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Samedi 3 septembre 2022
After Blue. Paradis sale de Bertrand Mandico. Hit the Road de Panah Panahi. Plan 75 de Che Hayakawa
Article mis en ligne le 9 septembre 2022
dernière modification le 27 août 2022

par CP

After Blue. Paradis sale de Bertrand Mandico

Hit the Road de Panah Panahi

Plan 75 de Che Hayakawa au cinéma le 7 septembre

Deux films marquants de cette année par leur originalité et leur créativité
After Blue. Paradis sale de Bertrand Mandico
Et
Hit the Road de Panah Panahi
Rediffusion des entretiens avec les réalisateurs

Chronique du film de Che Hayakawa au cinéma le 7 septembre
Plan 75

After Blue
Un paradis sale

Film de Bertrand Mandico

After Blue, planète refuge pour les seules terriennes, les hommes ne peuvent y survivre, After Blue est en fait un paradis sale, ou plutôt sali par les colonisatrices qui décrètent une règle de survie : supprimer toute « mauvaise herbe », à savoir toute déviance. Le seul personnage non féminin est un androïde dont le sexe est formé de tentacules. After Blue, l’après la planète bleue, plonge d’emblée le public dans une irréalité diffuse et surréaliste, construite sur des mythes ancestraux revisités, définie par un graphisme métaphorique et par la matière organique, la terre, les pierres, la saleté, la suie, le sang…

Sur cette planète, une adolescente, Roxy, est spontanément rebelle, animée par des pulsions sexuelles qui la submergent sans qu’elle comprenne leur signification, sinon le désir de s’émanciper. Roxy la toxique, comme l’appellent les autres, délivre une tueuse enterrée dans le sable qui l’appelle petite sœur et lui promet d’exaucer trois vœux. Mais sitôt libérée, elle tue les autres adolescentes. Roxy et sa mère, Zora, sont alors bannies par leur communauté, condamnées à errer dans les territoires inconnus à la recherche de Kate Bush, la tueuse, nouvelle Lilith vengeresse.

De la même manière qu’au début du film, les voix se superposent, se répondent, se répètent comme dans une mélopée, les surimpressions d’images de femmes se succèdent en fondu enchaîné à des rythmes différenciés, évoquant la perception d’un monde parallèle, d’où finalement se détache une voix qui se veut guide du public, coryphée en somme, et interroge Roxy sur les événements qui ont découlé de son acte.

Zora, contrairement à la fille, craint de déroger aux lois du clan. Elle est la coiffeuse, la maquilleuse au service de la communauté et lorsqu’elle est enjointe de partir à la recherche de la tueuse que la milice avait enterrée dans le sable pour que « la mer fasse son œuvre », elle ne se rebelle pas même si elle se sent vulnérable pour cette chasse.

Commence alors un voyage initiatique où la relation mère et fille, dominante et dominée, prend une toute autre tournure. Les rôles se permutent même parfois. Au cours de leur quête, périple dans le paradis sale, elles croisent d’autres femmes, d’autres groupes, découvrent toutes deux un monde ignoré, mais chacune d’elle à sa façon. Roxy, hantée par les filles tuées qui l’accompagnent, surprise par l’irruption de la tueuse dans ses fantasmes ou la réalité, observe le monde fragmenté d’After Blue et s’émancipe peu à peu. Dans la forêt des délices de l’artiste, maîtresse de l’androïde, les statues sont des formes humaines pétrifiées, les arbres saignent et les êtres de la planète colonisée apparaissent… c’est un peu l’île des Garçons sauvages, mais le futur est en couleurs. Le film, tourné également en 35mm, joue sur les couleurs dominantes, saturées, extrêmes, chaudes ou froides selon les événements et les sentiments des personnages…

Dans cette société nouvelle, à la fois fragmentée et structurée, les femmes ont pris le pouvoir puisque les hommes sont morts. Fin de facto du patriarcat, mais en inversant les rôles femmes/hommes habituellement attribués en tant que codes sociaux, la domination exercée, quelle qu’elle soit, demeure. After Blue est certainement un film politique qui, tout en changeant les bases du patriarcat, garde un regard critique. Le pouvoir change de camp, mais la domination ne disparaît pas pour autant. Cela reviendrait-il à dire que tout pouvoir est maudit ? Alors se pose la question de cette chasse pour anéantir la « diablesse », Iblis au féminin, Lilith revenue du fond des âges. Symbolise-t-elle la destruction, la fin d’un cycle, d’une civilisation ou bien l’éternel recommencement ?
« Tout est à faire. Rien à refaire"

Entretien avec Bertrand Mandico.

Hit the Road
Film de Panah Panahi

Rencontre avec Panah Panahi, traduit par Massoumeh Lahidji
En Iran, aujourd’hui. Une famille en voiture sur une route, la conversation est libre sans que soit fait allusion à l’objectif du voyage. Le fils aîné conduit et se tait, près de lui sa mère semble inquiète, mais s’efforce de faire bonne figure. Sur le siège arrière, le père arbore une jambe plâtrée et leur petit garçon ne cesse de blaguer, de chanter, de danser et de poser des questions sur le voyage, et en général. Les réponses vagues de la mère indiquent que le but du voyage doit être dissimulé à l’enfant, d’ailleurs elle prend son portable et le cache sous une pierre au bord de la route. Tout à fait à l’arrière de la voiture, il y a Jessie, le chien malade, pour lequel la famille s’inquiète.

À travers le jeu des parents et la vivacité de l’enfant, l’humour déborde littéralement sur tout le film, les plaisanteries fusent, même de la part de l’enfant, que tout le monde essaie de protéger. La mère remarque d’ailleurs que ce n’est pas bien de lui mentir. Mais le gamin est trop bavard, il s’invente des histoires autour de son héros, Batman, et s’extasie soudain devant le paysage, « Que c’est beau ! » embrasse la terre, ce qui déclenche la réflexion du père : « ça recommence » ! Le voyage avance dans des paysages superbes, la voiture quitte la route principale, emprunte des chemins de terre, le secret se fait plus pesant, en même temps que l’inquiétude et l’attente s’installent…

Plan 75
Film de Che Hayakawa au cinéma le 7 septembre

Science fiction ? Non, c’est plutôt le terrible constat d’une société capitaliste où les individus doivent être productifs, sinon disparaître. Rien n’est hélas improbable dans le récit qui se déroule au Japon où le vieillissement de la population s’amplifie et pose bien entendu à l’État le problème de leur prise en charge malgré la raréfaction des services publics dédiés aux personnes malades et âgées. Devenant des charges coûteuses et non rentables, le gouvernement met donc sur pied le « Plan 75 » qui propose aux personnes de 75 ans et plus un accompagnement logistique et financier pour mettre fin à leurs jours. Ce « Plan » est largement médiatisé et la propagande le présente comme un bienfait pour les personnes âgées devenues des charges inutiles et pour la population en général. Entendez par là l’État et non la population, tout est basé sur la pression sociale intégrée dans les mentalités, y compris par les personnes âgées elles-mêmes, qui ont le « sentiment d’être inutiles et d’être un fardeau pour la société, leur famille, ou leurs amis. [Et, ajoute la réalisatrice,] les médias attisent la peur de la vieillesse et du vieillissement de la société, de sorte que l’anxiété des gens augmente. Même les jeunes s’inquiètent de leur vie après la retraite. Le gouvernement japonais semble envoyer des messages aux gens pour qu’ils se débrouillent seuls. »

Trois personnages se retrouvent confrontés à ce pacte mortifère, une femme seule de 75 ans, Michi, un recruteur, Hiromu, délégué par le gouvernement pour trouver des candidat.es afin de les convaincre du bien-fondé du programme, et une jeune aide-soignante philippine, Maria. Tout en analysant avec finesse les comportements des protagonistes, la réalisatrice souligne sans détours « l’intolérance et le manque d’imagination face à la douleur des autres [qui] sont les choses les plus menaçantes que je veux dépeindre dans ce film. »
Pour son premier long métrage, Che Hayakawa, cible la logique d’une société productiviste et ses dérives ordinaires qui évoquent le fascisme. En fait, ce n’est pas le choix d’un suicide assisté, mais une incitation au suicide pour ne plus représenter une charge pour la société. Mais tout se passe dans une courtoisie sur commande et même une douceur pour faire accepter l’euthanasie comme une évidence sociale, autrement dit c’est la dérive ordinaire d’une société qui donne la priorité à l’économie et à la productivité plutôt qu’à la dignité humaine.

Ce qui est particulièrement remarquable dans le film, c’est d’une part la soumission des êtres humains, le manque de questions sur le devenir des corps après la mort et, parallèlement, l’évolution à leur insu et la prise de conscience des trois personnages. Parfois c’est un sourire, une parole, le regard d’un agonisant ou encore un paysage qui créent le déclic, suscitent des interrogations et remettent en cause les diktats étatiques. Est abordé également la paupérisation des personnes âgées, car la prime accordée par le « Plan » est attractive, d’autant que, par exemple, les centres d’aide au logement ne remplissent pas leur rôle alors que le coût de la vie augmente. Et si le « Plan 75 » est une réussite, pourquoi ne pas envisager de descendre la limite d’âge à 65 ans ?
On pense évidemment à Soleil vert de Richard Fleischer (1973) d’après le roman de Harry Harrison, ou encore à la Balade de Narayama de Imamura (1983) adapté de la nouvelle de Fukazawa, mais sans doute le plus effrayant dans Plan 75, comme le souligne Che Hayakawa, c’est l’inhumanité ordinaire sous des dehors « polis », l’acceptation de décisions gouvernementales, ce qui revient à admettre l’injonction de ne pas penser : « Arrêter de penser », on décide pour vous ! Dans la course au profit et à la rentabilité, le film est certainement une réflexion politique profonde et intéressante.
Plan 75 de Che Hayakawa est au cinéma le 7 septembre.

Enfin pour conclure cette émission, Christine Monot nous fait découvrir le texte d’un écrivain guatémaltèque… Agusto Monterosso


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