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Samedi 30 juillet 2022
Boum Boum de Laurie Lassale. Maurice Rajsfus. En décalage de Juanjo Giménez
Article mis en ligne le 25 juillet 2022

par CP

Boum Boum
Film de Laurie Lassale

La police hors la loi. Des milliers de bavures sans ordonnances depuis 1968 de Maurice Rajsfus.

En décalage
Un film de Juanjo Giménez (3 août 2022)

Boum Boum
Film de Laurie Lassale

Après Un peuple d’Emmanuel Gras, À demain mon amour de Basile Carré Agostini, Boom Boom de Laurie Lassalle apporte un autre angle de vision à ce qu’a été la révolte des Gilets jaunes, ce que cela a signifié pour celles et ceux qui revendiquaient plus de justice, de respect et le droit de vivre décemment. C’est aussi la libération des paroles, toutes différentes…

Dès les premières images, la voix off donne le ton du récit, une rencontre amoureuse qui se mêle à l’idée, à la construction spontanée d’un film et aux manifestations des Gilets jaunes. Chercher de nouvelles formes d’expression de la résistance, des pratiques différentes, filmer et être dans le film, dans la révolte, y participer… Boum Boom est une histoire d’amour et de révolte collective.

Le synopsis est simple : « Je rencontre Pierrot à l’automne 2018. Quelques semaines après, nous manifestons ensemble au cœur du mouvement des Gilets jaunes. La terre tremble et nos cœurs aussi. Nos corps se mêlent à des milliers d’autres qui expriment leur colère dans la rue tous les samedis, des mois durant. »
« La manif, c’est habiter la ville »

Boum Boum de Laurie Lassalle, depuis le 15 juin au cinéma.

La police hors la loi. Des milliers de bavures sans ordonnances depuis 1968 de Maurice Rajsfus.
Ce livre de Maurice Rajfus a été édité par les éditions du Cherche midi en 1996.
Et puisque les éditions du Détour a entrepris de publier les essais de Maurice Rajsfus à raison de quatre rééditions par an avec de nouvelles préfaces, voici un texte autour duquel nous avions avions discuté avec Maurice. Le texte est suivi d’un extrait de discussions sur Radio Libertaire.
Après La Police de Vichy, Les forces de l’ordre françaises au service de la Gestapo, et Drancy, un camp de concentration très ordinaire, Maurice Rajsfus enquête sur les bavures policières depuis 1968. La police hors la loi représente une masse de faits empiriques, un travail remarquable où tous les faits divers recensés donnent à réfléchir sur l’État de droit dont il est si souvent question ces temps derniers [et j’ajoute que c’est toujours le cas].
L’idéologie sécuritaire gagne du terrain sous couvert de menace terroriste. La discrimination anti-étrangers, anti-jeunes et anti-immigrés se banalise. Face à la multiplication des atteintes au droits des citoyen.nes, cet ouvrage, La police hors la loi, est un document courageux et implacable contre la haine et les dérives fascisantes d’une institution de l’État.

L’idéologie de la police et son comportement quotidien, le pouvoir des policiers et leurs liens avec le Front national, tout est passé au crible à travers l’analyse des coupures de journaux relatant les violences policières, les abus perpétrés par les “gardiens de la paix” et les parodies de justice. De faits divers sanglants en bavures, de dérapages en harcèlements, de délits en meurtres… la litanie des malversations, des violences gratuites ou non défilent au cours des pages.
"Toute collectivité humaine a son pourcentage de brutaux, de racistes et de sadiques. Le problème n’est pas tant de condamner que de prévenir et, si la prévention a échoué, de punir. La première réaction de celui qui lit le récit de ces faits détestables est de s’étonner que ces fonctionnaires brutaux ou racistes n’aient pas été repérés plus tôt et écartés de toute fonction les mettant au contact du public." Le bon sens de Maurice Grimaud, ancien préfet de police à Paris, semble à toute épreuve, mais la réalité sur le terrain est en complet décalage avec ses paroles. En outre, dans ces temps des vidéos-surveillance et de montée de l’extrême-droite, notamment dans les syndicats de police, le constat de l’escalade de la violence est inquiétant.

Maurice Rajsfus dresse un bilan accablant de l’institution policière, un bilan pessimiste dont découle une réflexion sur les moyens citoyens de résistance. Qu’il s’agisse de Que fait la police ? (bulletin mensuel de l’Observatoire des Libertés Publiques, créé en avril 1994, un an après l’assassinat à bout touchant du jeune Makomé M’ Bowole au commissariat des Grandes-Carrières. Ce bulletin dénonce les bavures policières, la banalisation de l’abus de pouvoir policier et offre l’occasion de témoigner, de remettre en question l’institution elle-même, de dénoncer les dérives totalitaires du pouvoir policier ou de voir dans le métier de policier une fonction et non un corps social à part. La police hors la loi participe à un vaste débat sur la répression. La présence plus marquée de l’extrême-droite dans la police souligne également l’urgence d’une interrogation sur les dérives d’une démocratie dont certains représentants de l’ordre, à la fois soutenus et méprisés par leur hiérarchie, se comportent au mieux comme des délinquants, au pire comme des criminels.
Extrait d’une émission des chroniques animées ce jour-là par Alain, François et moi-même. C’était alors enregistré sur K7, le son n’est pas parfait, mais il est toujours intéressant d’entendre Maurice Rajsfus parlant du bulletin Que fait la police ?

En décalage
Un film de Juanjo Giménez (3 août 2022)

Un soir dans un studio de post production cinéma… Une ingénieure du son travaille sur les bruitages d’un film et peaufine le synchronisme des images et des sons. Il s’agit là de très importantes « finitions » d’un film et c’est à l’occasion de cette étape majeure que C, interprétée par Marta Nieto, découvre un fait rare, elle désynchronise les sons et, par voie de conséquences, est en total décalage par rapport au travail effectué, et jusque dans sa vie quotidienne. Impossible à concevoir pour une personne dont le métier consiste justement à corriger la désynchronisation des éléments sonores dans un film. Elle refuse cet état de faits et se révolte.

Au cinéma, une seconde équivaut à 24 images et au début du film, C est désynchrone de 22 images — « j’entends tous les sons en décalage », dit-elle —, donc tous les sons lui parviennent en écho. Puis le phénomène de désynchronisation s’accentue jusqu’à plusieurs secondes, ce qui provoque une impossibilité d’échanger des mots, de converser, de dialoguer avec les autres… Pour finalement atteindre 1 minute 30 de décalage, et cela s’amplifie chaque jour. « En imaginant le dysfonctionnement dont le destin a frappé notre héroïne [explique Juanjo Giménez], on ne cherchait pas à reproduire des faits réels. Il y avait un désir initial de jouer avec les outils fondamentaux du cinéma, ainsi qu’une certaine volonté d’expérimentation formelle dans le cadre d’une narration classique. Mais, presque par hasard, on s’est rendu compte que le syndrome dont souffre notre conceptrice sonore existe bel et bien dans le monde réel. Au cours de notre longue phase de documentation, on est tombés sur l’histoire de “PH”, un pilote de ligne sud-coréen qui perçoit les paroles de son interlocuteur quelques secondes après que ses lèvres ne se mettent à bouger. On a appris que les personnes souffrant d’un tel décalage finissent par s’y habituer et apprennent à vivre avec. »

En Décalage est également une réflexion philosophique directement générée par le décalage des sens et, par là, de la perception dans la vie. Cette phrase en exergue de Peter Hammill souligne le phénomène et anticipe la fin du film : « Entre la sensation aux extrémités nerveuses
et l’arrivée de l’information au cortex, du temps s’écoule.
 Ainsi, vois-tu, à chaque fois qu’on se touche, nous l’avons fait dans le passé  ». En même temps se crée aussi un lien avec le cinéma muet, puisque les images et les cartons sont une illustration de ce décalage de l’image et des paroles. Mais le constat est de facto que la création est perturbée, la désynchronisation affecte directement le travail de C, comme sa relation avec les autres, dans son travail et dans sa vie personnelle. D’autant qu’elle perçoit aussi des voix décalées dans le temps et en dehors de sa présence.

En décalage est un film fascinant par son sujet très rarement abordé de manière directe. En effet, cela met en lumière les moyens cinématographiques et son processus, de la conception à la réalisation, dont les bruitages, les ambiances, la synchronisation font partie. Le public est ainsi immergé dans la « cuisine » de la post production, de la fabrique de la bande son avec le montage, les bruitages, la post synchronisation, les musiques originales et additionnelles, le mixage, etc. Il en résulte une bande son originale déstabilisante. Souffrant d’asynchronie sensorielle, C subit un déséquilibre total et doit revoir toute sa vie, l’imaginer complètement différente… Le réalisateur l’analyse ainsi : « Notre héroïne vit dans une sorte de podcast permanent. C’est tout d’abord émotionnel, puis sensoriel. Il n’y a pas de dialogues où les personnages parlent en tête à tête de “ce qui compte” ou de “ce qui est important”. Tout ce qui est essentiel est caché ou différé. Il y avait aussi des règles concernant la postproduction : pas de musique, à moins qu’elle ne provienne spécifiquement de l’action propre du film. » Il en résulte une bande son déroutante qui laisse entrevoir, et même expérimenter ce que ressent la jeune femme, en quelque sorte une impression d’être sans filet… Et là est la réussite du film. Parce qu’en fait, En Décalage se ressent avant tout à travers une « bande son asynchrone » conçue avant même le début du tournage : « nous avons mis au point deux angles de base concernant la mise en scène : un pour les séquences synchrones, l’autre pour les séquences asynchrones. On s’est évertué à créer un monde sonore désynchronisé […] en tâchant de ne pas nous reposer entièrement sur la postproduction. On avait également des règles relatives à la narration. […] Tout ce qui est essentiel est caché ou différé. » Donc pas de musiques sinon celles dans l’action même du film, pas d’effets spéciaux qui aurait spolié le surnaturel, qui devait émaner seulement de l’univers sonore.

La sensation de déséquilibre est exprimée avec sensibilité par Maria Nieto, qui, par ailleurs, joue un personnage ne suscitant pas d’emblée l’empathie, mais plutôt la curiosité, ce qui induit son évolution d’interprétation et le surnaturel qui l’accompagne.
« Entre la sensation
 aux extrémités nerveuses
et l’arrivée de l’information au cortex, du temps s’écoule »… Le son est certes magique et la fin ouverte du film prolonge une réflexion atypique et profonde…
En Décalage de Juanjo Gimenez au cinéma le 3 août 2022.

Tracy Chapman, Talkin’ Bout A Revolution


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