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Samedi 5 février 2022
After Blue. Paradis sale de Bertrand Mandico. Pour toujours de Ferzan Öspetek. Piccolo Corpo de Laura Samani. Vous ne désirez que moi de Claire Simon. L’Horizon d’Émilie Carpentier
Article mis en ligne le 7 février 2022

par CP

After Blue
Un paradis sale

Film de Bertrand Mandico (16 février 2022)

Pour toujours
Film de Ferzan Ozpetek (9 février 2022)

Piccolo Corpo
Film de Laura Samani en salles le 16 février 2022

Vous ne désirez que moi
Film de Claire Simon (9 février 2022)

L’Horizon
Film d’Émilie Carpentier (9 février 2022)

CQFD

After Blue
Un paradis sale

Film de Bertrand Mandico (16 février 2022)

After Blue, planète refuge pour les seules terriennes, les hommes ne peuvent y survivre, After Blue est en fait un paradis sale, ou plutôt sali par les colonisatrices qui décrètent une règle de survie : supprimer toute « mauvaise herbe », à savoir toute déviance. Le seul personnage non féminin est un androïde dont le sexe est formé de tentacules. After Blue, l’après la planète bleue, plonge d’emblée le public dans une irréalité diffuse et surréaliste, construite sur des mythes ancestraux revisités, définie par un graphisme métaphorique et par la matière organique, la terre, les pierres, la saleté, la suie, le sang…

Sur cette planète, une adolescente, Roxy, est spontanément rebelle, animée par des pulsions sexuelles qui la submergent sans qu’elle comprenne leur signification, sinon le désir de s’émanciper. Roxy la toxique, comme l’appellent les autres, délivre une tueuse enterrée dans le sable qui l’appelle petite sœur et lui promet d’exaucer trois vœux. Mais sitôt libérée, elle tue les autres adolescentes. Roxy et sa mère, Zora, sont alors bannies par leur communauté, condamnées à errer dans les territoires inconnus à la recherche de Kate Bush, la tueuse, nouvelle Lilith vengeresse.

De la même manière qu’au début du film, les voix se superposent, se répondent, se répètent comme dans une mélopée, les surimpressions d’images de femmes se succèdent en fondu enchaîné à des rythmes différenciés, évoquant la perception d’un monde parallèle, d’où finalement se détache une voix qui se veut guide du public, coryphée en somme, et interroge Roxy sur les événements qui ont découlé de son acte.

Zora, contrairement à la fille, craint de déroger aux lois du clan. Elle est la coiffeuse, la maquilleuse au service de la communauté et lorsqu’elle est enjointe de partir à la recherche de la tueuse que la milice avait enterrée dans le sable pour que « la mer fasse son œuvre », elle ne se rebelle pas même si elle se sent vulnérable pour cette chasse.

Commence alors un voyage initiatique où la relation mère et fille, dominante et dominée, prend une toute autre tournure. Les rôles se permutent même parfois. Au cours de leur quête, périple dans le paradis sale, elles croisent d’autres femmes, d’autres groupes, découvrent toutes deux un monde ignoré, mais chacune d’elle à sa façon. Roxy, hantée par les filles tuées qui l’accompagnent, surprise par l’irruption de la tueuse dans ses fantasmes ou la réalité, observe le monde fragmenté d’After Blue et s’émancipe peu à peu. Dans la forêt des délices de l’artiste, maîtresse de l’androïde, les statues sont des formes humaines pétrifiées, les arbres saignent et les êtres de la planète colonisée apparaissent… c’est un peu l’île des Garçons sauvages, mais le futur est en couleurs. Le film, tourné également en 35mm, joue sur les couleurs dominantes, saturées, extrêmes, chaudes ou froides selon les événements et les sentiments des personnages…

Dans cette société nouvelle, à la fois fragmentée et structurée, les femmes ont pris le pouvoir puisque les hommes sont morts. Fin de facto du patriarcat, mais en inversant les rôles femmes/hommes habituellement attribués en tant que codes sociaux, la domination exercée, quelle qu’elle soit, demeure. After Blue est certainement un film politique qui, tout en changeant les bases du patriarcat, garde un regard critique. Le pouvoir change de camp, mais la domination ne disparaît pas pour autant. Cela reviendrait-il à dire que tout pouvoir est maudit ? Alors se pose la question de cette chasse pour anéantir la « diablesse », Iblis au féminin, Lilith revenue du fond des âges. Symbolise-t-elle la destruction, la fin d’un cycle, d’une civilisation ou bien l’éternel recommencement ?
« Tout est à faire. Rien à refaire"
After Blue . Un paradis sale de Bertrand Mandico au cinéma 16 février 2022)

Entretien avec Bertrand Mandico.

Pour toujours
Film de Ferzan Ozpetek (9 février 2022)

Le film commence par une promenade à l’intérieur d’une propriété inquiétante… des fresques anciennes de cadavres et de corps suppliciés sur les murs d’une pièce attenante à la bibliothèque, une ambiance mystérieuse accompagnée, pour finir, par les cris d’une enfant effrayée, enfermée dans un placard de l’antichambre des supplices. Générique.

On n’en saura pas plus… Le décor change complètement et montre une fête d’anniversaire près de Rome, sur une terrasse ensoleillée avec des ami.es… Dans cette ambiance festive, rencontre avec le couple Arturo et Alessandro, vivant ensemble depuis quinze ans, en toute liberté — enfin c’est ce qu’ils disent —, mais sans la passion amoureuse des premiers jours. Autour d’eux, des voisines et des voisins, qui par leur marginalité, leur fantaisie attirent d’emblée l’empathie. Au milieu de la fête, quelque peu perturbée par une aventure inopinée d’Alessandro, arrive Annamaria et ses deux enfants. Elle doit être hospitalisée et faire une série d’examens suite à de fréquentes et douloureuses migraines. Elle confie donc les enfants à Alessandro, un ami de très longue date en qui elle a toute confiance.

Une vie de famille, dans le moment de désarroi que traverse le couple, est une nouvelle difficulté, d’autant qu’Alessandro travaille sur des chantiers et Arturo, qui traduit des textes à la maison, n’a guère la disponibilité pour les deux enfants. Martina pose sans cesse des questions sur son travail, sur la maladie de sa mère, tandis que Sandro est en demande d’affection, ce qui laisse un Arturo maladroit et désemparé face à la situation. Comme le remarque Martina, ce sont de drôles de tontons : l’un n’est guère là et l’autre n’a guère de patience.

L’une des problématiques est évidemment le couple gay, qui n’est pas prêt à assumer une parentalité à laquelle les deux hommes sont confrontés à un moment où ils doutent de leur désir de vieillir ensemble. De plus, être parents exige une organisation et une abnégation dont ils n’ont peut être pas idée. Et il y a la jalousie, malgré les principes de départ, qui étaient de laisser à l’autre une certaine liberté sexuelle. Ca c’est la théorie, mais en pratique, la jalousie est aussi alimentée par la dissimulation à l’autre d’aventures ponctuelles… ou plus longues. S’ajoute à cela la maladie d’Annamaria, qui se complique, et la responsabilité d’Alessandro, transformée peu à peu en culpabilité pour n’être pas à la hauteur de la demande de son amie.

On pourrait tout d’abord croire à la trame d’un mélo, mais le récit va au-delà et devient plus complexe avec l’histoire d’Annamaria, issue d’un milieu pesant, celui de la vieille aristocratie Italienne, fin de race au vrai sens du terme. Un Guépard qui, en l’occurrence, est une femme — une sorcière — et se passe au XXIe siècle. Déliquescence d’une classe qui n’a aucune idée du bien être des enfants et encore moins de la société d’aujourd’hui. Si le point de départ est tout à fait personnel pour le réalisateur, il rejoint rapidement une universalité qui questionne la parentalité pour un couple homosexuel — homme ou femme —,même chose pour un couple hétérosexuel, mais aussi la maladie, le poids de la famille, même rejetée, aux yeux de la loi et le droit des enfants …
Pour toujours est un film à tiroirs et à multiples réflexions.
À la toute fin du film est donné le fin mot du prologue et du mystère effrayant des enfants enfermé.es dans un cabinet des horreurs d’un autre temps. Et cette classe d’aristocrates, à laquelle appartient Annamaria, fait évidemment penser au chef d’œuvre de Visconti, le Guépard.

Quant aux enfants, ils et elles ont parfois plus de maturité que les adultes, et le jeune Sandro se fait le messager d’un très joli mythe lors d’une partie de campagne… peut-être le secret du film…
"La Déesse Fortuna possède un secret, un tour de magie.
Comment faire en sorte que l’être aimé reste à vos côtés ?
Il faut la regarder fixement, voler son image, cligner des yeux et les garder fermés.
L’être aimé plonge alors directement vers votre cœur, et dès cet instant,
il reste avec vous pour toujours
."
Pour toujours de Ferzan Ozpetek au cinéma le 9 février.

Piccolo Corpo
Film de Laura Samani (16 février 2022

Autre film italien, Piccolo corpo nous transporte au début du XXème siècle, dans la classe pauvre des paysans et des pêcheurs, dans un univers des croyances pour conjurer les sorts et aussi sous l’emprise de la religion catholique. Sur le point d’accoucher une très jeune femme, Agata, se rend avec d’autres femmes au bord de la mer afin d’exorciser toute forme de malédiction avant la naissance de son premier bébé. La naissance se passe mal et Agata accouche d’une enfant mort-née. C’est la pire des choses pour la mère, car un bébé non baptisé ne peut-être enterré en terre consacrée, son âme étant condamnée à errer dans les limbes. Tout le village, y compris le père de l’enfant, accepte le verdict, y compris l’autorité religieuse, et le corps est enseveli dans un endroit écarté et secret. Mais Agata refuse cette décision en raison du lien qui la lie encore à son enfant.

Selon une légende — ou bien est-ce une réalité ? —, il existerait un endroit, très loin, dans les montagnes, où un bébé mort-né pourrait être ramené à la vie, le temps d’un souffle, pour être baptisé. Agata l’apprend et s’insurge contre la décision d’abandonner l’enfant. Sans rien révéler de son projet, elle trouve l’endroit où le corps est enfoui, le déterre et, part avec le petit cadavre à la recherche de cet endroit mythique dont elle ne sait rien de plus. Elle n’a jamais quitté son village et va traverser des épreuves sans jamais abandonner son but. Elle est molestée par des bandits, notamment des trafiquants de nourrices, très recherchées par les familles riches pour leur lait maternel. Au cours de ce voyage, elle rencontre aussi Lynx, ni garçon ni fille, qui lui offre son aide et semble avoir une expérience de la route pour atteindre ce lieu miraculeux. Le voyage s’avère pour les deux à la fois douloureux et rédempteur.

Piccolo Corpo est un film esthétiquement magique par la beauté des images qui suivent le périple d’Agata. Proches des peintures de l’époque, les images traduisent parfaitement la vie de ce milieu pauvre et rural de l’Italie du début du XXème siècle, soumis à des croyances ancestrales et aux règles imposées par le clergé, histoire d’accepter la misère sans broncher. Agata, candide déterminée, se place spontanément en rupture en refusant l’assignation à son destin et celui de son enfant.

Cependant de tels lieux existaient : les sanctuaires du souffle, également appelés sanctuaires de la trêve, auraient perduré tout au long du XIXe siècle et étaient considérés comme des lieux de miracles. « La légende voulait que les enfants mort-nés puissent revenir à la vie le temps d’un souffle, ce qui leur permettait d’être baptisés et enterrés dans une sépulture chrétienne au lieu d’être condamnés à errer éternellement dans les Limbes comme le proclamait alors l’Église. J’ignorais tout de ces pratiques [explique Laura Samani], pourtant très courantes à l’époque. J’ai commencé à faire des recherches et j’ai découvert qu’il en avait existé des centaines dans les Alpes, dont deux cents, rien qu’en France. [Mais] dans tous ces récits, une chose m’interpellait : pourquoi était-ce presque toujours des hommes qui effectuaient le voyage jusqu’aux sanctuaires avec les cadavres de leur bébé ? Pourquoi ne parlait-on jamais des femmes, de leurs attentes, leur souffrance, leur impuissance ? N’étant ni historienne ni anthropologue, j’ai voulu que ce soit une femme qui accomplisse ce périple. C’est vraiment de ce désir qu’est né Piccolo Corpo. »

Les comédiennes et les comédiens ne sont pas professionnel.les hormis Lynx, ce qui donne au film un naturel incroyable, de même le film est tourné en dialectes de la région et comme le déclare la réalisatrice, c’était un « postulat de départ et une décision politique. L’Italien est une langue qui a été créée en 1861 pour unifier le pays. Il s’est d’abord agi de créer un langage commun avec des règles, une grammaire, une syntaxe. Puis sa pratique s’est radicalement durcie sous le fascisme où parler le dialecte de sa région est devenu interdit. Ma région qui avait des influences slaves était particulièrement visée et cela l’a culturellement beaucoup affectée. Certains habitants de Frioul ont maintenant honte de s’exprimer en dialecte parce qu’ils ont l’impression de paraître incultes. J’ai voulu rendre hommage à ces langues et à leur richesse. C’était une manière de respecter la langue authentique de l’époque, mais également de rendre hommage aux différentes variantes de ces dialectes et laisser les acteurs s’exprimer aussi naturellement que possible. »
Le voyage d’Agata est un conte, un conte cruel et ancré dans une magie innocente.
Film très puissant et original, Piccolo Corpo de Laura Samani est à découvrir au cinéma le 16 février.

Vous ne désirez que moi
Film de Claire Simon (9 février 2022)

Claire Simon après avoir lu Je voudrais parler de Duras de Yann Andréa, fait cette réflexion : “Ce n’est pas du tout pour le cinéma, alors allons-y !” En effet, Je voudrais parler de Duras est la transcription des entretiens, à sa demande, de Yann Andréa avec la journaliste Michèle Manceaux, et à ce titre garde un caractère de confidentialité et d’intimité du compagnon de Marguerite Duras. D’où sans doute le constat de Claire Simon, qui cependant subjuguée par la fulgurance du texte et la gageure cinématographique, ajoute : «  Je crois que la conversation peut être une scène de cinéma. J’avais le sentiment qu’il fallait fabriquer cette archive qui était manquante. J’ai souvent fait ça : fabriquer des archives qui n’existent pas. » Fabriquer des archives qui n’existent pas et les croiser, en écho à des archives réelles, associées à l’interprétation remarquable de Swann Arlaud et Emmanuelle Devos, voilà toute la subtilité de la mise en scène de Claire Simon. Cela donne un film à la fois bouleversant par la sincérité de l’échange et fascinant par la réflexion qu’il génère. Difficile aussi de ne pas garder en mémoire les images du film dont le montage et l’étalonnage installent un climat particulier et la fluidité du récit.

Alors qu’il est le compagnon de Marguerite Duras depuis deux ans, Yann Andréa éprouve le besoin de parler de sa relation passionnelle, qui ne lui laisse guère de liberté, et mettre des mots sur ce qui l’enchante et le torture. Il demande à une amie journaliste, également proche de Marguerite Duras, de l’interviewer pour y voir plus clair. Dans ces entretiens, il décrit avec lucidité la complexité de leur relation, l’amour, l’attirance et les injonctions auxquelles il est soumis, en fait ce sont celles que les femmes endurent depuis des millénaires...

Certes le récit est magnifique, mais la réalisation en donne encore une dimension supplémentaire par l’insertion, notamment, des images de Duras et la merveilleuse idée d’évoquer l’érotisme et l’acte sexuel par de très beaux croquis. Le sujet de la séduction et de l’amour fou, les rôles masculin/féminin inversés, la hiérarchie de l’âge balayée, la fragilité du compagnon de Marguerite Duras et l’emprise consentie qu’elle exerce sur lui, tout cela est souligné, renforcé par l’attention et les questions de la journaliste, interprétée par Devos. Tous les détails comptent dans la trame du récit, par exemple au début du film, l’allusion à Marguerite dans la maison et le test son qui lancent l’entretien… Claire Simon réalise une osmose entre le fond et la forme qu’on ne peut finalement séparer, c’est un tout et c’est là la réussite de ce film, on ne regarde plus un film, on assiste à un entretien. Tout juste si l’on se retient de participer à cette conversation sans filtre, d’une sincérité étonnante, avec ses élans, ses révolte, ses contradictions… Je voudrais parler de Duras porté à l’écran, avec les différentes facettes imbriquées par la réalisation, devient Vous ne désirez que moi.

Au cours de l’entretien, qui d’abord fait le récit de la rencontre de Yann Andréa avec l’écriture de Duras, puis avec sa création cinématographique, c’est la construction d’une relation induisant une séduction captivante qui, finalement, ne laisse plus aucune place, aucune velléité d’autonomie à l’autre. Il est vrai que cela est d’autant plus frappant que, dans ce cas précis, c’est la femme qui a un pouvoir sur l’homme. Le besoin de se confier, de voir clair dans sa relation amoureuse amène Yann Andrea à une analyse à la fois très personnelle, mais également universelle sur le couple, la dépendance, l’échange amoureux et la passion.

Ce qui donne aussi l’opportunité à Claire Simon d’expliquer sa réalisation : « C’est très intéressant de regarder les hommes à hauteur d’homme, comme ils disent. À égalité. Je ne me sens pas en compétition avec eux, les hommes dans le cinéma dominent — ils montrent le désir, la sexualité, la séduction... mais moi aussi je sais le faire, autrement. Disons que ça m’intéresse de filmer aussi les dominants, leur liberté, leur puissance, et leurs contradictions... » La manière dont elle donne à ce texte une réalité saisissante, orchestrant les scènes jouées, les archives, l’interprétation et la gestuelle de Swann Arlaud et d’Emmanuelle Devos, les gros plans (aucun n’est inutile), transmet à Vous ne désirez que moi une dimension universelle. La problématique de la passion amoureuse et la complexité d’un homme dominé, pris entre son amour pour Duras et son homosexualité, est montrée avec délicatesse, sans artifices, avec une résonance tendre…
Décidément, Vous ne désirez que moi est un grand film.
Vous ne désirez que moi de Claire Simon au cinéma le 9 février 2022.

L’Horizon
Film d’Émilie Carpentier (9 février 2022)

Dream City, voilà encore une de ces opérations immobilière et financière qui ne profite certainement pas à celles et ceux qui habitent le lieu. Le projet dès le début exproprie d’office les exploitations agricoles du coin, et prévoit de bétonner tout ce qui reste encore de la nature. Supprimées les forêts, disparus les champs… Mais une ZAD résiste et s’organise pour empêcher les pelleteuses et autres engins pour détruire le paysage. « En mettant en scène une ZAD (Zone à défendre) au pied d’une banlieue HLM, [explique la réalisatrice] il s’agissait pour moi d’obliquer certaines perspectives. Je voulais essayer de regarder la banlieue autrement. Non comme la lisière de la ville, la ville dégradée, rejetée, mais comme étant le début de la campagne, la porte sur la nature. L’endroit où l’urbain et le rural ont l’espace de se rencontrer, de s’entrelacer et où ils produisent actuellement des lieux nouveaux. C’est là que naissent aujourd’hui les “fermes urbaines”, les “jardins partagés”, les “tiers-lieux” où les initiatives alternatives et citoyennes ont l’espace de se déployer. »

Dans cette banlieue, entre logements sociaux et nature, Adja se cherche, à l’ombre de la réussite de son footballeur de frère et de sa copine influenceuse sur les réseaux sociaux. Adja est bien loin des luttes de la ZAD, elle est même presque conquise par la propagande matraquée de la communication de Dream City, avec d’ailleurs la complicité des autorités — « Ouais, ça va donner du boulot aux gens du coin et puis c’est fun. C’est pas la lutte d’anarchistes à deux balles qui va changer quelque chose. » Le projet, vendu comme un méga parc de loisir pour touristes, attrayant certes au départ, ne promet que du vent et n’a rien du futur vanté pour les gens de la région, bien au contraire.

Adja fait un stage dans un EPAHD et découvre un matin, une des pensionnaire dont elle s’occupe, morte. « On sert à quoi ? » dit-elle à un copain d’école, Arthur, qui habite la ZAD et se bat contre le projet qui va tout casser. Adja le suit dans sa lutte, étonnée et parfois même agacée. « Ça se passe toujours comme ça vos manifs ? » demande-t-elle à Arthur en repartant chez elle. L’image bascule alors comme les certitudes d’Adja, qui vit des journées décisives, un tournant où le choix d’un monde plus durable et l’amour naissant avec Arthur, l’amènent à prendre des risques avec les jeunes de la ZAD.

Premier et joli film d’Émilie Carpentier qui réalise une très belle scène de fin, où Adja, celle qui doutait, retourne la situation face aux flics : « c’est vous qui nickez nos cerveaux. STOP ! Ça suffit ! »…

Une fin ouverte qui donne l’espoir d’une prise de conscience face à la démocrature de plus en plus pesante. J’oubliais : une bande son superbe ! Et une phrase de la réalisatrice en exergue à la fin du film : « À toutes les jeunes femmes et à tous les jeunes hommes de Villejuif et du lycée d’Alembert que j’ai eu la chance de rencontrer. »
L’Horizon d’Émilie Carpentier est en salles le 9 février 2022


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