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Samedi 18 novembre 2023
Delphine Seyrig (coffret Blu-ray). Rencontre avec Hélène Fleckinger. Anna de Pierre Koralnik. L’Étrange parcours de Jean-Michel Ropers, co-écrit par Alain Pozzuoli (entretien). La Rivière de Dominique Marchais. Testament de Denys Arcand. La Vénus d’argent de Helena Klotz. Les Ombres persanes de Mani Haghighi
Article mis en ligne le 19 novembre 2023

par CP

Delphine Seyrig (coffret Blu-ray)
Rencontre avec Hélène Fleckinger

Anna
Film de Pierre Koralnik (29 novembre 2023)

L’Étrange parcours
Film de Jean-Michel Ropers
co-écrit par Alain Pozzuoli et Francis Tournois.
Entretien avec Alain Pozzuoli

La Rivière
Film de Dominique Marchais (22 novembre 2023)

Testament
Film de Denys Arcand (22 novembre 2023)

La Vénus d’argent
Film de Helena Klotz (22 novembre 2023)

DVD/BR : Les Ombres persanes
Film de Mani Haghighi (21 novembre 2023)

Delphine Seyrig (coffret Blu-ray )
Rencontre avec Hélène Fleckinger

Samedi dernier, j’ai souhaité qu’Hélène Fleckinger vienne parler à ce micro du coffret et plus généralement de l’itinéraire de Delphine Seyrig, en tant que cinéaste, mais également de son amitié avec Carole Roussopoulos. Hélène Fleckinger est spécialiste du cinéma féministe et notamment de l’œuvre de Carole Roussopoulos.
Dans ce coffret Blu-ray, on trouve LA MUSICA de Marguerite DURAS et Paul SEBAN, LES LÈVRES ROUGES de Harry KÜMEL, LE JARDIN QUI BASCULE de Guy GILLES, ALOÏSE de Liliane DE KERMADEC, JEANNE DIELMAN 23, QUAI DU COMMERCE, 1080 BRUXELLES de Chantal AKERMAN. Enfin, SOIS BELLE ET TAIS-TOI ! / MASO ET MISO VONT EN BATEAU / S.C.U.M MANIFESTO trois films réalisés par Delphine Seyrig et le collectif féministe « Les Insoumuses », c’est-à-dire Carole Roussopoulos, Ioana Wieder et Nadja Ringart.
Au cours des années 1970, Delphine Seyrig est l’une des premières grandes actrices à défendre la cause féministe en choisissant des rôles de femmes peu représentés. Un engagement qu’elle poursuit en réalisant en vidéo des films militants.

LA MUSICA de Marguerite DURAS et Paul SEBAN (1967, 1h 26) Un couple divorcé se retrouve dans une chambre d’hôtel pour discuter de leur relation passée, explorant ainsi les complexités de l’amour.
LES LÈVRES ROUGES de Harry KÜMEL (1971, 1h 48) Une variation magnifique et troublante sur le thème des vampires femmes.
LE JARDIN QUI BASCULE de Guy GILLES (1975, 1h 33) Deux jeunes tueurs à gages parviennent à se faire inviter dans la villa de celle qu’ils sont chargés d’éliminer.
ALOÏSE de Liliane DE KERMADEC (1975, 1h 57) L’histoire vraie d’Aloïse Corbaz. Cantatrice puis gouvernante, elle passe sa vie internée et se révèle par la peinture.
JEANNE DIELMAN 23, QUAI DU COMMERCE, 1080 BRUXELLES de Chantal Ackerman (1976, 3h 21). Trois jours de la vie d’une mère au foyer, entre tâches ménagères et prostitution.
SOIS BELLE ET TAIS-TOI ! / MASO ET MISO VONT EN BATEAU / S.C.U.M MANIFESTO (1976, 1h 53, 55 min, 28 min). Trois films réalisés par Delphine Seyrig et le collectif féministe « Les Insoumuses » (Carole Roussopoulos, Ioana Wieder et Nadja Ringart).

Illustrations sons :
Delphine Seyrig sur les femmes et Carole Roussopoulos raconte sa rencontre avec Delphine Seyrig.
Carole Roussopoulos explique le tournage de Sois belle et tais-toi et séquence Jane Fonda
Delphine Seyrig sur l’IVG
SCUM MANIFESTO

Anna
Film de Pierre Koralnik (29 novembre 2023)

Comédie musicale loufoque et déglinguée, réalisée en 1967, qui réunit Anna Karina, Jean-Claude Brialy et Serge Gainbourg qui est à la fois le compositeur de la bande son, l’auteur des chansons et l’un des acteurs. Rencontre du Pop Art à l’anglaise, puisqu’apparaît également Marianne Faithful, et même Eddy Mitchell… Un film inédit, drôle et plein de trouvailles de la fin des années 1960 à découvrir le 29 novembre… Anna de Pierre Koralnik.
Extraits bande originale son.

L’Étrange parcours
Film de Jean-Michel Ropers
co-écrit par Alain Pozzuoli et Francis Tournois.
Entretien avec Alain Pozzuoli

L’Étrange parcours ou le voyage dans la littérature fantastique du XIXe siècles à travers trois villes emblématiques, Whitby, Dublin, Edimbourg. Le choix de ces trois villes s’impose en quelque sorte puisqu’elles font écho à l’ambiance de la littérature de l’époque victorienne, elles ont d’ailleurs accueilli des auteurs et parfois les cadres de leurs récits. C’est tout d’abord Whitby, petit port du Yorkshire, qui vit toujours dans le mythe de Dracula et le célèbre chaque année avec un festival gothique, durant lequel la petite ville se transforme en carnaval vestimentaire faisant honneur au personnage de vampire et à son entourage. Puis, en route vers l’Irlande où sa capitale, Dublin, est marquée par les noms de grands écrivains, Sheridan Le Fanu, Bram Stoker évidemment, Oscar Wilde et William Butler Yeats qui ont su animer un univers de légendes, de fées, d’elfes et autres fantômes. Le périple littéraire s’achève finalement en Écosse, à Edimbourg, où le cadre bascule quelque peu dans l’horreur qui a inspiré les œuvres de Walter Scott et de Robert-Louis Stevenson.
Pour raconter l’idée initiale et le processus qui a suivi, Alain Pozzuoli, notamment biographe de Bram Stoker, nous guide dans ce parcours pas comme les autres, étrange, entre images et littératures…

L’Étrange parcours est programmé à l’Epée de Bois, 100 rue Mouffetard à 13 heures 15, sauf le mercredi 22/11 à 16 heures et le samedi 25/11 à 17 heures.
Voir également le détail des horaires au cinéma l’Épée de bois.

La Rivière
Film de Dominique Marchais (22 novembre 2023)

Entre les Pyrénées et l’océan, le film montre d’abord les méfaits de la pêche et des déchets de toutes sortes, des conséquences sur les rivières et les saumons qui ne reviennent plus dans les cours d’eau pour frayer. De plus, le réchauffement climatique qui accentue encore la catastrophe, de même que les barrages pour l’arrosage des champs de maïs, déjà les écrevisses ont disparu, de même que toute une variété de poissons…
Dominique Marchais filme le Béarn, où les rivières jouent un rôle capital et le personnage principal féminin est une spécialiste de la rivière et des saumons. C’est ainsi qu’est née l’idée d’un film documentaire sur les rivières et le gave d’Oloron où se concentrent des enjeux écologiques, agricoles, énergétiques, où des poissons migrateurs vivent encore alors que beaucoup de rivières françaises meurent dans l’indifférence et l’aveuglement. «  Je ne filme plus [déclare Dominique Marchais] ceux qui sont majoritaires, globalement monotones et décevants – les champs de maïs, les autoroutes, les zones pavillonnaires –, mais je descends dans la rivière, dans ce qui est rare et beau. Je vais vers ce qu’il reste de beauté. Je filme la beauté dans son statut minoritaire, dans son “être minoritaire”. Les personnes que je filme sont également minoritaires. Elles sont maltraitées, conspuées. Le Président de la République les moque en les traitant d’“amish”, le ministre de l’intérieur d’écoterroristes. » Comment alors informer sur les dangers qui menacent l’environnement et contrecarrer la perception généralement véhiculée par les grands médias qui, ajoute Dominique Marchais, « font preuve d’une ignorance crasse et d’une méchanceté écœurante sur tout ce qui a trait à la défense de l’environnement. On est face à un rouleau compresseur qui est le produit de la collusion des forces administratives et des grands intérêts économiques : c’est une machine qui marche d’autant mieux qu’elle est mal comprise [de la population].
Les militant.es en revanche — ou plutôt tous les acteurs qui œuvrent à la connaissance et la protection des milieux — forment une nébuleuse qui non seulement n’est pas organisée, mais est bien souvent ignorante d’elle-même. » Les unifier est indispensable, ainsi la Rivière s’adresse à une jeunesse pro-climat qui doit s’intéresser « aux acteurs qui sont déjà là, depuis longtemps, qui font un travail indispensable, [les] associations de défense de l’environnement qui œuvrent au niveau local, qui empêchent la mise en place d’une nouvelle gravière, la disparition d’une zone humide. Toutes ces petites choses qui ne font jamais l’objet d’attention des grands médias. » Dominique Marchais est un cinéaste qui aborde la relation à l’environnement en analysant le processus de destruction et les moyens de s’y opposer.

Dans son introduction à Dominique Marchais, le temps du regard, Stratis Vouyoucas écrit à propos de la Rivière : « ce qui affleure à la surface du film, derrière la douceur apparente de sa mélancolie, c’est une grande colère. C’est le trajet intérieur de la filmographie de Dominique Marchais prise dans son ensemble : partir d’un constat mélancolique face à la détérioration des paysages de son enfance, pour arriver à une prise de conscience globale de la complexité des enjeux environnementaux. Passer d’une perception esthétique du réel à une vision politique du monde. C’est cette tension qui fait de lui un cinéaste, et pas simplement un “documentariste écolo”. L’aspect critique de son cinéma se fonde sur un regard sensible, troublé par la violence des destructions subies par le visible. » L’ouvrage, composé d’un essai de Quentin Mével et d’un long entretien avec le réalisateur, paraît conjointement à la sortie du film (éditions Playlist Society).
« Dominique Marchais creuse sans relâche le même sillon, celui du paysage et de sa possible disparition. L’écologie est chez lui un enjeu esthétique — une question de regard — avant de devenir, par la force des choses, un enjeu politique. Dominique Marchais chemine à travers la géographie et l’histoire, le long des rivières ou des routes, avec une approche à la fois sensible et érudite, élégiaque et mélancolique, dont la douceur devant la beauté fragile du monde visible cache une profonde colère face à son enlaidissement permanent et sa destruction programmée. »
La Rivière de Dominique Marchais est un film essentiel à voir en salles dès le 22 novembre. À découvrir également l’ouvrage consacré à son film, la Rivière, ainsi qu’à sa filmographie.

Testament
Film de Denys Arcand (22 novembre 2023)

Jean-Michel, un célibataire de 70 ans, semble déphasé par rapport aux idées et habitudes en vogue, de même qu’il n’a guère d’illusions sur la société qu’il estime en déliquescence. Il vit dans une maison de retraite dirigée par une directrice assez coincée, qui surveille les résident.es et veut gérer l’immeuble de manière à ce qu’il n’y ait aucun problème. Surtout pas de vagues qui pourrait la mettre en porte à faux avec la direction générale et les élu.es politiques. Or, dans le foyer de cette résidence figure une fresque peinte à la gloire du colonialisme. De jeunes manifestant.es installent un campement à l’entrée de l’immeuble et exigent que la peinture datant d’un autre siècle soit détruite pour cause de connotations racistes et discriminatoires offensant les autochtones indiens. Jean-Michel, lui, regarde avec un œil critique les manifestations des jeunes qui, sans doute animé.es de bonnes intentions, ne connaissent pas grand-chose à l’histoire du pays… Soudain, tout se complique lorsque la presse s’en mêle, et la directrice devient rapidement la cible et la responsable du scandale mal géré, alors les autorités la virent courageusement. Toute cette mascarade est trop absurde estime Jean-Michel, qui décide de s’en mêler, et, finalement, de reprendre sa vie en main… et peut-être même celle des autres.
L’idée du film est partie d’un événement dans un musée de New York, comme le raconte Denys Arcand : « sur une grande fresque murale, on voyait la rencontre d’Indiens de l’île de Manhattan avec un explorateur hollandais. Elle ne gênait personne depuis des années. Un jour, un groupe a exigé sa destruction en prétextant que cette toile constituait une insulte aux autochtones, aux premiers arrivants. Les responsables du musée ont […] placé devant l’immense tableau [une vitre où l’on] pouvait lire : “Il est impossible que cette réunion ait eu lieu en pareilles circonstances”. » Fin de l’histoire ! Alors, ajoute Denys Arcand, on peut tout imaginer, par exemple, « dans la Chapelle Sixtine, de petites notes qui préciseraient : “Dieu le Père est ici représenté comme un homme blanc, vieux et probablement hétérosexuel, mais libre à vous d’imaginer, à sa place, une femme noire, jeune et enceinte” » !
Testament est d’une ironie mordante, tout y passe, la mode et les injonctions à la suivre de peur de paraître « has been », la désintégration d’une société imbécile, l’opportunisme des politicien.nes qui n’ont en tête que de conserver leurs postes et n’hésitent pas pour cela à sacrifier leurs employé.es en leur faisant porter le chapeau.
Humour et ironie, un duo dont Denys Arcand a le secret pour ce nouveau pamphlet comique, tendre et grinçant à la fois : « On quitte ce qu’il est convenu d’appeler la civilisation occidentale — celle de Gutenberg pour faire vite — et l’on entre dans une nouvelle ère — le digital, le numérique, l’Intelligence Artificielle... On a déjà commencé à brûler des livres, à réécrire des textes. Pour l’instant, on s’en prend à Ian Fleming et à Agatha Christie. Mais qui dit que ce ne sera pas le cas de Shakespeare, très bientôt ? Après la Renaissance, on a couvert les sexes sur certaines toiles pour plaire à une époque devenue puritaine. Aujourd’hui, les classiques sont menacés parce qu’ils sont insupportables à la sensibilité qui s’en vient... »
Testament de Denys Arcand au cinéma le 22 novembre 2023.

La Vénus d’argent
Film de Helena Klotz (22 novembre 2023)

La caméra suit une silhouette sur un scooter qui roule vers le quartier de la Défense… des immeubles modernes et impersonnels, une ambiance glaciale, une jeune femme passe à travers la vitrine d’un magasin pour voler un costume d’homme, se blesse, puis se rend à un entretien d’embauche… Voler pour s’approprier un costume, se transformer pour transcender son genre, son âge, sa classe sociale. Elle se déclare d’ailleurs neutre comme pour focaliser uniquement vers un but : la réussite. La scène d’ouverture place le caractère du personnage, sa détermination avec cette carapace qu’elle se construit pour échapper à toute assignation.
À 24 ans, Jeanne vit dans une caserne en banlieue avec son père gendarme, son jeune frère et sa petite sœur. Elle ne pense qu’à une réussite rapide, et pour cela, elle a choisi le monde de la finance pour gagner ce qu’elle imagine comme sa liberté : « d’un côté la caserne de gendarmerie et les barres d’immeubles de la banlieue, de l’autre la finance et les tours des quartiers d’affaire. Au milieu, un personnage féminin qui cherche à briser le plafond de verre de sa classe sociale pour se créer du futur. »
Tout le film est bâti autour de l’ambition de Jeanne qui annihile tout sentiment sauf à l’égard de sa famille, comme pour se préserver d’une ancienne blessure sentimentale, mais rien n’est expliqué. De Jeanne, on apprend par bribes sa formation, une ancienne déception amoureuse, mais ce qui ressort c’est sa volonté de réussir, sa fascination pour ce monde d’arrivistes et de traders, quitte à écraser au passage. En cela, son attitude se calque sur la Vénus d’argent, figure de proue des voitures Rolls-Royce. Elle va croiser des modèles, le trader type, arriviste et sans scrupules, et l’héritière, celle qui est née dans l’univers qu’elle tente d’atteindre.
Le choix d’images léchées et froides, les mouvements de caméra à la manière de clips publicitaires sont à la fois allégoriques du monde de la finance et empêchent de pénétrer les personnages, ils restent des symboles, des ellipses… Le constat d’un monde vide et effrayant auquel Jeanne se confronte comme pour un voyage initiatique. « Ce qui compte [explique Héléna Klotz], c’est qu’elle est verticale, et non plus courbée et louvoyante, fuyante, allongée. Quelque chose de son parcours s’est cristallisé. »
La Vénus d’argent de Héléna Klotz au cinéma le 22 novembre.

DVD/BR : Les Ombres persanes
Film de Mani Haghighi (21 novembre 2023)

Le film ouvre, avant même le générique, sur une scène de violence extrême entre plusieurs personnes dont on ne comprend la signification qu’à la fin, donc suspense. Cut. Et le film bascule dans les embouteillages de Téhéran, sous une pluie abondante, qui est l’un des éléments clés avec l’éclairage en clair obscur du film pour en accentuer le malaise et le mystère.
Une femme donne une leçon de conduite dans le trafic dense de Téhéran et voit passer un homme qu’elle reconnaît immédiatement comme étant son époux, elle descend de voiture, le suit et découvre que non seulement il se rend dans un appartement inconnu d’elle, mais qu’il vit avec une femme, son double exactement. Le couple est un clone de son propre couple… Passé le trouble engendré par l’étrangeté de la situation, il va naître une histoire d’amour et de manipulation.
Inspiré par une exposition de photos de guerre prises durant le conflit entre l’Iran et l’Irak, Mani Haghighi raconte avoir découvert alors la photo d’un soldat mort, touché à la tête, qui lui ressemblait trait pour trait. Ses amis présents étaient comme lui troublés de l’existence de ce « clone ». D’où la réflexion de Mani Haghighi sur l’idée du double de soi-même et sur la question au plan dramaturgique puisque, il le souligne, il s’agit « de biologie, d’éthique et de questions existentielles sur ce qui façonnent notre identité. Qu’est-ce que cela fait d’avoir un clone ? Comment pourrait-on vivre avec cela ? » Évidemment imaginer un couple qui serait la parfaite réplique de l’autre, renforce l’étrangeté du phénomène et « sur un plan dramatique, cela ouvrait beaucoup plus de portes pour nourrir le scénario. Nous allions pouvoir parler de mariage, d’amour, d’infidélité et d’obsession. » Le choix ouvre effectivement la voie aux genres croisés dans le film, un thriller à la fois fantastique, social et psychologique « sans sacrifier pour autant le côté philosophique et abstrait du propos ».
Pour ce qui est de la réalisation d’un thriller lié au genre fantastique, il est certain Mani Haghighi y excelle, si l’on prend pour exemple deux de ses précédents films, Valley of Stars et Pig, où apparaît en surimpression l’humour et l’auto dérision vis-à-vis de sa profession. Dans les Ombres persanes, le choix de la mise en scène, entre réalité et rêve, de la comédienne, Taraneh Alidoosti, et du comédien, Navid Mohammadzadeh, instille le mystère et annonce le piège, le désir et le dénouement. Elle et il incarnent à merveille les deux couples en les interprétant si différemment que le trouble s’installe. Les deux femmes, Bita et Farzaneh, sont très différentes, par le caractère et par le statut social, l’une est indépendante, a un fils et s’oppose à son mari, sa réplique est plutôt effacée et souffre de ne pas avoir d’enfant, quant aux deux personnages masculins, Jalal et Mohsen, ils sont opposés, autoritaire et macho pour le père de l’enfant, et son double est doux et romantique.
La force du film réside également, en dehors du thriller fantastique, dans le fait que Mani Haghighi réussit, avec les Ombres persanes, un film social et politique, « pas de façon affirmée [dit-il] mais subliminale. Avec ce qu’il se passe en Iran, pays de religion fondamentaliste. Un système qui ne dit au fond qu’une seule chose : vous n’avez pas d’autre alternative que celle définie par le pouvoir et la croyance. C’est comme ça et pas autrement. Or l’idée du double, ouvre justement la question de l’alternative. Ce n’est pas une copie de vous, bien au contraire. C’est vous, vivant et expérimentant une autre existence. Aborder cette question, contraire aux dogmes en vigueur, est déjà une critique du fondamentalisme. Le simple fait de situer l’action de cette histoire dans Téhéran, capitale où règne le mystère, la paranoïa et la peur est à sa manière un acte politique. » Si le film ne s’exprime pas frontalement sur la condition des femmes par exemple, ce thème est abordé d’une autre manière.
« Le cinéma n’est pas fait, [ajoute Mani Haghighi], pour dissimuler les choses. C’est le lieu de l’interrogation, le lieu pour tenter de comprendre ce qui vous échappe. […] On m’a demandé un jour si la pluie aurait pu s’arrêter à la mort de Jalal et Bita. Mais non, le dérèglement est bien plus grand que cela. Il dépasse les enjeux de cette seule histoire. » Une porte s’entrouvre à la fin lorsque le fils de Bita confie à son grand-père, « cette femme n’est pas ma mère ».
Les Ombres persanes de Mani Haghighi le 21 novembre en DVD

Musiques : BOF Anna. BOF L’Étrange parcours. Geoffrey Oryema, The River. Hugues Augray, À propos d’un détail. Léman, Petit garçon