Chroniques rebelles
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Samedi 7 mai 2022
L’An prochain la révolution Les communistes juifs immigrés dans la tourmente stalinienne de Maurice Rajsfus. Mœurs. De la gauche cannibale à la droite vandale d’Alain Deneault. Kel Awal. Au nom de ceux qui parlent de Louis Mallié. Freedom Theatre de Jénine en Palestine : Et ici je suis de Hassan Abdulrazzak. Un visa pour la liberté de Ayse Toprak. Utama. La terre oubliée d’Alejandro Loayza Grisi. Karnawal de Juan Pablo Félix. The Duke Un film de Roger Michell. Junk Head de Takahide Hori. Une Vie Parallèles. de Xanaé Bove. Théâtre avec la compagnie MKCD
Article mis en ligne le 8 mai 2022
dernière modification le 9 mai 2022

par CP

L’An prochain la révolution
Les communistes juifs immigrés dans la tourmente stalinienne

Maurice Rajsfus (éditions du Détour)

Mœurs
De la gauche cannibale à la droite vandale

Alain Deneault (LUX éditions)

Kel Awal
Au nom de ceux qui parlent

Louis Mallié (éditions du crabe)

Exposition : Berlin, nos années 20
à Beaubourg, centre Pompidou du 11 mai au 3 juillet.

Théâtre avec une tournée en France du Freedom Theatre de Jénine
en Palestine : Et ici je suis de Hassan Abdulrazzak dans une mise en scène de Zoe Lafferty, interprétée par Ahmed Tobasi

Un visa pour la liberté
Un film de Ayse Toprak (11 mai 2022)

Utama
La terre oubliée

Un film d’Alejandro Loayza Grisi (11 mai 2022)

Karnawal
Un film de Juan Pablo Félix (11 mai 2022)

The Duke
Un film de Roger Michell (11 mai 2022)

Junk Head
Un film de Takahide Hori (11 mai 2022)

Conversation avec Francis Gavelle

Une Vie Parallèles
Un film documentaire de Xanaé Bove

Entretien avec la réalisatrice

Théâtre avec la compagnie MKCD

L’An prochain la révolution
Les communistes juifs immigrés dans la tourmente stalinienne

Maurice Rajsfus (éditions du Détour)

Dès la fin du XIXe siècle, des hommes et des femmes arrivent en France fuyant les pogroms contre les populations juives, la misère, les persécutions politiques. Des militant.es, des ouvriers, des ouvrières, des artisans ou des intellectuel.les, dont beaucoup vont rejoindre le parti communiste français.
Ce livre de Maurice Rajsfus est le récit, sur quinze années, de luttes, de révoltes contre l’exploitation, puis contre la barbarie fasciste. Du début des années 1930 à l’immédiat après-Seconde Guerre mondiale, en passant par le Front populaire, la révolution espagnole, la guerre contre le franquisme, et la Résistance contre le nazisme, ces exilé.es d’Europe centrale ont participé à tous les combats.
En s’appuyant sur de nombreux témoignages et documents, Maurice Rajsfus raconte les parcours de militants et de militantes révolutionnaires, il rapporte les réactions de militants aux « procès » politiques : « Vous me demandez de croire tout ce qui se décide en haut lieu, même si vous et moi ne comprenons pas les raisons de telle ou telle décision. Vous me demandez de le faire au nom d’un idéal élevé mais qui paraît sombre et terrifiant. Mon grand-père, lui aussi, prêchait une foi aveugle mais encore un merveilleux au-delà. Je n’ai pas obéi à mon grand-père. Je voulais comprendre, réaliser le sens et le contenu du monde ; alors, comment pourrais-je accepter une autre foi aveugle ? » Dans L’An prochain la révolution est analysé aussi le rôle du Gépéou à partir de 1937 et ses liquidations sommaires, interrogés également les ambiguïtés du PCF, parfois méfiant à l’égard de ces combattant.es venu.es d’ailleurs…
Dénoncé par un voisin flic, qui d’ailleurs se revendiquera communiste à la fin de la guerre, il échappe avec sa sœur à la déportation au moment de la rafle du Vél’ d’Hiv, grâce à la lucidité de sa mère. Il a quatorze ans et ne reverra plus ses parents. Historien de la répression policière et militant antiautoritaire, Maurice Rajsfus (1928-2020) est l’auteur de plus de 60 ouvrages, que les éditions du Détour republient, enrichis de nouvelles préfaces. Sont publiés depuis 2020 : Des Juifs dans la Collaboration : L’Ugif (1941-1944), La Police de Vichy, La Rafle du Vel’ div, Drancy : Un camp de concentration très ordinaire, Opération étoile jaune, Paris, 1942 – Chroniques d’un survivant.

À ces publications, j’ajoute les ouvrages de Maurice Rajsfus publiés par les éditions du Monde Libertaire, notamment un livre d’actualité qu’il avait présenté dans les chroniques rebelles de Radio Libertaire :
France d’en haut. France d’en bas.
Les dominés seront-ils toujours soumis ?

Maurice Rajsfus (Éditions du Monde Libertaire)
La conscience de notre propre soumission à un système fondé sur la domination, ouvre naturellement la voie à la révolte. Les rapports complexes entre dominants et dominés, dans tous les domaines de la vie sociale, s’ils sont ici minutieusement décryptés, n’ont pas à être admis comme une fatalité. Il s’agit, au contraire, de porter sur cet éternel travers de nos sociétés un regard lucide, afin d’être en capacité de le subvertir et transformer le monde.
Mêlant l’analyse et les anecdotes, cet ouvrage est le dernier volet d’une série commencée avec À vos ordres ? Jamais plus ! et L’Intelligence du barbare. Pour ce dernier opus d’une trilogie parue aux éditions du Monde Libertaire, France d’en haut, France d’en bas. Les dominés seront-ils toujours soumis ? Maurice Rajfus revient sur l’analyse du processus d’un système qui génère aliénation, inégalités et individualisme, à l’inverse de ce que l’on peut lire aux frontons des bâtiments officiels de la République française : « liberté, égalité, fraternité ». Une remarque au passage, les femmes sont exclues par le terme « fraternité ». Et si finalement on adopte la formule « liberté, égalité, solidarité », par exemple, on s’aperçoit rapidement de l’inexistence, dans les faits, de ces termes voués à une virtualité décorative dans les rapports humains et la pratique d’une société de plus en plus installée, et même confinée dans le chacun ou le chacune pour soi. C’était la présentation de 2011 (je le dis sans ironie). La France d’en haut, les dominants, les gagnants méprisent, exploitent et écrasent la France d’en bas, en conscience d’être toujours « dans le sens de l’histoire », une France d’en haut encouragée dans ses certitudes par ceux et celles qui la courtisent, de même qu’elle est encensée par les outils efficaces et élaborés que sont la télévision et autres médias de masse. La question qui découle de ce constat est : qui collabore activement ou passivement, consciemment ou inconsciemment, au processus ? Le respect de la hiérarchie est ancré dans les mentalités de la « douce France », comme d’ailleurs l’allégeance au pouvoir, à toute forme de pouvoir. « Certes, [écrit Maurice Rajsfus] le servage n’existe plus mais la dépendance morale est de plus en plus forte. » D’où l’interrogation — dans le titre de l’ouvrage — Les dominés seront-ils toujours soumis ?
L’An prochain la révolution. Les communistes juifs immigrés dans la tourmente stalinienne de Maurice Rajsfus (éditions du Détour)
Et France d’en haut. France d’en bas. Les dominés seront-ils toujours soumis ? Maurice Rajsfus aux Éditions du Monde Libertaire.

Mœurs
De la gauche cannibale à la droite vandale

Alain Deneault (LUX éditions)

« Ce n’est pas renvoyer dos à dos progressistes et conservateurs que de repérer chez eux une même crise qui les traverse. Nulle symétrie inversée ici, mais une pensée visant à faire valoir que les conditions de possibilité des mœurs, d’un monde commun, d’habitudes partagées, se trouvent aujourd’hui entamées. Voilà ce dont témoigne la multiplication des querelles identitaires et morales qui, trop souvent, instrumentalisent les idées au lieu de les exprimer et de les penser. »

On ne saurait mieux le dire qu’Alain Deneault, qui poursuit avec ce nouvel essai les réflexions entamées dans La médiocratie, quant aux effets délétères de la technocratie capitaliste et de l’individualisme sur l’esprit public. Alain Deneault invite donc à rompre avec la dynamique des querelles identitaires où chacun.e se rapporte à sa conscience comme à un bâton pour frapper l’autre. Il déplore la dégradation en clichés de catégories pourtant importantes — privilège, racisme systémique, censure, fascisme — tout en portant un regard critique sur une droite conservatrice qui défend bec et ongles la liberté d’expression pour les seuls discours qui lui conviennent.
S’interrogeant sur la difficulté de concevoir l’émancipation là où dominent les usages opportunistes de la parole, Alain Deneault rappelle l’importance des enjeux sur lesquels portent ces débats : le commun, l’égalité, la culture, la critique du capital et la suite du monde.
« Lorsque nos débats deviennent des combats, ils versent dans le moralisme, l’agitation et l’intoxication », écrit-il dans son nouvel essai qui sort en France le 19 mai, Mœurs. De la gauche cannibale à la droite vandale.

Kel Awal
Au nom de ceux qui parlent

Louis Mallié (éditions du crabe)

L’année dernière, Louis Mallié est venu dans les chroniques pour présenter Un Homme de plus…Une pièce pour une voix, écrite, mise en scène et interprétée par lui-même sur la scène de la Manufacture des Abbesses. Cette année, il nous présente son premier roman :
Kel Awal
Au nom de ceux qui parlent
(éditions du crabe)
À la fois conte philosophie et poème dédié au désert, Kel Awal met en scène le voyage d’hommes avides de voir le monde caché derrière l’éternelle répétition de la tradition et des prières.
La vie d’une tribu de Touaregs suit son cours, lorsqu’un avion, tombé dans le désert, fait se rencontrer les étrangers et les nomades. De cet échange naît chez certains une envie nouvelle : partir...

Exposition : Berlin, nos années 20
à Beaubourg, centre Pompidou du 11 mai au 3 juillet.

Le Centre Pompidou à l’heure berlinoise, pour une rencontre avec la métropole cosmopolite qu’était, et qu’est encore Berlin, au cœur d’une Europe traversée par les crises, mais également par les créations de nombreux artistes. Berlin est un carrefour où se croisent les enjeux géopolitiques et les nouvelles formes de la création. Berlin, nos années 20 est une invitation à interroger ce qui fait battre le cœur de Berlin en ces années 1920 et jusqu’à aujourd’hui. En invitant de grandes voix à raconter « leur  » Berlin, en conviant la Berlinale à prendre ses quartiers à Paris pour une édition spéciale du grand festival de cinéma, le Centre Pompidou, la Bpi et l’Ircam invitent le public à regarder le monde depuis cette ville hors-normes.
Berlin, nos années 20
à Beaubourg, centre Pompidou, du 11 mai au 3 juillet.

Théâtre avec une tournée en France du Freedom Theatre de Jénine
en Palestine : Et ici je suis de Hassan Abdulrazzak dans une mise en scène de Zoe Lafferty, interprétée par Ahmed Tobasi

Le Freedom Theatre naît d’une rencontre entre Arna Mer Khamis, activiste engagée antisioniste, et d’enfants palestiniens du camp de Jénine. Elle meurt en 1995 et, après l’attaque israélienne qui a détruit le camp de réfugié.es en 2002, son fils Juliano Mer Khamis, comédien de théâtre et de cinéma, reprend le flambeau avec quelques survivant.es du Théâtre des pierres qu’elle avait initié pendant la première Intifada, en 1987.
Depuis 2006, le Freedom theatre est un lieu de production et d’éducation artistique et culturelle intense : 30 pièces de théâtre produites, une école de théâtre, un programme enfants et jeunes, des tournées dans de nombreux pays, en dépit de la répression permanente de l’occupation militaire israélienne.
En France, plusieurs tournées ont été organisées par les Amis du Théâtre de la Liberté de Jénine (ATL Jénine / 2008, 2011, 2015-2016, 2018, 2019) et ont donné à voir les productions du Freedom Theatre dans plusieurs villes. Ce sera le cas cette année avec Et Ici Je Suis.

L’histoire commence en Palestine, où un jeune Palestinien grandit sous l’occupation au camp de réfugié.es de Jénine. Mêlant les faits et l’imaginaire, Ahmed Tobasi raconte sur un mode tragicomique le parcours qui conduit le combattant de la résistance armée à devenir un acteur de la résistance culturelle. Son voyage de réfugié va de la Cisjordanie en Norvège, puis retour en Palestine.

Un visa pour la liberté
Un film de Ayse Toprak (11 mai 2022)

Un visa pour la liberté porte une réflexion sur un sujet peu évoqué dans le contexte de la situation syrienne et de l’exil forcé d’une large part de la population. Le documentaire, filmé entre la Turquie et l’Allemagne, suit deux réfugiés syriens, Hussein, 24 ans, vit en Turquie avec ses parents, sa femme et sa petite fille, et Mahmoud est le créateur du mouvement LGBT syrien exilé en Allemagne. Tous deux sont gays et c’est aussi l’une des raisons du départ de Hussein, en dehors de la guerre, marié de force, mais très attaché à sa petite fille. Il est en attente de visa. Une opportunité se présente à eux, participer au concours de beauté Mr Gay World en Europe afin de sensibiliser l’opinion internationale aux problèmes des personnes LGBT en Syrie. Mais il lui faut pour cela à Hussein obtenir un visa. Un visa pour la liberté de ne plus se cacher, de ne pas être condamné, de pouvoir faire son coming out, impossible à imaginer dans le contexte actuel. Pour Hussein, c’est aussi l’espoir de se réfugier en Europe. Pour Mahmoud, c’est l’ambition de rendre visible le combat qu’il mène pour les droits des homosexuels du Moyen-Orient et lancer sa campagne en faveur des réfugiés gay.

Réaliser un film documentaire sur un sujet tabou est au cœur de la démarche de Ayse Toprak, qui s’interroge sur les possibles répercussions du cinéma sur la société. Si les films abordent des sujets dissimulés, écartés, ostracisés ou condamnés, est-il possible qu’un débat, une réflexion s’engage au niveau d’une société ? Dans tous les cas, c’est un moyen de lutter contre les apriori et les préjudices.

C’est dans ce cadre que la réalisatrice est convaincue que le cinéma a un rôle à jouer, d’où sa démarche de raconter les histoires de personnages qu’elle sent avoir une façon différente d’appréhender la vie, chacun.e à sa manière propre et vraiment unique. « Ce film [dit-elle] est en résonance avec mon combat pour un monde meilleur. Je suis convaincue que la construction d’une meilleure société ne consiste pas uniquement à se battre pour ses propres droits, mais aussi ceux des autres. Je suis tout à fait consciente que ce film parle d’un problème spécifique dans le cadre d’un conflit bien plus large. » Mais en partant de cas personnels — ceux d’Hussein et de Mahmoud —, on dépasse bien évidemment le personnel pour atteindre une réflexion universelle : le droit des personnes.
Un visa pour la liberté de Ayse Toprak est en salles le 11 mai.

Utama
La terre oubliée

Un film d’Alejandro Loayza Grisi (11 mai 2022)

Un couple âgé d’indiens quechuas vit depuis toujours dans une partie aride et désertée de la Bolivie et élève des lamas. Leurs gestes semblent immuables, l’homme s’occupant du troupeau, la femme ayant en charge la maison et la collecte d’eau nécessaire à leurs besoins. Cependant la pluie se fait attendre, la pénurie d’eau menace la population de la région, les puits sont à sec et, comme les humains, les troupeaux de lamas souffrent du manque d’eau et de nourriture à brouter. Aux décors à couper le souffle (filmés par Barbara Alvarez), accompagnés par une bande son à la fois présente et épurée, composée de musiques traditionnelles et d’une langue ancestrale parlée par le couple avec parcimonie et pour l’essentiel, s’ajoute la vision extraordinaire du troupeau de lamas avec de jolis brins de laine fuchsia à l’oreille, qui apparaît dans la chaleur, une vague d’images vibrantes ou floutées par la réverbération que renvoie le sol. Merveilleux !
Utama, la terre oubliée raconte une tragédie irréversible, conséquence du changement climatique et de l’attente désespérée de la pluie. Chaleur et sécheresse : les bêtes meurent. Auparavant, c’était déjà dur d’aller jusqu’au village pour rapporter de l’eau, mais lorsque le puits est soudain asséché, il faut aller plus loin chercher l’eau, jusqu’à la rivière.

Interprété.es par des non professionnel.les, Virginio et sa femme Sisa, un couple octogénaire, pourtant accoutumé.es à la rudesse de leur existence dans un environnement certes impressionnant, mais hostile, doivent affronter la sécheresse et l’exil d’une grande partie de la population pour une question de survie, beaucoup parmi leurs voisins se découragent et partent. Pour les Indiens Quechuas, l’être humain et la nature ne font qu’un. Mais sur l’altiplano bolivien, dans l’immensité désertique encadrée au loin par les montagnes andines, l’austérité devient d’une rare et insupportable intensité. De plus, Virginio a de graves problèmes respiratoires, mais il le dissimule pour éluder l’idée même de quitter cette terre où il a vécu.
Lorsque leur petit fils, Clever, vient leur rendre visite et les incite à s’installer en ville, Virginio refuse catégoriquement. « Il est peut-être temps de venir avec nous » insiste Clever, qui a surpris la toux persistante de son grand-père. « Non, on est bien ici », répond ce dernier. La tension monte entre les deux hommes.
« — Depuis combien de temps tu tousses ainsi ?
— C’est rien. Occupe-toi de ta vie.
 »
Clever fait venir un médecin qui confirme la gravité l’état de son grand-père. Mais Virginio ne veut rien entendre et refuse d’aller à l’hôpital, s’il doit mourir, ce sera sur sa terre. Les gens partent de plus en plus, les maisons sont abandonnées… « L’histoire d’amour [explique le réalisateur] que je souhaitais porter à l’écran s’est nourrie d’un contexte social et environnemental beaucoup plus large qui me permettait d’aborder des questions liées à mon pays et à l’impact du changement climatique qui me préoccupent. Ces questions semblent très loin de nous, alors qu’elles sont terriblement proches et que nous y sommes confrontés dans de nombreuses régions du monde : l’abandon de la langue et de la culture, la migration forcée des populations rurales, les conflits intergénérationnels entre préservation des traditions et volonté d’assimilation.
Raconter une histoire qui épouse le point de vue de ces gens, qui sont très proches de nous, mais qui vivent encore à la campagne et souffrent terriblement en constatant que leur mode de vie est en train de disparaître, est vital pour comprendre le lourd tribut que le changement climatique inflige à l’espèce humaine.
 »

Virginio conduit chaque jour son troupeau. Clever ramène de l’eau et des médicaments, son grand-père les prend mais les jette dans le désert. Il y a alors cette scène extraordinaire, mythique : la rencontre avec le condor, d’abord l’ombre d’une aile étendue qui apparaît dans un coin de l’image, puis l’oiseau se pose face à l’homme, ils se regardent intensément. Le condor est un animal sacré en Bolivie, dit le réalisateur : « c’est le protecteur de la montagne et il incarne la source de vie, à l’image du dégel qui, chaque année, redonne vie à la nature environnante. Il est également associé à l’immortalité et au changement de cycle. Étant donné qu’il revient dans son nid perché en haut de la montagne pour mourir, on considère qu’il s’agit d’une mort symbolique et non réelle. C’est pour cela que le condor est aussi important aux yeux de Virginio qui est conscient qu’il est temps, pour lui et Sisa, d’entamer un nouveau cycle. D’autre part, le condor est une espèce en voie de disparition. C’est donc une métaphore de ce qui est en train de se passer dans la montagne : avec le dégel qui tend à s’accélérer, le cycle de la nature est, lui aussi, menacé d’extinction. Si le condor meurt, il n’y aura plus de renouvellement du cycle, il n’y aura plus de protecteur de la montagne, et il n’y aura plus de vie dans la montagne. Cela peut sembler apocalyptique, mais c’est la réalité. »

Virginio donne alors à Clever une boîte contenant des photos, la mémoire de la famille, et des pierres ramassées lors de ses marches avec le troupeau, il y a même quelques pépites. Il a rencontré le condor et sait qu’il va mourir. C’est un geste de transmission, de passation… La symbolique des pierres ramassées depuis des années dans le désert, Clever la comprend.
Utama. La terre oubliée est un premier film magnifique et très onirique. Un conte de la vie et de la mort, de la transmission : un chef-d’œuvre.
Utama. La terre oubliée d’Alejandro Loayza Grisi est à voir au cinéma le 11 mai.

Karnawal
Un film de Juan Pablo Félix (11 mai 2022)

Au départ, il y a la danse, le malambo, une danse traditionnelle des gauchos, deuxième danse nationale en Argentine après le tango, qui est la passion de Cabra, adolescent en rupture avec son milieu familial, la mère est désemparée, le beau-père se heurte à un mur de silence hostile. Une seule chose compte pour Cabra, la compétition qu’il prépare avec passion dans le cadre du carnaval andin, à la frontière entre l’Argentine et la Bolivie. La frontière en effet est proche, source de différents trafics.

Au début du film, Cabra se lie avec des délinquants et passe une arme pour acquérir les bottes qu’il désire pour la compétition de malambo. Deux jours avant celle-ci, le père de Cabra sort de prison. El Corto (interprété par Alfredo Garcia) s’oppose à la passion de son fils pour cette danse traditionnelle et surtout il ne tient pas à établir un lien émotionnel avec Cabra, ni d’ailleurs avec son ex-femme.

Il est difficile de définir le genre du film, comme le dit Juan Pablo Félix, c’est un road movie du fait de la frontière, un western, un thriller, un drame familial et la poursuite de son émancipation pour Cabra : « la structure narrative est ancrée et soutenue par les motivations des personnages. Ce sont eux qui font avancer l’intrigue. » La fusion des genres est une des caractéristiques du film et en fait son intérêt.
Martin Lopez Lacci incarne à merveille Cabra, taciturne et traduisant sa révolte par la danse, l’expression intense du corps pour s’éloigner comme il le peut des adultes qui régissent sa vie. C’est par son mutisme d’abord qu’il exprime et ensuite par la démonstration magnifique de danse qu’il donne à la fin. La passion et la rage de se libérer par le malambo.

Karnawal de Juan Pablo Félix, un film très original, à voir au cinéma le 11 mai.

The Duke
Un film de Roger Michell (11 mai 2022)

Nous voilà transporté.es en 1961 dans une histoire de résistance à l’État des plus farfelues et des plus réjouissantes. En 1961, Kempton Bunton, un chauffeur de taxi sexagénaire, s’oppose ouvertement au paiement de la redevance télé, il se rend au parlement pour dénoncer le racket de l’État et bien sûr se fait renvoyer sans ménagement avec sa banderole. Mais peu importe, optimiste et activiste, Kempton Bunton (génialement interprété par Jim Broadbent) ne lâche rien. « Nous avons besoin de gens comme lui [commente Le réalisateur], qui mettent toujours des bâtons dans les roues des autorités et remettent en question tout ce qu’on leur ordonne d’accepter. »

Auteur également de textes et de pièces sur tous les sujets dont il ne peut guère parler à la maison, les manuscrits lui sont régulièrement renvoyées et s’entassent dans une pièce de la maison, son antre en quelque sorte. Il faut dire que sa compagne (incarnée non moins génialement par Helen Mirren) a du mal à supporter l’attitude de son rêveur d’époux, qui n’a en fait pour le soutenir que ses convictions et son fils. Mother est le problème aux projets de son mari, c’est la pragmatique, qui ne s’en laisse pas conter et a les deux pieds sur terre : les extravagances de son époux ne permettent pas de payer les factures.
C’est alors que germe le plus incroyable projet de Kempton pour attirer l’attention qu’on lui refuse : voler à la National Gallery de Londres le portrait du Duc de Wellington peint par Goya.
 Une récente et très médiatisée acquisition faite grâce à l’argent du peuple ! Il y a donc une logique dans la subtilisation du portrait, qui, une fois réussie, est planqué près des manuscrits refusés. Kempton se lance dans l’envoi de notes de rançon, menaçant
de ne rendre le tableau qu’à la condition que le gouvernement accorde la gratuité de l’accès à la télévision nationale pour les personnes âgées. Toute la police est sur les dents, élaborant des plans extraordinaires pour pister les malfaiteurs, certainement une bande internationale de mafieux aguerris dans le commerce de l’art. Kempton poursuit son plan d’envoi de missives anonymes, tout en remarquant que le portrait, finalement, n’est pas si terrible que ça. Dans les médias, le vol du portrait du Duc de Wellington fait naître les hypothèses les plus improbables et même des relents de nationalisme. Côté politiciens, c’est pareil ! D’ailleurs qui imaginerait que l’auteur de ce vol rocambolesque est un retraité, auteur à ses heures, et soucieux de ses droits de citoyen et de ses principes ?

The Duke raconte l’histoire véridique de Kempton Bunton, recherché par toutes les polices de Grande Bretagne, pour avoir accompli le premier — et unique — vol
 dans l’histoire de la National Gallery. Finalement arrêté et le portrait remis à sa place, l’affaire met l’establishment dans l’embarras. Non seulement une œuvre d’art a pu être dérobée sans grande difficulté au musée national, mais de surcroît l’auteur des faits est un citoyen ordinaire qui aurait agi exclusivement par altruisme. Alors là, c’est le comble !
Kempton, en bon orateur, n’abandonne pas son idée de départ et se sert du procès comme un tremplin pour enfin exposer sa revendication. Il est aidé en cela par son avocat totalement conquis par la personnalité de son client. S’ensuivent des séquences de procès avec de savoureux dialogues. Depuis le banc des accusés, Kempton s’exprime devant un auditoire étonné et amusé — les discours sont extraits des transcriptions originales — et la popularité du nouveau Robin des bois grandit tant du côté du public que de celui des médias, et puis il met le jury dans sa poche. La presse et le public sont donc de son côté.
The Duke de Roger Michell est une véritable délectation d’humour britannique. À voir absolument à partir du 11 mai.

Junk Head
Un film de Takahide Hori (11 mai 2022)

Conversation avec Francis Gavelle

« À mon sens, l’élément le plus important d’un film est la vision du monde qu’il propose, puis ses personnages, puis son récit. La science fiction est un genre qui permet de s’amuser à créer une réalité alternative, et cette réalité, cette vision du monde est la clé de l’œuvre. » Voilà une mise au point du réalisateur de Junk Head qui met dans l’ambiance de son film, une fable fantastique, une quête d’humanité dans un monde qui l’a perdue à force d’être robotisé, aseptisé, où la cybernétique tient lieu de mode de vie, et où les manipulations génétiques occupent une telle place que la population, quasi divine, a même oublié les moyens de se reproduire…

Vision du sommet de la pyramide sociale où l’on s’inquiète, déjà que la nature semble avoir disparu, alors on envoie en mission un volontaire dans les strates inférieures de la pyramide pour enquêter sur les modes de vie du peuple d’en bas. La capsule de l’humain divin s’écrase au milieu du monde des abîmes habités par des clones humains… Commence alors une suite d’aventures et de transformations pour Parton devenu Junk Head…

La réalisation du film a duré sept ans, un projet fou de construction de décors, de fabrication de figurines, de milliers de prises de vues… et l’œuvre d’un type tout seul, surprenante, fascinante et originale.
Un film d’animation à tel point étonnant que nous avons décidé d’en discuter avec Francis Gavelle de l’émission Longtemps je me suis couché de bonne heure de Radio Libertaire :
Junk Head de Takahide Hori en salles le 11 mai.
Illustrations musicales de la bande originale du film A plein temps.

Une Vie Parallèles
Un film documentaire de Xanaé Bove

Entretien avec la réalisatrice

Xanaé tu es venue dans les chroniques nous parler de ton projet et voilà donc le film réalisé. L’underground français, la politique à travers ses librairies : publications subversives, marginales, fanzines, cassettes, etc. Un film comme une balade dans le temps des idées, des mouvements, vue à travers l’envie de savoir, de regarder, de lire et d’écouter autrement… de rencontrer l’autre. Une expression libre des codes.
Depuis 1972, la librairie Parallèles s’est faite l’écho de plusieurs générations de créations diverses.
 Elle est le fil conducteur d’une fresque de la contre-culture française, depuis la fin des années 1950 avec les premières librairies engagées jusqu’à aujourd’hui, héritières d’un état d’esprit libertaire.

Théâtre avec la compagnie MKCD

Une troupe de 8 personnes, une idée de création ensemble… Du spectacle de rue… Rencontre avec Matthias Claeys, Narimane Leroux, Kevin Dez, Clément Ballet et Odila Caminos.
À suivre… C’est certain.

Des révoltes est pensé comme un cycle de trois spectacles, dont l’action détaille à chaque fois le commencement d’une grève, d’une révolte, d’une action, menées par des personnes qui ne sont pas nécessairement des militantes aguerries. Inspirées des mouvements sociaux récents et anciens, de plus ou moins grande portée, ces fictions où les gens parlent comme on parle dans la vie, où on refuse de mettre des majuscules à littérature et à histoire, sont faites pour être jouées en extérieur.

Parking est une pièce de théâtre jouée en extérieur. Une fresque sociale, qui met en scène 17 personnages, dont certain·es travaillent à l’hypermarché du coin, et qui tous et toutes doivent réagir face aux pressions quotidiennes. Ce sont des histoires, qui lient des drames intimes à des engouements collectifs, des joies particulières à des défis communs, des histoires qui s’entremêlent et finissent par en former une grande. Ça parle de solitude, de solidarité, de peur... et d’envie de changement.

Communes , est aussi une pièce de théâtre jouée en extérieur. C’est l’histoire d’un village qui se déclare Commune, qui fait sécession d’avec l’État. On y est, pendant les 70 premières minutes qui suivent cette décision, pendant la mise en place, à l’arrivée de la nuit, avec des gens pris d’un seul coup dans le mouvement de l’histoire, de la politique, de la vie. C’est la suite (narrative et thématique) de Parking.

Chats Chiens Louves est à la fois une action artistique et une pièce radiophonique spatialisée. Ce spectacle, joué/diffusé en extérieur, est re-créé avec les habitant·es volontaires, et enregistré avec leur voix. C’est un soir, dans un immeuble. Depuis le trottoir où on est, on voit les fenêtres s’éclairer au fur et à mesure que l’action se déroule. C’est un groupe de personnes qui se sont rassemblées pour une occasion précise, une action concrète, dont on ne fait que deviner les enjeux et les modes opératoires. En tout cas, ce qui se prépare va être remarquable, et remarqué.

ACTIONS CULTURELLES
THÉÂTRE EN EXTÉRIEUR
CIE MKCD //WWW.CIEMKCD.COM


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le 18 décembre 2022
par CP
Une Femme indonésienne de Kamila Andini. AEIOU de Nicolette Krebitz. Annie Colère de Blandine Masson. « Où est-ce qu’on se mai ? » Fièvre méditerranéenne de Maha Haj. La Poupée de W.J. Has. Peter von Kant de François Ozon. Every Thing Everywhere All at once des Daniels. De l’autre côté du ciel de Yukusa Hirota. L’Insurgée de Séverine. "Journée internationale contre les violences faites aux TDS". CQFD
le 18 décembre 2022
par CP
Le cinéma d’animation. Les Petits pois de Francis Gavelle et de Florentine Grelier. 19e édition du Carrefour du cinéma d’animation au Forum des images. Ernest et Célestine. Le Voyage en Charabie de Jean-Christophe Roger et Julien Cheng. Goodbye de Atzuko Ishizuka. Interdit aux chiens et aux Italiens de Alain Ugheto. De l’autre côté du ciel de Yukusa Hirota. Stella est amoureuse de Sylvie Verheyde. Corsage de Marie Kreutzer. Fièvre méditerranéenne de Maha Haj
le 11 décembre 2022
par CP
Nos frangins de Rachid Bouchareb. Sous les figues de Erige Sehiri. Nos soleils de Carla Simon. Il nous reste la colère de Jamila Jendari et Nicolas Beirnaert. La (très) grande évasion de Yannick Kergoat. Kanun. La loi du sang de Jérémie Guez. Mourir à Ibiza de Anton Balekdjian, Léo Couture & Mattéo Eustachon. Le Procès, Prague 1952 de Ruth Zylberman. Dario Argento en coffret DVD-BRD. Retour du festival Chéries Chéris avec Caroline Barbarit-Héraud. « Homo ça coince… » par la compagnie Manifeste rien. Rétrospective Mani Kaul
le 4 décembre 2022
par CP