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Samedi 18 décembre 2021
Entretien avec Yancouba Badji. Madeleine Collins de Antoine Barraud. CVD BR. Hacking Justice de Carla Lopez Rubio et Juan Pancorbio. Next Door de Daniel Brühl. A Perfect Ennemy de Kike Maillo. Nos plus belles années de Gabriele Muccino
Article mis en ligne le 20 décembre 2021

par CP

Entretien avec Yancouba Badji autour du film Tilo Koto (au cinéma depuis le 15 décembre) et d’une exposition de ses œuvres à partir du 23 décembre

Madeleine Collins
Film de Antoine Barraud (22 décembre 2021)

Sorties DVD-BR
Neuf Jours à Raqqa de Xavier De Lauzanne

Berlin. Alexanderplatz de Buhran Qurbani

Onoda. 10 000 nuits dans la jungle d’Arthur Harari

Hacking Justice de Carla Lopez Rubio et Juan Pancorbio (Mutins de Pangée)

Next Door
Film de Daniel Brühl

A Perfect Ennemy
Film de Kike Maillo

Nos plus belles années
Film de Gabriele Muccino (29 décembre 2021)

Entretien avec Yancouba Badji autour du film Tilo Koto (au cinéma depuis le 15 décembre) et d’une exposition de ses œuvres à partir du 23 décembre

Tilo Koto est l’histoire personnelle de Yancouba Badji et c’est aussi l’histoire collective de ces hommes et de ces femmes qui bravent l’horreur pour fuir les violences politiques, la destruction du climat et la misère.
Yancouba Badji transcende par la peinture la barbarie insupportable et témoigne de ce qu’il a vu : «  L’urgence pour moi a été de transmettre à mes frères encore au pays les atrocités que j’avais vécues. Je ne voulais pas qu’ils tombent dans les mêmes pièges de cette traite internationale. »
Un film et une expo à voir…
Nous avons rencontré Yancouba Badji pour un entretien dont nous diffusons aujourd’hui seulement un extrait… Mais il y aura une suite. Et bien sûr, nous avons parlé des femmes très présentes dans ses tableaux …

Àsignaler le film de Joël Akafou, Traverser. C’est le deuxième volet d’une trilogie, après Vivre riche en 2017, le troisième étant en cours de développement avec pour thème le retour. Traverser de Joël Akafou sera en salles le 5 janvier.

Madeleine Collins
Film de Antoine Barraud (22 décembre 2021)

Une jeune femme a un malaise dans la cabine d’un grand magasin de luxe, et ce malaise lui est fatal. Prologue d’une histoire en forme de puzzle.
La scène suivante montre une autre femme, Judith, racontant une histoire à sa petite fille tout en lui promettant que son absence pour son travail sera brève. Judith est continuellement en déplacements, sur le départ vers ailleurs, des destinations pour raisons professionnelles qu’elle invente. La réalité est tout autre, Judith mène une double vie entre la France et la Suisse. Elle élève la petite fille Manon avec son compagnon, Abdel, et vit avec Melvil, chef d’orchestre renommé, avec qui elle a deux garçons, deux adolescents. Ses allers et retours incessants, elle les justifie par son travail d’interprète… Judith est si lisse, si parfaite et donne le change avec un tel talent, que tout le monde la croit, bien que les mensonges deviennent peu à peu inconciliables avec la réalité.

La petite Manon pose des questions, Abdel commence à se lasser de ces absences à répétition, l’un de ses fils est perturbé… Mais Judith jongle si bien avec ses deux personnalités, ses identités empruntées et les papiers officiels, qu’elle réussit à gérer des emplois du temps pour le moins tendus, jusqu’à ce qu’il y ait quelques bugs imprévisibles, qui laissent entrevoir le dérapage. La rencontre fortuite avec un client qui la reconnaît et l’appelle par le prénom de l’autre, l’arrivée d’une femme dans la vie d’Abdel, qui a de plus en plus de difficultés à expliquer les absences de Judith à la petite Manon. Le film se déroule dans cette période trouble où Judith est soudain sur le fil du rasoir.

Ses arrangements, qui durent depuis plusieurs années, sont de plus en plus difficiles à concilier et les deux mondes dans lesquels elle évolue ne sont plus complètement imperméables. Le bel équilibre qu’elle a construit, entre une vie bourgeoise et une vie amoureuse, se fissure, et la femme resplendissante et sûre d’elle-même qu’elle affiche devient très vite vulnérable. Elle s’embrouille dans ses mensonges et c’est la fuite en avant vers un cul de sac. Mais qui est Madeleine Collins ?

Conçu comme un thriller, le film distille peu à peu des indices sur l’intrigue, mais le mystère entretenu sur le personnage, qui endosse des personnalités différentes demeure entier. On pourrait voir ce film comme un drame psychologique, pourtant le dédoublement de personnalité n’est qu’une des facettes de l’histoire. La poursuite indéfinie et inquiétante de cette femme caméléon crée un climat d’angoisse permanente qui tient en haleine sans qu’il y ait envers elle une forme quelconque d’empathie. Si le personnage de Judith ne provoque pas la sympathie — il fait peur comme le lui reproche Abdel —, il y a néanmoins plusieurs visions du rôle dans le film et l’on pourrait voir dans cette double vie une manière de se conformer à des images de femmes parfaites pour le mari, le compagnon, l’amant, le collègue, bref pour plaire aux personnages masculins. Par ailleurs, la double vie que mène Judith est généralement attribuée aux hommes. Alors qu’une femme s’approprie le rôle de gérer une double vie, en jouant la mère aimante et la femme modèle dans ses deux foyers, cela a de quoi surprendre et même peut-être déranger.

En fait, le thriller expose plusieurs thèmes, la tentative d’émancipation par le dédoublement de la personnalité, le mensonge comme forme d’échappatoire aux règles sociales, le rôle attribué aux femmes selon des codes bien précis… La forme d’autonomie truquée créée par Judith est toutefois un leurre, ce n’est pas une libération, c’est même plutôt le contraire.
Le film d’Antoine Barraud est très complexe, d’ailleurs il joue sur les flous, le reflet de Judith multiplié dans un miroir, son regard traqué, son hyperactivité, de manière à effleurer le personnage sans en dévoiler complètement toutes les facettes… Au fait où est Madeleine Collins ?
Madeleine Collins d’Antoine Barraud au cinéma le 22 décembre

Sorties DVD-BR
Neuf Jours à Raqqa de Xavier De Lauzanne

Neuf jours à la rencontre de Leila Mustapha, une jeune femme de 30 ans, devenue maire de Raqqa, l’ancienne capitale autoproclamée de l’État islamique en Syrie. Le film est un document exceptionnel, la vie après Daech dans une ville détruite à 80 % par les bombardements, où la barbarie a régné, où tout est à reconstruire.
Neuf Jours à Raqqa revient sur l’histoire, sur les débuts de la révolution avec des archives, sur la prise de pouvoir de Daech… le film se construit en parallèle au livre de Leila Mustapha et Marine de Tilly, La femme, la vie, la liberté. Dans ce livre raconte Marine de Tilly, « on “se figure” Leïla. Dans le film de Xavier, c’est net, on la voit. Et toutes les descriptions du monde ne vaudront jamais ce frottement avec l’image, avec le réel, avec le timbre d’une voix, la détermination d’un regard, la vérité bouleversante et bouleversée d’une vie – la sienne – et d’une ville – Raqqa. » Le film montre en effet la ville, les problèmes rencontrés, les discussions, car il ne s’agit pas seulement de simples interviews, on est sur le terrain, dans la réalité d’une expérience unique celle dont Pierre Bance parle dans La Fascinante démocratie du Rojava. Le contrat social de la Fédération de la Syrie.

Neuf jours à Raqqa est certainement un film engagé et féministe, montrant la part des femmes dans le combat, de même que dans la reconstruction de la ville, de la société. Marine de Tilly revient d’ailleurs sur les caractéristiques de l’organisation sociale au Rojava : « dans toutes les municipalités populaires mises en place dans les cantons libérés du Rojava (auto-administration proclamée en 2013 regroupant les trois zones syriennes à fort peuplement kurde, Afrin, Kobané, Qamishli) et depuis 2016 de la “Fédération Démocratique du Nord-Syrie” (qui comprend aussi des régions majoritairement arabes comme Raqqa, Manbij ou Deir-Ez-Zor), elle a instauré à Raqqa un “contrat social” dont les règles sont limpides : démocratie, respect des minorités, égalité homme-femme, à tous les étages, à commencer par le plus haut : la présidence, qui est une co-présidence, et qu’elle partage donc avec un homme, arabe, Mouhammad Nour Diyab. » 800 000 personnes sont revenues dans la ville qu’il faut rebâtir, les boutiques ouvrent dans les ruines et il faut déminer.

L’assassinat d’Omar Allouch prouve que la vigilance est nécessaire, « les hommes de Daech sont encore partout », des cellules dormantes peuvent être activées. À la question « tu n’as pas songé à laisser tomber ? », Leila répond « mais le désespoir est une force motrice ». Les femmes sont dans la lutte, elles ont permis d’ouvrir le conseil civil. C’est le seul pays qui a des femmes dans l’auto administration et tout le monde y est représenté.
Xavier de Lauzanne explique ainsi le tournage du film : « 9 jours, car nous n’avions pas un jour de plus pour rencontrer Leila. Nous avons traversé le nord de l’Irak puis la frontière syrienne. Les forces de sécurité kurdes nous ont ensuite convoyé jusqu’à Raqqa. Nous avions très peu d’informations sur cette femme au départ, la ville n’était pas encore sécurisée, et le temps était compté […] J’ai été inspiré par sa force, son optimisme et son humilité. Mais aussi par le système que les Kurdes essayent d’instaurer dans la région après leur victoire contre l’EI. Même si les Kurdes de Syrie sont partagés sur les revendications territoriales, ils [défendent] une certaine idée de la nation : démocratique et égalitaire. La parité homme-femme à la tête de leurs administrations dans les territoires qu’ils contrôlent est le parfait exemple de cette singularité. Les Kurdes sont les seuls à bouger véritablement les lignes idéologiques et Raqqa est un laboratoire d’après-guerre passionnant. »

Berlin. Alexanderplatz de Buhran Qurbani

Burhan Qurbani est le troisième cinéaste qui se lance dans l’adaptation du célèbre roman d’Alfred Döblin, Alexanderplatz. Un premier film date de 1931, c’est ensuite la série quasi introuvable de Fassbinder, réalisée en 1980. Burhan Qurbani adapte le roman avec une certaine liberté pour faire écho à aujourd’hui, par exemple, le personnage de Franz dans le roman de Döblin, qui sort de prison à la suite du meurtre de son amie Ida, devient Francis dans son film, un réfugié de Guinée-Bissau, seul survivant de la noyade où son premier amour a trouvé la mort. Se retrouvant miraculeusement sur la rive après une séquence de noyade envahie par le rouge et des mouvements saccadés de caméra, Francis fait le serment de rompre avec sa vie passée et de choisir une vie honnête. Voix off : « Il a survécu, mais c’est juste un délai de grâce ».

Le film est construit comme une tragédie en cinq actes. À Berlin, Francis comprend rapidement que l’honnêteté est quasi impossible pour un travailleur sans papier, et il est vite récupéré par la pègre. Sa rencontre avec le trafiquant de drogue allemand Reinhold est déterminante, il est fasciné par ce dernier, qui l’utilise. « En optant pour un protagoniste noir doté d’un antagoniste blanc, Reinhold, [la version de Buhran Qurbani] de Berlin Alexanderplatz est devenue une allégorie postcoloniale. » « Tu veux être bon dans un monde mauvais » ironise Reinhold, « c’est mal de vendre de l’herbe a de touristes ? Mais le pays vend des armes à des dictateurs ! » Francis abandonne ses résolutions et s’intègre vite dans son nouveau milieu, il est Franz et refuse le terme de « réfugié », non « nouvel arrivant » serait plus juste : « Ich bin Deutschland ! » (je suis l’Allemagne) lance-t-il à des Africains qu’il recrute comme dealers.

L’ambiance des boîtes et des bas-fonds, la vie nocturne font penser aux années 1920, Cabaret et Willkommen. Le braquage, l’accident, son histoire d’amour, la renaissance, la trahison, c’est l’engrenage sur fond de crise sociale et politique ; l’intrigue criminelle structure le récit du film tout en insérant une progression irrémédiable vers un dénouement tragique. Burhan Qurbani pose un regard sans complaisance sur la société, sur la situation des sacrifié.es, des sans voix et des candides, condamné.es quoiqu’ils ou qu’elles fassent. « Tout ce que j’aime, je le détruis », confie Francis devenu Franz : la culpabilité est la clé la tragédie, alors un nouveau départ est-il possible ?
Berlin. Alexanderplatz de Buhran Qurbani en DVD

Onoda. 10 000 nuits dans la jungle d’Arthur Harari

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, la défaite du Japon est certaine, néanmoins sur ordre d’un major de l’école militaire, le jeune Hiroo Onoda est envoyé en mission sur une île des Philippines, peu de temps avant le débarquement états-unien, avec ordre de former un groupe de soldats pour harceler l’ennemi. De défaite, il n’est évidemment pas question, de se sacrifier non plus, mais d’être autonome et de survivre quoiqu’il arrive. Pris entre cette contradiction — l’obéissance absolue à la hiérarchie militaire et l’obligation d’être son propre chef — le soldat Onoda se sent d’autant plus responsable et inébranlable dans sa volonté de ne jamais se rendre. Il forme ainsi quelques hommes suivant une doctrine révélée par le major : la guerre secrète. La fidélité à l’empire et le refus de se rendre se perpétue durant vingt neuf ans pour Hiroo Onoda, avec la certitude que sa hiérarchie ne l’abandonnera pas et viendra le rechercher, lui et ses hommes, après la victoire.

Vingt neuf ans plus tard, l’arrivée d’un bateau sur l’île se répète, mais cette fois c’est un jeune homme qui débarque, un routard venu rencontrer Onoda dans la jungle. Le jeune homme connaît son histoire de même que son refus d’accepter la réalité : la reddition du Japon et la fin des hostilités. Pour Onoda, le devoir est de survivre et de mener une forme de guérilla contre la population philippine qui en paye le prix fort. Il n’y a d’ailleurs jamais eu de confrontation avec les soldats états-uniens, juste la vision, au loin, de bombardements, d’un bateau militaire ancré de l’autre côté de l’île et d’un paquet de cigarettes Lucky Strike flottant sur un ruisseau. Lorsqu’une délégation japonaise, accompagné par son père, est venue sur l’île et a lancé des messages pour confirmer la fin de la guerre, des journaux ont été laissés sur place, une radio pour informer le groupe, mais rien n’y a fait. Onoda est convaincu qu’il s’agit de propagande ennemie et qu’il doit rester fidèle aux ordres de la guerre secrète. « J’ai été formé pour une mission » ne cesse-t-il de répéter.

Après presque trente ans, Onoda est seul, deux de ses compagnons ont été tués et le troisième est parti. En entendant la chanson que lui et son groupe chantaient, il se méfie et s’approche du routard en le menaçant de son arme. Il refuse tout ce que lui offre le jeune homme et dit qu’il ne peut arrêter la guerre sans l’ordre de son supérieur.
Pour exprimer ce refus de déposer les armes, malgré les appels à la fin de la guerre, et décrire cette expérience de survie dans la jungle, le réalisateur explique son obsession, avec son frère chef opérateur, « d’attraper quelque chose de réel ; le film devait devenir une expérience de réalité. Les corps étaient là ; les mains étaient là ; la nature était là. Il y a quelque chose d’une captation. […] Il fallait que la pluie tombe sur les spectateurs. Là encore, un équilibre entre l’harmonie classique et un aspect direct, immersif [était nécessaire] pour créer une expérience particulière du temps et de l’espace. »
Cette histoire réelle a suscité de nombreux débats au Japon, et ailleurs, car si ce soldat, qui a refusé de capituler durant presque 30 ans, est considéré par certains comme un héros, d’autres le voient comme une victime de l’éducation militaire et des mythes guerriers inculqués à de jeunes recrues. Il faut également souligner que la fascination du public pour Onoda « a été utilisé comme un symbole, admirable aux yeux des conservateurs nationalistes, du japon qui ne regrette pas son passé colonialiste et guerrier. » De même, dans les nombreux débats qui ont pris place dans les médias, « très peu d’attention a été portée aux dommages subis par les habitants de l’île de Lubang alors qu’une trentaine de cas d’homicide ont été répertoriés. » Et le film d’Arthur Harari le montre bien avec les destructions de récolte par les soldats, l’exécution d’un paysan et la logique de l’assassinat de la jeune Philippine. Pas question de laisser des témoins en vie.
Héros, victime ? Ce qui est certain c’est que la guerre est une horreur.
Onoda. 10 000 nuits dans la jungle d’Arthur Harari en DVD (Musique : un Homme de plus)

Laila in Haifa d’Amos Gitai

Laila, c’est en même temps un prénom et, en arabe, cela signifie la nuit. Le titre en français, Une Nuit à Haïfa, en limite un peu le sens, même si le film se déroule en une nuit. Une nuit dans un club où les frontières mentales et sociales semblent s’être annihilées. Des saynètes où se croisent Palestinien.nes et Israélien.nes, couples gays, Joséphine, la transsexuelle qui s’exhibe sur la piste, et même un derviche tourneur, toutes ces personnes se côtoient, se frôlent, se séduisent, s’affrontent… Amos Gitai présente cet endroit comme un abri, sans étiquettes sociales, politiques ou sexuelles…
Pourtant, après un long travelling sur une voie ferrée qui jouxte le club, le film commence par une agression, à l’extérieur. Gil, l’artiste qui expose ses photos dans la galerie attenante au club se fait tabasser par deux hommes, qui d’ailleurs semblaient l’attendre. Est-ce parce que ses œuvres montrent sans équivoque l’occupation militaire ? Pendant l’accrochage des photos grand format, on a très vite l’idée des thèmes de l’exposition.

Cinq femmes… cinq histoires qui tournent en labyrinthe et s’entrecroisent avec d’autres encore pour offrir une esquisse sociale de Haïfa. Laila, personnage central, est mariée à Kamal, un homme riche plus âgé qu’elle qui aimerait la retenir parce qu’il la sent fuyante ; Laila se meut dans ce monde interlope, s’occupe de la galerie avec l’ambition de prendre un peu plus son indépendance. « Tu te rends compte que tu fais la promotion d’un photographe israélien », lui reproche Kamal. Mais Laila défend son autonomie. Naama, que Gil présente comme sa demi-sœur, lui confie l’échec de son couple, devant une photo du mur de séparation, et aussi son impression de ne plus susciter le désir. Le vernissage attire d’autres personnes que les noctambules habituels… Roberta, la femme d’affaires, fait miroiter à Laila la possibilité d’une exposition à Los Angeles et parle de promouvoir la culture palestinienne, difficile de démêler la vérité des mensonges dans ses paroles. Et quelles sont ses réelles intentions ? C’est une «  caverne d’Ali Baba » cet endroit, s’écrie l’homme qui l’accompagne. Apparaît alors Bahira, jeune palestinienne, qui refuse de parler en hébreu, et lorsque Naama évoque la haine qui sépare les deux peuples, elle lui rétorque « Et toi, tu ne haïrais pas celui qui t’emprisonne, tue ton père, tes frères, tes enfants ? » Bahira rompt pour un temps le vernis entretenu du partage et apostrophe Kamal, « Vous ressemblez à un homme qui a tout, Monsieur la sangsue », puis elle lui reproche de ne pas s’impliquer dans la résistance palestinienne. « Quand la politique tombe dans les mains d’amateurs, c’est dangereux », répond ce dernier.

Khawla passe de la cuisine à la salle, balaie du regard le monde qui l’anime et exprime sa rancœur, sa frustration de femme, prise entre le désir d’enfant de son compagnon et son attirance pour Gil. Celui-ci remarque : « Vous avez vu tous ces gens dans la rue qui parlent tout seuls ? Ils recrachent ce qu’ils ne peuvent avaler  ». Par petites touches et en perpétuel mouvement, le film dévoile des craintes, le besoin de liberté des femmes, des attentes, des propos amers et parfois des moments de vive émotion aussi, notamment durant la danse extatique de la fin sur une band son géniale.

Cependant, la tension est latente bien que le lieu affiche une ouverture — trois langues animent les conversations : l’hébreu, l’arabe et l’anglais — et malgré la soif de partage et de curiosité, la situation politique pèse à la manière de cette exposition qui montre en images les conséquences de la militarisation d’une société et la violence de l’occupation. « Le Moyen-Orient est dominé par des hommes qui, bien souvent, encouragent la guerre et les conflits [constate Amos Gitai]. Dès mes tout premiers films, il y a 35 ans, j’ai choisi de privilégier les rôles féminins, depuis Esther (1985) ou Berlin Jérusalem (1989), mais aussi Kadosh (1999), Free Zone (2004), Terre promise (2005)... Le fait de mettre un rôle féminin au centre de ces films est en soi une question posée sur l’organisation de nos sociétés. » Des rôles de femmes déterminées, déchirées, avides d’autonomie, jusqu’à cette femme qui entre dans le club pour un blind date, un rendez-vous pris sur internet, et fait une sortie facétieuse et hilarante…

Haïfa, ville du réalisateur, ville différente, tout en hauteurs et en vallons, des wadis, qui marquent une grande partie de la ville. Cette fragmentation du paysage influence la construction du film, les histoires, les rencontres, les désirs… « Le film [explique Amos Gitai] rassemble sur le même plateau des histoires et des paroles de Palestiniens et d’Israéliens, dans la continuité de mes films précédents. C’est une façon de faire du film lui-même et du processus de création un lieu de rencontres, un moment de dialogue, dans une région qui souffre par ailleurs d’une violence et d’une haine chroniques. Est-ce que le cinéma ou l’art peut créer un espace de coexistence pacifique dans lequel les gens peuvent exprimer leurs différentes identités ? » Il faut l’espérer.
Laila in Haifa d’Amos Gitai, un DVD édité par Épicentre.

Hacking Justice de Carla Lopez Rubio et Juan Pancorbio (Mutins de Pangée) Nadia Genet

Le film de Carla Lopez Rubio et Juan Pancorbio, Hacking Justice, débute en janvier 2021 avec la manifestation de personnes venues soutenir Julian Assange. Le Royaume-Uni refuse alors de l’extrader vers les Etats-Unis, où l’attend un procès à huit clos, bouclé d’avance, et 175 années de prison.
Lorsque l’on regarde aujourd’hui le film, après l’annonce du 10 décembre de l’annulation du refus d’extradition, il est difficile de ne pas voir dans cette manifestation une tragique prophétie.
2012, la police britannique encercle l’ambassade de l’Équateur à Londres et s’apprête à donner l’assaut. À l’intérieur, Julian Assange piétine dans un étroit couloir. Lui et son équipe d’avocats, soutenus par l’ambassadeur, s’organisent pour résister.
Le film pose alors une question évidente : « Pourquoi est-il si important de capturer Julian Assange ? » L’impressionnant dispositif policier, habituellement réservé à des individus dangereux, vise un homme qui ne représente aucune menace armée. Son tort est d’être responsable d’un site Internet, Wikileaks, où ont été diffusés des documents classés secret défense, sous couvert d’anonymat. Les lanceurs d’alerte ont dévoilé au public les dessous de la sale guerre contre le terrorisme, ainsi que des faits de corruption, de pollution et autres malversations cachées à des fins de profit ou de propagande. Wikileaks met ainsi en lumière l’impunité des crimes, et ça, les États-Unis ne peuvent l’accepter… C’est la mise à mort de Julian Assange.
Il faut préciser que, malgré une enquête interne, le gouvernement états-unien n’a jamais pu prouver la mise en danger de quiconque par la révélation de ces documents.
En 2010, sont publiées les vidéos de crimes commis par l’armée états-unienne en Irak, ainsi que des milliers de documents qui révèlent la réalité de la guerre sale. Mais très vite, un scandale éclate, qui met les médias mainstream tous d’accord : une affaire de viol, qui s’avère être une manipulation judiciaire pour discréditer et accuser Julian Assange, et ainsi mettre en veilleuse les révélations de Wikileaks.
Un personnage fondamental intervient alors dans l’affaire Assange : Balthasar Garzon. Quand on lui demande ses raisons d’avoir accepté l’affaire Assange, il répond : « on a fait de cet homme un bouc-émissaire car il a osé révéler une façon de faire de la politique qui est totalement inacceptable. » Balthasar Garzon, fut le seul juge à poursuivre Ben Laden, ainsi que les pratiques de tortures à Guantanamo. Depuis Madrid, il a poursuivi les différents responsables pendant les dictatures en Argentine et au Chili, sans toutefois pouvoir le faire en Espagne, du fait de la loi d’amnistie après la mort Franco.
En 2012, alors qu’il travaille sur une colossale affaire de corruption impliquant le parti conservateur au pouvoir, il est accusé de faute professionnelle, ce qui lui vaut une interdiction d’exercer d’exercer pendant 11 ans. Il devient alors avocat et décide d’assurer la défense de Julian Assange. Dans le film, les déplacements de Balthasar Garzon et de son équipe alternent avec la lutte menée par Assange enfermé dans l’ambassade d’Équateur devenue refuge-prison. Le film souligne la dimension géographique du combat, allant du microcosme de l’ambassade à l’international pour mobiliser des soutiens.
Lorsque l’Équateur lui accorde le droit d’asile, Julian s’exprime depuis une fenêtre de l’ambassade, devant de nombreuses personnes venues le soutenir : « Je suis ici car je ne peux pas être là avec vous. Si le Royaume Uni n’a pas agi c’est parce que le monde les regardait, et le monde les regardait parce que vous regardiez. »
Hacking Justice décortique minutieusement cette affaire simple, rendue délibérément complexe afin de brouiller le message et faire reculer la vérité. Assange travaille depuis l’ambassade pour, à la fois, se défendre et défendre Wikileaks. Il parvient avec l’aide de Sarah Harrisson à organiser l’évasion d’Edward Snowden. Cependant, pour avoir protégé la vie de ce lanceur d’alerte, les portes diplomatiques se referment pour lui. Mais lorsque son équipe juridique parvient à mobiliser les Nations Unies, l’espoir renaît. La stratégie de Balthasar Garzon, « se tourner vers les instances internationales lorsque les lois sont localement inutilisables ou trop restrictives », porte ses fruits et permet une avancée.
En visioconférence avec les Nations Unies, Julian Assange expose des faits, notamment que, durant la présidence de Barack Obama, la justice a procédé à de très nombreuses condamnations de journalistes et d’éditeurs, bien plus nombreuses que dans les précédentes présidences, en s’appuyant sur l’Espionage Act, loi votée en juin 1917, criminalisant toute critique contre la guerre, permettant notamment la répression des IWW, opposés à l’entrée en guerre des États-Unis.
L’artiste Davide Mordino organise à Berlin une installation de sculptures de bronze à l’effigie d’Edward Snowden, Chelsea Manning, Julian Assange, debouts sur une chaise, une quatrième chaise restant vide pour qui veut y monter et s’exprimer. Le titre de l’œuvre : Anything to say ? (Quelque chose à dire ?)
Julian Assange a créé Wikileaks sur la base de convictions profondes issues de la mouvance cypherpunk [mot-valise composé de cypher, “cryptage”, et de punk]. Plus de transparence pour les puissants, plus de vie privée pour les plus faibles : « L’information c’est du pouvoir, si les grandes organisations ont beaucoup d’informations sur vous, alors elles ont encore plus d’emprise sur vous. La vie privée est un moyen pour les personnes et les petites organisations de préserver le peu de pouvoir qu’elles ont. »
Internet offre la possibilité de s’enrichir en faisant circuler les informations, mais si les agences de renseignement volent ces richesses pour les détourner et en faire des moyens de pression et d’oppression, il faut réagir. C’est pour cela que Wikileaks a été créé, pour inverser ce rapport de pouvoir, les services de renseignement siphonnent les informations des personnes privées pour les faire remonter vers les puissants, et Wikileaks rend publique les informations secrètes de ces puissances pour que tout le monde puisse y avoir accès et se faire une opinion.
C’est effectivement dérangeant et la réplique états-unienne est radicale. Hacking Justice montre comment les services de renseignement états-unien ont réquisitionné Google pour obtenir toutes les informations personnelles des journalistes impliqués dans Wikileaks.
Dans le film, un juriste explique le principe du grand jury. Le tribunal, qui jugera Assange s’il est extradé aux Etats-Unis, se tiendra dans une ville de Virginie, siège de la CIA, dont les habitants, de près ou de loin, travaillent pour la CIA, et c’est parmi ces personnes que seront choisis les membres du jury qui jugeront Assange à huit clos.
En 2016, les Nations Unies publient un rapport d’enquête et demandent aux gouvernements britanniques et suédois de mettre fin à la privation de liberté de Julian Assange, de même qu’à la persécution et le traitement inhumain dont il est l’objet. Le soutien de cette institution est une victoire juridique, mais cela ne fait pas de poids face aux politiciens. Le ministre des Affaires étrangères britannique qualifie la décision de ridicule, émanant selon lui de non-juristes. Le film s’accélère dans le contexte de nouvelles révélations de Wikileaks sur les élections présidentielles que Trump remportent sur Hillary Clinton, et le nouveau président équatorien cède à la pression états-unienne en mettant fin à l’asile politique de Julian Assange.
Julian Assange est arrêté, à la satisfaction du gouvernement britannique, et placé dans un quartier de haute sécurité, en dépit de son état de santé et de procédures irrégulières. Le film se termine sur l’annonce par une juge britannique du refus de l’extrader vers les Etats-Unis… Cependant Stella Moris, la compagne de Julian Assange, rappelle que si cette juge a reconnu l’inhumanité de traitement, les accusations portées à son encontre par les Etats-Unis ne sont pas abandonnées. La menace reste entière.
Menace mise à exécution puisque la Grande Bretagne s’est prononcée le 10 décembre pour l’extradition de Julian Assange vers les Etats-Unis.
Il y a des films d’utilité publique qu’il faut faire circuler. Et Hacking Justice est de ceux-là. Certains peuvent changer le cours de l’histoire… comme The Act of Killing, premier volet d’une trilogie sur génocide indonésien sous Suharto, manipulé par la CIA. The Act of Killing a permis la mise en place d’un tribunal populaire à la Haye. Et s’il ne peut pas condamner les dirigeants, il a le mérite de révéler la vérité et de faire entendre les victimes.
Hacking Justice met en lumière l’affaire Julian Assange, qui est révélatrice d’un système et permet de poser des questions essentielles sur les médias, l’information et la liberté d’expression. Aujourd’hui, la majorité des informations sont contrôlées par les intérêts financiers, peu de médias sont indépendants, la vigilance et le discernement sont donc très importants.
La première fois que j’ai vu Hacking Justice, je me suis interrogée sur le rapport à la vérité, collectivement et à titre personnel. L’impunité est une forme de terrorisme et le film le constate : il montre des hommes déclarer sur des plateaux TV qu’il faut buter Assange en même temps que sont présentées les vidéos, révélées par Wikileaks, où l’armée états-unienne massacre la population civile…
Le film de Carla Lopez Rubio et Juan Pancorbio frappe par la relation à l’espace du combat pour la vérité mené par Assange terré dans une petite ambassade, et les déplacements internationaux ainsi que les plaidoyers. Très intéressants également sont les liens entre Balthazar Galzon, Sarah Harrisson, l’ambassadeur d’Équateur, un artiste, Edward Snowden, Chelsea Manning, et Nils Melzer, rapporteur sur la torture pour les Nations Unies… Ces personnes sont réunies dans le film pour la défense de Julian Assange, ce qui donne une idée de la dimension, au plan universel, de l’affaire Assange.
Hacking Justice est un film passionnant, indispensable, dont les auteur.es ont suivi l’affaire pendant 9 ans. Le DVD Hacking Justice est édité par les Mutins de Pangée. Vous pouvez aussi vous abonner à la newsletter des Mutins de Pangée qui informe régulièrement sur les évolutions de l’affaire

Pour mémoire, deux prisonniers politiques sont toujours en taule, tous deux sont innocents : Leonard Peltier de l’American Indian Movement, et Mumia Abu Jamal, journaliste des sans voix et ancien des Black Panthers.

La semaine dernière, j’ai cité un film déjà sur les écrans avec pour héros un chat, un chat très spécial avec des pouvoirs qui dérangent…
Un jour un chat de Vojtěch Jasný date de 1963 et on peut le voir en copie restaurée.

C’est une fable satirique qui se passe dans un village où l’instituteur est en butte aux règles et surtout au directeur, un type obtus et réactionnaire qui pense qu’il faut tuer les cigognes pour en faire l’étude. Alors que Robert, l’instituteur, enseigne aux enfants le respect de la nature, des animaux… et aussi de résister à la bêtise et au conformisme.
Or, débarque dans le village un magicien, conteur aussi, avec sa troupe et Diana, une belle jeune femme qui vit avec un chat merveilleux. Un chat avec des lunettes… des lunettes pour protéger la foule de ses étranges pouvoirs. Imaginez, dès qu’il ne porte plus ses lunettes, le beau matou jette un regard sur les personnes présentes et soudain voilà qu’elles se colorent, révélant les vertus, les mensonges, les turpitudes de chacun et chacune… Insupportable, il faut enfermer ce chat, le supprimer…
Bref le directeur et son sbire s’y emploient, mais la disparition du chat provoque des phénomènes en chaîne. Tous les enfants disparaissent à leur tour. Désespoir des parents et colère contre le directeur, qui renvoie l’instituteur. Mais Robert n’a que faire de cette décision, il est amoureux de Diana et part à la recherche des enfants et du chat… Un film superbe, drôle et critique de Vojtěch Jasný, qui fut l’une des figures de proue du cinéma tchèque des années 1950 et 1960.
Sur les écrans.

Next Door
Film de Daniel Brühl 29 décembre 2021

Premier film que Daniel Brühl met en scène et où il interprète l’un des principaux rôles, celui d’un comédien à succès, un star quelque peu caricaturale qui s’est pris, dirait-on, la montgolfière ! Pourtant ce comédien si infatué de lui-même va bientôt perdre de sa suffisance.

Il habite un appartement très haut gamme, avec ascenseur privé, dans un quartier, qui au vu de la cour plutôt modeste, est en pleine phase gentrification. Et qui dit gentrification dit expulsion des anciens propriétaires. On est à Berlin Est, dans un en cours de rénovation et, du coup, les différences de classes sont évidentes. Daniel, notre comédien, se prépare pour casting qui a lieu à Londres en vue d’un projet de film à gros budget, un film de super héros. En quittant son luxueux appartement, sa compagne endormie, ses enfants et leur gouvernante, il décide s’arrêter au bistrot du coin pour boire un café, qui lui rappelle sa mère. En le voyant entrer, la patronne du café s’écrie : « Tiens, voilà notre Tom Cruise ! ».

Après quelques blagues et conversations au téléphone, en anglais, allemand et espagnol — ben… oui, Daniel est international ! —, il remarque un homme au comptoir qui l’observe avec insistance : « On se connaît ? » Pas de réponse. Au bout d’un moment, cet homme, Bruno, lui demande un autographe sans pour autant présenter de stylo ou de papier. Daniel poursuit son numéro d’acteur en vue et, soudain l’homme du comptoir, visiblement habitué du café, lui lance qu’il n’a pas aimé l’un de ses films où il était question de la Stasi : « Le truc, c’est que vous n’êtes pas bon. Vous n’habitez pas vos rôles. » Deux jeunes filles, passant dans la rue sur ces entrefaites, reconnaissent Daniel, entrent dans le café et demande à Bruno de faire la photo. Après cet intermède, les critiques de Bruno fusent et, cette fois, tous les films et les rôles y passent. Jusqu’à ce que Daniel demande « Où voulez-vous en venir ? Qui êtes-vous ? » Bruno habite en face de l’appartement de Daniel, « mais je n’ai pas d’ascenseur privé. Et puis les hommes de la Stasi n’étaient pas si mauvais. »

Se met alors en place une sorte de duel entre les deux hommes. Bruno est un Allemand de l’Est « qui se sent rejeté par la nouvelle société depuis la réunification. Il a du mal à joindre les deux bouts dans une société hyper capitaliste. Il se sent menacé par la gentrification et l’immigration, il a perdu confiance dans la politique. Il est très en colère et projette sa hargne sur Daniel et son penthouse chic, qui était l’appartement du père de Bruno… […] J’ai choisi de partir de quelque chose de personnel [explique Daniel Brühl, quelque chose] que je pouvais raconter de manière sincère. Ce film met en scène un homme qui pourrait être moi mais qui ne l’est pas. Daniel, un acteur marié, père de famille, qui vit à Berlin, plutôt de gauche et conscient des enjeux de la société. Quelqu’un qui a tout pour être heureux. Un jour, il rencontre son voisin Bruno. Cet homme qu’il n’avait jamais remarqué auparavant réussit à chambouler la vie de Daniel en quelques heures. » Mais si Daniel ne connaissait pas ce voisin curieux, Bruno, lui, le surveille depuis un certain temps. Il déballe les petits secrets de la famille, Conchita, la gouvernante reçoit des amis et a giflé son fils Karl, son épouse le trompe avec un de ses amis, il connaît toutes ses dépenses… Daniel perd sa superbe et, excédé, commande un taxi. Cependant, une fois dehors, il ne peut s’empêcher de revenir au café pour savoir jusqu’où il était surveillé.

L’affrontement des deux hommes tourne au film noir, sur fond d’inégalités sociales entre l’Est et l’Ouest, de plus en plus présentes depuis la réunification. Les pratiques de la Stasi et sa surveillance des gens en continu a aussi laissé des traces et les rancœurs sont tenaces. La gentrification est évidemment le nœud et l’accélérateur du problème, avec des investisseurs qui, sans état d’âme, changent la ville de Berlin et en chassent une partie de la population, et c’est évidemment les plus modestes qui en font les frais.
Next Door de Daniel Brühl donne lieu à un jeu étonnant de comédiens et de comédiennes — la patronne du café est géniale —, et dans ce huis clos, les personnages secondaires existent et sont partie prenante du récit de cette journée particulière.
Next Door de Daniel Brühl, en salles le 29 décembre 2021

The Cloud in Her Room de Zhang Lu Xinyuzuan (29 décembre 2021)

Hangzhou, une ville au sud de Shanghai. C’est un hiver humide et Muzi rentre pour le nouvel an lunaire. L’ancien appartement de ses parents est toujours là, mais laissé à l’abandon depuis la séparation des parents. L’évolution de la ville, de la famille répond à l’impression de perte de repères de Muzi. Son père a fondé une nouvelle famille, sa mère est en couple avec un étranger. La jeune femme est tiraillée entre passé et présent.
« J’ai essayé avec ce film de raconter mon rapport à Hangzhou [explique la réalisatrice] et ce que cet espace urbain m’évoque. Un partage entre deux sentiments que j’ai essayé de déployer sur tous les aspects de la mise en scène. Ce flou entre passé et présent, entre tradition et modernité m’a aidé à concevoir la structure du film. De là, je choisi d’allier fiction et documentaire en les mêlant l’un à l’autre pour créer une alchimie. Les personnages fonctionnent par couple et dessinent un fil entre le réel et mon fantasme de ma ville de naissance. Dans la continuité de ce rapport bipolaire au monde, le noir et blanc que je souhaitais volontairement très contrasté vient marquer cette dualité. »
L’image en noir et blanc accentue le climat du film, et lui donne un aspect presque expérimental.
The Cloud in Her Room au cinéma le 29 décembre

A Perfect Ennemy
Film de Kike Maillo (29 décembre 2021)

Entre le fantastique, polar et thriller, Perfect Ennemy commence par la prestation d’un célèbre architecte présentant ses travaux devant une audience attentive. Après quelques signatures, il part pour l’aéroport, dont il est le concepteur. Sa voiture est prise dans les embouteillages et voilà qu’une jeune femme lui demande de partager la même voiture, elle doit également prendre un avion et ne trouve pas de taxi. Devant son insistance, il accepte, mais évidemment manque son vol. Librement adapté du roman d’Amélie Nothomb, Cosmétique de l’ennemi, Kike Maillo s’attache à dépeindre un Paris gris, pluvieux et plutôt déplaisant avec ses bouchons, « une ville qu’on a aimée dans le passé, dans laquelle on a des souvenirs mais qu’il faut désormais fuir... »
Dans la salle d’attente de l’aéroport, Jeremiasz regarde une maquette de son projet et remarque une petite tache rouge à l’endroit de la salle d’attente. C’est le premier indice « matériel » d’un mystère qui, de plus en plus, trouble cet homme qui apparaît au début comme inébranlable et au sommet de sa réussite.

Il se plonge dans ses notes et voilà que revient la jeune femme, qui à ses dires a également loupé son avion. Elle se présente — Texel — en s’imposant, d’abord pour prendre un verre, ensuite pour raconter son enfance… et lui, bien qu’il veuille se débarrasser de sa présence, est fasciné par ce qu’elle raconte. Plus elle tente d’installer une sorte d’intimité en dévoilant son passé, plus il est étonné par les liens entre son histoire personnelle et celle de Texel. Mais qui est-elle et que cherche-t-elle ? Le malaise devient palpable et insupportable.

Dans le film, raconte Kike Maillo, « j’avais envie d’un personnage de femme qui rende la justice. Et, qui, en l’occurrence, rende la justice pour une autre femme. Cela m’intéressait aussi d’élaborer une héroïne sociopathe. Autant, au cinéma, on a l’habitude de voir des hommes dans ce type de rôles autant les femmes, on n’en voit quasiment pas. […] Or moi, dans le film, je voulais plutôt traiter du sujet du fantôme. Texel est en connexion avec ses monstres intérieurs, avec ses propres peurs. En ce sens, elle est complètement à l’opposé de Jeremiasz qui, lui, ne veut pas regarder ce qui se cache dans ses placards intimes. Une scène au début du film en témoigne : il efface des commentaires qui lui sont défavorables sur Internet. Cela nous semblait intéressant qu’une femme le confronte, que ce soit elle qui démolisse la façade qu’il s’est construit. »

C’est d’ailleurs dans l’espace de l’aéroport, un lieu neutre et sans aspérité, que le thriller s’emballe et bascule dans la terreur, les fantasmes et l’irréalité. Bien sûr, ce n’est pas n’importe quel aéroport…
Un thriller fort et détonnant qui, à la manière de
Ouvre les yeux d’Alejandro Amenabar, distille un malaise sans donner de réponse dans un crescendo vertigineux.
A Perfect Ennemy de Kike Maillo au cinéma le 29 décembre

Nos plus belles années
Film de Gabriele Muccino (29 décembre 2021)

Retour sur quatre décennies de la vie de plusieurs ami.es, parfois séparé.es par les circonstances, les ambitions et les chemins choisis. Une voix off accompagne le récit pour situer les étapes, les séparations, les accidents…

Gabriele Muccino dit s’être librement inspiré de Nous nous sommes tant aimé d’Etore Scola, mais « beaucoup des valeurs de Scola n’ont plus de sens. L’idéologie politique, l’antagonisme entre les méchants riches et les pauvres isolés n’ont plus la mémé signification. Ma génération a développé un complexe d’infériorité envers ceux qui ont vécu l’après-guerre, la reconstruction du pays, le boom économique, l’année 68 et les années de plomb. Nous sommes une génération d’apolitiques, déboussolés par toutes ces idéologies et par ce avoir politique que nous n’avons pas su transformer. »
Les quatre personnages du film, trois hommes et une femme, illustrent à leur manière cela, par exemple l’avocat, issu d’un milieu modeste, qui, d’avocat des indigents passe à la défense d’hommes d’affaires véreux.

Nos plus belles années de Gabriele Muccino est un film familial et de saison, le début et la fin ont lieu un soir de réveillon… Et la sortie du film est le 29 décembre.

À signaler la rétrospective en copies restaurées de trois films de
Dušan Makavejev

L’Homme n’est pas un oiseau
Une Affaire de cœur ou la Tragédie d’une employée des PTT
Innocence sans protection

3 films mythiques, fascinants, sulfureux et libres
Avec des femmes à poigne et à poil Au cinéma le 5 Janvier 2022