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Samedi 1er janvier 2022
Residue de Merawi Gerima. Luzzu de Alex Camilleri. Twist à Bamako de Robert Guédiguian. Neige de Juliet Berto & Jean-Henri Roger
Article mis en ligne le 5 janvier 2022

par CP

Residue
Film de Merawi Gerima
(5 janvier 2022)

Entretien avec Merawi Gerima

Luzzu
Film de Alex Camilleri (5 janvier 2022)

Entretien Alex Camilleri

Twist à Bamako
Film de Robert Guédiguian (5 janvier 2022)

Neige
Film de Juliet Berto & Jean-Henri Roger (5 janvier 2022)

Residue
Film de Merawi Gerima
(5 janvier 2022)

« Chaque fois que je retourne dans mon ancien quartier, un ami d’enfance a déménagé, a disparu, a été emprisonné ou tué.
Un quartier anéanti, décimé par des décennies de drogues, de désinvestissement et d’omniprésence policière.
 »
Les traces de la population africaine américaine qui a construit la ville de Washington DC disparaissent avec la gentrification vitesse V qui s’opère dans cette ville.
Est-ce la raison pour laquelle Merawi Gerima décide d’y tourner un film et de le dédier à un ami qu’il a perdu de vue ? La motivation est à la fois évidente et complexe, ses parents ont déménagé lorsqu’il était adolescent, puis il est allé à l’université, autant d’éloignements par étapes qui l’ont coupé du quartier de son enfance, de ses amis et des familles qu’il côtoyait alors.
Revenir au quartier pour tourner une fiction qui est aussi un documentaire, c’est choisir une démarche originale et ambitieuse. Il était cependant à bonne école avec des parents cinéastes. « Mon éducation a été totalement immergée dans la dure réalité du cinéma indépendant noir. Mes cinq frères et sœurs et moi-même avons grandi en regardant mes parents lutter pour créer et valoriser des histoires noires dans une société qui est conçue pour empêcher précisément que cela se produise. »
Il était donc logique que Merawi Gerima se lance dans un projet qui, tant dans la narration que dans la forme, s’avérait riche en partages créatifs et en surprises.

Ce n’est pas un film autobiographique, même s’il est nourri de souvenirs personnels, le personnage de Jay représente certainement une partie de son vécu, ne serait-de qu’en ce qui concerne la coupure avec le quartier, il en devient étranger sur plusieurs plans.
La voix off pendant le voyage de retour à Washington DC questionne les doutes et les motivations profondes du réalisateur : « Pourquoi tu reviens Jay ? Tu as toujours haï ce lieu ? Tu penses pouvoir nous sauver ?  » En même temps, l’image se brouille parfois, on passe par un tunnel, pour finalement atteindre Washington DC où il ne reconnaît rien. Un enfant le regarde de loin… À se demander si c’est un enfant ancré dans son souvenir, le garçon qu’il était alors ou bien un enfant bien réel d’aujourd’hui… Le retour de Jay et le projet de réaliser un film coïncident à l’émergence immédiate de l’enfance, la disparition de l’ami, la perte des repères et du territoire dus à la gentrification. En s’adressant à d’anciens voisins pour retrouver son ami Demetrius, il sent la méfiance et s’aperçoit qu’il n’est plus d’ici…
Un ami lui dit « Tu nous a abandonné. Tu ne penses qu’à toi et à ton film. » Miki, qui sort de taule, le prévient de se méfier des flics, c’est eux qui nettoient le quartier.
On ne voit pas vraiment les nouveaux habitants sauf pour souligner qu’il y a des règles, que les noms ont changé et que, même avec de bonnes intentions, la méfiance reste présente. Ce sont deux mondes qui ont des difficultés à communiquer, avec une frontière invisible entre la classe moyenne et celle des pauvres, celle des WASP et celle des Noirs.
Le film dans le film devient alors une aventure… Residue a été tourné en deux ans avec des plans saisis sur le vif et beaucoup de montage… C’est une expérience pour le cinéaste qui passe parfaitement l’écran et une formidable leçon de cinéma indépendant.
Residue de Merawi Gerima au cinéma le 5 janvier 2022.

Entretien avec Merawi Gerima.
Musiques : Miles Davis & John Coltrane, So What. John Lee Hooker, No Shoes. Rap pour Mumia Abu Jamal

Luzzu
Film de Alex Camilleri (5 janvier 2022)

Luzzu est le premier film d’Alex Camilleri, il a choisi de tourner à Malte, d’où sa famille est originaire et s’est intéressé tout d’abord à un métier en disparition, celui de pêcheur, mais également au symbole et à l’outil : le Luzzu. C’est le bateau de la pêche traditionnelle depuis des générations, très beau, mais à présent le voilà complètement supplanté par les bateaux de pêche industrielle, qui à terme condamnent également la faune méditerranéenne. À Malte, le luzzu est encore une fierté et une expression populaire.

Lorsque Alex Camilleri décide de tourner le film à Malte, ce sera avec des non professionnels, mais de vrais pêcheurs. « Des années de recherche ont été nécessaires : j’ai appris à connaître non seulement la pêche traditionnelle à Malte, mais aussi le fonctionnement de l’industrie des produits de la mer au sens large, y compris les économies parallèles de la contrebande, du sabotage et même de la “fraude au poisson”, comme le montre le film. » L’écriture a été longue et les problèmes abordés sont très documentés, ce qui apporte au film de fiction une facette documentaire. Au stade de la préparation du film et des repérages, il découvre l’existence d’un réseau de travailleurs de la mer venant d’Asie du Sud et du Sud-Est, qui sont employés par contrat, notamment à Malte, mais ne sont pas autorisés à descendre à terre. Ils vivent sur leur bateau. Ou encore, on apprend que l’Europe finance la destruction des Luzzus, 7000 euros pour envoyer son Luzzu à la casse !

L’histoire du film met en scène Jesmark, jeune pêcheur dont les difficultés financières sont liées à la pêche industrielle et à leurs tarifs compétitifs, aux interdits de pêcher certaines variétés et à la corruption sur l’île. De plus, il vient d’être père et la famille plus aisée de sa compagne le voit comme quelqu’un d’immature et incapable de subvenir aux besoins de sa famille. Entre tradition familiale et modernité imposée, Jesmark se sent piégé, l’abandon de son métier est aussi l’abandon de son identité. Et détruire ce bateau qui appartenait à son père, c’est impossible.

Inspiré par le néoréalisme italien, Alex Camilleri imagine Luzzu « comme une continuité de la ligne de pensée de Visconti dans La Terre tremble. Tourné il y asoixante-dix ans dans un village de pêcheurs de Sicile, à deux pas de Malte, le film de Visconti met également en vedette des non-acteurs dans le rôle des pêcheurs. […] Il est « étrange de voir comment le film de Visconti anticipe les vents contraires qui viendront frapper les familles de pêcheurs de la Méditerranée. »

La très belle scène où Jesmark raconte à son bébé l’histoire d’un bateau qui n’appartenait à personne… Un jour, on l’a mis à la retraite et il tomba en ruines. La fin de Luzzu est aussi très belle et ouverte, la symbolique laisse une interprétation au choix de chacun et chacune.
Luzzu est un film très riche, de par les thèmes et les sujets abordés : les règles européennes, les droits de la pêche industrielle avec les risques environnementaux, la corruption et la course au profit, les différences de classes, le refus de statut de résident aux étrangers travaillant pour les industries maltaises et confinés sur leur bateau, la perte d’un métier et de l’esprit de solidarité…
Le film est tourné en langue maltaise, magnifique et véritable pont entre les rives méditerranéennes.
Luzzu d’Alex Camilleri au cinéma le 5 janvier 2022.

Entretien avec Alex Camilleri
Musique : Tony Hymas, Le Silence de la mer.

Twist à Bamako
Film de Robert Guédiguian (5 janvier 2022)

C’est une nouvelle indépendance au Mali que toute une partie de la jeunesse de Bamako célèbre en dansant des nuits entières sur les 45 tours importés de France et des États-Unis. Twist à St Tropez, se twiste à Bamako aussi, comme le rock. Parallèlement, on rêve de socialisme et d’égalité des droits, mais ce n’est pas gagné. Il y a bien de jeunes idéalistes qui se mobilisent pour expliquer les bienfaits du socialisme dans les villages, et là on a l’impression de différents mondes qui ont du mal à se comprendre. De même à Bamako, quand il s’agit de prendre des décisions, l’ancienne et la nouvelle génération ont des visions souvent divergentes.

Le début du film, le prologue en quelque sorte, est en noir et blanc. C’est une scène où l’on montre le travail et la main d’œuvre qui trime littéralement sans souffler et dans des conditions insupportables. La caméra se déplace et, peu à peu, l’image passe à la couleur. Deux femmes en uniformes inspectent l’atelier et notent tous les manquements aux règles d’hygiène, les hommes qui martèlent toute la journée ont des problèmes d’audition, quant aux femmes qui travaillent aux teintures, elles ont les mains rongées par les produits. « Mais je leur donne des gants » dit la surveillante-épouse du patron aux deux inspectrices, « ils sont troués ! » réplique l’une des ouvrières. Le patron s’en mêle en disant qu’il a commandé des masques qui ne sont toujours pas livrés. Les inspectrices ne sont guère convaincues par ces arguments et promettent de revenir pour contrôler les améliorations nécessaires. L’atelier appartient à un négociant prospère, qui râle contre les règles, mais est fier de son fils aîné, Samba, qui fait partie de ces jeunes révolutionnaires rêvant de changement, il l’est beaucoup moins du plus jeune qui préfère aller danser au lieu de préparer ses examens.
Samba vit corps et âme l’idéal révolutionnaire, il est de ceux qui en rêvent et y croient. Ils sont trois amis très liés qui parcourent la campagne pour discuter avec la population rurale et convaincre des bienfaits des réformes, mais les traditions sont difficiles à faire évoluer, et malgré de fortes convictions, que peuvent de jeunes gens contre des règles ancestrales ?

Lors d’une tournée en pays bambara, Lara, une jeune fille mariée contre son gré au fils du chef du village, profite de la venue des trois jeunes émissaires politiques, pour se glisser dans leur pickup et se cacher sous du matériel. Lorsqu’ils la découvrent, on est déjà loin du village et elle refuse d’y retourner. Lara veut rejoindre le couple qui l’employait à Bamako, mais la famille a quitté la villa. L’un des garçons propose à Lara de partager la chambre de sa sœur. L’abandon du domicile conjugal, c’est grave, et cela peut attirer des ennuis à tout le monde. Mais Lara refuse de rentrer en disant qu’il lui est impossible de vivre avec un mari imposé qu’elle n’aime pas. Évidemment ses arguments font mouche chez des jeunes qui, par ailleurs, prônent l’égalité. Et puis le soir, il y a la danse. C’est à l’occasion d’une de ces soirées que naît une idylle entre Lara et Samba.

« Cette histoire [explique Robert Guédiguian] de jeunes gens idéalistes qui veulent créer un État socialiste après l’indépendance tout en dansant le twist et le rock’n’roll, ressemble à ma propre histoire.
 Si Bamako ou Marseille en modifie la forme, le fond est strictement identique. […] On s’est inspiré de deux jeunes gens qui dansent sur l’une des photos les plus connues de Sidibé, lui en costume blanc et elle, pieds nus avec sa petite robe. On a imaginé qu’ils étaient très amoureux (en réalité ils étaient frère et sœur) que le garçon, dans la journée, une fois enlevé son costard blanc, mettait son treillis et allait dans les villages au fond du Mali pour convaincre les paysans d’accompagner la construction du socialisme et que la fille avait été mariée de force dans l’un de ces villages. Nous voulions raconter une belle et tragique histoire d’amour pour incarner ce que j’appelle ce “moment communiste ”, de construction, de fête révolutionnaire où les possibles se heurtent à la contre révolution, mais aussi à la tradition et aux coutumes ancestrales. »
Une belle histoire en effet dont l’épilogue, en 2012, montre Lara, grand-mère, écoutant toujours cette musique avec ses petits enfants. Dehors, des soldats contrôlent les tenues des femmes et ils n’en reviennent pas lorsque soudain Lara se met à danser…
Twist à Bamako de Robert Guédiguian au cinéma le 5 janvier.

Musique : Little Richard, She’s Got It

Neige
Film de Juliet Berto & Jean-Henri Roger (5 janvier 2022/ copie restaurée du film de 1981)

On ne le trouvait plus, Neige est un film culte, symbole d’une époque, et voilà qu’il revient sur grand écran en copie restaurée.
Neige se situe entre Pigalle et Barbès, dans un espace particulier, propice au mélange des origines, à une ambiance « multiraciale » et aux rencontres de toutes sortes : ouvriers, travailleurs immigrés fauchés, prostituées, travelos, dealers et mecs en manque. La nuit et la dope, les flics aussi. Dans ce monde, Anita travaille comme barmaid et se démène pour survivre au milieu de cette faune de la nuit. Willy, ancien professionnel de full contact, est amoureux d’elle et Jocko est un pasteur antillais de l’église de la Sainte-Trinité, histoire de vivre son exil. Il y a Bobby aussi, un jeune dealer, qui se fait descendre…

Le travail de restauration est remarquable et c’est une découverte, qui fait revivre ce film un peu oublié, le témoignage d’une époque avec beaucoup de clins d’œil cinématographiques, à Prévert par exemple. De ce quartier qu’elle habitait, voilà ce qu’en disait Juliet Berto : « Neige n’est pas un film ethnologique, c’est un certain regard sur le monde de la fiction policière. C’est une balade entre Barbès et la place Blanche. La drogue est là, comme le sexe, comme les bars. C’est un élément du décor, une des réalités de Pigalle. Neige, c’est un portrait de Pigalle. Le titre du film évoque peut-être l’héroïne, la blanche, le cheval, la neige comme on dit. Mais en fait nous l’avons choisi parce que c’est un beau mot, très condensé, froid et scintillant. Comme les lumières des néons la nuit à Pigalle ; comme le clinquant des baraques de la fête foraine l’hiver sur le boulevard ; comme les flocons qui flottent dans les boîtes transparentes où on voit la Tour Eiffel ou le Sacré Cœur quand on les retourne.
L’agressivité n’est jamais gratuite, elle exprime le besoin de s’arracher à quelque chose, une provocation qui mettrait la balle dans votre camp, un élan d’où jaillit ce qui fait vivre les visages. L’agressivité, pour moi, passe par le cinéma, et peut être qu’au bout il y a
Neige. L’important pour moi ça a été d’acquérir le droit à la parole en montrant des images, d’aller au bout de ce que je suis. » C’est là la force du film, qu’il garde encore d’ailleurs.

En 1981, le succès de Neige « répondait à un désir des gens [remarque Jean-Henri Roger]. La disparition complète de ces personnages et de ces lieux populaires dans le cinéma français était vécue comme un manque. Aussi, le désir de mettre en avant cette galerie de personnages de la rue a rencontré le désir de changement politique. » Et puis « le cinéma c’est la captation », alors tourner dans ce quartier à la fois populaire et exotique, presque à son insu malgré la présence de la caméra, le faire vivre avec tous ces personnages… C’est une belle aventure de cinéma.
Neige de Juliet Berto & Jean-Henri Roger à voir ou revoir à partir du 5 janvier.

Rétrospective en copies restaurées de trois films de
Dušan Makavejev

L’Homme n’est pas un oiseau
Une Affaire de cœur ou la Tragédie d’une employée des PTT
Innocence sans protection

3 films mythiques, fascinants, sulfureux et libres
Avec des femmes à poigne et à poil
Au cinéma le 5 janvier 2022


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