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Samedi 21 mai 2022
Birds of America de Jacques Lœuille. Tranchées de Loup Bureau. Radio FSK libre à Hambourg : Rencontre avec Jorinde Reznikoff
Article mis en ligne le 22 mai 2022

par CP

Birds of America
Film de Jacques Lœuille (25 mai 2022)

Tranchées
Film de Loup Bureau (sur les écrans depuis le 11 mai 2022)

Radio FSK libre à Hambourg
Rencontre avec Jorinde Reznikoff

Birds of America
Film de Jacques Lœuille (25 mai 2022)

Au début du XIXe siècle, Jean-Jacques Audubon, parcourt la Louisiane pour peindre les oiseaux du Nouveau Monde, un monde sauvage et merveilleux où la faune et la flore font penser à un nouveau paradis. Deux siècles séparent la découverte d’un territoire vierge et foisonnant, le saccage de la colonisation jusqu’à son apothéose durant l’ère industrielle, à aujourd’hui. Les conséquences de la colonisation sont irrémédiables, au delà des oiseaux disparus, les peuples natifs du pays — les tribus amérindiennes — sont sacrifiées au nom du seul profit.

Birds of America n’est pas un film animalier, même s’il montre l’incroyable profusion des oiseaux dans une représentation dessinée par Audubon au XXe siècle, le film de Jacques Lœuille se réfère surtout à la construction politique et culturelle des Etats-Unis. La « destinée manifeste » offre en effet à la colonisation et à la conquête du territoire la justification d’une politique destructrice et génocidaire visant les Indiens, les oiseaux, l’environnement, mettant en place dans la foulée la pratique de l’esclavage. « Au milieu du XIXe siècle, le journaliste O’Sullivan déclare : “c’est notre destinée manifeste de nous déployer sur le continent confié par la providence pour le libre développement de notre grandissante multitude.” » Autrement dit, cette idée soit disant « divine » donne un blanc seing et tous les droits aux colons pour s’accaparer par tous les moyens de la terre et de la faune. Le mythe de la frontière, l’Ouest sauvage, est pour les prédateurs du nouveau monde, synonyme de violences et de destructions, un Indien dit d’ailleurs : « si les oiseaux disparaissent, c’est notre identité qui disparaît, notre culture. Il y a une signification derrière chaque oiseau. » Et voilà, la messe est dite.

Birds of America est une réflexion profonde sur l’histoire des Etats-Unis, les bases de sa constitution, les méfaits de la colonisation et du capitalisme : « l’extinction massive d’espèces animales est concomitante de l’exode des peuples les plus pauvres de l’Union, que ce soient les Amérindiens ou les Africains Américains qui vivent le long du fleuve aujourd’hui. » L’accès au golfe du Mexique a permis le développement effrénée des industries les plus polluantes de la planète ; après la guerre de sécession, les champs de coton qui avaient détruit des forêts entières, l’habitat des oiseaux, les terres indiennes, ont été remplacés par les champs pétroliers qui ont empoisonné l’eau, la terre et l’air… Les empoisonneurs de la planète, pour redorer leur blason et aussi peut-être pour s’exonérer de taxes, ont installé un zoo à la Nouvelle Orléans, minuscule repère pour quelques espèces survivantes, dont un perroquet blanc auquel on a coupé les ailes.

À la signature du traité qui dépossédait les Indiens de leurs terres, le chef Seattle prévient le président Andrew Jackson (comme par hasard idole de Donald Trump !) : « si toutes les bêtes disparaissaient, l’homme mourrait d’une grande solitude d’esprit. Les Blancs aussi disparaîtront, peut-être même plus tôt que toutes les autres tribus. Lorsque le dernier homme rouge aura disparu de cette terre et que son souvenir ne sera plus que l’ombre d’un nuage glissant sur la prairie, ces rives et ces forêts abriteront encore les esprits de mon peuple. Ce n’est pas l’homme qui a tissé la trame de la vie, il en est seulement un fil. Tout ce qu’il fait à la trame, il le fait à lui-même. » Déclaration prémonitoire ? Et sans doute faudrait-il en tenir compte, car le profit à court terme est toujours la norme aujourd’hui et les destructions se poursuivent dans le monde, pour ne pas dire qu’elles s’emballent…
Birds of America de Jacques Lœuille ou contre histoire des Etats-Unis est un récit magnifique, un film puissant et politique.
Birds of America de Jacques Lœuille, river movie onirique et fascinante est en salles le 25 mai.
Entretien avec le réalisateur.
Musiques : Bande originale (extraits) de Birds of America. Voices of First Nations Women, Let ‘em Talk. Black Lodge Singers, Many Flags. Carlos Nakai, Cleft in the Sky. Robert Tree Cody & Rob Wallace, White Buffalo.

Tranchées
Film de Loup Bureau (sur les écrans depuis le 11 mai 2022)

Dans la nuit du 24 février, la Russie a lancé une importante offensive militaire contre l’Ukraine et ses 40 millions d’habitants. Une sorte de continuation amplifiée d’une guerre qui, depuis 8 ans, n’attire pas les analyses ou les commentaires des autorités et des médias. Dans la région du Donbas, à l’Est du pays, les combats entre l’armée ukrainienne et les séparatistes pro-russes soutenus par la Russie n’ont jamais cessé, faisant plus de 14 000 morts et des millions de déplacés internes, sans parler du gâchis environnemental.

Tranchées n’est pas un film documentaire de guerre habituel, il ne s’agit pas de suivre des opérations militaires ou de vivre des combats, mais plutôt d’une plongée dans le quotidien des soldats et d’une soldate, sur un temps long qui souligne l’ennui et l’absurdité de la guerre. « Ce que j’ai appris de ces longs mois passés dans les tranchées [raconte le réalisateur], c’est que la violence physique n’est qu’une composante de la guerre. Dans un conflit, les soldats doivent à la fois construire et consolider leur cadre de vie, s’y protéger, mais aussi s’adapter. Se transformer pour affronter la mort, construire un quotidien, recréer une forme de normalité dans l’univers anormal du conflit. Et c’est l’essence même de Tranchées. Faire ressortir le potentiel cinématographique du quotidien vécu par les soldats. Creuser la terre, s’enterrer, s’ennuyer. La guerre est vue comme une logistique absurde. Cette tranquillité est l’élément moteur du film. Elle est nourrie d’une tension, un peu comme un ressort qui serait tendu à l’extrême. Et dans le cercle sans fin des journées sur le front, les soldats livrent ce qu’ils ont de plus intime : leur fragilité. »

Le fait de suivre le cheminement, de dos, des soldats dans ces couloirs de terre, de les observer sans qu’ils semblent se rendre compte de la caméra, font de ces hommes des personnages en quelque sorte. Il est alors possible d’établir une relation différente avec eux, d’observer leur évolution et le vide désespérant qui les entoure chaque jour.
Il a fallu deux ans de préparation, de repérages et de rencontres à Loup Bureau pour établir des liens et mettre en place un tournage qui a duré trois mois : « le plus important ce n’était pas le nombre de rushes, mais la qualité des moments filmés. » C’est ce choix de réalisation qui fait du film Tranchées un document à part sur un conflit de longue durée.
C’est également une manière de se poser des questions sur les conflits entretenus dans le monde, leurs graves répercussions sur les êtres humains, les animaux et l’environnement, le commerce des armes… Enfin sur ce qui fait que les médias s’intéressent à certains conflits et qui en prend la décision éditoriale. « Pendant longtemps [souligne le réalisateur], avant l’invasion de l’Ukraine, la guerre dans la région du Donbas est restée peu médiatisée, oubliée. On la qualifiait de guerre “gelée”. Les reportages n’intéressaient [soi-disant] pas le “public”. Pourtant, les signes annonciateurs que ce conflit pouvait dégénérer étaient là. Mais nous avons fermé les yeux. »

Tranchées se passe sur la ligne de front du Donbas, avec les soldats du 30ème bataillon de l’armée ukrainienne. Parmi les soldats, une femme, surnommée Perséphone, dit se sentir comme une institutrice dans une école maternelle : la plupart des soldats « ont l’âge de mes enfants et n’ont pas grand chose dans la tête. Ils comprennent qu’ils sont sur la ligne de front, qu’il y a des bombardements, des morts et des blessés graves. » L’un des responsables à la tête de la compagnie constate, désabusé, que le conflit c’est finalement pour le gaz, toujours une question de fric. Un jeune soldat confie qu’il ne peut pas avoir de copine, avec la séparation, elles ne tiennent pas le coup. Et il y a sans cesse les reconstructions après les attaques, piocher et déblayer sans savoir quand cela va finir… il y a les chiens qui les accompagnent dans le cauchemar, enfin l’espoir de rentrer sain et sauf à la maison tout en craignant le retour à la vie civile et la réadaptation après cette parenthèse aberrante.

Malgré la signature d’accords de cessez-le-feu, celui-ci n’a jamais été appliqué. « J’aime ce pays, je ne comprends pas pourquoi les puissances occidentales n’ont pas pu mettre fin à un conflit destructeur aux portes de l’Europe. Je m’interroge [confie Loup Bureau], et vous transmets ce que je ressens. Un homme qui filme d’autres hommes, et vous parle ainsi, aussi, d’amour de la vie, de la folie des hommes. La nôtre comprise. » Des questionnements qui demeurent longtemps après la fin du film…
Tranchées de Loup Bureau actuellement au cinéma.

Radio FSK à Hambourg : Le neopostdadasurrealpunkshow
et Stimme – Reflektionen und Resonanzen – Voice – Reflections and Resonances

Il y a presque douze ans, Jorinde Reznikoff et KP Flügel de Radio FSK — une radio libre et non-commerciale située à Hambourg — présentaient leur émission dans les chroniques, le neopostdadasurrealpunkshow, sur les ondes tous les 2èmes et 4èmes jeudis du mois, de 17 à 19 heures.

L’émission se consacre aux racines et aux reflets actuels des mouvements dada, surréaliste, punk, mais aussi situationniste et avant-gardiste dans le sens le plus controversé, sapant fausses évidences et préjugés tenaces avec délice. Ceci de préférence sous forme d’entretiens, profitant du luxe de la parole libre. » Et aujourd’hui ?

Radio FSK libre à Hambourg
Rencontre avec Jorinde Reznikoff

Sites à consulter :
https://www.neopostdadasurrealpunkshow.de

https://www.jorinde-reznikoff.de/

Radio FSK Hamburg (Freies Sender Kombinat) on 93,0 MHz and 104.2 and livestream : http://www.fsk-hh.org/livestream


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