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Samedi 2 juillet 2022
As Tears Go By et Nos années sauvages de Wong Kar Wai. Histoires de petites gens : Le Franc et La Petite vendeuse de Soleil de Djibril Diop Manbéty. 50ème Festival de La Rochelle. Joseph Losey : florilège de Denitza Bantcheva. After Yang de Kogonada. Zahori de Mari Alessandrini. Music Hole de David Mutezenmacher & Gaétan Liekens. L’esprit sacré de Chema Garcia Ibarra. Ennio de Guiseppe Tornatore
Article mis en ligne le 3 juillet 2022
dernière modification le 9 juillet 2022

par CP

As Tears Go By (ainsi vont les larmes) et Nos années sauvages
Les deux premiers films de Wong Kar Wai (en copies restaurés 4K, le 29 juin 2022)

Histoires de petites gens : Le Franc et La Petite vendeuse de Soleil
Deux films de Djibril Diop Manbéty (copies restaurées, 29 juin 2022)

50ème Festival de La Rochelle
ouvert depuis hier et jusqu’au 10 juillet 2022
À cette occasion suite de la discussion autour de l’œuvre de Joseph Losey avec un florilège de Denitza Bantcheva…

After Yang
Film de Kogonada (6 juillet 2022)

Zahori
Film de Mari Alessandrini (6 juillet 2022)

Music Hole
Film de David Mutezenmacher & Gaétan Liekens (6 juillet 2022)

L’esprit sacré
Film de Chema Garcia Ibarra (6 juillet 2022)

Ennio
Film de Guiseppe Tornatore (6 juillet 2022)

As Tears Go By (ainsi vont les larmes)
et Nos années sauvages
Les deux premiers films de Wong Kar Wai
(en copies restaurés 4K, le 29 juin 2022)

Premier film de Wong Kar Wai, As Tears Go By s’attache à un personnage de petit gangster de Hong Kong, Wah, spécialisé dans le recouvrement de dettes pour la mafia. Fly, son acolyte un peu tête brûlée, emprunte de l’argent qu’il ne rembourse pas et s’attire des ennuis, mais Wah se sent responsable et le protège. Dans cet univers glauque, débarque Ngor, une jeune cousine de Wah, venue de son île natale pour des examens médicaux.

Les caractéristiques du filmage de Wong Kar-Wai, sa façon de cadrer, la lumière, l’étalonnage sont déjà présents dans As Tears Go By. Les prémisses du style de Wong Kar Wai imprègnent complètement ce premier film, la stylisation du jeu des comédien.nes, leur beauté et la magie qui se dégage des décors, pourtant simples et même minimalistes. Les effets dans les chorégraphies des bagarres est étonnant, car rien n’est inutile ou redondant, il y a juste une violence brutale, rythmée et, parfois en décalage temporel dans certains mouvements.

Nos années sauvages
Comme dans la plupart de ses films, No Future… Les amours sont voués à la rupture, à l’impossibilité, à la fugacité, à la lassitude ou à la disparition de l’un des partenaires.

C’est sans doute ce qui marque son second film, Nos années sauvages, deux ans plus tard. Les mêmes ou presque les mêmes comédiens et comédiennes et son style s’affirme encore dans le filmage des corps, des gros plans, des décors, de la pluie… Le cadrage des scènes amoureuses est original. Wong Kar Wai filme comme personne le désir et l’éveil des relations entre deux êtres, la gestuelle dans l’espace, la grâce des mouvements.

« Première scène : un jeune homme avance, de dos, dans un bâtiment aux murs défraîchis. Arrivé dans une grande pièce, il s’approche d’un réfrigérateur horizontal, se penche et en sort une bouteille de coca-cola. Il demande son nom à la jeune femme qui tient la buvette, puis lui lance avec arrogance : “Tu rêveras de moi, cette nuit”. Il revient plusieurs jours de suite et commence à la séduire grâce à un petit jeu : il s’agit de noter la date et l’heure exacte, d’égrener les secondes qui passent, de “conscientiser” le présent pour se souvenir qu’à cette minute précise, ce jour-là, le 16 avril 1960, ces deux-là étaient ensemble. Transformer cet instant en souvenir, c’est le valoriser, et c’est sans doute ce que fait aussi le cinéma, pour ceux qui le fabriquent comme pour ceux qui le regardent. Wong Kar Wai bâtira désormais l’essentiel de son œuvre autour du temps qui passe trop vite, du temps trop court qu’il reste à l’un ou l’autre des personnages ou du temps qui ne reviendra pas... »

Les films sont marqués par la beauté, la fatalité et la recherche d’une identité qui n’existe pas ou n’a finalement guère d’importance…

La restauration des deux films en 4K est superbe, il faut espérer que travail de restauration se poursuive…
As Tears Go By (ainsi vont les larmes) et Nos années sauvages
Les deux premiers films de Wong Kar-Wai depuis le 29 juin au cinéma.

Histoires de petites gens
Le Franc et La Petite vendeuse de Soleil
Deux films de Djibril Diop Manbéty (copies restaurées, 29 juin 2022)

Deux contes, deux histoires de gens qui n’auront jamais de compte en banque. « Ces gens-là pour qui le lever du jour est le même point d’interrogation. Les petites gens ont ceci en commun : Un cœur pur dans un mouchoir de naïveté. » Le titre du film, Le Franc, ne désigne pas seulement la monnaie à gagner ou à voler — franc français, CFA africain ou franc suisse — mais aussi l’être humain franc.

Le Franc, c’est le premier conte de la trilogie Histoires de Petites Gens.
Marigo est musicien, mais sans instrument, son congoma a été confisqué par la propriétaire, en attendant le paiement du loyer. S’appropriant un billet de la loterie nationale, il décide de le mettre en sécurité en attendant le tirage : il le colle sur sa porte et le recouvre du poster d’un héros de son enfance.
Le soir du tirage, la fortune explose aux yeux de Marigo…

Le second conte de la trilogie, La Petite vendeuse de Soleil, est l’histoire de Sili. Elle a environ 10 ou 12 ans, on ne sait pas exactement, elle est handicapée et mendie dans les rues de Dakar. Elle se déplace avec des cannes, mais se fait rudoyer par les jeunes vendeurs de journaux qui « tiennent » le trottoir. Puisque c’est ainsi, elle décide elle aussi de vendre des journaux. Elle se rend au journal Le Soleil où on lui confie une pile de journaux à vendre. Très belle histoire et une jeune interprète formidable.
On attend la restauration du troisième conte : L’Apprenti voleur.

50ème Festival de La Rochelle

ouvert depuis hier et jusqu’au 10 juillet 2022

À cette occasion suite de la discussion autour de l’œuvre de Joseph Losey
Avec un florilège de Denitza Bantcheva qui est au festival de La Rochelle, notamment pour animer la rétrospective sur Alain Delon, et la projection de Monsieur Klein de Joseph Losey…

Depuis cet entretien, une rétrospective a été organisée en janvier février 2022 par la cinémathèque… Après ce premier souhait exaucé, reste le coffret, d’autant que les copies restaurées sont nombreuses, un coffret qui pourrait suivre le 50ème festival de la Rochelle, qui fait notamment un focus sur Alain Delon, et a présenté en version restaurée son film Eva.

Les films au cinéma le 6 juillet :
After Yang
Film de Kogonada (6 juillet 2022)

Dans un futur proche, chaque foyer sera en possession d’un androïde, un ou une « techno-sapiens » comme on les appelle. Dans la famille de Jake, le nom de celui-ci est Yang, c’est le frère acheté de Mika, une fillette adoptée sur laquelle il veille, attentif à toutes ses demandes. Il a le rôle de tuteur, de frère aîné, de compagnon de jeu, de confident. Il est totalement intégré, participe à un concours de danse à l’échelle de la planète avec les membres de la famille et d’autres familles, sur le même modèle, et par écrans interposés. Cette scène établit involontairement un lien entre After Yang et l’époque actuelle saturée de réunions Zoom et, par extension, avec une autre crise environnementale.

Mais un jour, c’est le bug, et Yang tombe en panne. Mika est désespérée, réclame son frère Yang et Jake cherche par tous les moyens de trouver un réparateur. Les premières tentatives de Jake échouent, il n’y a pas de système d’après vente, et même par des moyens illégaux, il est impossible de le réparer. Et là des questions existentielles se posent, Yang devient le centre des préoccupations, enfin plutôt son absence, qui met en péril l’équilibre de la famille modèle dans une maison modèle… Qu’est-ce qui fait penser que d’être humain serait mieux ?

Un décor épuré, une organisation familiale harmonieuse, mais lorsque la carte mémoire du techno-sapiens ne fonctionne plus, la mémoire humaine elle-même est déstabilisée. After Yang engage un dialogue avec d’autres films, on pense à 2001 Odyssée de l’espace de Kubrick. Yang n’est pas seulement une machine interchangeable, il compte pour tous les membres de la famille et se pose alors la question essentielle de son origine, de son identité, de sa propre mémoire. Qui est Yang et d’où vient-il ? Si After Yang engage un dialogue avec d’autres films, il génère d’abord une réflexion sur le sens de notre existence dans ce monde.

After Yang, une fable futuriste ? Pas tant que cela…

After Yang de Kogonada au cinéma le 6 juillet.

Zahori
Film de Mari Alessandrini (6 juillet 2022)

La steppe de Patagonie est balayée par un vent gris, des bourrasques de cendres... Dans son premier long métrage, Marí Alessandrini conte l’histoire de Mora, 13 ans, dont la famille, originaire du Tessin, vit très isolée au fin fond de la Patagonie avec des rêves difficiles à mettre en pratique. Mora veut devenir « gaucho », elle se rebelle contre l’unique l’école de la région et le mode de vie de ses parents, écologistes suisses italiens, dont le rêve d’autonomie est mis à mal. Délaissant l’école et le milieu familial, Mora rejoint son ami Nazareno, un vieux Mapuche pour l’aider à retrouver Zahorí, sa jument enfuie une nuit de tempête de cendres.

Le film, explique Marí Alessandrini, « se révèle comme un western à l’envers où l’on découvre une jeune fille qui s’émancipe de sa condition de femme, de ses origines sociales, et trouve sa propre voie... » Basé sur son histoire personnelle — la réalisatrice a grandi en Argentine —, le récit est enrichi par les souvenirs, en même temps qu’il entremêle plusieurs sujets autour du besoin de liberté de Mora et de son refus de se couler dans le moule imposé, d’une part, par les codes de l’école et les interdits de ses parents, d’autre part. Mora prend le contre pied de l’éthique familiale, qui interdit de tuer des animaux sauvages, en voulant devenir gaucho, ou encore en chassant un tatou au début du film. Lorsque l’homme à la guitare lui offre deux poissons pêchés dans la rivière, le cadeau génère une scène mémorable de la mère qui rappelle les principes végétariens. En classe, Mora est considérée comme une étrangère, d’ailleurs elle ne joue pas le jeu au moment de la cérémonie du drapeau et de l’hymne national, et puisqu’elle est une fille, elle ne peut pas jouer au foot.

Par ailleurs, le film témoigne de la présence des évangélistes répandue en Argentine, avec les deux missionnaires parcourant la steppe à la recherche de nouveaux fidèles, chantant des psaumes en anglais à la gloire du seigneur. L’influence des évangélistes est considérable dans toute l’Amérique latine, illustrée dans le film par le refus d’un jeune garçon de jouer au football — c’est interdit par les évangélistes qui prétendent que c’est comme shooter dans la tête de Satan. La scène du baptême évangéliste au bord de la rivière provoque la réaction sceptique de Mora : « c’est de la sorcellerie ». Avec son jeune frère, elle jette des os en amont dans la rivière pour perturber la cérémonie, ce qui réussit et déclenche les cris des prêtres : « sortez de la rivière. Il y a des esprits maléfiques. »

Outre les problématiques de la religion, de la mainmise évangéliste, du nationalisme, et de la colonisation violente avec les massacres des Mapuches évoqué par des métaphores, le film est empreint du réalisme poétique propre à l’Amérique latine, notamment grâce à la compagne revenante de Nazareno, qui réapparaît à plusieurs reprises et à des moments cruciaux, elle se substitue même à l’interprète de Bambino par Dalida. Nahiro, la jument blanche, est aussi un repère poétique et symbolique, non seulement de l’émancipation de Mora, mais également de son entrée dans l’univers mapuche dont Nazareno lui facilite le passage. Il lui parle en mapuche et Nahori l’accompagne vers son devenir.

Le film est magnifiquement filmé en format scope dans les espaces désolés du Sud argentin, avec une lenteur mesurée, ce qui renforce l’impression de conte initiatique. Un film sorti cette année sur les débuts de l’immigration italienne en Patagonie, la Légende du roi crabe de Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis, traduisait aussi cette ambiance onirique et le lien entre deux mondes parallèles. Dans Nahori de Marí Alessandrini, c’est évidemment la présence de la femme mystérieuse, les objets, les paroles en mapuche prononcées par Nazareno — « Je m’éteins comme le feu » — et, surtout Nahori la jument blanche. À noter que la jument blanche est également une allégorie de liberté et d’émancipation dans le très beau film de Nathalie Alvarez Mesen, Clara Sola.

Music Hole
Film de David Mutezenmacher & Gaétan Liekens (6 juillet 2022)

Rien qu’à entendre la bande annonce, on est vraiment dans un autre univers, belge en l’occurrence où les excès, les drames, la paranoïa, les dérapages sont autant de prétextes à faire rebondir la narration comique, et dans le rythme s’il vous plaît ! Il est certain que les réalisateurs et toute l’équipe du film ont du avoir du mal à ne pas rigoler en tournant certaines séquences.

Le synopsis ? Ça ne marche pas fort entre Francis et Martine, un couple en perdition. Martine méprise son mari, elle s’envoie en l’air avec le patron du cabaret minable pour lequel Francis est comptable, puis tombe raide dingue d’un bellâtre tout en muscles qui bosse dans le spectacle de la boîte… À la suite de cette double félonie torride, tout dérape et, après une dispute nocturne violente avec Martine, Francis se réveille et trouve la tête de celle-ci dans le congélateur…

Polar foutraque, histoire macabre et personnages déjantés, jusqu’aux flics et aux flicesses qui ne sont pas en reste… Ah ben, on ne fait pas dans le détail et tout le monde s’en mêle avec des dialogues savoureux et des rebondissements qui s’entrechoquent… Les séquences se répètent d’ailleurs, mais sous différents axes — intérieur/extérieur — selon les personnages ; cela donne un récit border line, bousculé et même secoué, mais drôle et surprenant…

Ça flirte presque avec John Waters et Pink Flamingos, côté interprètes, qui parfois sont grandioses dans l’absurde… D’ailleurs j’y pense, dans la scène finale de Pink Flamingos, John Waters faisait manger à Divine une merde chien, et Music Hole, HOLE — c’est-à-dire le trou —, commence par Francis sur le trône. Est-ce un clin d’œil de David Mutezenmacher & Gaétan Liekens ? Peut-être…
Music Hole au cinéma le 6 juillet .
Bon, je ne sais pas si vous mangerez encore des macarons au chocolat après cette histoire !

L’esprit sacré
Film de Chema Garcia Ibarra (6 juillet 2022)

Une petite fille disparaît et, parallèlement, le gourou, qui préside l’association, Ovni-Levante, composée de passionné.es d’ufologie, meurt d’une crise cardiaque. Le lien entre ces deux faits, c’est José Manuel, un des membres de l’association, complètement sous l’emprise du gourou décédé, et convaincu d’être l’élu pour une mission secrète qui changera le destin de l’humanité. José Manuel, oncle de la fillette disparue qui, selon lui, a rejoint une civilisation extra terrestre ancestrale, convaincu de son rôle d’élu de remplacement dans le plan du défunt.

L’Esprit sacré décrit les conséquences des croyances en cours, de l’idéologie des sectes, qui se développent de plus en plus sur le mal être des personnes, offrant des leurres d’alternatives comme l’espoir de l’immortalité, la possibilité de devenir des super héros, ou plus simplement de régler les problèmes du quotidien. On en revient aux promesses d’une vie meilleure et éternelle après la mort, directement dérivée des discours religieux, le fameux « big pie in the sky » — promesse sempiternelle —, autrement dit, le malheur et la souffrance sur terre, mais le bonheur au ciel. Dans ces associations, cela va de la communication avec des extra-terrestres, des créatures divines, à l’acquisition de pouvoirs extraordinaires pour changer le monde ou d’ailleurs le détruire. Le film s’inspire de ces tendances et des informations glanées sur le sujet comme le réalisateur s’en explique : « je suis complètement sceptique sur les croyances et la parapsychologie. Si j’ai toujours été intéressé par l’ésotérique et le paranormal, ce n’est pas pour les faits en soi mais pour leur dimension humaine et anthropologique : les rituels que ça génère, comment on en parle dans les médias, comment les croyants le vivent au jour le jour... »

Le fait d’avoir choisi des acteurs et des actrices non professionnelles ajoute à la véracité du film, en y adjoignant parfois une maladresse, une hésitation qui ancrent encore plus le récit dans la réalité. La description acquiert ainsi un caractère presque documentaire, hors du fictionnel. Chema Garcia Ibarra insiste d’ailleurs sur la recherche, qui a précédé l’écriture du film, notamment sur les conséquences de ces croyances mêlées : « j’ai beaucoup lu sur l’ufologie, mais ce qui m’intéresse le moins ce sont les passages sur les apparitions d’ovnis. Ce qui m’interpelle le plus, c’est qui est la personne qui a vu l’ovni, où elle travaille, comment elle raconte l’événement, comment elle peut être envoyée chez un hypnotiseur pour voir si elle dit la vérité, comment sont les journalistes qui font l’interview... Dans le monde de l’ufologie, concrètement, je suis fasciné par cette sensation d’imminence qu’ont les “dévotes”, ça me fait penser aux premiers chrétiens qui attendaient le retour du Messie. » Ce qui immanquablement ouvre à des réflexions sur l’emprise des religions, quelles qu’elles soient, et la manière dont cette emprise imprègne les esprits.
« Je suis très sceptique sur tout [dit le réalisateur], c’est peut-être pour cela que je cherche à enquêter sur les mécanismes qui font que quelqu’un puisse ne pas l’être. Que des gens qui sont en apparence très sensés soient capables de croire en des théories absurdes, c’est pour moi quelque chose de fascinant. Jusqu’à un certain point, je trouve ça touchant, j’ai l’impression que, pour eux, le fait de croire est un moyen de se protéger de l’absurde de la réalité. »
Il faut dire que José Manuel est la proie idéale, élevé par une mère soi-disant « voyante », à présent atteinte d’Alzheimer, c’est le personnage simple et innocent prêt à croire les idées les plus farfelues pour sortir de son quotidien déprimant. Le film se présente d’abord comme une enquête sur la disparition d’une enfant, la télé ayant un rôle majeur dans l’appel à témoignages, c’est aussi le seul lien de la mère avec le monde extérieur.
Sur ce mélange de réalité, de mondes différents, d’images transposées, de quotidien transcendé par les mots et les dialogues, surgit l’irrationnel et le fantastique : les apparitions d’ovnis, de la vierge, les sectes, les guérisseurs, etc....

L’Esprit sacré, tourné en 16mm, a permis de jouer sur les couleurs et les lumières pour donner aux images une certaine poésie et un aspect graphique que l’on retrouve notamment dans le plan final. Les plans séquence, les changements de rythme au sein de certaines scènes, celle de la disparition des preuves par exemple, d’ailleurs amplifiés par une rupture du son et de la musique, les cadrages, la distribution de formes dans l’espace, les petites chorégraphies des personnes et des objets, cela donne au récit une impression d’attente, une sensation de thriller… ce qu’explique le réalisateur : « je bouge très peu la caméra, de manière que, quand il y a un mouvement, on ait une impression d’événement. »
De l’histoire, basée sur des faits et des événements tout à fait possibles, il demeure un malaise et un questionnement sur la crédulité des personnes fragiles. Science fiction ? C’est la qualité du film d’être entre science fiction et réalité plus que sordide. Le regard de la mère mutique de José Manuel est troublant et en dit long sur le piège d’une réalité manipulée.
L’esprit sacré de Chema Garcia Ibarra au cinéma le 6 juillet 2022.

Ennio
Film de Guiseppe Tornatore (6 juillet 2022)

Le réalisateur de Cinéma Paradiso (1988) réussit avec Ennio un des plus intéressants portraits et des plus beaux hommages au compositeur prolifique et populaire qu’est Ennio Morricone. Auteur de plus de 500 bandes originales, il a très certainement changé la musique de film et influencer nombre d’artistes dans tous les domaines. Se croisent dans le film Ennio de grands réalisateurs comme Marco Bellocchio, dont il a composé la musique pour Les Poings dans les poches, Bernardo Bertolucci pour la musique de Prima de la Revoluzione… La liste est longue et il est impossible de citer tout le monde.

Ce qui est remarquable, parce qu’on connaît surtout la musique de Morricone pour les bandes originales des westerns de Sergio Leone, dont il a marqué la mémoire sonore, ou encore pour sa période états-unienne. Ce que l’on sait moins, et Tornatore nous l’apprend dans son film, c’est la diversité incroyable de ses compositions — il a fait une chanson pour Paul Anka, malheureusement je crois introuvable, quand il travaillait à RCA —, allant sans problème de la mélodie populaire à la musique concrète, sérielle, toujours avec la même recherche et la même passion.

Ennio Morricone a composé la musique d’un film important d’Elio Petri, Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, chef d’œuvre angoissant sur les tendances meurtrières d’un chef de la section criminelle et politique. Une musique devenue culte, qui avait séduit Stanley Kubrick avec l’idée de le faire travailler sur Orange mécanique, mais cela n’a pas abouti. Morricone est aussi l’auteur de la musique d’un autre film d’Elio Petri, Un coin tranquille à la campagne, où sa musique cette fois est expérimentale et colle parfaitement à l’ambiance trouble du film, entre le passé, et les réminiscences du fascisme, et le présent, qui n’en est pas totalement sorti. La musique se substitue alors aux bruitages, mais sa créativité ne sera pas vraiment suivie cette fois par un succès populaire. C’est dans les westerns qu’il fait passer le plus facilement la composition de bruits, et la musique concrète. Le documentaire en fait une merveilleuse démonstration, tout en incluant avec les extraits de films, les témoignages de cinéastes comme Pasolini, pour lequel Morricone a composé les Mille et une nuits, de Liliana Cavani pour les Cannibales, et l’on se dit qu’il lui fallait un sens aigu de la psychologie pour collaborer avec des artistes et des styles aussi différents ; car comme le disent les frères Taviani pour qui Morricone a composé la musique de Allons enfants : « le réalisateur contrôle tout, sauf la musique ».

Et si l’on poursuit ce coup d’œil sur la vie d’Ennio Morricone et ses soixante-dix ans de carrière, il faut citer La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo, L’oiseau au plumage de cristal et les deux autres films de la trilogie de Dario Argento. Bertolucci s’émerveille d’une musique captivante, c’est le moins que l’on puisse dire pour évoquer 1900 où la composition devient un opéra, ou encore le Désert des Tartares de Valerio Zurlini, le Clan des Siciliens d’Henri Verneuil, Les incorruptibles de Brian de Palma, U-Turn d’Oliver Stone, Les Moissons du ciel de Terence Malick ou les 8 salopards de Quentin Tarantino qui voulait, lui, du Stravinsky et le raconte avec humour, un autre encore, Mission de Roland Joffé… Il en a composé cinq cent… « 18 musiques en un an… mais c’est pas possible ! » Ça l’était pour Ennio Morricone, qui disait en souriant qu’il avait une voix de casserole !

Mais revenons au début du film qui commence avec un métronome, c’est normal pour un musicien… Avant le concert de louages, Ennio Moricone a ramé comme on dit. Un de ses pairs considérait sa musique comme commerciale, limite comme de la prostitution au vu de la « grande musique », et des années après, il est considéré comme un phénomène, qui joue en virtuose avec le contrepoint, avec les arrangements et les trouvailles — utiliser la machine à écrire pour marquer un rythme —, pour colorer chansons et musiques de quelque chose de plus… Bref pour faire une musique différente, inventive, nouvelle avec des compositions en rupture… En fait, il a une approche instinctive de la musique, il se fond dans celle-ci et annihile codes et frontières…

Le documentaire décrit ces phases grâce au fil conducteur de ce long entretien de Giuseppe Tornatore, accompagné de nombreux témoignages, une véritable enquête sur Morricone, sa passion pour les échecs et les liens mystérieux avec sa musique. «  J’ai travaillé pendant vingt-cinq ans avec Ennio Morricone [confie Tornatore]. Il a participé à la quasi-totalité de mes films, sans compter les documentaires et publicités, des projets que nous avons tenté de monter sans succès. Pendant tout ce temps, notre amitié n’a cessé de se renforcer. Ainsi, au fur et à mesure de nos rencontres et collaborations, je me suis toujours demandé quel genre de documentaire j’aurais pu faire sur lui. Aujourd’hui, mon rêve se concrétise. »
Toutefois, il a fallu cinq années de recherches d’archives inédites, privées, d’extraits de films, de rencontres et de tournage à Giuseppe Tornatore pour réaliser ce film. Il a interviewé plus de soixante-dix cinéastes et artistes sur la vie et l’œuvre d’Ennio Morricone : Wong Kar Wai, qui décrit sa musique comme extatique — on le retrouve d’ailleurs au générique en tant que producteur exécutif.

Ennio Morricone est certainement l’un des compositeurs les plus influents de l’histoire du cinéma. Sa filmographie comprend plus de 70 films primés, il a travaillé sur des œuvres emblématiques, l’ensemble des films de son ami Sergio Leone bien entendu. La veine mélodique puissante de ses œuvres fonctionne toujours et nombre de groupes s’en inspirent, Bruce Sringsteen y voit une grande émotion, Métallica des normes bousculées, un précurseur de « l’intersectionnalité musicale » ? Dans tous les cas il a aboli quelques frontières… Un film passionnant et un vrai plaisir de cinéma.

Ennio de Giuseppe Tornatore sera projeté en avant première au 50ème Festival de La Rochelle. Sinon il sera dans les salles le 6 juillet.
La musique ne se décrit pas, elle s’écoute… Mais en l’occurrence, là, elle se regarde aussi !

Radio libertaire, il était normal de garder cette séquence pour la fin : Ennio Morricone a impressionné Joan Baez, lorsqu’au moment de la composition de la musique du film Sacco et Vanzetti de Giuliano Montaldo, en 1971, il lui a dit de se sentir libre d’improviser sur cette chanson, qui est devenue depuis un hymne. Un très beau passage du film Ennio de Giuseppe Tornatore.


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