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Samedi 11 mars 2023
La Mémoire du futur Chili 2019-2022 de Pierre Dardot. Un Varon de Fabien Hernandez. Deux films de Bill Plympton : L’Impitoyable lune de miel ! et Les Mutants de l’espace.
Article mis en ligne le 12 mars 2023

par CP

La Mémoire du futur
Chili 2019-2022

Pierre Dardot (LUX Èditeur)

Entretien avec Pierre Dardot

Un Varon
Film de Fabien Hernandez (15 mars 2023)

Deux films de Bill Plympton
L’Impitoyable lune de miel ! (I Married (A Strange Person !)

Les Mutants de l’espace

La Mémoire du futur
Chili 2019-2022

Pierre Dardot (LUX Èditeur)

Entretien avec Pierre Dardot et Daniel Piños

« Lundi 7 octobre 2019, vers 18 heures […], le ministre de l’Économie, Juan Andrés Fontaine, annonce que le ticket de métro de Santiago augmentera de 30 pesos, tout en minimisant l’impact de cette mesure sur la vie quotidienne des usagers du métro. Le 7 octobre, vers 14 heures, des lycéens mènent la première action de refus de paiement en envahissant la station Universidad de Chile, faisant de ce refus, selon leurs propres termes, “une autre façon de se battre”. Du 7 au 18 octobre, des manifestations ponctuelles d’étudiants envahissent les stations de métro sans donner lieu encore à une action coordonnée à l’échelle de la capitale. Les choses vont changer le 18 octobre. Ce qui frappe […] aux premières heures de cette journée, ce n’est pas l’effervescence d’un tumulte, mais plutôt la qualité du silence qui règne dans les rues de la capitale, un silence étrange et très inhabituel. Mais, vers 16 heures, à l’heure de la fin des cours, les premiers rassemblements s’improvisent à l’entrée des stations de métro : les étudiants invitent alors les gens à sauter les tourniquets sans payer, et les rassemblements grossissent au fur et à mesure que des salariés rentrant du travail voient ce qui se passe et décident de rejoindre le mouvement. Il y a là une spontanéité qui déjoue tous les calculs et toutes les prévisions. La rue est alors bloquée par des manifestations de masse qui se répéteront chaque vendredi. C’est le début de l’élargissement de la révolte à d’autres couches sociales. Certes, les initiatives étudiantes ne manquent pas depuis les premières oppositions à Pinochet en 1984. En particulier, les actions de blocage des lycées sont une sorte de “tradition”, si bien que les lycéens sont habitués à ce genre d’actions et d’interventions qui portent la marque d’une inventivité liée à l’irruption politique qui n’est pas en elle-même nouvelle. […] il y a déjà eu par le passé des mouvements étudiants pour la gratuité des transports, mais on se méprendrait à établir une relation de causalité directe entre ces mouvements et le surgissement du 18 octobre 2019 : certes, ces derniers ont laissé des traces durables, mais ce n’est pas l’action souterraine de ces traces qui explique que la révolte a été déclenchée par le prix du ticket de métro. Ce n’est pas le passé qui refait surface en contraignant les acteurs à puiser en lui les réserves d’un sens qui ferait cruellement défaut au présent, mais c’est, à l’inverse, l’irruption du nouveau qui donne rétrospectivement sens au passé en mettant au jour la continuité d’une politique. Plus exactement, ce qui émerge, c’est la conscience active du lien étroit entre cette mesure d’un ministre du président Piñera et la continuité de la politique menée par les gouvernements qui se sont succédé au Chili pendant des décennies. En témoigne au premier chef cette phrase reprise dans toutes les couches sociales qui prennent part au mouvement et même au-delà : « ¡No son 30 pesos, son 30 años ! » Les « trente ans » renvoient aux trois décennies qui vont de 1989 à 2019, soit aux années de la Concertation, le système de gouvernance politique multipartite, réunissant le [Parti démocrate-chrétien, DC, le Parti socialiste, PS, et le Parti pour la démocratie, PPD], qui s’est mis en place après le départ de Pinochet dans le but de préserver le cœur du système Pinochet de toute remise en cause, sous couvert d’assurer une “transition démocratique”. Dans les jours qui suivent l’annonce de l’augmentation, les journalistes de la télévision publique recueillent les témoignages de gens qui soutiennent le mouvement et qui vont tous dans le même sens : “On n’en peut plus, ça fait trente ans que ça dure.” »

« Démanteler le néolibéralisme, pour quoi faire ? Pour reproduire ce qu’a été le cycle progressiste ? Non, jamais ! Je pense que le féminisme joue un rôle fondamental dans cet exercice d’imagination politique, qui ne cherche jamais à restaurer. C’est toujours ce que nous appelons la “mémoire du futur” : nous faisons nôtres toutes ces luttes, tout en sachant que la place que nous avons occupée dans ces luttes, que nous faisons nôtres, n’est pas celle que nous voulons occuper. La place que nos vies ont occupée dans ces luttes et dans ces processus antérieurs, aussi populaires qu’ils aient pu être, n’est pas celle que nous voulons occuper. Alors, quelle est cette place que nous allons nous-mêmes occuper dans ces processus à venir, qui sont déjà en cours au Chili ? Je crois que là, il va falloir qu’on se mette à penser toutes ensemble (juntas).  »

La « mémoire du futur » est cet exercice de l’imagination politique qui interdit de situer le désirable dans un passé que nous devrions chercher à reproduire ou à restaurer, parce qu’il commande de toujours situer la place que nous occupons dans le présent à partir de la place que nous voulons occuper dans le futur.

Un Varon
Film de Fabien Hernandez (15 mars 2023)

Carlos vit dans un foyer du centre de Bogotá, un refuge où la vie est un peu moins rude que dans la rue. Mais rien n’est facile pour Carlos, sa mère est en prison, sa sœur traîne et se prostitue et il se débrouille plus ou moins en dealant. Mais alors que la fête de Noël approche, il aimerait se retrouver en famille, avec sa mère et sa sœur, Nicole, bien qu’il ne se fasse aucune illusion sur la représentation de cette fête, il fait d’ailleurs cette remarque : « ils nos vendent l’image de la famille heureuse à Noël, mais c’est un mensonge. » La réalité, c’est la rue omniprésente comme une fatalité.

« Dans ce milieu, il existe des injonctions qui déterminent ce que doit être un homme. Carlos emprunte d’abord cette voie, avant de se rendre compte de toutes les failles de ces stéréotypes. Sa quête est pleine de doute et d’insécurité, son orientation sexuelle ne se conforme pas aux codes de la rue. »

Dès les premières scènes du film, plusieurs garçons témoignent — face caméra — et énoncent les codes de la rue : « ne pas être un mouchard, n’être ni maniéré, ni un pédé ». Ces codes façonnent les esprits, les attitudes, les caractères, les mots, la gestuelle… le machisme fait partie du rôle imposé. « Si on est faible, la rue nous ronge », dit l’un des jeunes, tandis qu’un autre renchérit : « il faut être dur sinon on se fait bouffer cru ». Au début, Carlos s’efforce de suivre les codes de la virilité, les seuls qu’il lui soit possible d’adopter, mais comme l’explique le réalisateur, « un questionnement profond de la masculinité hégémonique impliquait une interrogation du désir sexuel. Je n’avais aucun intérêt à révéler la génitalité de mes personnages. Je tenais surtout à exprimer l’ambiguïté sexuelle de Carlos, tenter d’aller au-delà des étiquettes. On ne sait pas vraiment si Carlos s’identifie à un homme ou une femme. » D’où la force de la scène avec la prostituée à qui il demande de dire qu’il a été à la hauteur auprès de sa bande. Elle remplace d’ailleurs pour un moment la mère en prison, tous ses gestes sont doux, protecteurs et rassurants.

Fabien Hernandez connaît bien la rue, il y a vécu jusqu’à ce qu’un événement provoque chez lui une prise de conscience et qu’il refuse justement cette fatalité qui annihile tout sentiment de libre arbitre. C’est son expérience qui lui permet de décrire si justement la complexité du jeune Carlos qui est pris entre ses pulsions, la tendresse qu’il dissimule, le manque de sa mère… « Un garçon ne pleure pas » dit-il après avoir parlé à sa mère. Un garçon paumé, certainement plus sensible que le rôle imposé par la loi du quartier.
Un excellent film entre documentaire et fiction, incarné par un comédien impressionnant dans un décor authentique. Le film est l’étude d’un jeune homme entre adolescence et maturité en recherche de son identité, et par là il montre aussi la fragilité et l’émotion de Carlos au-delà des rues du quartier. De même, « la mise en scène épurée offre la possibilité de prendre le temps de regarder les personnages », et de percevoir l’intensité émotionnelle qui habite ce moment de vie.
Un Varon de Fabien Hernandez en salles le 15 mars 2023.

Le film de Fabien Hernandez illustre la richesse du cinéma colombien et annonce en quelque sorte le focus sur ce cinéma, durant le CINÉLATINO, les 35èmes rencontres de Toulouse du 24 mars au 2 avril.

Deux films d’animation,de Bill Plympton au cinéma le 15 mars :
L’Impitoyable lune de miel ! (I Married (A Strange Person !)

C’est l’histoire complètement déjantée et délirante d’un couple de jeunes mariés, Grant et Kerry, dont le mariage est plus que bousculé par la chute, sur le toit de leur maison, de drôles d’oiseaux en train de s’accoupler. Cela donne 73 minutes d’animations débordantes d’inventions, de gags qui explosent dans toutes les directions, et où l’on retrouve des liens avec les visions de deux fameux dessinateurs états-uniens : Crumb et Fenton l’inventeur de Fat Freddy’s Cat.
Si vous avez aimé Fat’s Freddy et son chat créatif qui est bien le seul à être intelligent avec ses imbéciles d’humains… vous ne serez pas déçu.e…

Autre délire filmique de Bill Plympton :
Les Mutants de l’espace
La scène de prélude du film, animée par une présentatrice télé complètement dépassée par la situation — à savoir l’arrivée inattendue d’un astéroïde sur terre —, rappelle l’arrivée des Martiens de Mars Attacks ! de Tim Burton. Toutefois, il faut préciser que le film d’animation de Bill Plympton précède la fiction de Burton. Même humour noir et surtout un regard acerbe sur les magnats de la finance et sur le pouvoir.

Vingt ans auparavant, l’astronaute Earl Jensen s’est envolé dans l’espace pour une mission dirigée par le Dr Frubar. Sa petite fille, Josie, l’accompagne jusqu’à la fusée et rejoint la cabine de lancement avec le docteur, qui derrière son discours humaniste, a bien d’autres projets en tête. Une fois le lancement effectué, il actionne un bouton qui laisse échapper le carburant de la fusée dans l’espace, et prétend que la gamine est responsable de l’accident. Résultat, Earl Jensen est condamné à errer dans l’espace à vie. Frubar a bien sûr tout manigancé et en profite pour faire appel aux dons afin de continuer ses expériences dans l’espace.
Vingt ans sont passées, on retrouve Josie devenue adulte, qui travaille dans un observatoire et guette le ciel en espérant retrouver les traces de la capsule de son père perdue dans l’espace. Elle guette le moindre signe et, un jour, décèle l’arrivée d’un astéroïde sur le point de s’écraser sur Terre. C’est en fait ce qu’il reste de l’engin spatial de son père, d’où celui-ci émerge et demande de l’eau. Son atterrissage est suivi par celui d’un vaisseau, d’où débarquent des mutants qui vont aider Rosie et son copain à dévoiler les manigances de l’ignoble Dr Frubar.

Du sexe, de la violence, de l’humour au vitriol sans limites contre l’État, les autorités, la communication et la propagande, les Mutants de l’espace est un film absolument génial et corrosif contre les dérives d’une société dirigée par le fric et les ambitions démesurées de quelques mégalos.
Tout y passe…Du fric à dieu, sans oublier la pub et la consommation, Soft fascism dirons-nous ? Du moins, on en est proche avec le personnage de Frubar, copie d’un Ubu roi… C’est ainsi que l’univers dadaïste s’immisce dans le récit, illustré par des images fantasmées qui dérapent.
Deux films donc à découvrir à partir du 15 mars.

La Fête du court métrage est un événement annuel qui a pour vocation de faire découvrir et mieux connaître le format court au plus grand nombre.
La manifestation, gratuite et ouverte à toutes et tous, permet pendant une semaine de faire vivre la magie du court métrage à tous les publics, notamment les publics éloignés de la culture, pour favoriser l’accès à la culture, par le biais de projections, d’animations et de rencontres.
Forte de 15 000 projections dans plus de 4 000 communes de métropole et d’outre-mer mais aussi dans 50 pays à l’étranger en 2022, La Fête du court métrage revient du 15 au 21 Mars.