregon, pour qu’elle devienne une représentante majeure du cinéma indépendant états-unien.

Elle réalise Old Joy en 2007, Wendy et Lucy en 2009 — histoire d’une jeune femme et de sa chienne que la précarité a jetées sur la route. Un western en 2011, La Dernière Piste, — à propos du genre western, Kelly Reichardt déclare : « Le cinéma [états-unien] adore les héros. Si vous faites un western [états-unien] depuis n’importe quel point de vue autre que celui de l’homme blanc, on l’interprète comme une déclaration politique. C’est étrange, parce que le postulat de base du western, c’est précisément la découverte d’un nouveau territoire, où les règles ne sont pas encore fixées, où l’organisation du pouvoir n’est pas encore établie — c’est la création d’un nouveau monde. Mais dans les faits, ça devient une expansion de l’ancien monde. »
C’est ensuite un thriller écologique en 2014, Night Moves, puis Certaines Femmes en 2017, enfin son nouveau film, First Cow, en 2021, un tout autre récit de la conquête de l’Ouest et du capitalisme naissant.
Du 14 au 24 octobre 2021 au centre Pompidou, Beaubourg
Rétrospective Kelly Reichardt : L’Amérique retraversée

La 17ème édition du festival Court Métrange
À Rennes, il a commencé le 22 septembre et et se porsuit jusqu’au 3 octobre
Et en ligne du 28 septembre au 10 octobre

Retour à « l’anormal » pour le festival Court Métrange. Le Parcours Métrange 2021 se décline sous le signe du Diable, des Enfers et des possessions démoniaques !
À l’occasion de cette nouvelle édition, le festival Court Métrange fait la lumière sur le sujet du Diable. Une figure qui conserve un prestige incontesté dans l’iconographie [occidentale] comme dans les récits de fiction. L’occasion de dresser un portrait cornu de ce personnage aux origines complexes et multiples dont la Bible n’est pas l’unique dépositaire.
Vous êtes sur Radio libertaire, la radio sans dieu, sans diable, sans maître et sans publicité !

Et du mardi 28 septembre au dimanche 3 octobre, le festival Court Métrange propose sa Compétition internationale de courts métrages insolites et fantastiques et ses séances spéciales au Cinéma Gaumont.
SÉANCES en ligne, à partir de...
Mardi 28 septembre, 22h : On Satan au pire
Mercredi 29 septembre, 22h30 : Ô bal démasqué et Mommy blues
Jeudi 30 septembre, 22h30 : Drôle d’oiseaux et La grande bouffe
Vendredi 1er octobre, 22h30 : Rencontre d’un autre et Hard Corps

Samedi 2 octobre, 22h30 : Le réel ment ; Rixes en tous genres et Récré sang défonce
http://www.courtmetrange.eu

10ème édition du Festival du film franco-arabe de Noisy-le-Sec
Du 12 au 23 novembre

Site : fffa.noisylesec.fr

Après une édition annulée en 2020 pour cause de pandémie, le Festival du film franco-arabe de Noisy-le-Sec aura bien lieu du 12 au 23 novembre 2021. Avec notamment deux films excellents : BETWEEN HEAVEN AND EARTH de Najwa Najjar (film d’ouverture) et FACE À LA MER de Ely Dagher… Mais nous aurons l’occasion d’y revenir dans les prochaines émissions.

26ème Festival du cinéma allemand
Au cinéma L’Arlequin

76 rue de Rennes (Paris 75006)
Ouverture le Mercredi 29 septembre à 19h30
Avec un film Lisa Bierwirth
Le Prince

info@festivalcineallemand.com

3ème Festival du cinéma social
Au Forum des images (Paris 1er)
Ouverture le 4 octobre 2021 avec Ouistreham d’Emmanuel Carrère

Festival de cinéma JEAN CARMET Seconds rôles et jeunes espoirs
Du 13 au 19 octobre 2021, les talents du cinéma français ont rendez-vous à Moulins.
« L’avantage d’être second rôle, c’est qu’on ne fait pas des films sur vous, mais avec vous. » disait Michel Piccoli

Depuis 1995, le Festival Jean Carmet s’attache à mettre en lumière les comédiennes et comédiens remarquables pour leurs interprétations dans des seconds rôles, ainsi que les jeunes espoirs du cinéma francophone et les responsables de distribution artistique, les dénicheurs de talents.
En parallèle aux sélections compétitives, de nombreux événements autour du cinéma d’auteur sont proposés : séances jeune public, cartes blanches, séances spéciales, une nuit du cinéma, une sélection de films internationaux, ainsi que des rencontres avec des comédiennes, des comédiens et des cinéastes.
La 27e édition du Festival Jean Carmet se tiendra du 13 au 19 octobre à Moulins (Allier).

Festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier
Du 15 et au 23 octobre 2021

CINEMED, le Festival du Cinéma Méditerranéen a été fondé en 1979 par l’équipe du Ciné-club Jean-Vigo, ciné-club de Montpellier extrêmement actif depuis le milieu des années cinquante. « Rencontres avec le cinéma méditerranéen » à son origine, cette manifestation est devenue « Festival International du Cinéma Méditerranéen de Montpellier » en 1989, avec à partir de cette date une section compétition.

« Le Festival International du Cinéma Méditerranéen de Montpellier poursuit un but culturel de connaissance des cinémas du bassin méditerranéen, de la mer Noire, du Portugal et de l’Arménie. Il facilite les échanges, les colloques et les études sur les composantes communes qui relient entre elles ces cinématographies. »
Et c’est plus de 200 films qui sont proposés au public, longs et courts métrages, films documentaires, rétrospectives… Sans oublier les rencontres avec les réalisateurs et réalisatrices, les tables rondes, les débats, les expositions… Bref la passion du cinéma.
Cette année seront présent.es les deux cinéastes libanais Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, Asia Argento, Hafsia Herzi et bien d’autres encore…
L’affiche du festival a été créée à partir d’un photogramme tiré de Memory Box, le nouveau film de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige.
Festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier
Du 15 et au 23 octobre 2021

Guermantes de Christophe Honoré (25 septembre sur le petit écran et le 29 septembre sur grand écran : c’est bien mieux de le voir en salles pour en apprécier les images et le jeu étonnant des comédiens et des comédiennes, qui chantent et dessinent.)

Guermantes de Christophe Honoré touche à plusieurs domaines, d’abord la création, mais aussi la pandémie du covid et la crise engendrée dans la société, en particulier au théâtre, le repli sur soi, les masques qui s’effilochent, les angoisses, les frustrations, les désirs, le rapport théâtre et cinéma… Et cela dans une mise en scène au cordeau qui semble laisser toute la liberté aux interprètes pour lesquels la frontière entre travail et vie personnelle s’amenuise peu à peu. On pense être dans une improvisation, parce que tout paraît si naturel que le « jeu » s’évanouit dans une gerbe éblouissante de saynètes qui s’enchaînent, liées ou pas au spectacle en répétition. « J’ai l’espoir [confie Christophe Honoré] que parfois le cinéma peut se suffire de ça : des acteurs, un lieu, quelques vêtements. Et le désir d’être ensemble et d’inventer quelque chose à traits rapides et libres. Nous sortions tous du premier confinement, de cette période d’empêchement. Ce temps imposé que nous avions vécu me semblait ne pas être étranger au temps perdu chez Proust, une expérience que seule la création pouvait retrouver. »

Le film se situe à Paris, c’est l’été 2020. Une troupe répète au théâtre Marigny une pièce d’après Marcel Proust. Quand on lui annonce soudain que le spectacle est annulé, après quelques discussions animées, la troupe choisit de continuer à jouer malgré tout, pour la beauté et le plaisir de rester ensemble. Cela, c’est la trame, mais très vite le film s’amplifie par les bruits de la rue, par les histoires d’amour, les vacheries, les potins, les malentendus, cependant que le fil conducteur reste le spectacle à propos du texte de Proust, qui resurgit sans cesse en citations directes ou indirectes. Et puis il y a la solidarité du théâtre, l’imaginaire qui prend le dessus, le dépassement de la routine suscité par une situation exceptionnelle… « Ça vous a pas reposé le confinement ! »

Guermantes. Un spectacle mort né ? « Un spectacle stérile » dit l’une des interprètes, peut-être, mais qui donne un film original, comme pour rompre une sorte de malédiction des adaptations cinématographiques de Proust. Visconti, Pinter y avaient pensé, des projets restés dans l’ombre… « Et dire qu’on va pas le jouer » lance quelqu’un, « on peut pas laisser ça sans témoignage ! »
Le témoignage donne un film surprenant, avec de très beaux moments, virtuoses !
Voir Guermantes de Christophe Honoré pour le jeu des comédiens et comédiennes, pour la rencontre du théâtre et du cinéma autrement… En salles le 29 septembre.

Les Intranquilles
Film de Joachim La fosse (29 septembre 2021)

Idées noires par Bernard Lavilliers et Catherine Ringer évoque le climat que vit une famille, un couple Damien et Leïla et leur fils, Amine. La chanson donne également une jolie scène dans la voiture.

Leila et Damien s’aiment profondément et malgré sa bipolarité, Damien tente de poursuivre sa vie avec elle sachant qu’il ne pourra peut-être jamais lui offrir ce qu’elle désire… Vivre dans l’angoisse permanente du retour à l’hôpital pour l’enfant, la perte des repères de Damien dès qu’il est dans une phase de création, dès qu’il peint. Amine surveille son père, Leïla surveille l’homme qu’elle aime, mais elle perd également pied et devient aussi une « intranquille » en vivant un stress permanent.
C’est sans doute la raison pour laquelle Joachim Lafosse a mis le titre du film au pluriel, les Intranquilles, pour décrire une situation qui influence tous les proches. « Même si le mot vient pour une part de Gérard Garouste, encore un peintre, et de son livre L’Intranquille, autoportrait d’un fils, d’un peintre, d’un fou », précise Joachim La fosse.

Le film décrit avec justesse l’évolution d’une famille où tout le monde est atteint par la bipolarité de Damien et ses attitudes imprévisibles. Interprété avec délicatesse et justesse par Leïla Bekhti et Damien Bonnard, le film donne la dimension de ce qu’est la bipolarité lorsque Damien dit : « je peux te promettre d’être vigilant, mais pas de guérir ».

Les Intranquilles de Joachim La fosse au cinéma le 29 septembre.

En route pour le milliard
Film documentaire de Dieudo Hamadi (29 septembre 2021)

Sélectionné par le Festival de Cannes en 2020, il est le premier film de la République Démocratique du Congo en Sélection Officielle.
En route pour le milliard est le 5ème long métrage documentaire de Dieudo Hamadi (Maman Colonel, Kinshasa Makambo) et le premier à sortir en salles en France. Ses films ont été montrés dans les plus grands festivals internationaux dont Berlin, Toronto...
D’un film à l’autre, Dieudo Hamadi, digne héritier de la tradition du cinéma direct, questionne l’histoire contemporaine et les institutions de son pays, la République Démocratique du Congo, où les convoitises pour la captation du pouvoir et des ressources naturelles ont causé plusieurs millions de morts ces 20 dernières années. Tout en s’attachant à ses personnages, il donne à sentir la « toile de fond », les réalités de la société congolaise contemporaine : la pauvreté généralisée, la « débrouille », la présence du politique, du policier, du religieux.

Depuis vingt ans, à Kisangani en République Démocratique du Congo, les victimes de la « Guerre des Six Jours » de juin 2000 luttent pour obtenir une reconnaissance des conséquences du conflit sur les civils, la condamnation des belligérants et des compensations financières. Révolté.es par l’indifférence de leurs gouvernants, ils et elles décident d’entreprendre un périlleux voyage de 1734 kms sur le fleuve Congo pour se rendre à Kinshasa, la capitale du pays, afin de faire entendre leurs voix et réclamer justice. Ils et elles s’appellent Sola, Modogo, Mama Kashinde, Papa Sylvain, Bozi, Président Lemalema et font partie de l’Association des victimes de la Guerre des Six Jours de Kisangani.
« La condition de ces femmes et de ces hommes me ramenait à ma propre histoire [explique le réalisateur]. Kisangani est la ville où je suis né. Adolescent, j’y ai moi aussi vécu cette guerre. Je me souviens de mes frères et moi, blottis les uns contre les autres dans la chambre de nos parents que nous pensions être la pièce la plus solide de la maison. Je me rappelle du sifflement ininterrompu des balles, du tremblement des murs, de la déflagration des vitres sous l’impact des bombes, je me souviens des boules de feux déchirant la nuit comme des étoiles filantes, des prières étouffées et angoissées de ma mère, je me souviens de mon père, l’œil hagard et l’oreille collée à sa petite radio qui ne captait rien, de l’évanouissement de ma petite sœur, de la faim, de la soif, de la peur... Les jours d’après, je me souviens des cadavres jonchant les rues, dévorés par les chiens, je me souviens de l’odeur fétide, des chagrins de nos voisins, de la joie de ceux qui se découvraient encore en vie... […] Cette tragédie n’était pas seulement tue, mise à distance, mais elle semblait effacée des mémoires. Sans doute, dans un pays comme le Congo où l’on vit “au taux du jour”, où décennies après décennies les conflits armés ont fait des morts par millions, l’oubli permet de continuer à vivre. Mais enfouir la vérité, c’est aussi rendre impossible l’avènement d’une société de paix, réconciliée avec elle­même et avec son passé. Opter pour l’amnésie collective, c’est choisir de tourner la page, mais en refusant de la lire, au risque d’écrire à nouveau les mêmes horreurs. »

En ouverture du film, une représentation théâtrale, des scènes qui rythment tout le film et retracent les massacres. Les mutilé.es jouent leur histoire et racontent l’indifférence contre laquelle ils et elles se battent :
« Nous réclamons l’argent de notre sang. »
« Pourquoi ce massacre ? Qu’a-t-on fait pour ça ? »
« Levez-vous, j’ai quelque chose à dire ! Regardez notre état. Tout le monde nous méprise. La guerre est responsable. Deux états sont venus se battre dans notre ville. Ils nous ont tués, blessés, mutilés. Nos cœurs saignent. Que faire pour qu’on nous entende ? »
Les charniers sont dans toute la ville : 4000 morts et 3000 blessés.
Les répétitions théâtrales filmées se mêlent aux témoignages des femmes et des hommes sur le bateau. Ce qui frappe, c’est leur dignité et leur détermination :
« La famille en a marre de tout faire pour moi, mais je ne me suiciderai pas. Je peux travailler, je sais réparer les téléphones. Il faut qu’on soit respecté.es. »
« Ils nous considèrent comme des bons à rien. Pour eux, on ne vaut rien. »

L’arrivée à Kinshasa est décevante, personne ne veut les recevoir, ils et elles manifestent dans la rue, devant l’Assemblée nationale, les députés passent et les ignorent en pleine période électorale. Quant aux représentants de l’ONU, ils se déclarent non concernés : « 6 600 bombes nous sont tombées dessus et maintenant vous dîtes que vous n’êtes pas concernés ?! Où étiez-vous pendant les massacres ? »

Beaucoup se décourageront, d’autres resteront pour continuer à se battre pour leurs droits. En Route vers le milliard de Dieudo Hamadi est un film important pour ce qu’il montre et donne à entendre des oublié.es, car en Afrique, « on a un problème de mémoire. Notre mémoire [souligne Dieudo Hamadi] a été constituée par les autres. Et je pense que ce que nous faisons en tant qu’auteurs­réalisateurs, c’est petit à petit commencer à se réapproprier notre mémoire et à constituer des repères pour les jeunes générations qui viendront. »
En route vers le milliard de Dieudo Hamadi au cinéma le 29 septembre.

La Traversée
Film d’animation de Florence Miailhe (29 septembre 2021)

La Traversée est un film de la mémoire familiale d’abord, mais s’en détache pour rejoindre l’universel. C’est la rencontre de deux émotions, les arrière-grands-parents de Florence Miailhe fuyant Odessa et pogroms au début du XXe siècle, sa mère et son oncle tentant de rejoindre la zone libre, dans le Sud de la France, en 1940, et « la spectaculaire augmentation des déplacements humains au cours des dernières décennies. J’ai vu se refléter dans le parcours des familles kurdes, syriennes, soudanaises, afghanes, celui de ma propre famille juive. Des gens poussés par la guerre, la faim, les persécutions, cherchant une meilleure terre où reconstruire leur existence et prêts pour cela à affronter tous les périls. [commente Florence Mihaile]

Si le film s’ancre dans les réalités migratoires contemporaines, le sujet est traité de façon intemporelle – afin de montrer la permanence de l’histoire des migrations – en s’inspirant de la narration des mythes et des contes. »
Dès le début du film où elle dit avoir dessiné toute sa vie, on ne sait plus où est le dessin, la peinture où les prises de vues… Une représentation de son environnement qui s’efface d’un revers de main pour que l’histoire commence… Deux enfants dans la forêt, les craintes du jeune Adriel, et voilà que, perchée sur un arbre, Kyona s’écrit « ça brûle chez nous ! » Des miliciens pillent le village, frappent les habitants, brûlent les maisons… La famille est menacée et doit prendre la route de l’exil, partir chez un cousin dans un pays plus hospitalier. À bord du train, les deux enfants sont séparés du reste de la famille et Kyona, l’aînée, doit prendre soin de son frère. Commence alors une suite de mésaventures et de rencontres dont Kyona âgée fait le récit en voix off, à partir d’un carnet de croquis qu’elle garde précieusement tout au long du périple. « Le carnet a été reconstitué à partir de dessins de ma mère [explique Florence Miailhe]. C’est à partir de ses dessins que nous avons défini les personnages et certains décors. »

« Traverser l’eau », c’est l’obsession de Kyona à tout prix et ce voyage qui se déroule sur quatre saisons se transforme en une suite d’épreuves — le trafiquant puis la famille friquée qui s’achète des gosses pour les transformer à leur image —, mais aussi de belles rencontres — la sorcière dans la forêt, la patronne du cirque, Erdewan l’amoureux —, c’est à la fois la description du totalitarisme, de la réalité de l’immigration et de la vie d’enfants livrés à eux-mêmes. Il y a aussi cette pie qui veille en quelque sorte sur Kyona, comme cette envolée merveilleuse d’oiseaux qui vont permettre aux enfants d’échapper aux parents adoptifs monstrueux.

Des images d’une créativité étonnante, la peinture animée qui colle au conte et à la perception de Kyona, aux caractères des personnages. La Traversée est un film fascinant, beau, intelligent… Une œuvre d’art, un ravissement — par exemple avec le spectacle du cirque, en couleurs et en mouvements —, une représentation magique malgré le tragique du sujet, des sujets devrais-je dire, car de la violence à l’exil forcé, de la séparation au voyage initiatique, du totalitarisme à l’immigration, de l’enfance à l’adolescence, la vie dans le camp, tout est abordé dans le récit, évoqué, observé avec finesse et sensibilité…
La Traversée est un chef-d’œuvre dans lequel on s’immerge totalement.
La Traversée de Florence Miailhe au cinéma le 29 septembre 2021.

Deux livres publiés aux éditions Lux le 1er octobre :
L’économie psychique d’Alain Deneault
4ème opus de la sage sur l’économie, après l’Économie de la nature, l’Économie de la foi et l’Économie esthétique.

À partir du terme économie tel que développé en biologie, Freud a fondé dans sa Métapsychologie, une « économie psychique » désignant les tensions qui s’observent entre l’affirmation pulsionnelle et les impératifs sociaux, moraux et anthropologiques qui s’interposent pour la censurer. Or, les structures sociales qui, jusqu’à il y a peu, assuraient encore l’organisation de la personne et le refoulement des pulsions ont disparu. Nous sommes désormais contraints de trouver en nous-mêmes d’autres modalités d’organisation, et l’ancienne personnalité qui se sentait perpétuellement en dette envers la société a cédé la place à un individu qui tend à croire que tout lui est dû.

Alain Deneault décrit cette évolution de l’économie psychique qui, bien qu’étrangère aux sciences économiques, a été récupérée par ces dernières et par leurs domaines régionaux que sont le marketing et le management.

Lettres à une Noire de Françoise Ega
Un classique du féminisme noir, publié pour la première fois en 1978.
Dans la France des années 1960, des jeunes filles et des femmes débarquent par centaines des Antilles pour devenir domestiques auprès de familles blanches et bourgeoises. Tout, dans les relations entre ces « bonnes à tout faire » et leurs employeurs, rappelle l’esclavage : leur placement orchestré par une agence d’État, les tâches harassantes et interminables, les conditions de vie déplorables, le racisme et la division sexuelle et raciale du travail.

Françoise Ega, ouvrière dactylographe et mère de famille martiniquaise, arrive à Marseille au milieu des années 1950. Elle entend les récits de « filles de son pays » à ce point scandaleux qu’elle décide de vérifier par elle-même. Elle s’emploie alors comme femme de ménage, une « expérience » qu’elle consignera dans un journal publié de façon posthume, Lettres à une Noire. D’emblée, son expérience se mue en engagement ; face au mépris des patronnes, à l’absence de cadre légal, à la réduction des personnes au statut d’objets et à l’exploitation, elle adopte une démarche syndicaliste et féministe en vue d’assurer leur défense collective.
Ce texte relève autant du récit intime que de la littérature de combat. Un plaidoyer contre le racisme et pour la sororité noire, l’entraide communautaire et une véritable égalité sociale.

À PARTIR DE 13h30 :
Un Fait d’été
Claire Auzias (TheBook Édition)

Récit en trois temps, trois espaces, le souvenir, la correspondance, les faits, un récit à la fois personnel et ancré dans une période toute particulière : l’après mai 1968. Témoignage rare, de l’intérieur, évoquant la révolte usurpée, la taule, la dope, la fuite… Un Fait d’été est un récit bouleversant, sans faux fuyants, à contre courant du déjà dit sur cette période intense en espoirs et en illusions brisées. Un après Mai 68 tel que peu l’ont évoqué, dans la répression et le vide laissé par une révolte escamotée. On est bien loin de la légende et de la récupération sublimée…
Il s’agit là de survie dans « la pente amère du post 68 » et comme l’écrit Claire Auzias, certain.es « tripatouillaient la lutte de classes, nous, nous tripatouillions la reprise individuelle et l’illégalisme » pour accompagner le désastre dans un climat de « vindicte post soixante-huitarde ».
Il fallait l’écrire ce livre — «  On ne peut pas hurler indéfiniment, la voix se casse » — alors écrire une histoire ébauchée, une impression remémorée, une réflexion forte sur le refus de mettre fin à une révolte spontanée, évidente, puis sur l’horreur carcérale, et survivre, transformer le deuil en voyage initiatique… Finalement, il est important de laisser des traces, et surtout un autre écho d’une histoire oubliée, métamorphosée : Un Fait d’été.
Souvenirs de la taule, du départ, de la perte de soi, les lettres, revenir sur les faits… Un fil d’Ariane déroulé après cinq décennies grâce au périple avec deux chiens…
« On ne peut pas hurler indéfiniment, la voix se casse ».
Entretien avec Claire Auzias.

Musiques Claire Auzias ITW
— Hélène Martin, Chanson du condamné à mort (Genet)
— Mouloudji, Le Politique (Vian)
— Rolling Stones, Gimme Shelter
— The Doors, Break On Through
— Jazz éthiopien
— Rolling Stones, Wild Horses
— Led Zeppelin, Stairway to Heaven
— Trio Joubran
— Ravi Shankar
— Jefferson Airplane, White Rabbit
— David Bowie, Heroes
— Jimi Hendrix, All Along the Watchtower (Dylan)


Dans la même rubrique