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Samedi 17 juin 2023
Il Boemo de Petr Vaclav. Nezouh de Soudade Kaadan. Polaris de Ainara Vera. How To Save a Dead Friend de Marusya Syroechkovskaya. Rétrospective de 5 films noirs de l’âge d’or du cinéma mexicain. 1 consolable (rencontre-reportage musical d’Iris Robin).
Article mis en ligne le 18 juin 2023

par CP

Il Boemo
Film de Petr Vaclav (21 juin 2023)

Nezouh
Film de Soudade Kaadan (21 juin 2023)

Polaris
Film de Ainara Vera (21 juin 2023)

How To Save a Dead Friend
Film de Marusya Syroechkovskaya (28 juin 2023)

Rétrospective de 5 films noirs de l’âge d’or du cinéma mexicain
Distinto Amanecer (Une Aube différente) de Julio Bracho
Crépuscule de Julio Bracho
Les Bas-fonds de Mexico (Salón México) de Emilio Fernandez
Roberto la douceur (El suavecito ) De Fernando Méndez
Le Médaillon du crime de Juan Bustillo Oro

L’1Consolable, rencontre-reportage musical d’Iris Robin.

Il Boemo
Film de Petr Vaclav (21 juin 2023)

Il Boemo est une perfection cinématographique, tant par le son, l’image, les décors, les costumes, le jeu des comédiens, comédiennes, la beauté des chants. Si l’on aime la musique baroque, la musique tout court, c’est pur plaisir ! Et, en plus, on découvre des talents oubliés, ou passés à la trappe de l’histoire musicale, il faut voir Il Boemo de Petr Vaclav. Un film historique, musical, une réussite impressionnante. Intéressant aussi de voir la décadence dans ce XVIIIe siècle dit des Lumières. Nous en reparlerons…

Trois films de réalisatrices — documentaires et fiction — qui abordent des sujets au premier abord différents, mais ont en commun l’analyse du désir d’émancipation et de s’inscrire hors des injonctions traditionnelles liées aux femmes, générations et pays confondus…
Nezouh
Film de Soudade Kaadan (21 juin 2023)

Au cœur du conflit syrien, Zeina, 14 ans, et ses parents sont parmi les derniers habitants à vivre encore dans leur quartier assiégé de Damas. Lorsqu’un missile fait un trou béant dans leur maison, Zeina découvre alors une fenêtre qui ouvre sur un monde de possibilités inimaginables. Elle aime dormir à la belle étoile et se lie d’amitié avec Amer, un voisin de son âge, qui a travaillé avec une équipe indépendante d’information. Quand la violence des combats s’intensifie, Zeina et ses parents sont poussés à partir, les voisins s’enfuient par les tunnels, mais le père est déterminé à rester dans leur maison. Il refuse d’être un réfugié et s’obstine à réparer, à sauvegarder ce qu’il peut.

« La plupart des films qui montrent des réfugiés syriens [constate la réalisatrice] ont tendance à nous présenter soit comme des victimes, soit comme des héros, de façon très manichéenne. Alors que, bien évidemment, nous ne sommes ni l’un ni l’autre, comme tous les êtres humains. » Nezouh met en scène une famille ordinaire, de la classe moyenne, soudain confrontée à la réalité des combats et placée devant un choix insupportable : tout abandonner, leur maison qui leur a demandé tant d’efforts, leur vie pour devenir des réfugié.es, ou bien rester et mourir. Le film pose en quelque sorte la question au public — que feriez-vous dans ce type de situation ? — et crée ainsi un lien de curiosité et d’empathie. Cela pourrait arriver n’importe où : qui d’ailleurs aurait pu penser il y a quelques années à cet emballement de l’horreur, à cette escalade des destructions et des massacres de population ?
Nezouh, c’est le déplacement en arabe, et dans ce film le terme fait allusion à plusieurs effets, fuir le territoire, la guerre, mais c’est aussi déplacer les rôles traditionnels dans la famille, l’émancipation des femmes et leur prise de décisions puisque le père est dépassé. Confrontées au dilemme de vie ou de mort, Zeina et Hala, sa mère, doivent prendre une décision à l’encontre même de l’autorité chancelante du père. C’est aussi la fin de l’adolescence de Zeina… Alors, dans un contexte dramatique : place à l‘imagination…

Soudade Kaadan choisit la « simple métaphore d’une maison familiale qui traverse des épreuves à Damas. Dans cette ville, les maisons sont généralement fermées : des rideaux protègent l’intérieur du regard des voisins. Mais les bombardements ont pour la première fois éventré des toits, laissant des trous béants comme autant de fenêtres ouvertes sur le ciel et les étoiles. J’ai voulu montrer que les maisons n’étaient pas les seules à changer à Damas, mais que les dynamiques familiales évoluent également lorsque les femmes commencent à prendre les choses en main. »
La première image marquante du récit est celle d’une adolescente qui regarde les étoiles par le toit béant et rencontre un ami. C’est une histoire où se mêlent fiction, réalité atroce de la guerre, mise en abîme par le déplacement et réalisme magique. Les ruines sont impressionnantes, mais sans victimes comme le spécifie Zeina à son ami : « je ne veux pas voir de films avec des morts ». Dix ans de guerre ça suffit pour la jeune fille à qui le conflit a imposé ses violences durant plus de la moitié de sa vie. Et d’ailleurs, elle veut devenir pêcheur pour ne plus être enfermée. Le grand changement, consécutif à ces destructions, c’est celui qui s’opère pour Hala et Zeina, Hala décide de quitter la ville et abandonne peu à peu des objets qui lui tenaient à cœur, Zeina veut découvrir le monde. Elles surmontent leurs craintes et « leurs parcours entrent souvent en résonance. Elles regardent toutes les deux des images de la mer (sur le toit de la maison, puis sur le toit de l’école), et elles se prennent à rêver à de grands projets et à une vie nouvelle, même si cela semble impossible puisqu’il n’y a pas la mer à Damas. Prises entre la triste réalité, leurs espoirs et leurs rêves, elles n’accepteront jamais de revenir à la dynamique traditionnelle de la société patriarcale damascène. » Au centre de l’histoire, Zeina incarnée par une comédienne (Hala Zein) remarquable de naturel.

Nezouh raconte l’histoire d’une famille avant le déplacement, avant qu’elle ne quitte le pays et que ses membres deviennent des réfugiés. De l’autre côté de la Méditerranée, les populations déplacées sont perçues comme des réfugiés sans que les gens saisissent les difficultés du départ, de tout abandonner, le pays, les souvenirs, les ami.es, son identité et devenir étranger. L’exil est un déchirement et Nezouh rend hommage à toutes celles et ceux q ui en sont victimes.
Nezouh de Soudade Kaadan au cinéma le 21 juin 2023.

Polaris
Film de Ainara Vera (21 juin 2023)

« L’art est lié à ce qui ne se révèle pas, à tout ce qui reste dans la pénombre. » Ce pourrait être le titre du film de Ainera Vera, Polaris, qui démarre en filmant une capitaine de bateaux dans l’Arctique. Solitaire et volontaire, Hayat est impressionnante, elle exerce un contrôle sur les éléments et, sur le fonctionnement du bateau. Pourtant Hayat dissimule des non dits et des blessures issues de son passé en France. La réalisatrice le découvre au cours d’un voyage vers l’Arctique lorsque la confiance s’établit entre les deux femmes. La sœur cadette de Hayat, Leila, après une peine de prison, est enceinte et doit accoucher, c’est alors que le tournage prend une autre direction, celle de filmer Leila et la naissance de sa petite fille.

« Quand on fait des documentaires [confie la réalisatrice], je crois qu’il faut que l’éthique et l’esthétique soient indissociables. En plaçant la caméra à un endroit précis, on expose notre point de vue et notre manière d’approcher les personnes qui nous entourent. C’est une question d’éthique. Je rêve toujours qu’il se produise une vraie rencontre entre le spectateur et les personnes que je filme. En tant que réalisatrice, c’est très important pour moi d’être un canal qui permet aux personnes que je filme de se montrer telles qu’elles sont. Je suis censée les protéger du regard du spectateur, évidemment, mais en même temps, il est important de donner accès à ce qu’elles sont intimement. Tout en respectant leurs paroles. » Autrement dit laisser de l’espace et faire du cinéma une « manière d’entendre la vie ». Le cinéma documentaire n’est-il pas une façon d’observer tout en laissant de la distance. Ainara Vera ajoute : « le temps (de tournage et de montage) permet de mieux comprendre les choses. Je dirais même que ce projet m’a permis de voir la vie d’une nouvelle manière. »

Partie sur le projet de filmer une femme forte, la réalisatrice se retrouve à filmer les deux sœurs, très différente l’une de l’autre, Hayat est consciente de son image et de ce qu’elle veut révéler, à l’inverse, Leïla, naturellement, n’hésite pas à monter ses faiblesses et son intimité. Ce qui est assez révélateur du lien construit depuis l’enfance entre les deux sœurs, Hayat l’aînée et Leïla la cadette. Filmer pour que « l’invisible devienne visible. Tenter de montrer les forces qui gravitent autour de nous. Il y a certaines personnes qui accueillent les énergies dont nous héritons à la naissance. D’autres font tout ce qu’elles peuvent pour les refouler tout au long de leur vie. Leïla et Hayat vivent leur passé comme une sorte d’enchantement, un peu comme si elles avaient été ensorcelées. Elles décrivent les moments plus durs de leur enfance de façon à la fois réaliste et magique. Pour moi, il était très important d’amener cette réalité invisible au film. […] Je ne voulais pas réaliser un documentaire qui raconte les souffrances que ces deux sœurs ont endurées. Il fallait qu’on puisse regarder leur vie à travers un prisme plus spirituel et philosophique qui nous montre comment l’amour et le manque d’amour affectent et orientent nos vies. »

Cela donne un film profond, qui dégage une intimité sans aucun voyeurisme, où les silences sont aussi essentiels que les paroles des deux femmes pour offrir au public les éléments d’entrer dans le film en même temps que de connaître les deux sœurs. C’est aussi une manière de réfléchir sur l’impact du climat familial sur les enfants et ses conséquences par la suite, comment dans une même famille les réactions peuvent diverger.
Polaris de Ainara Vera est au cinéma le 21 juin 2023.

How To Save a Dead Friend
Film de Marusya Syroechkovskaya (28 juin 2023)

Le jour de ses seize ans, Marusya prend la décision d’en finir avec la vie, mais, dans la « Russie de la déprime », elle va rencontrer Kimi dont elle tombe amoureuse, c’est son âme sœur, et pendant douze ans, sans projet préalable, elle filme leur vie, les infos, les manifs, oscillant entre euphorie et dépression, rage de vivre et désespoir d’une jeunesse muselée par un régime violent et autocratique.
« Cette expérience [commente la réalisatrice] m’a fait réfléchir à la nature du film en tant que média qui capture le temps et maintient tout et tout le monde dans un espace collectif. J’ai eu l’impression de regarder des vieilles séquences d’actualité en temps de guerre. J’ai réalisé que, bien que ces personnes soient mortes il y a longtemps, elles sont toujours là, vivantes dans ces séquences. C’était peut-être le moyen de sauver Kimi ? Ou peut-être que je pourrais le sauver s’il se transformait en musique ? » Le film est un document étonnant sur toute une époque, un témoignage à la fois personnel, percutant sur une génération où, semble-t-il, il existait encore quelques fissures dans le régime, peut-être grâce à la musique punk et post punk, peut-être grâce à un espace internet pas encore complètement contrôlé et censuré par l’État.

Le film se déroule pendant douze ans et montre peu à peu l’évolution politique, les discours, la propagande et le changement s’opérant parmi cette jeunesse, qui pour beaucoup se tourne vers la drogue, comme Kimi : « les jours sombres de l’hiver s’installent, isolant les gens les uns des autres dans leurs appartements. Nous ne nous sommes pas défendus [constate Marusya], ou lorsque nous avons essayé, nos voix n’étaient pas assez fortes. Cependant, il ne sert à rien de s’apitoyer sur soi-même. Notre responsabilité est maintenant de ne pas rester silencieux, de continuer à faire tout ce que nous pouvons pour arrêter cette violence par tous les moyens possibles. Il n’y a aucun doute que le peuple ukrainien gagnera cette guerre et que l’Ukraine se reconstruira, mais je ne vois pas comment la Russie pourra aller de l’avant. Poutine s’en est occupé. Donc, pour l’instant, je suis citoyenne de nulle part, de quelque part, de n’importe où sauf de la Russie... et bien que cette histoire d’amour soit née sur le sol semé par un gouvernement autocratique, c’est une histoire d’amour qui pourrait se produire partout où les voix sont réduites au silence. » How To Save a Dead Friend est un document passionnant.
How To Save a Dead Friend de Marusya Syroechkovskaya à voir en salles le 28 juin.

Depuis le 14 juin, on peut voir une rétrospective de 5 films noirs de l’âge d’or du cinéma mexicain, des films rares et d’autant plus intéressants que plusieurs se déroulent dans les bas fonds de Mexico et pour quatre d’entre eux évoquent évidemment le contexte social et politique. À commencer par
Distinto Amanecer (Une Aube différente) de Julio Bracho de 1943, qui met en scène un assassinat politique sur fond de corruption. Un dirigeant syndical est exécuté par des agents du gouvernement et Octavio, son camarade, est poursuivi par les mêmes sbires, étant détenteur de papiers compromettants. Octavio se réfugie dans un cinéma où il retrouve une femme qu’il a aimé autrefois. Retrouvailles amoureuses et amicales puisque celle-ci vit à présent avec un ami d’Octavio. Le couple décide de venir en aide au fugitif.
Le film dénonce la corruption du gouvernement mexicain de l’époque, c’est une critique non voilée du pouvoir, même si le réalisateur prend la précaution de souligner que les faits reflètent une réalité universelle.
Autre film de Julio Bracho, Crépuscule, de 1945. « Avec sa construction en flash-backs, sa voix-off, son antihéros névrosé et ses jeux d’ombres et de lumières, Crepúsculo se rapproche des films noirs hollywoodiens inspirés par la psychanalyse. Bracho y ajoute une folie et une démesure toutes latines. On assiste à la création d’un ménage à quatre, où les différents protagonistes semblent être pris au piège de leurs pulsions, dévorés par le désir, la culpabilité ou la jalousie. Alejandro, venu se recueillir sur la tombe de son ami, lui raconte la passion tragique qui l’a lié à Lucía. Cette confession à un mort dévoile progressivement un récit où le hasard, les actes manqués et les coups du destin vont précipiter le docteur dans un abîme de désespoir. Tout débute dans un atelier d’artistes. Par une étrange coïncidence, Alejandro retrouve son ancienne maîtresse, Lucía, d’abord sous la forme d’une statue, puis nue, de dos, en train de poser. Cette scène introduit les motifs du fétichisme et du dédoublement, qui réapparaitront dans le film. Ainsi, Alejandro, sous l’emprise de son amour pour Lucía, semble atteint de troubles de la personnalité. Il observe et commente ses agissements comme s’il s’agissait de ceux d’un autre. Le film baigne dans une atmosphère proche de l’hallucination, qui s’épaissit au fur et à mesure que l’étau se resserre et qu’il bascule dans l’autodestruction. »
Crépuscule fait penser à El de Bunuel par le côté obsessionnel du personnage principal et le contexte psychanalytique du film.
Les Bas-fonds de Mexico (Salón México) de Emilio Fernandez (1949). Histoire mélodramatique d’une entraîneuse dans le cabaret Salon Mexico, Mercedes, qui travaille pour payer les études de sa jeune sœur. Personne n’est au courant de sa vie nocturne sauf un policier.
Salón México est le 13ème long métrage de Emilio Fernandez, qui est aussi acteur, scénariste et producteur, une véritable légende du cinéma mexicain des années 1940. Réalisateur renommé au niveau international grâce à son film Mariá Candelaria, Grand prix au Festival de Cannes en 1946, il est aussi connu pour sa vie aventureuse. Ancien compagnon d’armes de Pancho Villa, il est emprisonné à la suite de sa participation à un putsch raté, mais s’évade et se réfugie à Hollywood où il exerce tous les métiers et rencontre John Ford, John Huston et Sam Peckinpah.
Roberto la douceur (El suavecito ) De Fernando Méndez (1951)
Connu pour trois films d’horreur de série B, Les Proies du vampire (1957), Le Monstre sans visage et Mystères d’outre-tombe (1959), Fernando Méndez est cependant une figure majeure du cinéma mexicain avec 39 films de long métrage réalisés entre 1942 et 1961, et dans tous les genres, du western au mélodrame, de la comédie musicale au polar et au fantastique.
El suavecito est certainement l’un de ses films les plus réussis, il met en scène une jeune femme éprise d’un mauvais garçon irresponsable qui profite d’elle et la rend malheureuse, alors qu’un chauffeur de taxi tombe amoureux d’elle et déclenche la jalousie de son amant. Le récit se déroule dans un quartier populaire.
Enfin, cinquième film de cette rétrospective, Le Médaillon du crime de Juan Bustillo Oro (1956).
Après s’être enivré avec ses collègues, un employé de bureau se retrouve dans un bar où il aborde une femme qui porte un bijou ayant appartenu à son épouse. Sous l’effet de l’alcool, il est entraîné dans une sordide affaire d’assassinat. Contrairement aux autres films, il n’y a pas ici de contexte social, mais c’est plutôt une fable morale où un homme honnête et ordinaire voit sa vie basculer à la suite d’une fête trop arrosée. Deux personnages s’opposent dans le récit, un gangster assassin et un homme marié depuis douze ans et père de famille, banal à souhait, complètement empêtré et piégé dans une mésaventure diabolique.
La rétrospective de 5 films noirs de l’âge d’or du cinéma mexicain, en salles depuis le 14 juin.

L’1Consolable, une rencontre-reportage musical d’Iris Robin.