Chroniques rebelles
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Samedi 19 août 2023
Une Petite histoire de l’anarchie de Marianne Enckell. Anatomie d’une chute de Justine Triet. Vera de Tizza Covi et Rainer Frimmel. Abdelinho de Hicham Ayouch.
Article mis en ligne le 19 août 2023

par CP

Une Petite histoire de l’anarchie Marianne Enckel (Nada) Rencontre avec Marianne Enckel en compagnie d’Héloisa Castellanos

Anatomie d’une chute
Film de Justine Triet (23 août 2023)

Vera
Film de Tizza Covi et Rainer Frimmel (23 août 2023)

Abdelinho
Film de Hicham Ayouch (16 août 2023)

Une Petite histoire de l’anarchie Marianne Enckel (Nada) Rencontre avec Marianne Enckel en compagnie d’Héloisa Castellanos

Une Petite histoire de l’anarchisme de Marianne Enckell (éditions Nada). Avec cet essai, Marianne propose « une promenade dans les mouvements anarchistes de par le monde », mais c’est aussi une « histoire transversale », rythmée par des chansons. Chansons et paroles qui se retrouvent en titres des douze chapitres de cet essai. Balades et ballades en anarchisme.
Le choix des chansons : Le Drapeau rouge (1877) ; Droit du travailleur (la Jurassienne) (1873) ; Don’t Mourn, Organize (dernière lettre de Joe Hill avant son exécution en 1915) ; Puño en alto, Mujeres del Mundo (Hymne des Mujeres libres) ; War einmal ein Revoluzzer (Erich Mühsam) (1907) ; « Ils ne nous auront pas tant qu’on aura la colère » (Désert culturel, On a faim) (1990)… Autonomie culturelle et mouvements syndicaux révolutionnaires, résumé des luttes et des résistances aux pouvoirs, combattre l’État dans la tête, transmettre… C’est un peu la continuation du travail au sein du CIRA ? Rencontre avec Marianne Enckell autour de ce « petit livre », une synthèse qui donne des repères et fait découvrir une partie du mouvement anarchiste et de ses moments forts.
« Les anarchistes aiment se raconter des légendes, s’inventer des ancêtres et des héros. Il n’y a pas de mal à ça : sans dieu ni maître, le culte de saint Durruti, des saintes Louise Michel et Emma Goldman, voire de saint Ravachol ne fait guère de dégâts, leur geste finit en chansons ou en T-shirts. Mais l’histoire de l’anarchisme est avant tout une histoire bien réelle d’hommes et de femmes en lutte, avides de savoir et de changement social, de culture et d’idéal. C’est aussi une histoire d’erreurs et d’avancées, de confrontations et de succès, et d’une volonté jamais abattue. Être exploité ou opprimé ne suffit pas à faire des anarchistes, il faut vouloir en finir avec la domination et porter en son cœur un monde nouveau. »

« L’histoire du mouvement anarchiste commence avec la fin de cette organisation générale du mouvement ouvrier qu’était l’AIT en ses débuts, quand les courants socialistes étaient encore indifférenciés, qu’il n’existait ni syndicats ni partis ouvriers. Le mot "anarchiste” circulait tant parmi ses partisans que ses adversaires, l’utopie d’un monde nouveau faisait partie des rêves et des objectifs à atteindre de plusieurs groupes.
En septembre 1871, la Fédération régionale espagnole de l’Internationale déclare à sa conférence annuelle “que la vraie république démocratique fédérale est la propriété collective, l’Anarchie et la fédération économique, c’est-à-dire la fédération libre et universelle des libres associations d’ouvriers agricoles et industriels”. Une fédération qui se veut négation de l’État, des partis politiques et des assemblées constituantes, et affirmation de l’organisation spontanée et révolutionnaire des communes et des groupes autonomes librement fédérés.
Au printemps 1873, ce sont les Italiens de l’AIT, réunis en congrès à Bologne, qui affirment que “l’anarchie, pour nous, est le seul moyen pour que la Révolution sociale soit un fait, pour que la liquidation sociale soit complète,
[...] pour que les passions et besoins naturels, reprenant leur état de liberté, accomplissent la réorganisation de l’humanité sur les bases de la justice”.
Le 3 mars 1877, Élisée Reclus (1830-1905), exilé en Suisse depuis la chute de la Commune de Paris, donne à Saint-Imier une conférence sur l’anarchie et l’État.
 »
(Extraits d’Une Petite histoire de l’anarchie de Marianne Enckel, édition Nada)

Musiques au cours de la rencontre : Les Anarchistes (Léo Ferré. Int. Serge Utgé-Royo. Joe Hill’s Last Will (Fred Alpi). Wake Up (Nana Pancha). Sur la Commune (Serge Utgé-Royo). Casseurs de gueules (Bruant par Kristel). Hymne des Mujeres Libres (Fanfare libertaire de Pampelune). How to Walk in Freedom (Marc Ribot). L’Bon dieu dans la merde (1892. anonyme). Hijos del Pueblo (Christiane Courvoisier). Le Temps des cerises (Natacha Ezdra). Il est cinq heures (chanson détournée de Jacques Dutronc et Jacques Lanzman. Int. Jacques Leglou). A las barricadas (Serge Utgé Royo). Fille d’ouvriers (1887. Jules Jouy. Int : Jean-Luc Debattice). BOF de Désordres, chanson des ouvrières.

Pour compléter la liste des livres récents sur l’anarchisme, le livre de Guillaume Davranche et celui d’Édouard Jourdain, cités par Marianne Enckell, j’ajouterai une nouvelle publication : Le Peuple du drapeau noir. Une histoire des anarchistes de Sylvain Boulouque (éditions Atlande).

Anatomie d’une chute
Film de Justine Triet (23 août 2023)

Sandra, Samuel et leur fils de 11 ans, Daniel, vivent depuis un an dans un chalet isolé, à la montagne. Dès après le générique défilant sur un montage de photos, la symbolique de la chute démarre et se poursuit tout au long du film-enquête sur la mort de Samuel et la déliquescence du couple. Une balle dévale l’escalier du chalet, bientôt rattrapée par un chien qui la rapporte à Sandra. Retour de promenade de Daniel, guidé par son chien, qui découvre le corps de son père gisant dans la neige, visiblement tombé de l’étage. Il appelle sa mère, les secours arrivent et confirment la mort des suites de la chute, la tête ayant heurté un obstacle. Accident, suicide ou meurtre ? L’enquête révèle peu à peu la vie du couple et les soupçons se portent rapidement sur Sandra, écrivaine reconnue alors que Daniel tentait lui-même d’écrire. « Il y a évidemment une déconstruction du schéma archétypal du couple [explique la réalisatrice]. Les rôles sont inversés, je montre une femme, qui en assumant totalement sa liberté et sa volonté, crée un déséquilibre. L’égalité dans le couple est une utopie magnifique mais très difficile à obtenir, et Sandra décide de prendre sans demander, sachant très bien que sinon on ne lui donnera rien. Cette attitude est à la fois puissante et questionnable, et le film ne fait que ça : il questionne. »
L’enquête, puis le procès un an plus tard, se déroulent en présence de Daniel, mal voyant depuis son accident à Londres dont son père se sentait responsable. Sa mère est finalement inculpée de meurtre et l’adolescent tente de rétablir la chronologie des événements, les paroles échangées et les disputes entre ses parents, les interrogatoires, les reconstitutions semant le doute et l’innocence étant difficile à prouver. Son père est-il tombé accidentellement ? Cette hypothèse, rapidement abandonnée durant l’enquête, reste l’idée d’une dispute tournant au drame. Tout repose sur l’enfant qui est le seul à pouvoir témoigner du climat délétère existant au sein du couple. Très proche de sa mère, mais également de son père, il se protège des heurts entre les deux en allant se promener dès qu’il semble y avoir mésentente. Le temps est aussi un facteur important, Daniel est devenu un adolescent au moment du procès, lorsqu’il reconstitue la parole de son père mort, c’est le récit d’un souvenir, reconstruit dans une perspective différente.
L’Anatomie d’une chute est l’analyse de la fin d’un amour fusionnel, accéléré par les dettes du couple, l’isolement, l’impossibilité d’écrire de Samuel et sa culpabilité dans l’accident de son fils. « Le couple [explique Justine Triet], c’est des tentatives de démocratie qui sont sans cesse interrompues par des pulsions dictatoriales. Et ici, c’est presque devenu une guerre, avec une dimension de rivalité. Ils se sont piégés, et quelque chose a été perdu, parce que personne n’a rien voulu lâcher. Mais ce sont de grands idéalistes, j’aime ces gens pour ça, ils ne sont pas résignés. Même dans la scène de dispute, qui est en fait une négociation, ils continuent à se dire la vérité, donc pour moi il reste de l’amour. » L’Anatomie d’une chute, c’est aussi l’enchevêtrement de plusieurs situations et interprétations qui se chevauchent durant le temps du procès avec la remémoration des faits par l’accusation et la défense. L’avocat et ami de la famille est incarné par Swan Arlaud, au plus haut de son talent, et Sandra est interprétée par Sandra Hüller, magnifique dans le rôle d’une femme tentant de prouver son innocence, avec suffisamment de maladresses laissant s’installer le doute d’autant que les témoins à charge sont évidemment convaincants et plein de certitudes. Sandra est finalement jugée pour son attitude de femme libre dans sa manière de vivre différemment sa sexualité, son travail et sa maternité.
L’Anatomie d’une chute est un film procès où l’accusée est une femme, à la manière du Procès Paradine d’Alfred Hitchcock où, bien que les circonstances soient différentes, le jugement se porte avant tout sur l’attitude et la parole de femmes fortes. La parole est d’ailleurs au centre de l’histoire, pas de flash-backs, sauf un enregistrement sonore, selon le choix de Justine Triet. C’est toute la puissance du film.
L’Anatomie d’une chute de Justine Triet est sur les écrans le 23 août.

Vera
Film de Tizza Covi et Rainer Frimmel (23 août 2023)

Le film s’inspire de la vie de Vera Gemma. Son père, comédien très populaire du cinéma italien des années 1960, le western spaghetti, a certainement influencé la vie de sa fille et sa vision d’elle même. Elle est également actrice, mais sa carrière n’a pas le niveau de la renommée paternelle. Avec sa panoplie de longs cheveux décolorés, son chapeau de cowboy, ses tenues décalées et coûteuses, ses multiples opérations esthétiques et sa longue silhouette perchée sur des talons, elle est la parfaite bimbo dans le monde superficiel du showbiz. Tizza Covi et Rainer Frimmel la suivent tout d’abord dans ses déambulations où, de castings en boîte de nuit, de selfies incessants en rencontres superficielles, elle croise des personnes qui, toutes, semblent profiter d’elle d’une manière ou d’une autre. À l’exception d’Asia Argento qu’elle rencontre dans le film et partage avec elle son expérience en tant que fille d’un célèbre réalisateur.
L’apparence semble être le seul intérêt de Vera qui d’ailleurs déclare « J’ai ma propre vision de la beauté : plus je ressemble à une femme trans, plus je me sens belle ». Toutefois, il n’en demeure pas moins que, passé l’étonnement de voir que la protagoniste au centre du récit vit dans un cocon parfaitement hors sol et paraît, à bien des égards, pathétique, le contexte du milieu cinématographique de Rome dans lequel elle a baigné depuis l’enfance est présenté dans tout son réalisme cru. Comme le souligne Tizza Covi, « l’histoire de Vera est façonnée par les comparaisons constantes et insupportables avec son beau et célèbre père. Cela a dû être terrible d’entendre encore et encore à quel point il est dommage que la fille ne soit pas aussi belle que le père. C’est l’un des thèmes principaux de Vera : ses doutes constants et le sentiment qu’elle ne soit pas aussi accomplie que son père. À cela s’ajoute le fait qu’elle soit constamment exploitée, car les gens veulent s’associer à son nom célèbre. C’est le sort de nombreux enfants de célébrités. » Deux points sont également importants dans le film, qui se situe entre documentaire et fiction, la crainte de vieillir en tant que femme dans la profession de comédienne, d’où la raréfaction des rôles proposés et le recours à la chirurgie esthétique pour rester jeune éternellement ; par ailleurs Vera recherche d’autres expériences, rencontres qui lui permettent de trouver un sens à une vie artificielle et quelque peu programmée. Elle est piégée par le personnage qu’elle a endossé.
À la suite d’un accident de voiture provoqué par son chauffeur dans un quartier populaire de Rome, un gamin est blessé, et Vera découvre alors une toute autre facette de la vie avec la famille de l’enfant, les différences de classe, les privilèges, les relations et les intérêts de ses nouveaux amis. Malgré les paroles de son chauffeur, qui sent l’arnaque, elle n’en tient pas compte et s’attache à la famille qui, lui semble-t-il, la sort du milieu factice dont elle a l’habitude. Cela lui apporte un nouveau sens à son existence, mais pour autant elle n’est pas dupe des obstacles qui l’attendent en nouant un nouveau contact, Et s’il y a arnaque, il n’était pas question pour Tizza Covi de dépeindre le père comme un personnage crapuleux : « Daniel est dans une situation très difficile ; il n’a presque pas d’argent, il doit s’occuper de son enfant et de sa mère, et il a perdu sa femme. Il cause du tort à quelqu’un parce qu’il suppose que les conséquences pour elle [pour Vera] ne seront pas trop graves. Nous lui avons également donné l’espace pour montrer qu’il est un père aimant. » Rainer Frimmel précise : « en fin de compte, il s’agit de l’argent qu’ils recherchent tous. Pour Daniel, le père du garçon au bras cassé, ses arnaques sont une stratégie de survie. »
Le jeu de Vera Gemma lui a valu le prix de la meilleure actrice au Festival de Venise et, grâce à cette écriture cinématographique originale, Tizza Covi et Rainer Frimmel attribuent à leur héroïne une identité digne et attachante.
Vera de Tizza Covi et Rainer Frimmel est en salles le 23 août 2023.

Abdelinho
Film de Hicham Ayouch (16 août 2023)

Abdellah, surnommé Abdelinho en raison de sa passion pour le Brésil, vit dans une petite ville marocaine. Coincé entre une mère croyante quelque peu hystérique et un travail absurde dans une administration, il s’échappe d’un quotidien aliénant en donnant des cours de samba. De plus, il est amoureux de l’héroïne d’une télénovela brésilienne. C’est alors qu’arrive un prêcheur intégriste qui met rapidement au pas le village et interdit les cours de samba et même décide de mettre fin aux fantasmes brésiliens d’Abdelinho.
Entre comédie, emprise idéologique et poésie, Abdelinho est une fable contemporaine. Comme l’indique Hicham Ayouch, « pour ce jeune homme habitant une petite ville du Maroc, le Brésil incarne la liberté, la joie, la danse et le corps, symbolisant ainsi une forme de transgression. Abdelinho représente cette jeunesse marocaine ouverte sur le monde et créative, en opposition à une frange plus conservatrice de la société. » Un pied de nez à toute forme d’intégrisme.
Abdelinho de Hicham Ayouch est sur les écrans depuis le 16 août 2023.