Chroniques rebelles
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Samedi 4 novembre 2023
Yallah Gaza de Roland Nurier. Pierre feuille pistolet de Maciek Hamela. Par la fenêtre ou par la porte de Jean-Pierre Bloc. Goodbye Julia de Mohamed KordofanI. Simple comme Sylvain de Monia Chokri.
Article mis en ligne le 3 novembre 2023
dernière modification le 2 novembre 2023

par CP

Yallah Gaza
Film de Roland Nurier (8 novembre 2023)

Entretien avec le réalisateur

Pierre feuille pistolet
Film de Maciek Hamela (8 novembre 2023)

Par la fenêtre ou par la porte
Film de Jean-Pierre Bloc (8 novembre 2023)

Goodbye Julia
Film de Mohamed Kordofani (8 novembre 2023)

Simple comme Sylvain
Film de Monia Chokri (8 novembre 2023)

Yallah Gaza
Film de Roland Nurier (8 novembre 2023)

Entretien avec le réalisateur

La bande de Gaza est un territoire palestinien de 360 km2 où s’entasse une population de plus de 2 millions de personnes, pour la plupart des réfugié.es. Un territoire palestinien sous blocus israélien, terrestre, maritime et aérien. Malgré cette situation de dépendance totale des autorités israéliennes concernant l’eau, l’électricité, les déplacements, les attaques militaires incessantes de la population civile, la pauvreté endémique, 60 % de chômage, la société gazaouie s’efforce de vivre et résiste par l’éducation et la culture. Pourtant, comme on l’apprend dans le film, Gaza a été un grand port méditerranéen, un carrefour d’échanges et de cultures, et c’est en cela que Yallah Gaza est à la fois une source d’informations et de découvertes grâce à la variété des intervenant.es qui remettent en question les clichés et poncifs véhiculés habituellement. En effet, Yallah Gaza « aborde les aspects historiques, géopolitiques, parle de sionisme, de politique interne palestinienne, de Droit International, et des motifs d’espoir gazaouis pour paraphraser le grand poète palestinien Mahmoud Darwich :“Nous souffrons d’un mal incurable qu’on appelle l’espoir” ».

Pour cette réalisation, Roland Nurier n’a pas pu se rendre à Gaza, il a donc travaillé avec Iyad Alastal (réalisateur, documentariste, créateur de la série Gaza stories) qui a filmé les séquences à Gaza et avec une équipe française pour les entretiens réalisés en Europe et la post-production. Il en résulte un document pédagogique remarquable par la façon d’aborder une situation sans doute très médiatisée, mais dont la réalité quotidienne n’est que partiellement évoquée et qui rapporte essentiellement le nombre de victimes consécutives aux agressions militaires de l’État israélien. Ce que plusieurs des femmes qui témoignent dans le film remettent en question, notamment avec cette association « We are not Numbers ».
Yallah Gaza a été montré dans de nombreuses avant-premières depuis juin dernier, Ken Loach dit de ce film qu’il est très important car « l’une des raisons pour laquelle l’oppression de Gaza continue est que les gens ne savent pas à quoi ressemble la vie quotidienne à Gaza. »
Après l’attaque du 7 octobre, la mort de civils israéliens, et la catastrophe humanitaire qui se déroule actuellement à Gaza, Michel Warschawski a déclaré : « Netanyahou est dans le discours, celui de la vengeance. Il n’est pas seul : une partie importante de la société israélienne se rallie à ces postures de va-t-en-guerre, sur l’air de “On gagnera, on les aura”, mais ce ne sont pas eux qui paient. Encore que Netanyahou, à mon avis, finira par payer. Il n’a pas écouté ceux qui le mettaient en garde ; “Ça va exploser”. Il a toujours été dans l’arrogance, dans un grand aveuglement. Il s’est très mal entouré ; son gouvernement d’extrême droite est constitué de criminels et d’illuminés. Ce pays n’est pas mal dirigé : il n’est plus dirigé. »
La bande de Gaza, territoire où s’entassent plus 2 millions d’êtres humains, subit un siège monstrueux, privant la population civile de tout, eau, nourriture, soins, abris, etc. en plus des bombardements incessants…

Pour ce long-métrage Yallah Gaza, Roland Nurier a travaillé avec un réalisateur gazaoui Iyad Alastal, n’ayant pas obtenu l’autorisation de se rendre sur place, avec un but, celui de raconter la vie des habitant.es, au-delà des préjugés et de montrer que « c’est un peuple qui veut juste vivre comme tous les autres dans le monde ».
La sortie nationale de Yallah Gaza est le 8 novembre.

Pierre feuille pistolet
Film de Maciek Hamela (8 novembre 2023)

Un van polonais sillonne les routes d’Ukraine. À son bord, Maciek Hamela évacue des habitant.es qui fuient leur pays depuis l’invasion russe. Le véhicule devient alors un refuge éphémère, une zone de confiance et de confidences pour des gens qui laissent tout derrière eux et n’ont plus qu’un seul objectif : retrouver une possibilité de vie pour eux et leurs enfants.
Tout se passe l’intérieur du mini bus d’évacuation surchargé, les civils, les familles se succèdent et disent l’horreur de la guerre, l’obligation de partir, de tout abandonner dans l’urgence, leurs maisons, les animaux… C’est aussi le récit des bombes et des destructions, des morts, des blessés, des viols, Des tortures.
La première famille raconte l’abandon des chiens, de leur vache. Une fillette traumatisée ne parle plus depuis le bombardement qui a soufflé l’appartement familial. « Il n’y aura plus de boum boum » dit son père pour tenter de la rassurer. Il y a aussi l’enrôlement forcé d’un très jeune homme, après 24 checkpoints passés. Une jeune femme congolaise blessée est transportée en urgence, « les soldats russes nous ont visés intentionnellement alors que nous étions allongés sur le sol, en attendant l’évacuation ». Les personnes transportées ne se connaissent pas, mais se confient et disent leur expérience de la violence et de la sidération.
« À l’intérieur du véhicule, la caméra est frontale face aux passagers et se déplace rarement. À travers les fenêtres du minivan, le décor de la guerre défile. Les chars sur la route, les bombardements au loin, les checkpoints, forment la toile de fond des conversations. Lorsque nous sommes à l’arrêt [raconte Maciek Hamela], notre regard se pose plus longuement sur les campagnes et les villes que mes passagers laissent derrière eux. Malgré le calme apparent, les maisons carbonisées ou aux vitres brisées, les morceaux de missiles incrustés dans les routes s’imposent à nos yeux. Ces images représentent un monde effondré qui ne sera plus jamais le même. Le film témoigne de toutes les étapes les plus importantes de cette guerre. À commencer par la première vague de réfugié.es, qui fuient tous les coins du pays », l’encerclement de la ville de Kiev, toutes les batailles, celle de Marioupol. Un voyage à travers l’enfer des destructions, le risque des mines et les ponts détruits.
« C’est le fragile fil de l’émotion qui dicte la narration du film au montage [explique le réalisateur]. Les récits n’ont pas tous la même portée émotionnelle, et l’un des enjeux est de rendre audibles toutes les histoires choisies, de créer des résonances entre elles. Le rythme interne aux plans, leur tension, nous rapprochent avec une plus grande force et justesse des personnes qui partagent avec nous ce moment de leur vie. Lorsque le minivan n’est pas rempli, je propose à des personnes que j’aperçois à proximité de la route de les transporter. Ces moments donnent parfois lieu à des tournages en dehors de la voiture. Nous rencontrons également des habitants qui font le choix de rester, comme cette famille qui moissonne près d’un lac, alors que des bombes tombent de l’autre côté du plan d’eau, ou des dames qui vendent leurs fruits en bord de route. »
Le choix de filmer à l’intérieur du véhicule rappelle le film de Hani Abu-Assad, Ford Transit. Pierre feuille pistolet transcrit la gravité de la situation, l’effroi, les confidences, la solidarité… Et « se veut l’écho d’une mobilisation spontanée, massive, parfois surprenante, belle, et du rapprochement historique de deux pays avec un passé commun difficile. »
Pierre feuille pistolet de Maciek Hamela à voir au cinéma le 8 novembre 2023.

Par la fenêtre ou par la porte
Film de Jean-Pierre Bloc (8 novembre 2023)

En septembre 2004, l’État privatise France Télécom et du coup, le cours de l’action devenant primordial pour le nouveau PDG Didier Lombard, celui-ci décide de pousser 22 000 salarié.es à un départ soi-disant volontaire, management exemplaire uniquement piloté par les chiffres et le profit.
Le 30 septembre 2022 se clôt en appel « l’Affaire des suicides de France Télécom- Orange », première condamnation pénale de dirigeants du CAC 40 pour harcèlement moral institutionnel. Derrière le coup de tonnerre juridique, le film retrace l’histoire d’un long combat syndical raconté par celles et ceux qui ont mené la lutte.
Par la fenêtre ou par la porte, reprend les paroles d’un cynisme décomplexé de Didier Lombard, annonçant aux actionnaires une compression massive du personnel. C’est une analyse approfondie du processus qui provoqua le suicide de salarié.es, l’affaire France Télécom-Orange racontée par celles et ceux, salarié·es et syndicalistes, qui pendant des décennies ont combattu l’inhumanité d’une direction d’entreprise basée uniquement sur la rentabilité financière. Cette affaire relance le problème des conditions de travail et la maltraitance utilisée par des directions au nom du profit. L’affaire France Télécom-Orange révèle l’histoire d’une privatisation, de dizaines de milliers d’emplois supprimés, d’un management toxique ayant entraîné de nombreux suicides de salarié·es et, au terme de deux procès hors norme, de la condamnation pénale de dirigeants du CAC 40.
« Faites que la Justice ne soit pas qu’une simple interpellation » avait prévenu Raphaël Louvradoux, salarié et fils d’une des premières victimes à l’ouverture de la première audience. Comme l’écrit Gilles Tourman, « Chapitré en deux parties (“ne m’appelez pas privatisation” et “Les années noires”), à la fois page d’histoire, d’économie, de politique, sociétale, judiciaire… filant sur un rythme vif du fait de ses multiples intervenant.es, haletant de par son arc narratif, démarrant sur le verdict du procès en appel pour remonter, tout en l’éclairant l’enchaînement des faits et s’achever avec les perspectives à en tirer quant à l’organisation du monde du travail… ce documentaire pédagogique édifiant est à voir impérativement tant, in fine, il forme une clé d’accès à l’ensemble de la société dans laquelle nous vivons. “Il s’agit pour moi de produire de l’amnésie en vidant les mots de leur valeur” aurait ainsi dit un expert à la sociologue Danièle Linhart, écho au fameux “temps de cerveau disponible” de l’ex PDG de TF1 Patrick Le Lay. “On croit aujourd’hui aux chiffres comme hier aux esprits. C’est de l’animisme numérique” remarque pour sa part le psychanalyste Roland Gori. “Inutile de préciser qu’il s’agit de personnes”. » Ben voyons : vive le capitalisme financier !
Il faut voir ce film qui montre avec précision les méthodes du management, mais également que la lutte, même difficile, paie.
Par la fenêtre ou par la porte de Jean-Pierre Bloc au cinéma le 8 novembre 2023.

Goodbye Julia
Film de Mohamed Kordofani (8 novembre 2023)

Mona, ex-chanteuse nord-soudanaise, vit avec son mari, Akrame, dans une belle maison, mais la situation est tendue dans la capitale soudanaise après la mort du leader sudiste. Nous sommes en 2005, des émeutes éclatent, des coups de feu éclatent, ce qui pousse Akram à s’armer. Par ailleurs, Julia, son mari et leur fils, Daniel, sudistes, sont expulsés de leur logement et se réfugient provisoirement chez des proches. Daniel est renversé par Mona qui s’affole lorsque le père de l’enfant l’apostrophe, elle s’enfuit et prévient son mari qu’un sudiste la poursuit. Sans connaître les faits, Akram l’abat. Le meurtre est camouflé par la police. Mona n’ose pas avouer ce qui s’est passé, mais elle est rongée par la culpabilité et retrouve la mère de l’enfant. Elle l’engage comme aide ménagère et lui propose de s’installer avec son fils dans une dépendance de la maison sans révéler la motivation de son geste. Mona finance les études de Daniel, se rapproche de Julia sans se douter que l’agitation qui gagne tout le pays avant les élections va la confronter à ses mensonges.
Le récit personnel de cette famille, mais aussi les liens entre les deux femmes, permettent à Mohamed Korfani d’aborder les problèmes du Soudan, la séparation du Sud et du Nord, le racisme récurrent, la méconnaissance des autres, les différences de classes… « Le film traite de la séparation de manière plus globale, et pas seulement de la séparation du Sud. Il traite également de la séparation des maris, des enfants, des amis et des êtres chers. Mais en ce qui concerne la sécession du Sud, je pense qu’il s’agit de la preuve la plus importante des problèmes partisans sous toutes ses formes et de la crise d’identité culturelle et religieuse dont souffre le Soudan. » Cependant, ajoute le réalisateur, « je crains que certaines personnes ne sortent ce film de son contexte et ne l’associent aux conflits entre l’armée et les forces de soutien rapide. La guerre dans le Sud était due au racisme, à la marginalisation et au fanatisme identitaire. Quant à ce qui se passe aujourd’hui, il s’agit d’une lutte pour le pouvoir afin de préserver les intérêts des individus. L’armée est toujours dirigée par le comité de sécurité qui protégeait le président déchu Omar Al-Bashir à l’époque des islamistes. Quant aux Forces de soutien rapide, il s’agit d’une milice qui vit des guerres menées par la même armée que celle qui la combat aujourd’hui. Toutes deux ne se soucient pas du tout du peuple et de l’intérêt du pays, elles ne se préoccupent que de leur richesse. »

Goodbye Julia est un appel à maintenir l’unité de ce qui reste du Soudan. Si le film a connu des difficultés dans sa réalisation du fait d’un coup d’État militaire, des manifestations et du manque d’infrastructures, il n’en demeure pas moins la volonté du cinéaste de traiter de l’abandon des privilèges sociaux et de la nécessité de réconciliation : « Il faut que les gens en parlent. C’est le rôle de l’art en général, et du cinéma en particulier, car il est le plus efficace pour aborder la conscience des sociétés. »
Goodbye Julia de Mohamed Kordofani est en salles le 8 novembre 2023.

Simple comme Sylvain
Film de Monia Chokri (8 novembre 2023)

Lorsque Sophia, professeure de philosophie à Montréal et vivant en couple avec Xavier depuis 10 ans, rencontre Sylvain, qui est charpentier, l’attirance est immédiate. Mais ce que Sophia imagine tout d’abord comme une simple aventure sexuelle au coup de foudre sur fond de différences de classes.
Plusieurs choses intéressantes dans le film de Monia Chokri, notamment les scènes de sexe : « il y en a tellement au cinéma... Elles ne m’intéressent jamais vraiment, on les traite toujours d’un point de vue graphique. Pour moi, elles ne sont bonnes que si elles font avancer le récit. On parle de female gaze, mais c’est assez compliqué, car on a été éduquées par la vision qu’ont les hommes de l’érotisme et de la sensualité. On dit tout le temps que le corps d’une femme, c’est sensuel, et que celui d’un homme, ce n’est pas sexy. C’est encore une injonction à exposer nos corps de femmes. Mon défi, c’était de ne pas montrer le corps de l’actrice, je voulais que ce soit son point de vue. On a alors des plans très serrés sur le corps de Sylvain. Dans la scène du cunnilingus, c’est aussi elle qui dirige. C’était pour moi une façon de dire aux femmes : “Vous pouvez vous exprimer dans votre sexualité, dire ce dont vous avez envie.” J’ai donc traité les scènes de sexe comme des séquences de dialogue, pour qu’elles fassent avancer la narration. »
Simple comme Sylvain est filmé du point de vue de Sophia et il n’y a pas de toxicité dans la relation. Et c’est très drôle bien que cela ne soit pas seulement une comédie, mais révèle des sujets de société, par exemple la maternité, et même l’injonction à la maternité justifiée par la structure sociale et économique, c’est un asservissement pour les femmes. Or cela ne concerne pas les hommes à qui l’on ne pose pas la question. Et c’est évoqué dans le film, de la même manière que la relation amoureuse est-elle dépendante d’une égalité intellectuelle et sociale ?
Simple comme Sylvain de Mona Chokri est à la fois une histoire d’amour, une réflexion sociale et une comédie tendre qui repose sur un très joli scénario.
Simple comme Sylvain de Mona Chokri est en salles le 8 novembre

Musiques : Bande originale du film Yallah Gaza. Michel Bühler, Gaza. BO After Blue. Sakamoto. La Rabia, Faudra bien qu’ça change. Amine Bouhafa. Tiken Jah Fakoly, African Revolution. Frasiak, Non essentiels. Tony Coe. Serge Utgé-Royo, les Anarchistes.