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Samedi 10 septembre 2022
Tout fout le camp de Sébastien Betbeder. 107 Mothers de Peter Kerekes. Walden de Bojena Horackova. Il était une fois Palilula. Paulin Dardel pour les éditions Demain les flammes
Article mis en ligne le 14 septembre 2022
dernière modification le 17 septembre 2022

par CP

Tout fout le camp
Un film de Sébastien Betbeder (14 septembre 2021)
Entretien avec le réalisateur

107 Mothers
Film de Peter Kerekes (14 septembre 2021)

Walden
Film de Bojena Horackova (14 septembre 2021)

Il était une fois Palilula
Un film de Silviu Purcarete (14 septembre 2022)

Rencontre avec Paulin Dardel pour les éditions Demain les flammes,.

Tout fout le camp
Un film de Sébastien Betbeder (14 septembre 2021)
Entretien avec le réalisateur

Thomas, journaliste qui rêvait d’écrire dans le Monde, se retrouve à Amiens pigiste pour le journal local. Et les commandes d’interviews sont décevantes et ennuyeuses. Il y a bien sûr ce couple de taxidermistes et Toto le sanglier flingué par amour, mais Thomas est blasé et se sent largué dans une suite de reportages dont il ne voit pas très bien l’intérêt, et rien de génial côté scoop… De retour à son journal, la rédaction lui propose de faire le portrait d’Usé, un chanteur, ex candidat aux Municipales qui promettait d’« aller jusqu’au bout » avec un parti pour le moins original : le parti sans cible.

Thomas, c’est la voix off du film, le conteur et en quelque sorte le fil d’Ariane d’une aventure pour le moins décalée, bousculée et subversive. L’entretien avec l’ex candidat se révèle à côté de la plaque des codes journalistiques habituels, mais sincère et quelque peu marginal. En fait, l’interview, comme le film, est inclassable… Alors il faut s’accrocher et comme il est dit dans le film : « allume le cierge et fais une prière !
— Mais j’suis athée ! »
On est sur Radio Libertaire, et là, ça colle vraiment avec l’univers du film, les univers devrait-on dire car les deux hommes, un peu étonnés, plutôt ahuris à la manière d’Elia Suleiman, se retrouvent face à un mort sur le trottoir, au milieu des poubelles… Un mort qui soudain ressuscite et tout bascule dans une dimension surréaliste, irrationnelle et absurde, gore avec en prime la gerbe façon l’Exorciste… « J’aime plutôt quand le genre surgit de manière impure, qu’il dérègle le réel », déclare Sébastien Betbeder. C’est certain ! Parce que entre Jojo le zombie sensible et amnésique, les hallucinations de Thomas qui craque, le road movie depuis Amiens et retour à Amiens avec un passage par un nulle part qui pourrait être n’importe où, le film présente « un univers singulier semé de moments étranges, une parenthèse enchantée ». Tout fout le camp s’évade du genre et s’amuse des genres.

De même, tout en jouant sur le décalé, le film aborde nombre de thèmes sociaux et politiques : les élections et l’écart entre les propositions des politiques et les attentes de la population, l’abandon de la décentralisation avec la désertification des régions, le retrait du service public, le repli sur soi, l’ennui, la lutte de classes, la nécessité de résistance et la construction d’un contre pouvoir, les bavures policières, le tout sécuritaire et l’indifférence à l’humain… Bref : Tout fout le camp !

De plus Tout fout le camp met en scène une galerie de personnages incroyables, la collègue journaliste, les taxidermistes, l’épicier, les flics, les chanteurs de la kermesse, sans oublier Pépé, ou encore le copain de Thomas, etc., tous et toutes ont leur importance dans le récit et offrent une vison différente des codes cinématographiques, c’est-dire les personnages soit-disant secondaires existent. Thomas, Usé, Jojo, Marilou, c’est le quatuor d’une aventure humaine. Un parti sans cible ? Histoire de dérouter les opportunistes. En attendant, le film est délirant et la fin est superbe !
Au fait, pourquoi avoir choisi un journaliste pour lancer le récit ?

107 Mothers
Film de Peter Kerekes (14 septembre 2021)

Dans une prison de femmes à Odessa, Lyesa met au monde un petit garçon. Condamnée pour avoir tué son compagnon dans un accès de jalousie, elle purge sa peine et pourra garder son enfant jusqu’à l’âge de trois ans. La loi est telle qu’au troisième anniversaire de l’enfant, il est séparé de sa mère, accueilli par un membre de la famille de la détenue, sinon il est placé en orphelinat. À l’approche de cette échéance, Lyesa tente de convaincre sa mère de prendre en charge l’enfant, puis sa sœur jusqu’à sa libération afin de ne pas être séparée de son fils.

107 Mothers est un long métrage de fiction réalisé dans un contexte documentaire puisque construit à partir d’entretiens avec des prisonnières. Tout le film se déroule entre les murs d’une prison où les détenues sont enceintes ou avec leurs jeunes enfants. Le film, qui au départ était initialement sur la censure en taule — courrier, objets, etc. — devient une chronique au quotidien de jeunes mères qui accouchent en prison et vivent en partie avec leurs enfants jusqu’à l’âge de trois ans. On assiste d’ailleurs à un accouchement en début de film, « je voulais dire aux spectateurs que je n’allais pas leur mentir [explique Peter Kerekes]. Mon film serait plein de sang et de sacré comme peut l’être une naissance. Et puis la première fois que j’ai vu ces femmes allaiter, j’ai été très surpris. Toutes les trois heures, les prisonnières donnent la tétée à leurs enfants puis s’en vont. Depuis le tournage, elles peuvent passer plus de temps avec leurs enfants. » En effet, après l’accouchement, les mères sont mises en quarantaine, autorisées à allaiter leur bébé à heure précise, mais séparées d’eux. Une première rupture entre la mère et l’enfant, absurdité cruelle montrée dans le film en particulier avec la séquence de la nurserie où les bébés pleurent surveillés par une matonne qui, visiblement, n’a aucune empathie vis-à-vis des nourrissons. Les matonnes sont d’ailleurs pour la plupart brutales avec les femmes considérées comme de la racaille.

Cependant l’idée du film a été en quelque sorte inspirée par une rencontre avec une gardienne de prison, qui est l’un des principaux personnages du récit, «  à la fois gardienne, confidente et parfois amie pour les détenues [précise le réalisateur], elle reste néanmoins une fonctionnaire chargée d’administrer leur peine », de même que de censurer leur courrier. Ainsi, le film est structuré par la vie en prison, une « mosaïque » d’histoires révélées par les entretiens avec les détenues et la relation avec la gardienne. Les interrogatoires des femmes révèlent que beaucoup d’entre elles ont tué leur conjoint en raison de brutalités subies ou « par jalousie ». C’est le cas de Lesya qui est qusi mutique durant sa détention, sauf avec une autre prisonnière. Cette dernière obtient finalement une libération conditionnelle, qui signifie la garde de son enfant auprès d’elle… parce que la seconde rupture, la plus tragique, intervient à l’anniversaire des trois ans de l’enfant, qui, s’il n’est pas pris en charge par la famille de la prisonnière, est automatiquement enlevé à la mère et placé dans un orphelinat.
Interprétés à la fois par des comédiennes professionnelles et des prisonnières, le film est impressionnant de réalité même si le réalisateur dit ne pas avoir dirigé les non professionnelles, mais simplement d’avoir observé et écouté en ajoutant : « ce qu’elles avaient envie de partager avec moi, se retrouve dans le film. Les rôles secondaires m’intéressaient beaucoup : leurs histoires, leurs témoignages, leurs visages. Je voulais avoir certaines femmes dans le film, simplement parce que j’aimais leurs visages sur lesquels on lit leur passé. Les détenues, que je trouve toutes excellentes, jouent toutes leurs propres rôles, des femmes brisées à l’avenir incertain qui se raccrochent aux quelques heures de bonheur autorisées par jour auprès de leurs enfants. »

Même si le film n’est pas lié au conflit en Ukraine et a un caractère universel, il est certain que la situation des détenues, leur enfermement prennent une dimension d’autant plus dramatique : « je pense que ce lien fort entre les mères et les enfants et la fin légèrement optimiste du film peuvent amener les gens à réfléchir à la situation. En ces temps de guerre, il est facile de tomber dans une pensée manichéenne et d’oublier ce qu’est l’humanité. [d’où ce commentaire du réalisateur] : j’espère que 107 Mothers contribue à rappeler cette humanité car on y voit des criminelles qui ont tué leurs maris ou leurs amants. » Réflexion on ne peut plus universelle lorsque l’on aborde la situation des femmes et des enfants en prison, car ce qui est souligné dans le film, c’est que les enfants sont également punis et que la rupture obligée à deux reprises du lien affectif avec leur mère est d’une injustice flagrante et même monstrueuse.
107 Mothers de Peter Kerekes au cinéma le 14 septembre 2021

Walden
Film de Bojena Horackova (14 septembre 2021)

En 1989, juste avant la chute du Mur de Berlin, l’espoir d’un changement semble présent partout dans les pays du bloc de l’Est, notamment en Lituanie, mais pas pour tout le monde, car le contexte politique et les privilèges de certains et certaines ont forgé les esprits et les mentalités. Plus qu’un constat de fin de régime, le récit est une étude très fine sur l’histoire d’un amour adolescent et le rêve de fuite.

L’idylle commence à la patinoire entre Jana, fille de médecin, sérieuse et bonne élève, et Paulius, qui n’a qu’un but, c’est fuir Vilnius pour l’Allemagne, oublier la médiocrité d’une vie déprimante, et pour cela il trafique des devises et fait du marché noir. Les différences sociales sont évidentes entre les familles des deux jeunes, liées évidemment à la politique et à l’appartenance ou pas au Parti.
Le film tourne autour de Jana, de son premier amour, de sa vision d’une révélation sur elle-même, de sa fascination pour Paulius et des rêves de liberté de deux jeunes gens symbolisée par l’Ouest. Paulius est aventureux, débrouillard, sans illusions et cela vient sans doute de la position sociale de son père, relégué à un poste subalterne pour des raisons politiques. Jana, jeune fille privilégiée, est tout d’abord étonnée par son attirance pour ce garçon qui brave les règles, et goûte avec lui ce qui ressemble au risque et à la subversion. Le film est la chronique d’une jeunesse qui rêve de liberté et même d’utopie à travers une vie amoureuse cachée près d’un lac mystérieux qu’il et elle appellent Walden.

Parallèlement, le film montre le retour de Jana en Lituanie plus de deux décennies plus tard, à la recherche de cet amour et du goût de liberté qu’il a représenté. Comme l’explique Bojena Horackova, « le présent du film, c’est 1989 et ce qu’on voit du monde d’aujourd’hui, c’est presque une projection de Jana jeune dans son futur. 1989 n’est pas un flash-back, c’est la vraie temporalité du film. Ces projections de Jana viennent comme par effraction dans ce présent. Jana adolescente a peur de l’avenir : on n ‘arrive jamais à s’imaginer soi-même des années plus tard, on est forcément devenu “une étrangère”. Et cette étrangère, une Européenne aujourd’hui, retraverse des lieux que Jana connaissait, jusqu’au lac Walden. Ce lac ressemble à un rêve, comme le voyait Paulnius, mais aussi une terreur : il n’y a rien au-delà de ce lac, c’est la dernière image, tout s’arrête là. On ne sait plus trop si on l’a vraiment vécu dans le passé, et pourquoi on s’y retrouve aujourd’hui. »

L’évocation de l’amour de Jana et Paulius dans un moment spécifique donne l’idée de la tension subie par les êtres, et anticipe de leur séparation. Jana partira à l’Ouest, mais Paulnius n’obtiendra pas son passeport. Une question demeure : pourquoi Jana revient-elle sur les lieux du rêve de fuite ? Walden transmet à merveille le sentiment de pression exercée sur toute une génération. C’est la même impression qui émane du livre de Denitza Bantcheva, Visions d’elle, le régime malgré tout survit dans les esprits. Est-ce le cas pour Jana ?
Walden de Bojena Horackova au cinéma le 14 septembre 2022.

Il était une fois Palilula
Un film de Silviu Purcarete (14 septembre 2022)

Drôle de film qui nous plonge dès le début dans une tempête de neige à l’arrivée d’un jeune médecin, Sérafim, à Palilula, lieu improbable et fantasmé. Il était une fois Palilula, un univers rêvé que ce village au centre de la plaine de Valachie, où les lois de la physique ne sont pas aussi rigoureuses qu’ailleurs sur Terre. On y boit beaucoup, cela paraît même le principal moyen de communication, on y parle un langage décousu, et puis il y a les histoires, les grenouilles, les trains qui sont essentiels et le jeune pédiatre se demande bien ce qu’il est venu faire à Palilula, puisqu’il n’y a ni enfants, ni d’ailleurs de clinique. Les habitant.es racontent « leurs mythes et leurs légendes, leurs fantasmes et leurs ragots, leurs histoires et leurs anecdotes qui sculptent le groupe en tant qu’entité immuable. S’ils sont tous dépeints individuellement, ils sont définis en tant que membres de cet ensemble plus grand auquel ils appartiennent. Dépossédés de toute possibilité d’y échapper, ainsi que de l’envie de le faire. Alternativement agités ou indolents, heureux ou mélancoliques, ils sont toujours là, rassemblés au centre du monde, sur la terrasse aux lauriers, à l’hôpital ou à l’hôtel Boema. »

C‘est un regard nostalgique sur les années 1960 et 1970, symbolisé par un lieu perdu dans les Balkans, au milieu de nulle part. Sérafim n’est pas au bout de ses surprises : les gens marchent sur les murs et au plafond, les loups se font insulter, le violoniste joue l’Internationale à la manière tsigane, une femme hermaphrodite change de sexe selon la lune, et bien entendu, l’image tutélaire du parti communiste et la paranoïa anti américaine est représentée par Virgil et sa Pomponette, sans oublier la faucille et le marteau qui estampillent jusqu’aux radiographies… Mais « je suis docteur [se répète Sérafim], et qu’est-ce que je fous là ? » Et les séquences les plus étonnantes se succèdent et s’enchaînent plus déjantées les unes que les autres. Palilula, on y arrive, mais on n’en part plus, c’est « une rencontre surnaturelle avec son absurdité. Mais dans ce monde hors du temps, monde éternel d’assoiffés, de grenouilles, de vieilles courtisanes et d’aristocrates, de médecins malades et de patients en bonne santé, le Parti Communiste persiste à faire irruption comme un rabat-joie.
Ici, aucune des transformations majeures qui ont affecté le monde extérieur ne perturbent les habitants de Palilula. Ni les morts, ni les incendies et les inondations, et encore moins les changements de régimes politiques, dont aucun ne peut l’emporter sur leur propension purement roumaine à la moquerie. »

Réalisé en 2010, Il était une fois Palilula est l’unique film de Silviu Purcarete, le film est inédit en France. Comme le personnage de Sérafim, on est surpris, puis captivé par cette fable politique, son univers sonore et la prolifération des scènes qui, à la fois, font penser au mouvement surréaliste et à Fellini.
Il était une fois Palilula de Silviu Purcarete sort en salles le 14 septembre.

Rencontre avec Paulin Dardel pour les éditions Demain les flammes,.

On aime Demain les flammes le fanzine, et voilà que le fanzine donne aussi son nom à des éditions depuis deux ans.
C‘est un entretien avec Paulin Dardel, maître d’œuvre du fanzine et des éditions, et qui participe aussi aux éditions Ici bas…Une rencontre sur fond de groupes punks.

Les chroniques rebelles de Radio Libertaire et ses illustrations musicales : Delphes de Tony Hymas, Love is Just a Four-Letter Word par Joan Baez, Révolution permanente de Georges Moustaki, Stiff Upper Lip de ACDC


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