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Samedi 9 septembre 2023
Mes trompes, mon choix. Stérilisation contraceptive : de l’oppression à la libération de Laurène Levy. La Hija de todas las rabias (la Fille de toutes les rages) de Laura Baumeister. Le Livre des solutions de Michel Gondry
Article mis en ligne le 15 septembre 2023
dernière modification le 16 octobre 2023

par CP

Mes trompes, mon choix
Stérilisation contraceptive : de l’oppression à la libération
Laurène Levy (éditions le passager clandestin)

La Hija de todas las rabias (la Fille de toutes les rages)
Film de Laura Baumeister (13 septembre 2023)

Le Livre des solutions
Film de Michel Gondry (13 septembre 2023)

Mes trompes, mon choix
Stérilisation contraceptive : de l’oppression à la libération
Laurène Levy (éditions le passager clandestin)

Entretien avec Laurène Levy

Dans son introduction à l’ouvrage-enquête de Laurène Levy, Martin Winckler rapporte les propos argumentés d’une jeune femme : « Je ne veux pas d’enfant. Jamais. Je le sais depuis que j’ai 8 ans. Je n’ai jamais voulu en avoir. J’en ai marre de prendre la pilule et d’avoir tout le temps peur d’être enceinte. Est-ce que vous pensez qu’un gynécologue accepterait de me ligaturer les trompes ? » On est au milieu des années 1990, la jeune femme a 20 ans et revient d’une consultation contrôle après une IVG. Mais elle est en colère et l’exprime : « Ma famille et mes copines n’arrêtent pas de me faire la morale. Je n’ai pas besoin qu’on me fasse la morale. Je sais ce que je fais. Quand j’ai décidé d’avorter, on ne m’a pas posé de questions. Si je voulais être enceinte, on ne me poserait pas de questions. Pourquoi est-ce qu’on m’en pose alors que je ne veux pas avoir d’enfant du tout ? J’ai un boulot, je gagne ma vie, je vote, je conduis une voiture, je paie des impôts. Je suis une adulte responsable, mais je n’ai pas le droit de disposer de mon corps ! Je passe mon temps à entendre des gens dire qu’une femme n’est pas tout à fait une femme si elle n’a pas d’enfant. Mais moi, je n’en veux pas !!! Pourquoi faut-il que je ponde des enfants qui n’ont pas demandé à vivre ? Si j’étais un homme, on me foutrait la paix !!!
Vous trouvez ça normal ?
 »
Non bien sûr, ce n’est pas normal et comme le rappelle Laurène Levy, « l’accès à la contraception a représenté un premier pas, indispensable, vers cette liberté. Mais lorsque les féministes des années 1960 et 1970 défilaient en scandant “Un enfant si je veux, quand je veux”, et exigeaient le libre accès à la contraception et à l’IVG, elles s’attachaient surtout au “quand”.
Il est temps d’affirmer que le “si” est tout aussi indispensable à l’expression d’une légitime liberté.
“Un enfant SI je veux.”
Et si vous n’en voulez pas, nul ne devrait – par action ou par omission, par idéologie ou par négligence, ou en refusant de pratiquer un geste essentiel – [nul ne devrait] vous empêcher d’exercer votre liberté.
 »
Oui, mais voilà, si la stérilisation est légale depuis 2001 en France, elle demeure taboue, les femmes qui prétendent à cette méthode contraceptive affrontent les critiques de leurs proches et les réticences du corps médical. Elles sont culpabilisées, méprisées, jugées 
« anormales » et nombre de médecins refusent cet acte à des patientes considérées « trop » jeunes, surtout si elles n’ont jamais eu d’enfant. Autrement dit c’est dérangeant une femme qui refuse l’injonction à la maternité… Trop de symboles bousculés du patriarcat et de la religion !
Mes trompes, mon choix. Stérilisation contraceptive : de l’oppression à la libération
Laurène Levy (le passager clandestin)

En épilogue de la rencontre avec Laurène Levy, j’aimerais la citer en guise de poursuite de réflexion : « La contraception et a fortiori la stérilisation sont souvent classées en deux catégories : masculine et féminine. Mais la réalité n’est pas aussi simple. Certaines femmes, assignées femmes, ont un appareil génital et reproducteur dit féminin mais ne se reconnaissent pas dans le genre féminin. De même, certains hommes, assignés hommes, ont un appareil génital et reproducteur dit masculin mais ne se reconnaissent pas dans le genre masculin. On peut être un homme transgenre et posséder un appareil féminin ou une femme transgenre et posséder un appareil masculin. On peut aussi être une personne non binaire et posséder l’un ou l’autre des appareils génitaux.
Le plus souvent, les ouvrages et les discussions autour de la contraception s’adressent à des hommes et femmes cisgenres, c’est-à-dire en adéquation avec le genre auquel ils et elles ont été assigné·es à la naissance.
 » La discussion est loin d’être close…

Les illustrations musicales : L’Hymne des femmes. Shadows Over Sisterland de John Trudell. Un chant féministe des années 1970, Si je veux quand je veux. Marie-Louise Nezeys joue la Leçon de piano de Michael Nyman. Sushila Raman, Woman. Le groupe de femmes la Serpillère, Avortement d’État. Serge Utgé-Royo, le Chant des marais. Carole Roussopoulos, extrait de la BOF du film PHAR. Preguntitas sobre dios. La loi de 1920, une chanson d’Antoine de 1966.

La Hija de todas las rabias (la Fille de toutes les rages)
Film de Laura Baumeister (13 septembre 2023)

Cinquième film de fiction de l’histoire cinématographique du Nicaragua et premier long métrage réalisé par une femme, la Hija de todas las rabias est d’une force surprenante, non seulement par le cadre choisi — une immense décharge —, les conditions de vie des personnes qui y demeurent — un peuple des abîmes —, mais également par la présence fulgurante de l’adolescente qui incarne le personnage principal, Maria.
Maria et sa mère Lilibeth habitent une cabane à la limite de la décharge et, comme beaucoup d’autres personnes dans leur situation, vivent de la récupération des ordures. Maria est très attachée à sa mère et lorsque celle-ci disparaît, elle s’invente une mère imaginaire, moitié animale et surtout magique et dotée de pouvoirs surhumains. Comment en effet surmonter le traumatisme de l’abandon et la perte de Lilibeth ? Elle refuse le statut d’orpheline, alors sa mère se transforme pour elle en un magnifique félin. C’est dans le camp des enfants où sa mère l’a confiée que Maria se fait un ami, Tadeo, à qui elle confie sa révolte et son projet : s’échapper du camp et retrouver sa mère par tous les moyens.

Sur le choix du décor — La Chureca, la plus grande décharge à ciel ouvert du Nicaragua —, Laura Baumeister raconte : « J’y étais déjà allée quand j’étais adolescente et je n’ai jamais pu l’oublier. Le contraste entre les montagnes de déchets et l’un des plus beaux paysage de mon pays natal (la côte du lac Xolotlán et ses reliefs montagneux) m’a profondément choquée, ce qui causa le début d’une longue réflexion. Un autre aspect qui m’a beaucoup touchée était les locaux, ceux qui vivent sur la décharge. Plus particulièrement leur capacité, cette énergie créative, à se réapproprier et à réinterpréter les objets pour leur donner une seconde vie. À cette époque-là, je travaillais beaucoup sur de l’art “déjà tout fait” et du contenu vidéo d’installation d’art, alors que sous mes yeux, dans un endroit peu élégant ni même respecté dans le monde de l’art, se trouvait des personnes qui, de manière involontaire, transformaient des objets afin d’en prolonger la durée de vie. » Il est vrai que les amas d’ordures, d’objets recyclés en perpétuelle transformation, offrent à la jeune Maria l’idée de transcender la séparation maternelle, de dépasser la perte du lien mère-fille. Et comme l’explique la réalisatrice, « en termes plus narratifs et cinématographiques, cette histoire exigeait que nous entrions dans l’esprit de la protagoniste, dans sa vision du monde. Je pense que ce n’est qu’à partir de sa mentalité et de son point de vue qu’il est possible de voir au-delà de l’évidence : la tragédie, la pauvreté, le manque. C’est dans nos têtes que les mondes se construisent et une fois que l’on décide vraiment d’y entrer, on se rend compte que les rêves, les fantasmes et la narration d’histoires sont cruciaux pour la façon dont nous nous relions à notre environnement et aux autres. En écrivant le scénario et en explorant le monde intérieur de Maria, j’ai senti que je pouvais lui offrir une pause dans sa réalité. Cela m’a semblé profondément enrichissant et nécessaire pour l’accompagner dans son voyage de survie. » Un voyage de survie en effet, car l’adolescente n’était pas préparée au fait de se retrouver seule sans le lien affectif avec sa mère. D’où l’échappatoire dans un monde onirique dans lequel apparaît sa mère, comme une figure déifiée, tutélaire. Pour échapper au fardeau de la misère et du déterminisme social, « elle imagine que sa mère s’est transmutée, qu’elle est une autre chose vivant dans le royaume des rêves. […] Malgré son environnement précaire, Maria peut choisir, et finit par choisir, son histoire, celle qu’elle se racontera pour se frayer un chemin dans le monde. »

Dans la Hija de todas las rabias, Laura Baumeister aborde plusieurs sujets essentiels, personnels avec la relation mère et enfant à hauteur des sentiments de Maria et de sa rage — l’imagination d’une enfant pour survivre —, et universels avec le filmage de cette énorme décharge et les conséquences que déclenchent le problème des ordures dans nos sociétés. Dernièrement ce problème environnemental crucial est abordé dans plusieurs films, de fiction et documentaires, je pense notamment à deux films, Neptune Frost de Saul Williams & Anisia Uzeyman, et Costa Brava, Lebanon de Mounia Akl. En Afrique, au Liban et au Nicaragua avec la Hija de todas las rabias. « L’impact environnemental de l’homme sur la planète est écrasant. Lorsque vous vous trouvez au milieu d’une décharge qui a généré des montagnes d’ordures (plus hautes que les montagnes naturelles) et que vous ne pouvez pas voir au-delà, il devient évident que si nous ne faisons rien pour arrêter les niveaux de consommation et la surproduction, nous irons tous en enfer. […] C’est pourquoi [souligne la réalisatrice] il était très important que cet endroit soit montré, non seulement parce qu’il se trouve dans mon pays, mais aussi parce que tous les pays du monde ont des décharges. Malheureusement, c’est quelque chose qui nous rend tous égaux, tout comme chaque être humain est composé de 70 à 80 % d’eau. Aujourd’hui, chaque ville, chaque pays a sa propre décharge, et nous devons donc les voir — ne pas les nier, ne pas les cacher. Cela fait partie de notre identité, c’est ce que font les humains. Je pense que pour guérir et changer les choses, il faut d’abord reconnaître notre ombre, ce qui nous fait honte ou ce que nous cachons sous le tapis. J’oserais dire que nos déchets sont en grande partie notre ombre, et que nous devons donc les voir et en assumer la responsabilité. […] Je pense qu’avec La Hija, j’ai eu l’occasion d’explorer un bon nombre de ces questions, étant donné que le lieu et l’essence des personnages le permettaient. D’un point de vue sociopolitique, je crois qu’il est nécessaire d’aborder ces sujets. » Un très beau premier film qui se donne la liberté non seulement d’évoquer les problèmes sociopolitiques — les inégalités sociales, la misère, le travail des enfants dans des camps, le déni des conséquences de la surabondance des déchets —, mais aussi joue sur le langage cinématographique, entre réalisme et imaginaire, rêve et réalité, être humaine et animale.
La Hija de todas las rabias (la Fille de toutes les rages) de Laura Baumeister, très beau film de rentrée au cinéma le 13 septembre.

Le Livre des solutions
Film de Michel Gondry (13 septembre 2023)

Inspiré d’un épisode de la vie de Michel Gondry au moment de la post production de l’un de ses films, le Livre des Solutions met en scène un réalisateur en mal de créativité, Marc, complètement largué, qui décide brusquement de quitter le lieu de tournage et d’entraîner toute son équipe dans les Cévennes, dans le mas de sa tante pour trouver des idées « géniales » afin de terminer son film quelque peu en panne. Cela ressemble à une fuite en avant, mais sur place dans le mas de Denise, voilà que Marc explose littéralement d’idées, treize à la douzaine, qui déstabilise l’équipe, chahutée dans une aventure évidemment non prévue. Parallèlement, Marc se lance alors dans l’écriture du Livre des Solutions, une sorte de guide de conseils pratiques qu’il pense être la solution à ses problèmes.
On peut voir dans le Livre des solutions de Michel Gondry une comédie où les comédien.nes se « lâchent » — pour toutes et tous des prouesses de jeu —, mais c’est aussi une entrée en diagonale dans les coulisses de la production de films d’auteur.es, avec ses problèmes de budget, ses rebondissements farfelus et ses surprises. Et puis les Cévennes sont belles !
Le Livre des solutions de Michel Gondry est en salles le 13 septembre.

Musiques de fin d’émission : BOF de Neptune Frost et l’Âge d’or par Frasiak