Chroniques rebelles
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Samedi 9 octobre 2021
Ici on noya des Algériens La bataille de Jean-Luc Einaudi pour la reconnaissance du massacre policier et raciste du 17 octobre 1961 Fabrice Riceputti. Freda de Gessica Généus. Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier. First Cow de Kelly Reichardt. Dustin de Naïla Guiguet et Spectre de Para One
Article mis en ligne le 9 octobre 2021

par CP

Ici on noya les Algériens
La bataille de Jean-Luc Einaudi pour la reconnaissance du massacre policier et raciste du 17 octobre 1961 
Fabrice Riceputi (le passager clandestin)

Entretien avec l’auteur

Freda
Film de Gessica Généus (13 octobre 2021)

Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier
 (13 octobre 2021)

First Cow de Kelly Reichardt (20 octobre 2021)

Dustin de Naïla Guiguet et Spectre Para One

Ici on noya les Algériens
La bataille de Jean-Luc Einaudi pour la reconnaissance du massacre policier et raciste du 17 octobre 1961 
Fabrice Riceputi (le passager clandestin)

Paris, 17 octobre 1961, 20 h 30. Cinq mois avant la fin de la guerre d’Algérie, des dizaines de milliers d’Algériens et d’Algériennes manifestent pacifiquement contre le couvre-feu raciste qui leur est imposé par le préfet de police, Maurice Papon. La répression est d’une violence inouïe : onze mille personnes sont raflées, tabassées, détenues et torturées dans des camps improvisés. Certaines seront liquidées, jetées dans la Seine, d’autres envoyées dans des camps en Algérie sous la direction de l’armée française. Un rapide communiqué officiel fait état de deux morts… Face à ce mensonge d’État et à une omerta organisée, Jean-Luc Einaudi va enquêter pendant trente ans malgré les obstacles — archives interdites, procès… — pour faire connaître et reconnaître le crime d’État.

Dans Ici on noya des Algériens. La bataille de Jean-Luc Einaudi pour la reconnaissance du massacre policier et raciste du 17 octobre 1961, Fabrice Riceputti retrace cette bataille intellectuelle, judiciaire et politique en la contextualisant, en soulignant les traces entre la politique coloniale raciste d’alors et celle d’aujourd’hui, les violences policières dans les banlieues et autre chasse au faciès en sont une preuve déplorable.

Une simple « reconnaissance diplomatique » équivaudrait à un nouveau un déni, il faut faire reconnaître un crime colonial d’État qui s’est passé à Paris il y a soixante ans.
Au lendemain du massacre Kateb Yacine écrivait :
Peuple français, tu as tout vu
Oui, tout vu de tes propres yeux.
Tu as vu notre sang couler

Tu as vu la police

Assommer les manifestants

Et les jeter dans la Seine.

La Seine rougissante

N’a pas cessé les jours suivants
De vomir à la face

Du peuple de la Commune

Ces corps martyrisés
Qui rappelaient aux Parisiens
Leurs propres révolutions

Leur propre résistance.

Peuple français, tu as tout vu,
Oui, tout vu de tes propres yeux,
Et maintenant vas-tu parler ?

Plus que jamais il est important de se libérer d’un imaginaire colonial, de « décoloniser » la mémoire et l’histoire… Et ce livre de Fabrice Riceputti sur La bataille de Jean-Luc Einaudi pour la reconnaissance du massacre policier et raciste du 17 octobre 1961 y participe.

Le 17 octobre 1961, un sujet souvent abordé dans les chroniques rebelles de Radio Libertaire. Nous avons reçu Jean-Luc Einaudi et Maurice Rajsfus : Les Silences de la police. 16 juillet 1942 / 17 octobre 1961 (écrit en collaboration). Maurice Rajsfus, Olivier Le Cour Grandmaison, Jean-Jacques Gandini sont venus parler des silences et des mensonges d’État dont évidemment le 17 octobre est emblématique.
Jean-Jacques Gandini : « Aucun régime totalitaire ne peut se maintenir au pouvoir sans une multitude de petites lâchetés, compromissions, ralliements, reniements, renoncements ou actes d’obéissance d’hommes et de femmes, comme vous et moi, du plus petit citoyen au plus haut fonctionnaire. Non, ce n’est pas parce qu’il y a eu Hitler ou Pétain que nous avons eu des hommes comme Papon, mais parce qu’il y a eu des milliers d’hommes comme Papon que nous avons Hitler et Pétain. »

Musiques illustrant l’entretien de Fabrice Riceputi :
Dahmane El Harachi, Kiefeche Rah kiefeche a trebel
Idir, Ayrib
Dahmane El Harachi,Ya raya
Rachid Taha, Voilà voilà

Freda
Film de Gessica Généus (13 octobre 2021)

Freda habite dans un quartier populaire de Port-au-Prince avec sa mère, sa sœur et son frère. Grace à une petite boutique de rue, la famille survit tant bien que mal. Mais face à la précarité et à la montée de la violence en Haïti, nombre de jeunes rêvent de partir, ne serait-ce déjà que pour échapper à une balle perdue. Freda, elle, résiste et veut poursuivre ses études à l’université qui est un lieu de débats et de discussions intenses, de radicalité, de grèves, de manifestations…

Haïti où se côtoient la richesse et la misère, le poids de la religion, la corruption, mais aussi la conscience de la population dont on parle rarement… Trois femmes, Freda, Esther et Jeannette qui, chacune à sa manière, tentent de s’en tirer comme elles peuvent. Freda, lucide, choisit de rester pour sa famille et participer malgré les difficultés à un changement de société.

Gessica Généus réalise un film d’une grande force, à la fois social et politiquement engagé. Dans l’entretien qu’elle nous a accordé, elle revient sur un but essentiel de son travail, à savoir : « faire exister un point de vue féminin sur la société haïtienne, car c’est un point de vue qui est négligé. Les femmes existent peu et l’analyse de la situation [du] pays est monopolisée par les hommes. »

Freda de Gessica Généus au cinéma le 13 octobre 2021
Entretien avec Gessica Généus.

Également dans les salles le 13 octobre :

Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier


Histoire de Julie, jeune et jolie trentenaire, qui n’arrive pas à se fixer dans la vie. Elle vit avec Aksel, 45 ans, auteur à succès, mais bientôt rencontre le jeune Eivind.
Voici ce que dit Joachim Trier à propos de ce nouveau film :
« J’ai eu envie de revenir aux fondamentaux, de traiter des idées, des personnages, des situations proches de mon vécu et du cinéma que j’ai toujours aimé. Ça a débuté presque comme une thérapie : de quoi ai-je envie de parler maintenant ? J’ai vu mes amis vivre toutes sortes de relations de couple et j’ai ressenti le désir de parler d’amour, et de l’écart entre le fantasme de la vie que nous aurions rêvé de mener et la réalité de ce que sont nos vies. Le personnage de Julie a alors commencé à prendre forme : une jeune femme spontanée, qui croit qu’on peut changer de vie à sa guise, [mais] qui se retrouve un jour confrontée aux limites du temps. […] Le film traite avant tout de l’individu Julie ». Il n’est pas question d’en faire un modèle, mais plutôt de l’imaginer « à travers des situations sincères, humoristiques, satiriques, et à travers diverses anecdotes » vécues ou imaginées.
Julie (en 12 chapitres) de Joachim Trier
en salles le 13 octobre.

En salles le 20 octobre, deux films à voir :

First Cow de Kelly Reichardt

Au début du XIXe siècle, dans l’Oregon, l’Ouest encore sauvage, un cuisinier rencontre un immigrant d’origine chinoise et tous deux montent un modeste commerce de beignets qui ne tarde pas à faire fureur auprès des pionniers de l’Ouest. Mais voilà ils ont un secret de fabrication : c’est le lait qu’ils tirent clandestinement chaque nuit de la première vache introduite en Amérique, propriété exclusive d’un notable des environs.
Une rétrospective de la filmographie de Kelly Reichardt se tiendra au centre Pompidou, Beaubourg, du 14 au 24 octobre. L’Amérique retraversée par Kelly Reichardt, en sa présence. La cinéaste dit qu’il faut « laisser l’espace raconter l’histoire » et change le regard sur les États-Unis, en observant tout ce qui a été gommé des mythes nationaux, les sans voix, les invisibles, les anti héros. Elle porte un regard subversif en revisitant le cinéma états-unien, road-movies, thrillers et westerns, avec ce qui n’est guère montré : les doutes, les échecs, la fragilité…

Enfin un film, en fait il y en a deux, puisque Spectre de Para One est précédé d’un court métrage, Dustin de Naïla Guiguet , film multiprimé, qui raconte la nuit comme on ne la montre pas au cinéma.

La réalisatrice dit qu’il est né d’une soirée, ou plutôt d’un after : « quand la nuit est représentée [au cinéma, dit-elle], c’est souvent de façon caricaturale. Un monde existe, il rassemble des milliers de jeunes chaque week-end, et, au cinéma, il y a un oubli, une impasse. »

C’est cela que Dustin de Naïla Guiguet montre : soirées techno et afters.

Un beau prélude au film de Para One, Spectre, essai filmique très original dans sa narration, par les différents formats utilisés et le récit lui-même de la vie d’une famille nombreuse dans une communauté sous l’emprise d’un « guide spirituel ».

Jean, le cadet de la famille reçoit de sa sœur, qui vit recluse, des K7 audio de l’époque de son enfance et, peu à peu, en les écoutant les souvenirs surgissent, les images renaissent des sons, les visages effacés réapparaissent. Jean décide alors de remonter le temps en revisitant les différents endroits décrits qu’il revoit non plus à travers ses yeux d’enfant, mais ceux d’adulte.

Quoique le lien soit troublant, car la compréhension est souvent dans un entre deux imaginaire, fictif et même temps réel.
Le voyage prend une allure de voyage initiatique, parfois même de trip halluciné par des flashs qui remontent d’une mémoire enfouie ou effacée. Du Japon à Bali et jusqu’en Bulgarie, le film prend des allures de fil d’Ariane mémoriel, un déroulé, sonore et visuel, où la musique tient un rôle essentiel comme le spectre du père disparu.

Spectre est un film en marge, à part, une expérience envoûtante de récit, d’images et de sons, « des voyages musicaux qui sont devenus des séquences du film ». Spectre de Para One au cinéma le 20 octobre.


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