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Samedi 17 décembre 2022
Une Femme indonésienne de Kamila Andini. AEIOU de Nicolette Krebitz. Annie Colère de Blandine Masson. « Où est-ce qu’on se mai ? » Fièvre méditerranéenne de Maha Haj. La Poupée de W.J. Has. Peter von Kant de François Ozon. Every Thing Everywhere All at once des Daniels. De l’autre côté du ciel de Yukusa Hirota. L’Insurgée de Séverine. "Journée internationale contre les violences faites aux TDS". CQFD
Article mis en ligne le 18 décembre 2022

par CP

Une Femme indonésienne
Film de Kamila Andini (21 décembre 2022)

AEIOU. L’Alphabet rapide de l’amour
Film de Nicolette Krebitz (21 décembre 2022)

Annie colère
Film de Blandine Lenoir

À Beaubourg : « Où est-ce qu’on se mai ? »
Vidéo militante des années 1970 en France

Fièvre méditerranéenne
Film de Maha Haj (14 décembre 2022)

la Dernière reine
Film de Damien Ounouri et Adila Bendimerad

La Poupée de W.J. Has

Sorties DVD/BRD :
Peter Von Kant
Film de François Ozon

Every Thing Everywhere All at once
Film des Daniels (Daniel Kwan et Daniel Scheinert) (sortie en DVD BRD le 3 janvier 2023.)

De l’autre côté du ciel
Film d’animation de Yusuke Hirota

L’Insurgée
Séverine (éditions de l’échappée)

Une Femme indonésienne
Film de Kamila Andini (21 décembre 2022)

Les premières images du film sont celles de deux sœurs et un bébé fuyant un danger dans la forêt. La jungle est peuplée de ceux qui les poursuivent, provoquant la frayeur de Nana et nourrit par la suite toutes ses visions. Sa sœur la presse de partir, mais Nana ne comprend pas ce qui se passe, elle aperçoit la silhouette de son compagnon disparu sans doute arrêté comme opposant à la junte militaire.
— « j’oublie même son odeur, cela veut-il dire qu’il est mort ? », demande-t-elle à sa sœur, « pourquoi doit-on se presser ? Par qui est-on suivies ? »
— « Par ces gens qui ont pris ton mari », répond sa sœur, « ils veulent aussi te prendre et te marier à leur chef. Ne pose plus de questions. Dépêche-toi. » Soudain les «  gens » sont partout, rencontrent son père qu’ils décapitent…
Nana se réveille en sursaut du cauchemar qui la hante depuis quinze ans et se retrouve dans sa nouvelle maison, auprès de son second mari qui l’entoure d’attentions et de cadeaux, tout en lui étant infidèle. Before Now Then est le titre original du film qui donne une clé sur le mélange des espaces temps dans le récit, vécu par Nana.
Elle s’occupe du domaine, de son mari et de ses enfants, surtout de leur bébé et de leur plus jeune fille, Dais, toujours auprès d’elle et très attachée à ses parents. Dais représente la nouvelle génération, elle veut se couper les cheveux comme les garçons, se bagarre avec, ne comprend pas pourquoi sa mère, comme les autres femmes, nouent leur chevelure en chignon : « c’est pour y dissimuler leurs secrets », répond Nana. Dais ne l’entend pas de cette oreille et remet en question certaines traditions ancestrales. Les deux premiers enfants du second mariage de Nana sont absents et élevés par des parents, on apprendra qu’après la perte d’un enfant, on lui a prédit qu’elle mettait ses nouveaux nés en danger et qu’elle était responsable de la mort du premier enfant. Cependant à la naissance de Dais, Nana s’est insurgée et a gardé sa fille et son bébé auprès d’elle.

En épouse soumise, même lorsqu’elle découvre les infidélités conjugales, dont elle souffre en silence, Nana gère la maison, l’organisation de la plantation et les domestiques, mais on la sent en retrait, sans confiance en elle. « J’ai tout appris de toi », confie-t-elle à son époux, « je suis une fille de la campagne et grâce à toi, j’ai arrêté de fuir ». Elle découvre que la dernière maîtresse de son mari est propriétaire d’une boucherie au marché, elle alors décide de prendre contact avec elle,
— «  méfiez-vous des communistes. La bouchère, ça se voit qu’elle est communiste », lui dit une femme au marché. Mais Nana rencontre Ino et une amitié va très vite lier les deux femmes. C’est Ino, très autonome, qui va l’encourager à s’émanciper, déjà des réflexions incessantes de sa belle-mère, de sa culpabilité aussi — « la guerre a pris mon père, mon fils et mon mari et c’est de ma faute » avait-elle confié à Ino, enfin s’émanciper du regard des autres. Elle se libère de ses cauchemars et retrouve son premier mari disparu depuis quinze ans,
— « Je sais que tu es remariée [et] je ne veux pas te déranger si tu es heureuse ». Mais lorsqu’il apprend que leur fils est mort dans la fuite, il s’écrie « qu’est-ce que la vie a fait de nous ? »

L’image du film est envoutante, comme les musiques de la bande son, les apparitions futures de Dais devenue adolescente, mais surtout les rencontres dans cette longue rue déserte, avec son mari disparu font penser à la magie des images de Wong Kar Wai, notamment celles de In the Mood For Love. Une grâce et une élégance qui fascinent dans le contexte d’émancipation des femmes.
Tout au long du film sont évoqué, par bribes, les problèmes socio politiques qui ont agité l’Indonésie depuis 1945 jusqu’en 1965, par exemple, dans les conversations à demi tues entre les employé.es du domaine, au marché et pendant les bulletins d’information retransmis à la radio.
Kamila Andini capte parfaitement le climat de ces années, la vie des femmes régie par des coutumes ancestrales, que semble vouloir bousculer la jeune Dais…
Le film a été primé au Festival de Berlin et il est inscrit en exergue du générique de début : « Pour nos mères et nos ancêtres ».
Une femme indonésienne, ou Before Now Then est un de ces films rares à ne pas manquer.
Une femme indonésienne de Kamila Andini au cinéma le 21 décembre.

AEIOU. L’Alphabet rapide de l’amour
Film de Nicolette Krebitz (21 décembre 2022)

Anna est comédienne, elle vit seule dans son appartement et, à soixante ans, elle est cantonnée dans des rôles peu intéressants. Des pièces radiophoniques qui la rebutent et qu’elle quitte en claquant la porte du studio, des entretiens où les journalistes la regardent comme quelque peu dépassée sinon périmée, bien qu’elle soit bien "conservée" comme elle le fait remarquer à ses interlocuteurs qui regardent des clichés d’elle. Car Anna n’a pas la langue dans sa poche, ne se démonte pas, elle sait ce qu’elle vaut, mais dans le monde du spectacle, pour une femme, passé un certain âge, le choix des rôles se rétrécit. Un seul ami, son voisin du dessous, qui d’ailleurs lui loue son appartement. Il est celui qui l’observe et la protège.
Après un nouvel échec, elle accepte avec quelque réticence de donner des cours d’éloquence à un jeune en échec scolaire en vue d’un spectacle auquel il participe. Adrian a du mal à s’exprimer et il fait presque demi tour en arrivant à la porte d’Anna, qui le prend au sérieux dès le premier cours. Le visage d’Adrian rappelle à Anna celui d’un garçon entrevu furtivement et qui lui avait arraché son sac près de chez elle. Les leçons les rapprochent peu à peu et une histoire d’amour s’ébauche sans qu’il et elle n’osent y croire.
Anna, qui a perdu son compagnon dans des circonstances dramatiques est chamboulée par cet amour inattendu et, après une brouille, décide de partir dans le sud de la France avec Adrian. Il l’entraîne alors dans son monde de la subversion, voler comme un jeu, une manière de se moquer d’une société qui ne se soucie pas des jeunes. Anna et Adrian s’aiment, ne se soucient guère des conventions et jouent comme sur une scène de théâtre.

Le film de Nicolette Krebitz s’attache sur le regard des autres. Anna et Adrian, explique la réalisatrice, « tentent d’affronter le reste du monde. Ils forment un vrai couple et font plus ou moins des “choses de couple" très normales. Et pourtant, les deux sont toujours différents des autres : Anna, parce qu’elle ne fait absolument aucun effort pour se tailler une image féminine ; et Adrian, parce qu’il ne se soucie pas de ce que les gens disent, car personne ne s’est jamais soucié de lui — jusqu’à ce qu’il rencontre Anna et trouve sa voix. »
Le récit du film fait une ellipse il commence lors de l’escapade au soleil et de la confrontation avec un commissaire de police qui demande à Anna de reconnaître l’individu, qui lui aurait offert un collier volé. Anna joue alors le rôle parfait de la naïve et repart en Allemagne…
Flashback sur les débuts d’une histoire d’amour sinon impossible, différente.
AEIOU. L’alphabet de l’amour de Nicolette Krebitz sort en salles le 21 décembre.

Annie colère
Film de Blandine Lenoir

Février 1974. Parce qu’elle se retrouve enceinte et ne désire pas avoir un troisième enfant, Annie, qui est ouvrière, se décide à rencontrer le MLAC – Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception qui pratique les avortements illégaux —, fondé sur l’aide concrète aux femmes et le partage des savoirs.
 Elle est accueillie par un des groupes avec chaleur et solidarité, et finalement elle s’engage dans le combat des femmes pour l’adoption de la loi sur l’avortement. Sa vie est bouleversée, et c’est à travers le personnage d’Annie que l’on découvre ou redécouvre la lutte des femmes dans les années 1970, grâce à laquelle les femmes ont obtenu ce droit à disposer de leur corps. Et c’est d’autant plus important de voir ce film dans le contexte actuel de « Backlash », de retour du bâton réactionnaire par rapport aux droits des femmes, remis en question dans plusieurs pays, aux États Unis par exemple, en Pologne, et dans trop d’autres pays encore. La vigilance est nécessaire, car les lois, on peut les défaire, les effacer, rien n’est jamais acquis…
Comme l’explique Blandine Lenoir : « l’histoire des mouvements sociaux est globalement peu racontée, mais encore plus quand ils concernent les droits des femmes. Toute mon enfance, j’ai eu l’impression que les femmes étaient les figurantes d’une superproduction, que leur histoire ne comptait pas. Des femmes qui luttent ensemble, ce sont des images que j’ai rarement vues au cinéma ; je n’avais que rarement vu aussi des femmes bienveillantes entre elles... […] Le récit historique est un rapport de force, il y a un récit manquant, un récit à renouveler. L’histoire du MLAC fait partie de l’histoire politique de la France. Avec ce film, je veux rendre grâce à ces femmes qui ont lutté pour notre liberté, qu’on se souvienne que les lois s’arrachent de haute lutte ! Je voudrais que le MLAC fasse partie de la mémoire collective. »

Annie colère rend compte de ce qui se passait en France dans les années 1970 et pour ne pas oublier, voici quelques repères :
1920 : Pour repeupler la France, après la Première Guerre mondiale, la loi interdit l’avortement et la contraception
1967 : La loi Newirth autorise la vente de contraceptifs (appliquée réellement en 1972)
Avril 1971 : Manifeste des 343 femmes déclarant avoir avorté, dans Le Nouvel Observateur
Automne 1972 : Procès de Bobigny avec Gisèle Halimi, qui fait le procès de la loi
Février 1973 : Manifeste des 331 médecins déclarant utiliser la méthode Karman, dans Le Nouvel Observateur
Avril 1973 : Création du MLAC (Mouvement pour la Liberté de l’Avortement et de la Contraception).
1974 : Présentation de la loi légalisant l’avortement, adoptée par l’assemblée nationale (284 voix pour, 189 contre). 30 heures de débat retransmis à la TV. La loi Veil est promulguée en 1975, pour une période probatoire de 5 ans
1982 : L’avortement est remboursé par la sécurité sociale

2014 : Suppression dans la loi de la notion de détresse et de la semaine de réflexion obligatoire
Blandine Lenoir ajoute que ce qui se passe dans certains états états-uniens, après la décision de la Cour suprême dominée par la droite façon Trump, cela « donne des ailes aux anti-IVG ! Et ils sont partout, y compris en Europe ! Depuis le drame [états-unien], le parlement européen veut graver le droit à l’IVG dans la charte de l’UE, mais il faudrait l’unanimité des pays membres, et le sujet divise les 27. Et il faut se souvenir que depuis janvier 2022, la nouvelle présidente maltaise du parlement européen Roberta Metsola est farouchement opposée au droit à l’IVG... Concrètement en France, le tableau n’est pas non plus réjouissant : le droit à l’IVG n’est toujours pas inscrit dans la constitution, il reste un droit toléré, mais négatif. Les médecins militant·es partent à la retraite et de nombreux jeunes médecins refusent de pratiquer les avortements. Plus de 180 centres IVG ont fermé depuis 20 ans, donc il y a vraiment des territoires entiers où on ne peut plus avorter... Il faut rester vigilant. Chaque progrès pour le droit à l’avortement a été un rude combat, et on sait qu’en ce qui concerne les droits des femmes, quand on n’avance pas, on recule ! »
Le film de Blandine Lenoir devrait être montré dans les écoles et partout…

À Beaubourg : « Où est-ce qu’on se mai ? »
Vidéo militante des années 1970 en France

Niveau 4, espace des collections vidéo, film, son et œuvres numériques
L’espace des collections film, vidéo, son et œuvres numériques est un lieu dédié au sein du Musée national d’art moderne à la présentation et à l’étude des œuvres de la collection film et de la collection nouveaux médias du Centre Pompidou.
En libre accès, deux postes de consultation permettent de consulter plus de 2 000 œuvres numérisées. Une programmation régulière met en lumière une sélection d’œuvres et de documents à partir des collections du Musée. Acquisitions récentes, lectures critiques et sujets d’actualité invitent à renouveler le regard sur les cultures analogiques et numériques de l’image et du son.
« Où est-ce qu’on se mai ? » emprunte son titre à la vidéo de Ioana Wieder et Delphine Seyrig, Où est-ce qu’on se mai ?, slogan repris du cortège féministe de la manifestation parisienne du 1er mai 1976. Cette interrogation permet de déplier des questions toujours actuelles. Quelle place les femmes et leurs revendications occupent-elles dans les luttes sociales et politiques ? Quelles sont les potentialités des combats et des rêves féministes ? Comment ces images vidéo circulent-elles entre militantisme et milieux artistiques ? Autant d’interrogations ouvertes, susceptibles de relectures pluridisciplinaires.
Les vidéos présentées sont issues des collections du centre Pompidou. Et également avec la collaboration de Bobines plurielles et du Centre audiovisuel Simone de Beauvoir.
Voici un extrait du film de Carole Roussopoulos, DEBOUT !

Fièvre méditerranéenne
Film de Maha Haj (14 décembre 2022)

Pourquoi une nouvelle chronique pour ce second film de Maha Haj, parce qu’il traduit exactement le climat engendré par l’occupation militaire, sans parler frontalement de politique, mais en évoquant les effets de la situation sur toute une population. Fièvre méditerranéenne est un film qui dévoile, à chaque visionnage, des détails de la mise en scène, des décors, des allusions dans les dialogues ou les comportements qui traduisent le malaise d’une société, la situation atypique des Palestiniens israéliens, autrement dit des Palestiniens et Palestiniennes de 1948, celles et ceux qui ne se sont pas exilé.es, ou n’ont pas été chassé.es au moment de la création de l’État d’Israël. Ils et elles ont une citoyenneté différente, et pas exactement les mêmes droits que la population israélienne à l’intérieur du pays. Est-ce la raison de cette fièvre méditerranéenne ? Une des raisons peut-être, traitée avec un humour décapant, déroutant comme sait le faire Maha Haj, puisque, dit-elle, elle est aussi touchée par cette fièvre méditerranéenne, évoquée dans le film par la jeune docteure d’origine russe.

Le désespoir tourné en dérision ? C’est beaucoup plus subtil, il y a aussi un sentiment d’impuissance et un désarroi identitaire, avec lesquels la réalisatrice joue avec finesse, critique, inventivité et en ménageant des surprises et des rebondissements. Elle nous en avait fait la démonstration dans son premier long métrage, Personnal Affairs, dans Fièvre méditerranéenne, elle approfondit encore la réflexion sur un Moyen Orient difficile à saisir et à comprendre, même si la profusion des images diffusées laisse l’impression de connaître beaucoup de choses.
Le cinéma de Maha Haj rejoint celui de Elia Suleiman (Le Temps qu’il reste) ou de Raed Andoni (Fix Me) pour ne citer que ces deux réalisateurs qui savent souligner le tragique de situations absurdes, qui, à terme, ne bénéficient à personne. « Cette fièvre méditerranéenne, mal sous-jacent, affecte certains des habitants de la région, c’est une maladie profondément ancrée à cet endroit. Elle reflète aussi d’autres maux plus évidents : politiques, sociaux et psychologiques. Le film se focalise ouvertement sur cette maladie, bien que ce soit ces maux qui m’intéressent, ceux qu’on n’examine pas au microscope, ceux qui ne sont ni diagnostiqués ni soignés. »

Le Raï est consacré par l’UNESCO dont Cheikha Rimitti et Rachid Taha

la Dernière reine
Film de Damien Ounouri et Adila Bendimerad

Puisque nous parlons de l’Algérie, la Dernière reine du duo de réalisation, Damien Ounouri et Adila Bendimerad, qui en est aussi l’interprète principale, et dont la sortie nationale est prévue le 19 avril 2023 et bien vous pouvez le voir en avant première le 22 décembre au cinéma Louxor.
Film historique situé dans l’Algérie du XVIème siècle ; une découverte : l’histoire algérienne ne commence pas avec la lutte pour l’indépendance, mais cette histoire est la plupart du temps méconnue. Damien Ounouri et Adila Bendimerad s’étaient déjà illustré dans un fascinant moyen métrage, Kindil, présenté au festival CINEMED en 2017. Cette fois, à travers le portrait de la reine Zaphira — légende ou réalité ? —, c’est un pan de l’histoire algérienne à un tournant important, juste avant la conquête ottomane.
Film épique et féministe, la Dernière reine offre au public une épopée originale où la reine Zaphira résiste au pirate Aroudj Barberousse, et tout cela dans un chatoiement de costumes et de décors, sans parler de la chorégraphie des affrontements et la puissance d’interprétation de tous les personnages. Conçu en cinq actes à la manière d’une tragédie antique ou shakespearienne, le film déroule le récit d’une histoire importante pour la Méditerranée et, au delà, le monde. Très beau film et un premier long métrage passionnant.

La Poupée de W.J. Has
Très beau film sur les écrans depuis le 7 décembre, La Poupée de W.J. Has esr en copie restaurée.
Sorti en 1968, La poupée, adaptation du roman éponyme de Boleslaw Prus, jouit d’une réputation de film culte. Francis Ford Coppola et Martin Scorsese, notamment, sont tombés sous le charme de ce film hypnotique.

Sorties DVD/BRD :
Peter Von Kant
Film de François Ozon

Librement inspiré du film de Fassbinder, les Larmes amères de Petra Von Kant, François Ozon lui rend un nouvel hommage puisque l’un de ses premiers films était l’adaptation fascinante d’une pièce inédite de Fassbinder, Gouttes d’eau sur pierres brûlantes. Dans les deux films, transparaît l’admiration d’Ozon pour le cinéaste, mais dans ce nouveau film, il prend la liberté d’inverser les genres des protagonistes ; il ne s’agit plus d’un couple de lesbiennes dans le milieu de la mode, mais de la relation homosexuelle d’un réalisateur et d’un jeune comédien opportuniste. Les milieux ont donc changé, ce qui rend la relation plus personnelle pour Ozon, liée à Fassbinder, et l’inscrit de manière différente dans le schéma dominant/dominé. Tout tourne en effet autour du pouvoir de domination dans les relations amoureuses, professionnelles ou amicales, à commencer par celle entretenue entre Peter von Kant et son assistant, silencieux et totalement sous la coupe de son patron, puis celle plus complexe entre la comédienne qui présente Amir, jeune homme séduisant et attiré par le cinéma, comme un appât pour le manipuler, enfin la passion entre l’apprenti comédien et son réalisateur qui évolue, et même bascule au cours du film.

Lorsque le jeune comédien connaît le succès, il abandonne son mentor complètement assujetti et désespéré au souvenir de son amour.
Il n’y a que la mère du réalisateur, incarnée par Hanna Shygulla qui n’entretient pas ce type de relation et tente d’aider son fils, une très belle idée d’avoir choisi la comédienne, amie très proche et égérie de Fassbinder. Les personnages sont d’ailleurs sont tous extraordinaires, Denis Ménochet perdu, fragile, drogué, oscillant entre création, violence et supplications, Isabelle Adjani dans le rôle de la star vénéneuse, interprétant une chanson en allemand rappelant le thème de l’amour et la mort, Khalil Ben Gharbia dans celui d’objet de désir qui prend peu à peu l’ascendant sur le maître, enfin Stefan Crepon l’assistant mutique dont le jeu passe entièrement par la gestuelle et la mimique du visage.
François Ozon réussit un film à la fois inspiré par l’univers de Fassbinder, avec sa manière hors normes de réaliser dans un huis clos obsessionnel, et c’est également une ode à son génie.
Comme au théâtre, interprétée par Cora Vaucaire accompagne le film. Le DVD permet de voir (ou de revoir) Peter Von Kant de François Ozon, sorti en juillet dernier, si l’on a manqué le film.

Every Thing Everywhere All at once
Film des Daniels (Daniel Kwan et Daniel Scheinert) (sortie en DVD BRD le 3 janvier 2023.)

Voilà un film qui déménage, mélangeant réalité, fantasmes, mondes parallèles avec des comédiennes et des comédiens qui s’éclatent, sans oublier le clin d’œil aux Monthy Python.
Evelyn Wang, interprétée par Michelle Yeoh, est gérante d’une laverie dans un quartier populaire, elle s’en sort mal, mais surtout ce qui la mine ce sont les impôts et l’épée de Damoclès brandie par le fisc, fermer la boutique ! Elle panique avant d’aller au centre des impôts et se sent complètement dépassée et même coupable de tout face à une institution pour le moins kafkaïenne. Côté famille, ce n’est pas non plus facile, son père, en fauteuil roulant, est exigeant et son compagnon charmant d’inefficacité. Quant à sa fille, elle a quitté le logis familial, et forme un couple homosexuel avec sa copine, mais Evelyn, un peu coincée, ne veut surtout pas que son père l’apprenne.

La veille de la rencontre avec la contrôleuse des impôts (extraordinaire Jamie Lee Curtis), Evelyn s’angoisse, cherche en vain des justificatifs, se mélange les pinceaux, et le lendemain c’est encore pire. En compagnie de son père en fauteuil roulant et de son compagnon, elle se sent bien seule pour affronter la loi et le regard terrible de la contrôleuse. Est-ce le fait d’une montée d’adrénaline face à une machine inexorable ? Bref, elle pète les plombs et est soudain propulsée dans des univers parallèles, le multivers, où elle n’est plus une, mais plusieurs « Evelyn » — toutes différentes —, et la voilà, enfin l’une d’elles est censée sauver la planète des forces obscures qui la menacent. Complètement déboussolée par l’exploration vitesse V des vies qu’elles auraient pu vivre, ou bien qu’elle vit mais ailleurs, l’Evelyne de la laverie, la blanchisseuse, n’a qu’une idée en tête, protéger sa famille.
Et cette dame « ordinaire » se transforme à son propre étonnement en une super woman, adepte confirmée des arts martiaux et mettant en déroute la sécurité du bâtiment… Puis se retrouve vivant avec la contrôleuse des impôts, toutes les deux ayant des doigts en forme de tentacules molles… Vous avez compris, le film a basculé dans l’improbable et dans le tout-est-possible !

Le découpage du film en séquences annoncées dans le titre, ponctue le récit, riche en clins d’œil cinématographiques (2001 Odyssée de l’espace), en rebondissements et autres morphings inattendus. Les deux réalisateurs s’en donnent à cœur joie dans les fins supposées, qui déroutent, mais n’interrompent pas pour autant le récit et le boostent parfois dans la veine comique et dans l’absurde. Les bagarres chorégraphiées, on n’y échappe pas, peut-être aurait-il fallu un peu d’épuration, à la manière de Wong Kar Wai, mais ce n’est pas le style du film, qui joue sur la profusion farfelue et la perte de repères de l’héroïne, Evelyn. C’est ainsi qu’elle retrouve son compagnon, totalement transformé, dans la séquence « people » et sa fille en Bad Girl dans un décor de palais indien : le monde du bagel… C’est la trouvaille surprenante et drôle : « quand on met tout dans un bagel » qui aspire tout, vous voyez ce qui arrive ! La malheureuse Evelyne va en voir de toutes les couleurs, mais son mari l’encourage par un : « tu es capable de tout parce que tu es mauvaise en tout ».
Et puis, en glissant dans un autre monde, la mère et la fille sont transformées en roches, côte à côte, au bord d’un précipice… deux roches qui communiquent entre elles, dans leur enveloppe de pierre… Vive la famille ! serait la morale de l’histoire ?
Le film des Daniels mêle allègrement doubles fictifs venant d’une autre galaxie, aliens, pistes hypothétiques et retournements éclairs, c’est un film sans théorie, tout en mouvements et… bien sûr, tout est dans le bagel !
Every Thing Everywhere All at once, un film des Daniels, sortie en DVD BRD le 3 janvier 2023.

De l’autre côté du ciel
Film d’animation de Yusuke Hirota

Belle aventure de résistance que celle de Lubicchi, le petit ramoneur qui refuse les évidences dictées par l’autorité. Il vit dans une ville au ciel gris, forcément, c’est une ville où les innombrables cheminées crachent jour et nuit leurs épaisses fumées, qui du coup bouchent le ciel, l’horizon, enfin tout. Son père, qui a disparu un jour sans laisser de trace, lui a toujours dit qu’il y avait un ailleurs derrière ces fumées, le ciel, les étoiles… même chose pour la mer que l’on dit dangereuse sans chercher d’autres explications que celles édictées par les autorités qui contrôlent tout avec une police brutale sans cesse sur le qui vive…

Or, un soir d’Halloween, Lubicchi fait accidentellement une rencontre qui va bouleverser sa vie et ouvrir des perspectives, et une alternative libératrice à son futur bouché. Il sauve Poupelle, qui appelait à l’aide d’une benne à ordure, d’une destruction certaine emporté tout droit vers l’incinérateur de déchets de la ville… Mais après son premier réflexe, Lubicchi le regarde — drôle de personnage fait de bric et de broc, de récup quoi —, mais surtout il le sent ! Ben oui Poupelle pue ! Il sort de la poubelle alors bien sûr… Le petit ramoneur le ramène quand même chez lui et le lave, malgré quelque répugnance, et le duo part vers une aventure merveilleuse, faite de découvertes mais aussi de prise de conscience environnementale…
Il faut rappeler les règles de la ville cheminée :
1. Ne regarde pas en haut.
2. Ne crois pas en tes rêves.
3. Ignore la vérité.
Alors évidemment, lorsque le jeune ramoneur et son copain Poupelle posent la question : « Qu’y a-t-il de l’autre côté de la fumée noire ? », les ennuis commencent pour ces empêcheurs de se résigner en rond ! C’est une fable magnifique, mais on l’aura compris, « De l’autre côté du ciel est un microcosme de la société moderne dans laquelle on se moque des gens qui ont une vision, au point qu’ils finissent harcelés s’ils agissent pour la concrétiser  ».
Superbe histoire, très belle bande son et animation merveilleuse, en plus, les personnages ne sont pas des super héros pour une fois, mais des personnes qui vont jouer de leur faiblesse et de leur humanité pour atteindre avec détermination leur rêve : voir les étoiles, de l’autre côté d’un ciel jusqu’alors caché par la pollution.

L’Insurgée
Séverine (éditions de l’échappée)

Caroline Rémy, dite Séverine naît en 1855, elle est l’une des pionnières du journalisme et une grande figure de l’histoire des mouvements révolutionnaires. Amie de Jules Vallès, elle est la première femme à diriger un quotidien national, et se lance dans la grande mêlée sociale de la « Belle Époque ». Sa plume, percutante et infatigable, ne cesse de défendre le peuple face au capital et à la bourgeoisie. Féministe, pacifiste et libertaire, elle est en première ligne de tous les combats de son temps.
Séverine a écrit plus de 6 000 articles dans de nombreux journaux : Le Cri du Peuple, La Fronde, Gil-Blas, L’Humanité, Le Figaro, etc. Dans ce recueil sont réunis ses textes qui ont paru les plus flamboyants. Au détour de ces pages apparaissent les noms des anarchistes auxquel.les elle rend hommage, les innombrables batailles des femmes et du mouvement ouvrier, et la révolte de ces années tumultueuses.
L’Insurgée de Séverine (l’Échappée)

"Journée internationale contre les violences faites aux TDS"
Texte de et lu par Yzé Voluptée
Ce texte est paru dans un numéro de l’été dernier sur la violence des institutions envers les TDS.


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