Chroniques rebelles
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Samedi 27 novembre 2021
Aimer La vie de Nadia Genet. Memoria libertaria. Le Diable n’existe pas de Mohammad Rasoulof. Les Aventures d’un mathématicien de Thorsten Klein. Ziyara de Simone Bitton. Ailleurs et partout d’Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter. Les Magnétiques de Vincent Maël Cardona. La Pièce rapportée d’Antonin Peretjatko
Article mis en ligne le 30 novembre 2021

par CP

Aimer La vie
Film documentaire de Nadia Genet
Entretien avec la réalisatrice

Memoria Libertalia / Mémoire libertaire
Revue en ligne présentée par Daniel Piños

Le Diable n’existe pas de Mohammad Rasoulof (1er décembre 2021)

Les Aventures d’un mathématicien de Thor Klein (1er décembre 2021)

Ziyara de Simone Bitton (1er décembre 2021)

Ailleurs et partout d’Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter (1er décembre 2021)

Les Magnétiques de Vincent Maël Cardona (au cinéma depuis le 17 novembre 2021)

La Pièce rapportée d’Antonin Peretjatko (1er décembre 2021)

Aimer La vie
Film documentaire de Nadia Genet

Entretien avec la réalisatrice

Aimer La vie. Le film documentaire de Nadia Genet est un très beau portrait d’Helyette Bess, militante anarchiste et révolutionnaire. Adolescente, elle a vécu, les persécutions du régime de Vichy durant la Seconde Guerre mondiale, son père a été arrêté et déporté lorsqu’elle avait 12 ans. Devant le musée de la Résistance à Grenoble, elle désigne cette phrase : « Nous avons toujours un choix, ne serait-ce que de ne pas nous incliner devant ceux qui nous en privent. »
Helyette s’est engagée dans la lutte antifranquiste, a côtoyé des anarchistes : Tomas Ibanez qui raconte qu’Helyette et lui scandalisaient les anarchistes espagnols et français : « L’anarchisme est [dit-il] quelque chose de changeant, mais reste la cohérence entre le dire et le faire, entre la théorie et la pratique. […] Je suis un fragment de la société. Toi, Helyette, tu es un fragment de l’anarchie. »
Le film se déroule au rythme des retrouvailles d’Helyette : avec Raymond, qui a toujours fonctionné par affinités amicales et « regarde les saisons passer » ; avec Jean-Marc Rouillan, qui rappelle le soutien d’Helyette lorsque le groupe Action directe était « lâché ». Tous parlent de son engagement, sans pour autant qu’elle gomme les divergences ou adopte les idées, elle est ouverte mais reste critique… demeure son amitié, indéfectible.
À Ménilmontant, devant la bibliothèque libertaire qu’elle a cofondé, le Jargon libre, on y croise Dominique Grange, Tardi et d’autres…
Elle visite aussi Georges Ibrahim Abdallah et lui écrit en prison. Helyette ne fait pas partie de son comité de soutien, néanmoins elle le considère comme « un camarade révolutionnaire, [et ajoute] même si nous n’avons pas les mêmes conceptions ». Elle s’indigne d’ailleurs en évoquant la taule : « Assez. Il n’a rien fait. 35 ans ! C’est honteux. Même les nazis ne sont pas restés aussi longtemps en prison ! »
Ce portrait d’Helyette Bess, exprime la perception par une autre génération — celle de Nadia —, le portrait d’une militante convaincue que la révolution est la seule solution, puisque ceux et celles qui sont au pouvoir ne l’abandonneront pas de leur plein gré. Un film, une jolie trace d’Helyette qui déclare : « Nous, on veut pas prendre le pouvoir, on veut qu’il disparaisse. Ceux qui prennent le pouvoir en abusent toujours, même dans les plus petits groupes. » Louise Michel le disait déjà, il y a longtemps, « le pouvoir est maudit, c’est pour ça que je suis anarchiste.

Le Jargon libre est une bibliothèque libertaire de consultation sous forme associative, où l’on trouve des livres et des archives sur l’histoire des luttes et des mouvements révolutionnaires. Le Jargon libre est ouvert du lundi au samedi de 14h à 20h au 32, rue Henri Chevreau et l’accès aux livres est libre.
(Musiques du film : Nina Hynes, Bloom, Raging Fire

Memoria Libertalia / Mémoire libertaire
Revue en ligne présentée par Daniel Piños
http://www.memoire-libertaire.org/

— Entretien avec Emilio Silva : « La loi de la mémoire démocratique parle de justice et ne va juger personne. »

— Durruti dans le labyrinthe. Qui a tué Durruti ? Entretien avec Miguel Amoro
http://memoire-libertaire.org/Durruti-dans-le-labyrinthe-Qui-a-tue-Durruti

— Anecdotes sur les combattants de la Nueve
http://www.memoire-libertaire.org/Anecdotes-sur-les-combattants-de-La-Nueve

— Miguel Campos Delgado. Anarchiste de la Nueve
http://www.memoire-libertaire.org/Miguel-Campos-Delgado-el-Canario-Anarchiste-de-la-Nueve

— Les socialistes espagnols font de nouveaux cadeaux aux entreprises
Main basse sur l’argent public : l’État au service du capital.
http://www.memoire-libertaire.org/Le-gouvernement-socialiste-fait-de-nouveaux-cadeaux-aux-entreprises

La loi sécurité n’a pas été abolie en Espagne
La « ley mordaza » (la loi-bâillon) du Parti populaire a six ans, malgré l’abrogation promise par Pedro Sánchez et le Parti socialiste.
http://www.memoire-libertaire.org/La-ley-mordaza-la-loi-baillon-du-Parti-populaire-a-six-ans

Serge Utgé-Royo. D’amour et de révolte
Auteur-compositeur-interprète, le répertoire personnel de ce fils de deux exils, celui d’un anarchiste catalan et celui d’une socialiste de Castille, est riche et très évocateur. Il aura été, durant près de 40 ans de carrière, à travers une multitude de galas et de concerts, le porte-voix de plusieurs générations de libertaires.
http://www.memoire-libertaire.org/Serge-Utge-Royo-D-amour-et-de-revolte

Le Diable n’existe pas de Mohammad Rasoulof (1er décembre 2021)

Après Un Homme intègre, traitant de la corruption en Iran et des abus de pouvoir, un film qui lui a valu une condamnation à un an de prison, le retrait de son passeport et l’interdiction d’exercer son métier, Mohammad Rasoulof a détourné la censure en réalisant le Diable n’existe pas — quatre courts métrages — qui sont liés par la question du choix face à l’oppression d’un régime totalitaire où la peine de mort est courante. Obéir et perdre son humanité, se résigner ou se révolter, devenir un bourreau ordinaire ou le refuser, avec pour conséquences renoncer à une vie de famille, à ses amours, à son métier et voir sa vie basculer dans l’inconnu. Quatre récits donc sur le choix d’obéir ou non aux ordres dans un régime despotique.

Heshmat est un homme affable, un mari modèle, il fait les courses, prend l’avis de sa compagne, gâte sa fillette à la langue bien pendue, s’occupe de sa mère handicapée, aide les voisins, sauve un chaton… Bref un homme exemplaire, mais personne ne connaît la nature du travail qu’il exerce à l’aube.

Le second récit — « Elle m’a dit tu peux le faire » — se déroule dans une caserne où Pouya, jeune conscrit, ne peut se résoudre à obéir à l’ordre d’exécuter un homme. S’ensuit un débat étonnant et critique avec ses camarades de chambre, dont certains ne comprennent pas ses hésitations —
« la loi c’est la loi » —, alors que d’autres comprennent les raisons morales et politiques du refus. Plus se rapproche l’heure de l’exécution, plus l’angoisse étreint le jeune homme et le rend malade. Il discute avec sa fiancée au téléphone, mais rien n’y fait. Les questions affluent, sans réponses : pourquoi cet homme est-il condamné et pourquoi dois-je l’exécuter ?

Alors que les deux premiers récits se déroulent dans des lieux clos, dans la caserne, dans la voiture en ville ou en appartement, les deux épisodes suivants se situent en pleine nature, dans la montagne.

Le troisième épisode — « Jour d’anniversaire », — met en scène Javad, qui fait son service militaire et a obtenu une permission exceptionnelle pour l’anniversaire de la jeune fille qu’il aime. Il désire l’épouser, mais les parents, visiblement engagés, viennent de perdre un ami très cher, poursuivi et condamné par le régime pour ses opinions. Il est même interdit de se réunir pour ses funérailles. Javad ne le connaissait pas et se trouve brusquement pris dans une tragédie.

La dernière histoire — « Embrasse moi  » — met en scène Bahram, médecin interdit d’exercer, qui a décidé de révéler à sa nièce, Darya, vivant en Allemagne, qu’elle est sa fille. Barham, ayant refusé d’exécuter un homme, avait voulu la préserver des conséquences de son refus. Darya ne comprend pas ces mensonges et lui lance : « tu n’es que mon père biologique. Je ne te pardonnerai jamais.  »
« Je ne voulais pas tuer [explique Bahram]. Ta mère était fière de moi, deux de ses frères avaient été exécutés. Si c’était à refaire, je retournerai l’arme contre le gardien et je m’enfuirai. » Le second et le quatrième récit sont accompagnés par la chanson Bella Ciao.

Quatre histoires, quatre cas de refus ou d’acceptation de donner la mort sur ordre : « c’est la loi », mais Shirin, dans le troisième récit, pose la question à Javad : Qui décide des lois et faut-il obéir si elles sont abusives ? Inexorablement liés, les quatre récits sont construits comme des thrillers, avec un coup de théâtre à chaque dénouement, une conclusion et une réflexion morale sur la liberté.
Le Diable n’existe pas est un chef d’œuvre contre la peine de mort, l’oppression et pour la résistance. À voir et à revoir…

Le Diable n’existe pas de Mohammad Rasoulof a obtenu l’Ours d’or à Berlin en 2020, il est sur les écrans à partir du 1er décembre.
Et nous en parlerons prochainement avec Bamchade Pourvali pour évoquer trois films iraniens qui seront en salles dans les quinze prochains jours : Le Diable n’existe pas de Mohammad Rasoulof (1er décembre), Any Day Now de Hany Ramezan (8 décembre) et Un Héros d’Ashgar Farhadi (15 décembre).

Les Aventures d’un mathématicien de Thor Klein (1er décembre 2021)

Inspiré du livre de Stan Ulam, les Aventures d’un mathématicien, le film raconte les débuts d’une recherche scientifique, qui changera irrémédiablement le monde du XXème jusqu’à nos jours, avec les conséquences dramatiques que l’on sait.

1942, Nouveau Mexique. Stan Ulam, jeune mathématicien polonais, rejoint un groupe secret de chercheurs venus du monde entier pour collaborer à la création de la bombe à hydrogène et sur le « projet Manhattan ». Loin de sa famille restée dans une Europe envahie par les nazis, il participe à l’avancement de travaux sur des armes mortifères, sans toutefois en mesurer complètement les effets à terme ni imaginer leur utilisation sur les populations civiles.

Les scientifiques regroupés au Nouveau Mexique sont jeunes, notamment Stan et son ami Johnny, « pour eux, la science était une activité créative et une obsession intellectuelle qu’ils pratiquaient avec leurs amis et ne s’interrompaient que pour boire de l’alcool et flirter avec des femmes. Cette génération d’immigrés est à l’origine du développement exponentiel de la technologie au XXème siècle. [Et comme le souligne le réalisateur] Aujourd’hui, plus de vingt-cinq ans après la chute du mur de Berlin, on construit de nouveaux murs dans le monde. Les Aventures d’un mathématicien montre que, il n’y a pas si longtemps, des Européens cherchant refuge ont émigré en Amérique – et grâce à leur contribution et leur savoir, ils ont fait de l’Amérique du XXème siècle le pays où sont nées des inventions et innovations technologiques révolutionnaires. »

Le film retrace ainsi l’avènement du monde atomique avec ses acteurs, souvent partagés entre l’excitation de la recherche et l’argument « fabriquer des bombes rend le monde plus sûr ». Profondément troublés par la disparition de leurs familles en Europe, culpabilisant du fait de leur impuissance à les sauver, pour beaucoup, l’urgence d’arrêter cette guerre et le fameux « la fin justifie les moyens » apparaît dans toute son horreur après le bombardement nucléaire de Hiroshima et Nagasaki. Impensable d’accepter la mort de centaines de milliers de civils et les conséquences sanitaires de crimes de guerre. Et pourquoi une deuxième bombe ? La bombe sur Nagasaki peut paraître à certains comme un essai sur des cibles vivantes et c’est insupportable.
Les questions éthiques prennent alors une place importante dans les débuts de la guerre froide et l’emballement de la course à l’armement nucléaire. Certains des scientifiques, directement touchés par le génocide nazi, prennent conscience de la domination mortifère qui se développe à partir de leurs travaux. Fini l’enthousiasme candide de la recherche, place à la responsabilité face à l’histoire ! « Les mathématiques n’étaient plus vues comme un art. Elles étaient considérées comme l’outil industriel le plus puissant de l’ère atomique. » Stan et son ami Johnny sont irrémédiablement liés aux changements drastiques de cette époque, bien que les décisions leur échappent, ils sont à la fois responsables des bienfaits de la technologie moderne et de la malédiction de l’ère atomique.

Dans le film, les armes atomiques, la pression psychologique de l’utilisation de la bombe, la science et le début de la Guerre froide font écho aux sentiments de Stan, à sa condition physique et à son mode de vie. Stan doit faire face aux contradictions morales provoquées par les décisions politiques et la stratégie militaire, et le sentiment indépassable de culpabilité après Hiroshima.

L’une des raisons importantes de réaliser ce film, pour Thorsten Klein, était d’offrir « une vision nouvelle de l’histoire des années 40 et 50, qui fait écho à notre époque et ses difficultés, à travers l’histoire d’un immigré confronté à la fracture de la civilisation européenne tout en créant un nouveau monde. » Les Aventures d’un mathématicien est un film captivant, traitant d’un sujet peu abordé — celui du projet Manhattan —, les débuts du nucléaire et de qui était à son initiative.
Les Aventures d’un mathématicien de Thorsten Klein, au cinéma le 1er décembre.

Ziyara de Simone Bitton (1er décembre 2021)

Ziyara ou pèlerinage en arabe. Le film est un voyage merveilleux à travers un Maroc de légendes, de magie, de croyances ancestrales où se retrouvent les différentes coutumes, les mythes, les influences, guérisseurs et guérisseuses, mystiques, bref une variété de sages invoqués à divers moments de la vie…
Grâce au film de Simone Bitton, Ziyara, on part dans une odyssée du savoir et de la découverte… de quoi attiser la curiosité et l’envie de regarder un autre Maroc, quelque peu méconnu peut-être, mais cependant réel et présent. Selon les anthropologues, il existe, dit-elle, « plus de 650 saints juifs au Maroc, et parmi eux plus de 150 saints partagés » par la population quelle que soit la religion. Le pays est ainsi parsemé de lieux dits, de tombeaux entretenus par la population locale qui gardent la mémoire des familles, des communautés ayant vécu dans les villages.

Très belle idée que de réaliser un road movie, un pèlerinage cinématographique et « profane où [confie la réalisatrice, je vais] à la recherche des lieux de mémoire juifs. [L’idée] a pris un tournant décisif lorsque j’ai commencé à rencontrer les gardiens musulmans de ces sanctuaires, mais aussi de cimetières et de synagogues.

Ce sont pour la plupart des personnes très croyantes, humbles et modestes, des musulmans absolument sincères dans leur rapport à la sacralité des lieux juifs dont ils ont reçu la charge en héritage familial. À leur contact, une sorte de miracle est arrivé à la mécréante que je suis ! Alors que j’avais commencé les repérages en parlant en français ou en m’aidant d’un traducteur, soudain la langue de l’enfance qui était enfouie au fond de moi-même m’est revenue aux lèvres, et je me suis mise à parler en “Darija”, le dialecte Arabe marocain que je croyais avoir complètement oublié. »

Ziyara est construit autour des réminiscences de civilisations croisées ou en osmose, mais également autour des luttes… Le film évoque le passé et parle aussi du présent. Simone Bitton ne fait l’impasse ni sur le beau ni sur le déglingué. La blessure de la séparation est encore vive, l’écho des guerres plane sur la rencontre, mais la caméra retisse le lien, recueille les anecdotes, les sourires et la tradition d’hospitalité. Il ne s’agit pas d’un film touristique, mais plutôt de sillonner un pays dans sa réalité immuable.
Ziyara de Simone Bitton au cinéma le 1er décembre.

Ailleurs et partout d’Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter (1er décembre 2021)

Odyssée d’un jeune réfugié iranien, Shaïn Parda, partant de sa ville natale jusqu’en l’Angleterre qu’il regardait auparavant sur l’écran de son ordinateur… Prologue du film : sur fond sonore troublant, le rêve angoissant de se perdre en mer. Un rêve apparu au moment de sa sortie de prison, en Grèce, et de son transfert dans un camp, où il fête ses 20 ans. « J’ai voyagé avec un vrai passeport, mais ce n’était pas le mien ».

Le film se partage au son entre une voix off féminine, les conversations téléphoniques avec sa mère et sa famille, la voix de Shaïn reproduisant les interrogatoires des polices des frontières, s’ajoute les courriels/sms s’inscrivant sur les images de nuit, filmées pour la plupart avec un téléphone. Le son et les voix rythment le récit, se croisent et témoignent du parcours et des épreuves rencontrées au passage des frontières, des barrières et des violences. Pourtant, écrit Shaïn, « Je voudrais voyager dans le monde entier. Tant de choses que je ne connais pas »… Les conversations avec sa mère sont émouvantes, il évite de raconter les moments pénibles, qu’il vit dans cette ville pauvre du nord de l’Angleterre, où sont placés les réfugié.es en attente de papiers, parce que les loyers n’y sont pas chers.
L’attente, toujours l’attente et la prostration : « Ici, on te donne un toit mais tu n’as pas le droit de travailler. »

Après presque deux ans de voyage, la voix féminine décrit l’évolution du jeune homme : « même sa colère était exsangue. » Flashback sur le voyage : de la région d’Ispahan à Téhéran, la traversée de la Serbie, puis la Turquie et la Grèce, avec un problème de chaussures qui le blessent. Les réfugié.es passent les frontières à pied et sont parfois poursuivis par la police, obligé.es alors d’abandonner leur bagage. Depuis toujours, Shaïn regarde le monde sur Internet, mais le décalage avec la réalité est flagrant : « les images ne rendent jamais compte de l’atmosphère. Or, on vit dans les atmosphères. »

À la question de l’enquêteur : pourquoi être venu en Angleterre ? Shaïn répond « En Iran, tout est fixé d’avance. Les jeunes ne peuvent rien faire. La police a fouillé chez moi et je risque la prison, sinon même d’être exécuté parce que j’ai abandonné la religion musulmane. » Décalage dans les perceptions comme dans les dialogues avec les non réfugié.es : comment réagir dans une discussion sur la philosophie alors que la seule préoccupation du jeune homme est de survivre. « Si je n’arrive à rien, je serai détruit [conclue-t-il]. La vérité. Qui peut me dire à quoi ça sert ? »
Lorsque finalement sa demande est « acceptée », il s’écrie : « c’est le plus beau jour de ma vie », et, dans l’instant, fait le projet de faire venir sa mère et de se promener avec elle sur la plage :
« Qui saura alors que j’étais un réfugié ? »

Par le procédé des images crashées, floues ou saccadées, les réalisatrices rendent le sentiment de danger, l’aléatoire d’un voyage dans l’illégalité. Les voix écrites et parlées amplifient le sentiment d’insécurité, traduisent les perspectives changeantes de Shaïn, égaré entre plusieurs mondes et douloureusement lésé par rapport à ses espoirs. Thierry Paquot, que nous recevrons prochainement dans les chroniques, fait ce commentaire à propos de Ailleurs et partout : « C’est un film fort sur la globalisation des imaginaires, la vidéosurveillance, le contrôle du monde. J’ai pensé à Paul Virilio qui annonçait qu’"ailleurs commence ici” et que la terre n’était plus “natale” mais “fatale”. […] Le film révèle le jeu, qui échappe du reste à ceux qui veulent tout contrôler, ce jeu, comme avec le bois des marches d’un escalier, peut-être aussi bien musical que matériel, c’est dire qu’il ouvre à l’imagination donc à l’émancipation... »
Un film sans aucun doute original par le traitement de l’image et du son.
Ailleurs et partout d’Isabelle Ingold et Vivianne Perelmuter au cinéma le 1er décembre.

Les Magnétiques de Vincent Maël Cardona (au cinéma depuis le 17 novembre 2021)

Le film est en salles depuis le 17 novembre, L’émission Longtemps je me suis couché de bonne heure de Radio libertaire en a fait une table ronde ce matin.
C’est un premier film passionnant sur le début des années 1980 et, devinez… c’est un film sur la radio, les radios pirates, bientôt libres, bourrées de créativité sans retenue et de trouvailles sonores ! Dans ces années-là, toute une gamme d’opportunités s’offrait avec l’ouverture des ondes à des dingues du son, et même en l’occurrence pour des jeunes habitant des trous perdus, sans oublier l’échéance du service militaire encore obligatoire…

« Entre 1978 et 1983 [explique Vincent Maël Cardona], il y a une véritable explosion des expressions artistiques, singulièrement musicales. Rennes, Lyon, Montpellier, Bordeaux, Paris bien-sûr, de partout on voit débarquer des groupes de rock, des fanzines, des radios-sonos. Toute une jeunesse qui ne se reconnaît plus dans les promesses de 68 et s’empare de la vague punk pour dire son désenchantement et paradoxalement son envie de faire la fête. Et après 83 c’est fini. La plupart de ces groupes disparaissent et ceux qui restent sont absorbés par l’industrie musicale. Comme les radios libres qui réclament la liberté d’émettre à tue-tête et qui dès qu’elles l’obtiennent, disparaissent, englouties par les radios commerciales. C’est vrai qu’on ne peut pas s’empêcher d’y voir un écho avec l’arrivée de la gauche au pouvoir en 81 et le tournant de la rigueur en 83. Mais c’est comme si la musique devançait le politique. Comme si elle avait compris que ce qui se jouait c’était le passage d’un monde à l’autre et que dans cet autre monde à venir la notion d’avenir avait du souci à se faire, que c’était ici et maintenant qui comptait. Cette sensibilité "no future" m’apparaît aujourd’hui comme une sorte de vision prophétique. »

Quant à la bande son, une merveille d’ambiances de ces années-là : l’installation d’une station de radio de l’époque, avec les machines, les cassettes, les scratches et les accidents qui faisaient découvrir d’autres sons, dopaient l’inventivité… Il fallait donc que Philippe, le frère cadet de Jérôme, le responsable des potards, soit réaliste et crédible dans la gestuelle des mixages, dans le jeu des rajouts sonores et des surimpressions. Cela donne une bande son fascinante, dans le garage ou dans le studio, qui reproduit une époque marquée par le bricolage, l’artisanat créatif, le « do it yourself », préconisé par le mouvement punk : « on prend des guitares, on gueule ce qu’on a à dire et on fait de la musique ici et maintenant. C’est à peu près ce que fait Philippe avec sa performance radio : un rapport instinctif, sauvage, aux sons électrifiés. »

Prise de parole et liberté d’expression liée à cette époque, Philippe, le garçon timide sous l’influence de son frère, le vit à l’écran. Et finalement, le « No future » d’alors rejoint celui d’aujourd’hui… Demain les flammes pour reprendre le titre d’un fanzine qui vient de sortir.
Les Magnétiques de Vincent Maël Cardona actuellement au cinéma.

La Pièce rapportée d’Antonin Peretjatko (1er décembre 2021)

Josyane Balasco au mieux de sa forme en rombière parvenue, cynique et odieuse, Madame Château-Tétard, dont le mari a fait sa fortune durant la Collaboration, accompagnée par son fils, benêt interprété par Philippe Katerine, qui s’amourache d’une jeune femme, Anaïs Demoustier, employée du métro, un jour de grève des taxis. Et tout ce petit monde est entouré d’une flopée de comédien.nes pour une comédie drôle et iconoclaste avec quelques surprises.
il y a la scène de chasse à courre, alors on se dit zut, il va falloir se taper les bêtes traquées, les chiens dressés à tuer, le sang et tout le cirque d’une tradition ignoble… Mais là, tout dérape, ce ne sont pas les sangliers ni les faisans élevés en batterie qui sont visés et on se retrouve dans un humour à la Monty Python avec un zest du Père Noël est une ordure.
Une comédie où les richards de l’avenue Foch sont habillés pour l’hiver…