Chroniques rebelles
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Samedi 23 avril 2022
Hit the Road de Panah Panahi. La Femme du fossoyeur de Khadar Ayderus Ahmed. Ma Famille afghane de Michaela Pavlatova. Ghost Song de Nicolas Peduzzi. L’Affaire Collini de Marco Kreuzpaintner. Babysitter de Mona Chokri. L’Été l’éternité de Émilie Aussel. Sentinelle Sud de Mathieu Gérault
Article mis en ligne le 24 avril 2022

par CP

Hit the Road
Film de Panah Panahi (27 avril 2022)

La Femme du fossoyeur
Film de Khadar Ayderus Ahmed (27 avril 2022)

Ma Famille afghane
Film de Michaela Pavlatova (27 avril 2022)

L’Affaire Collini
Film de Marco Kreuzpaintner (27 avril 2022)

Ghost Song
Film de Nicolas Peduzzi (27 avril 2022)

Babysitter
Film de Mona Chokri (27 avril 2022)

Les Aventures d’Ebenezer Void
de Jean-François Roux (éditions Douro)

Lecture par Sandrine Malika Charlemagne

Sentinelle Sud
Film de Mathieu Gérault (27 avril 2022)

La Colline où rugissent les lionnes
Film de Luana Bajrami (27 avril 2022)

A SENSE OF JOURNEY
MUSÉE DES CONFLUENCES (LYON)

Hit the Road
Film de Panah Panahi (27 avril 2022)

Rencontre avec Panah Panahi, traduit par Massoumeh Lahidji
En Iran, aujourd’hui. Une famille en voiture sur une route, la conversation est libre sans que soit fait allusion à l’objectif du voyage. Le fils aîné conduit et se tait, près de lui sa mère semble inquiète, mais s’efforce de faire bonne figure. Sur le siège arrière, le père arbore une jambe plâtrée et leur petit garçon ne cesse de blaguer, de chanter, de danser et de poser des questions sur le voyage, et en général. Les réponses vagues de la mère indiquent que le but du voyage doit être dissimulé à l’enfant, d’ailleurs elle prend son portable et le cache sous une pierre au bord de la route. Tout à fait à l’arrière de la voiture, il y a Jessie, le chien malade, pour lequel la famille s’inquiète.

À travers le jeu des parents et la vivacité de l’enfant, l’humour déborde littéralement sur tout le film, les plaisanteries fusent, même de la part de l’enfant, que tout le monde essaie de protéger. La mère remarque d’ailleurs que ce n’est pas bien de lui mentir. Mais le gamin est trop bavard, il s’invente des histoires autour de son héros, Batman, et s’extasie soudain devant le paysage, « Que c’est beau ! » embrasse la terre, ce qui déclenche la réflexion du père : « ça recommence » ! Le voyage avance dans des paysages superbes, la voiture quitte la route principale, emprunte des chemins de terre, le secret se fait plus pesant, en même temps que l’inquiétude et l’attente s’installent…

La Femme du fossoyeur
Film de Khadar Ayderus Ahmed (27 avril 2022)

Guled et Nasra vivent dans une banlieue très pauvre de Djibouti avec leur fils Mahad. Le couple est très amoureux et la précarité ne serait pas un problème majeur pour la famille, si Nasra ne devait envisager en urgence une opération très couteuse dans son pays, sous peine de perdre la vie. Guled est désespéré et s’efforce par tous les moyens de trouver plusieurs boulots, mais il est sans cesse renvoyé à son statut social. Il est fossoyeur, un travail aléatoire où l’on attend à la sortie de l’hôpital d’éventuels décès pour les ensevelir au plus vite, il aide aussi sur les marchés… Tous ces boulots permettent à la famille au mieux de survivre, mais pas de prendre en charge le coût de l’opération chirurgicale pour traiter une maladie rénale chronique. Quant à une possible aide familiale, c’est un espoir vain car le couple s’est marié sans le consentement des familles et a quitté le village en abandonnant le troupeau.

Le réalisateur a voulu situer le déroulement du récit en Afrique, soucieux de l’environnement et des animaux qui en font partie. De même, pour indiquer les conditions de soins médicaux, inabordables pour une grande partie de la population : « En Afrique, beaucoup de gens meurent pour de toutes petites choses. La situation sanitaire en Afrique subsaharienne est démente, les gens n’ont pas suffisamment accès aux soins. Il faut y remédier car 5000 dollars au final ce n’est rien. C’est un héritage post-colonialiste : ces Africains ont tout eu, puis ils ont été abandonnés par les colonisateurs, sans système social. Une opération comme celle-ci serait facile à obtenir dans les pays occidentaux. Dans ce monde postcolonial, les occidentaux ont laissé les Africains sans outils pour survivre. »

La Femme du fossoyeur est un film proche du documentaire avec l’évocation de la migration de la population villageoise vers les villes, celle de l’Afrique subsaharienne vers le reste du continent africain, le manque de travail — la profession de fossoyeur est parmi celles les moins payées du pays —, l’absence de politique sanitaire, le poids des coutumes familiales et claniques sur les individus. Lorsque Guled, en désespoir de cause, se rend au village pour récupérer son héritage, son troupeau, sa mère le rejette pour n’avoir pas suivi les règles. Le verdict du conseil du village tombe également comme un couperet : il lui est interdit de récupérer son troupeau pour avoir bravé la coutume et avoir désobéi aux familles afin d’épouser Nasra, destinée à un autre homme.

Pendant l’absence de son père, Mahad prend soin de sa mère et fait l’école buissonnière pour gagner quelque argent avec des petits boulots de circonstances. Nasra souffre de plus en plus, et voit s’éloigner son désir d’études pour son fils. Les rêves de Nasra et Guled sont raisonnables, pour elle se soigner dans un autre pays africain, accéder à l’éducation pour Maad, dans le film il n’est pas question d’immigrer en Europe, et ces rêves seraient réalisables si la population n’était pas acculée à la misère.
La Femme du fossoyeur, filmée dans de magnifiques paysages, est une fable sociale, émouvante et lucide sur les conditions de vie en Afrique subsaharienne.
La Femme du fossoyeur de Khadar Ayderus Ahmed dans les salles le 27 avril.

Ma Famille afghane
Film de Michaela Pavlatova (27 avril 2022)

Herra, étudiante d’origine tchèque, rencontre Nazir à l’université et décide de tout quitter pour vivre avec lui. Or, épouser Nazir cela signifie accepter un autre mode de vie, des coutumes et une société différentes, puisque la famille de l’homme qu’elle aime habite Kaboul. Nous sommes dans les années 2000 et elle n’est qu’au début de nombreux bouleversements.

Sa nouvelle famille afghane l’accepte, surtout son beau-père qui semble l’apprécier, et la sœur de Nazir, mère de trois enfants, qui a épousé un homme frustre et brutal. Herra va de surprise en surprise, le choc culturel est une source de découvertes quotidiennes. Nazir la soutient bien qu’il soit parfois pris entre la pression d’une société traditionnelle et son amour pour sa femme.

Adapté du roman de Petra Procházková, le film réussit à transposer la dimension humaine du livre et donner à l’héroïne, Herra, la candeur et la lucidité lui permettant de comprendre cette nouvelle culture. Le récit est inspiré de la propre histoire de l’autrice et traduit son empathie pour les efforts des femmes afghanes qui tentent de s’émanciper dans l’Afghanistan post-Talibans.

Le choix de l’animation s’est imposé à Michaela Pavlatova pour, dit-elle, « saisir des émotions fortes et l’humour doux-amer du récit. L’animation rend l’histoire plus accessible et plus limpide. Dans le même temps, l’élégance des images, la possibilité de dépouiller les plans et d’aller à l’essentiel ont resserré l’intrigue et donné plus de force aux situations les plus cruciales. » Herra traversera des épreuves dans ce pays sous tension et à la merci d’attentats, mais aussi des moments heureux comme cette rencontre avec Maad, orphelin que le couple adopte.
Ma Famille afghane de Michaela Pavlatova au cinéma le 27 avril.
Entretien avec la réalisatrice

L’Affaire Collini
Film de Marco Kreuzpaintner (27 avril 2022)

2001. Un homme marche de dos dans un couloir d’hôtel, entre dans une suite où Jean-Baptiste Meyer, riche industriel, l’accueille pensant qu’il est journaliste, lui propose à boire et lorsqu’il se retourne, le nouveau venu l’abat de trois balles dans la tête. Il redescend ensuite dans le hall de l’hôtel ayant du sang sur ses chaussures, s’assied, hébété, et lorsqu’une jeune femme de la réception lui demande s’il a besoin d’aide, il murmure simplement : « il est mort… suite présidentielle ». L’homme s’appelle Fabrizio Collini, né en 1934 à Monte Cattini, près de Pise et est citoyen italien. Il vit à Stuttgart.
Dans un premier temps, l’Affaire Collini est l’histoire d’un crime sans mobile déclaré, puisque l’accusé se tait ; le mystère ainsi entretenu permet au jeune avocat commis d’office, Caspar Leinen, de revenir sur le passé de l’Allemagne nazie pour rassembler et comprendre les pièces manquantes d’une histoire camouflée.

Commence alors l’une des affaires les plus symboliques de l’impunité des crimes de guerre nazis commis pendant le Seconde Guerre mondiale. À la suite du procès Nuremberg, de nombreux nazis ont échappé à la justice, certains en changeant d’identité et en fuyant, notamment vers l’Amérique latine, d’autres, pour la plupart, sont simplement restés en Allemagne en rejetant toute forme de responsabilité avec l’argument : « c’était la guerre et nous avons obéi aux ordres ». Au moment de la création de la République fédérale allemande (RFA), et dans les années 1950, la politique du gouvernement Adenauer a préconisé la réintégration massive dans les services publics, dans la justice par exemple, de personnes ayant participé au régime nazi. C’est le cas d’Eduard Dreher, à l’initiative d’une loi en 1968 dont parle le film, qui permettait une amnistie déguisée des crimes nazis. Dans les années 1950, la justice ouest-allemande n’a prononcé qu’une trentaine de condamnations, mais en 1961, notamment lors du procès d’Adolf Eichmann à Jérusalem qui fit grand bruit, la complicité législative allemande est remise en question et, en 1965, le Bundestag prolonge les délais de prescription des crimes commis durant le nazisme. Inspiré du roman de Ferdinand von Schirach, le film illustre parfaitement la loi d’amnistie de 1968, et ce à quoi elle était destinée. L’auteur sait de quoi il parle, il est lui-même avocat, et aussi le petit-fils du dirigeant des Jeunesses hitlériennes — jugé à Nuremberg aux côtés d’Hermann Göring et Rudolf Hess. C’est pourquoi le déroulé du procès est intense et riche en détails tant juridiques que politiques, dans le contexte d’une société dirigée par des cadres anciennement nazis.

L’adaptation cinématographique de Marco Kreuzpaintner est passionnante par les histoires croisées des protagonistes sur trois époques ; ce découpage est très important pour la narration du récit et ses rebondissements : époque contemporaine pour le procès en 2001, les années 1980 pour la jeunesse de l’avocat, Caspar Leinen, et 1944 pour l’enfance de l’accusé, Fabrizio Collini. Les séquences de procès sont tournées « avec trois 
caméras simultanément. Cela 
nous a permis [explique le réalisateur] de répéter et 
jouer les scènes sans interruption, sur des prises de parfois trente minutes. C’était comme
au théâtre : on commençait par 
travailler avec les acteurs uniquement sur les dialogues, ensuite on chorégraphiait les mouvements tout en incorporant les idées des acteurs et enfin on filmait. [Le directeur de la photographie, Jakub Bejnarowicz] a une façon très organique de travailler avec la lumière. Par ses mouvements de caméra et à la façon dont elle flotte à travers l’espace, il réussit à ce que chaque émotion qui transparait sur les visages de chaque acteur soit visible à l’écran. […] Il a tourné en prise de vue anamorphique, en format Super Widescreen et en Scope. Le film se joue sur trois niveaux temporels : en 2001 quand Caspar paraît en cour d’assises, en flashbacks pour les souvenirs de Caspar dans les années 80 et en 1944. On tenait à ce que ces scènes de 1944 aient de fortes résonnances contemporaines, c’est pourquoi nous les avons tournées en digital comme les scènes se passant en 2001. Il n’y a que les scènes des années 80 que nous avons tourné au format classique de 35mm ».

La mise en situation du procès et l’interprétation sont remarquables, notamment le duel oratoire au cours duquel s’opposent Richard Mattinger (joué par Heiner Lauterbach), représentant
 la position juridique formelle, qui ne jure que par la lettre de la loi, et son ancien étudiant et jeune avocat Caspar Leinen (joué par Elyas M’Barek), militant pour la justice. Des points de vue sur la philosophie du droit très différents d’autant que Mattinger a participé à l’appareil judiciaire allemand où évoluaient encore de nombreux nazis reconvertis comme Eduard Dreher, qui avec sa loi d’amnistie de 1968, offre un instrument juridique idéal qui coupe court à toute condamnation. « Suis-je aussi tout cela ? » demande Johanna, petite fille de Meyer et amie d’enfance de Caspar. « Tu es qui tu es », répond-il.

L’Affaire Collini met en lumière l’un des plus gros scandales de l’histoire judiciaire allemande et ouvre un espace de débats sur l’amnistie et les crimes de guerre. On peut citer plusieurs films qui approfondissent la réflexion sur ce sujet : Hannah Arendt de Margarethe Von Trotta, 2013 ; Le Labyrinthe du silence (Das Labyrinth des Schweigens) de Giulio Ricciarelli, 2015 ; Fritz Bauer de Lars Kraume, 2016, auxquels j’ajouterai également L’Œuvre sans auteur de Florian Henckel von Donnermark.
L’Affaire Collini de Marco Kreuzpaintner, film politique important et résolument pédagogique, se termine par ces phrases inscrites avant le générique de fin :
Pendant la Seconde Guerre mondiale, des centaines de milliers de civils ont été exécutés de façon arbitraire par les SS et la Wehrmacht en guise de “représailles”.
La loi Dreher a été votée en 1968 et à cause de cette loi d’innombrables crimes de guerre sont restés impunis.

L’Affaire Collini de Marco Kreuzpaintner est en salles le 27 avril 2022.

Ghost Song
Film de Nicolas Peduzzi (27 avril 2022)

Houston, Texas. Alexandra-Bloodbath, ex-cheffe de gang, Will et Nate, gosses de riches reniés, se débattent pour survivre dans une ville qui dévore les gens comme les rêves. Destins croisés ou chacun.e affronte ses angoisses et ses frustrations dans l’expectative imminente d’un ouragan. Ghost Song ou la promesse d’un nouvel élan de vie, entre musique, hallucinations et espoirs. Tout d’abord, il était prévu que les protagonistes se rencontrent, « mais pendant le montage, [raconte Nicolas Peduzzi] je me suis aperçu que cela aurait été artificiel et très probablement je n’aurais pas monté leur rencontre si j’avais pu la tourner. Ils vivent dans les mêmes mondes, le même périmètre, mais ne se croisent jamais. Les images récurrentes d’autoroutes représentent un peu cela pour moi. Elles symbolisent ces mondes parallèles dans une ville où règne une ségrégation moderne insidieuse et finalement assez artificielle, puisque tous mènent la même vie, chantent le même mal-être, souffrent des mêmes addictions et se sentent rejetés de la même manière. »

Le Third Ward est un quartier dans le centre de Houston où les maisons sont basses et donnent l’impression qu’on est à la campagne : «  c’est le quartier de Bloodbath et de Dj Screw, mais aussi de Beyoncé et de beaucoup d’autres musiciens talentueux. C’est aussi le quartier de George Floyd qui était l’oncle de Bloodbath. On ne le sait pas, mais George Floyd rappait pas mal avec Dj Screw, à l’époque. C’est un quartier assez bouillonnant. D’ailleurs Houston en général est une ville avec une scène culturelle très active, foisonnante de gens extraordinaires et d’artistes en tout genre. Il y a une scène qui mélange Punk et Hip Hop ».

Nicolas Peduzzi donne le ton d’entrée de jeu, il ouvre le film sur Alex-Bloodbath, ancienne cheffe de gang aux allures d’androgyne, évoluant sur la scène d’un strip club — corps dénudés, dollars, musiques — avec en crescendo les nouvelles de la menace de l’ouragan. Houston vit avec la menace perpétuelle d’un ouragan, l’alerte revient tous les deux ans. Les personnages semblent vivre une ambiance de fin de cycle comme une fatalité, les musiques, la bande son y participent, comme le montage du film pulsant les moments musicaux.
L’urgence omniprésente est sans doute à la base de cette créativité particulière de la ville et comme le précise Nicolas Peduzzi « Cinématographiquement, l’ouragan m’a aussi offert une structure, une ossature au film et accessoirement une conclusion. »
Ghost Song de Nicolas Peduzzi au cinéma le 27 avril 2022.

On peut rapprocher Ghost Song de plusieurs films récents ayant la démarche de montrer une autre facette des Etats-Unis, par exemple 17 Blocks de Davy Rothbart, Residue de Merawi Gerima ou encore Ham On Rye de Tyler Taormina.
Ham On Rye de Tyler Taormina sort en DVD le 3 mai. Le film décrit une petite ville ordinaire des Etats-Unis et un rituel adolescent. Les filles se parent de fanfreluches sous l’œil extasié et débile des parents et les garçons ne pensent qu’à jeter leur gourme… Des rôles distribués par avance et tout ce petit monde se retrouve traditionnellement chez Monty, le fast-food local, pour un sandwich Ham on Rye. Entre mal bouffe, appareils dentaires et rite de passage à l’âge adulte programmé, c’est aussi un autre regard sur les Etats-Unis…

Babysitter
Film de Mona Chokri (27 avril 2022)

En prélude, un match de MMA ou combat libre très violent, très en vogue aux Etats-Unis et au Canada, auquel assiste Cédric bien éméché venu en bande avec des potes et draguant sans retenue des bimbos dans le public. Les dialogues et le montage de gros plans sont très secoués. À la sortie, sans doute excité par l’alcool et les blagues de beaufs qui fusent, il bouscule une présentatrice télé en direct en lui disant « je t’aime Chantal » avec en bonus quelques slogans sexistes. L’incident est filmé faisant évidemment le tour des médias, déclenche des commentaires graveleux, est qualifié d’incitation à la violence contre les femmes et les like pleuvent. Parallèlement, Nadine, son épouse, est à bout, elle tourne en voiture dans le quartier pour tenter d’endormir leur bébé, manque de s’endormir au volant, s’arrête, mais sitôt les pleurs recommencent.

Le lendemain, gueule de bois, chaque personne croisée lance à Cédric un « je t’aime Chantal ». Son frère journaliste écrit un article contre la misogynie. Un homme, arrêté pour violence contre une femme, se défend en évoquant le geste de Cécric. Celui-ci est convoqué par Brigitte, sa cheffe — surnommée Bribitch (salope) — qui lui lit un florilège de propos sexistes et déplacés reçus par la direction. Cédric a beau se défendre et clamer qu’il n’avait aucune intention machiste, rien n’y fait, sa boss le renvoie de crainte que la blague virale n’entache l’image de la boîte. Son frère journaliste l’encourage à faire des excuses à la journaliste, et à entamer un travail sur lui-même, faire une analyse de sa misogynie. Écrire une longue lettre d’excuse à nos femmes, nos filles… Ah, mais nos, c’est encore misogyne…
« Que dira ma fille plus tard ? » se demande Éric qui ne sait plus trop où il en est, Lettre à ma fille, à Léa ? Et pourquoi pas un bouquin ? Ce serait thérapeutique d’écrire bouquin qu’il intitule d’emblée Sexist Story. Oui, mais écrire et s’occuper du bébé — parce que Nadine en a eu marre des pleurs du bébé, de l’introspection du mari et a préféré retourner au boulot —, donc gérer les deux n’est pas facile. D’où sa décision de publier une annonce pour embaucher une babysitter. Et celle qui se présente n’est pas ordinaire, dès qu’elle entre dans la maison, le bébé se calme et sourit.

Adaptée de la pièce de théâtre de Catherine Léger, « la comédie Babysitter plonge encore plus loin dans l’inconscient, le désir de dominer l’autre et la dérive du couple. » Ce couple de la classe moyenne, vivant dans une maison de banlieue uniformisée, ce n’est pas la petite maison dans la prairie, mais ça y ressemble en version contemporaine, ce couple donc s’ennuie dans son monde stéréotypé, hétéro-normatif, blanc, sans réflexion ni imagination. C’est Amy, la babysitter, qui va bousculer leur mode de vie, leurs normes, bref leur quotidien dans l’inconscience. Dès le début, Amy la mystérieuse fait montre d’un pouvoir, elle a été la première à répondre à l’annonce, elle est la seule à communiquer avec le bébé, à jouer en toute innocence avec les fantasmes de celles et ceux qui la côtoient, Nadine, Cédric et même le frère bien pensant.

Mona Chokri dit de son film que c’est « une comédie qui utilise les codes de l’horreur, c’est comme ça que j’ai conçu le film, et l’horreur vient des personnages féminins parce qu’ils sont puissants. C’est la puissance des femmes qui effraie. […] J’ai voulu faire un film sur le désir profond. » Amy parle une langue incompréhensible, c’est du finnois qui accentue encore le côté fantaisiste et féérique de la jeune fille. Nadine tombe évidemment sous son charme. Dans Babysitter, Amy joue un peu le rôle troublant et révélateur du séducteur étrange de Théorème de Pasolini. D’ailleurs, elle repart aussi comme elle est venue…

Babysitter est filmé en 35mm « tout simplement parce que j’aime cette texture d’image [explique Mona Chkri]. On peut faire de très belles choses avec le numérique je le conçois, mais, pour moi, rien ne bat le grain de la pellicule, et ce n’est pas anodin si des réalisateurs comme Paul Thomas Anderson ou Xavier Dolan tournent leurs films en pellicule. C’est une question d’œil et de goût. Josée Deshaies, la directrice de la photo, a beaucoup tourné en pellicule, et puisqu’il y avait beaucoup de scènes nocturnes dans le film, on avait envie de passer au 35mm aussi, pour que ce soit plus facile à manœuvrer. »
Babysitter de Mona Chokri est une comédie enlevée, qui ne se prive pas pour autant de réflexion critique, l’ironie ça décape…
Babysitter au cinéma le 27 avril.

Les Aventures d’Ebenezer Void
de Jean-François Roux (éditions Douro)

Lecture par Sandrine Malika Charlemagne

Sentinelle Sud
Film de Mathieu Gérault (27 avril 2022)

Ambitieux premier long-métrage de Mathieu Gérault, Sentinelle Sud s’ouvre sur les flashs stroboscopiques d’une existence saccadée, celle de Christian Lafayette (campé par Niels Schneider), soldat de retour d’Afghanistan après une embuscade, qui a décimé son régiment dans des circonstances non élucidées. Très marqué par ce qu’il a vécu, déraciné également par une brusque réinsertion dans la vie civile, il s’efforce de reprendre une vie normale et travaille dans un supermarché, mais les événements le rattrapent. Son témoignage est requis dans l’enquête militaire menée sur l’embuscade, et à laquelle il a échappé avec deux de ses camarades, mais dont tous gardent des marques indélébiles, Mounir reste handicapé, Henri est soigné en HP et lui, déchiré intérieurement, tente vainement de se reconstruire.

Sentinelle Sud est un film noir, un polar politique sur fond de trafic de drogue et d’influences où l’armée est mouillée. Ce qui est très bien rendu dans le film, c’est le caractère traumatique de la guerre, qu’on ne voit à aucun moment, mais qui a laissé les traces des violences pratiquées et subies, et est présente à chaque instant dans le comportement des anciens engagés. Se reconstruire semble impossible si l’on considère la condition des trois rescapés, même Christian, sans blessure visible, est marqué par son expérience et son impression d’être relégué dans la vie civile. Le rapport à la hiérarchie militaire, l’influence malsaine utilisée pour diriger des hommes paumés, crée un lien paternel factice de domination dont use leur commandant, formidablement interprété par Denis Lavant. Manipulation, mépris et magouilles militaires face à trois hommes traumatisés par les horreurs perpétrées, activement ou comme témoins, ils sont finalement considérés comme des pions dans le jeu du commandant.

Dans cette ambiance glauque de guerre qui ne s’arrête pas dans la tête des trois rescapés, la mafia s’en mêle puisque Mounir (Sofian Khammes) tente de dealer et de l’escroquer pour s’en tirer. Il faut souligner que le côté brut des images participe aussi à cette ambiance. Dans la situation qui s’emballe, l’amitié qui lie Christian à Mounir et à Henri, l’oblige à sortir de sa réserve, révélant aussi le syndrome subi et le plaçant dans une logique d’entraide dangereuse, au même titre que les deux autres. C’est aussi le moment où il analyse la situation et ses conséquences, du coup, il voit clair dans les intentions de la mafia, de même que dans le jeu de l’armée, le commandant voulant se dédouaner de sa responsabilité dans la tuerie en faisant porter le chapeau à Henri, toujours en hôpital psychiatrique.

Dans Sentinelle Sud, les thématiques, à la fois complexes et spécifiques, sont abordées à travers le prisme du contexte des interventions militaires aujourd’hui. La rage latente de Christian, les séquelles de ce qu’il a subi, le sentiment d’avoir été un objet dans un deal dont il ignorait tout, ce qu’il en déduit, et le combat qu’il entreprend pour ses amis, tout cela participe des retournements et du suspens jusqu’au dénouement. Seul moment de tendresse et peut-être d’espoir, la relation de Christian et de l’infirmière qui soigne Henri.

L’enfer de la guerre et l’horreur d’être de la « chair à canons »…
Sentinelle Sud de Mathieu Gérault au cinéma le 27 avril 2022.

La Colline où rugissent les lionnes
Film de Luana Bajrami (27 avril 2022)

C’est l’histoire de trois amies ayant grandi dans un village où règnent l’ignorance et l’ennui, et qui décident de s’en sortir ensemble, et malgré tout. Le film est porté par ces trois figures rebelles face à l’injustice de leur condition, trois révoltes qui se conjuguent contre une société fermée, qui leur retire toute possibilité de construire quelque chose, de s’en sortir, avec en prime, l’arbitraire sans aucune explication. Seulement se soumettre : pas de carotte, juste le bâton. Et puis il y a Lena, qui vit en France et visite sa grand-mère pour les vacances, elle lit Zola et représente pour les rebelles un ailleurs idéal, mais en fait c’est illusoire.

Quelque part au Kosovo, dans un village isolé, sur une colline les trois jeunes filles concluent un pacte : « et si on devenait un gang ? », elles seront des lionnes, rugiront et seront hors la loi puisque c’est la seule manière de s’affirmer, d’avoir l’impression d’exister, de rêver, d’accéder à autre chose. Quête de soi, quête de l’autre, quête du bien, quête d’ailleurs, autour du désir irrépressible d’émancipation avec cette rage de rompre les liens, de s’échapper.

Un thème universel et intemporel pour la réalisatrice : « Ce film [dit-elle], je l’ai voulu brut. J’ai cherché à capter cette impulsion. Néanmoins j’ai voulu laisser la place aux filles d’évoluer. J’ai voulu des cadres d’abord très larges, très posés, avant qu’on accède peu à peu à l’intimité des filles, à leur tanière. Quelque chose de précis, découpé sec : leur imposer un cadre visuel qui amplifiait leur agitation. Ainsi, c’était un moyen de les enfermer, les filles étaient prisonnières de ce cadre, comme elles le sont du pays : des lionnes en cage. J’ai réservé la dynamique que peuvent conférer les prises de vue à l’épaule pour les scènes en famille que je voulais très violentes. Quelques plans fixes très composés, presque chorégraphiés que j’ai nommé des tableaux viennent ponctuer le récit. »
La colline tient un rôle important, c’est un personnage à part entière, c’est le lieu qui les révèle et les apaise, elles s’y sentent elles-mêmes sans restrictions et sans entraves.
Un premier film original qui laisse entrevoir un potentiel de réalisation prometteur et un titre magnifique :
La Colline où rugissent les lionnes de Luana Bajrami au cinéma 27 avril.

SAMEDI 30 AVRIL À 20h au MUSÉE DES CONFLUENCES (LYON)
A SENSE OF JOURNEY

En 1990, Tony Hymas marquait, avec l’album Oyaté, le commencement d’une relation avec les voix expressives des nations indiennes d’Amérique du Nord, dont celle de Barney Bush auteur et activiste shawnee, avec qui il réalisera les doubles albums Remake of the American Dream et Left for Dead. Il ne s’agit pas là du passé, mais des réalités indiennes contemporaines, puisque y sont associés des résistants comme Leonard Peltier ou Leroy Jackson. Les textes de Barney Bush disparu le 18 septembre dernier, seront dits par l’écrivain cheyenne Lance Henson, avec Tony Hymas au piano, Catherine Delaunay à la clarinette et Mitch Walking Elk au chant. Il y aura également la projection des photographies du livre Sur la piste de Big Foot de Guy Le Querrec avec le récit de Jean Rochard dit par Anna Alvaro.
Tony Hymas, Lance Henson, Mitch Walking Elk, Catherine Delaunay, Anne Alvaro le 30 avril au musée des Confluences à Lyon à 20h
Réservations 01 42 01 25 12


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