Chroniques rebelles
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Samedi 16 octobre 2004
Colloque international libertaire : Sao Paulo 9-11 septembre 2004 et Rio de Janeiro 13-15 septembre 2004
Trois essais de philosophie anarchiste. Islam. Histoire. Monadologie de Daniel Colson
Article mis en ligne le 17 février 2008

par CP

Les Chroniques rebelles
au colloque international libertaire de Sao Paulo du 9 au 11 septembre et à
Rio de Janeiro du 13 au 15 septembre 2004.

Les favelas de Rio avec Renato

et Daniel Colson autour du colloque et de son ouvrage :
Trois essais de philosophie anarchiste. Islam. Histoire. Monadologie (Leo Scheer)

Mais d’abord Plinio Coelho, qui est à l’origine de ce colloque, et l’éditeur de textes anarchistes au Brésil (éditions Imaginario). [1]

Plinio Coelho : Le colloque a été un réel succès à tous les niveaux qu’il s’agisse de la participation brésilienne ou internationale — conférencier-e-s et public — et de la discussion théorique.

Chroniques rebelles : Mais dans ce colloque, il n’y avait pas que des participants brésiliens…

Plinio Coelho : Il y avait des gens de Bahia, du Nord-est, de villes très éloignées de Sao Paulo, la capitale, de tout le Brésil. Certains ont fait jusqu’à cinquante heures et plus de voyage pour assister au colloque. D’autres venaient du Chili, d’Argentine. Pour nous, ce colloque est un événement important car nos moyens sont modestes et les distances sont grandes. Retrouver des anarchistes européens — venant de pays riches —, pouvoir confronter des réalités différentes, discuter les pratiques et les applications de la théorie anarchiste sont autant d’échanges importants, en particulier pour les jeunes ici. Mais finalement pour tout le monde car c’est intéressant de voir ce que ressentent ces jeunes du bout de l’Amérique du Sud et de comparer deux réalités sociales.

Chroniques rebelles : Les réflexions, les critiques, les questions étaient intéressantes et illustraient le niveau de conscience politique des jeunes qui assistaient au colloque. J’ignore si cela reflète une réalité de la société brésilienne.

Plinio Coelho : C’est difficile à dire. Le colloque vient de se terminer
et il faut peut-être attendre encore pour analyser.
Dans le mouvement anarchiste brésilien, il y a actuellement 90 % de jeunes. Ils essaient de comprendre, ils veulent le changer le monde, mais il leur manque encore la théorie et la pratique. C’est pourquoi cela peut paraître confus, mais ils cherchent une voie pour une société nouvelle et des formes libertaires de vie. Et ce type d’initiative, comme le colloque, peut aider les jeunes à discuter, les inciter à poursuivre une réflexion sur la réalité au
Brésil et ailleurs. C’est un début, il faut continuer à travailler et faire
en sorte que ces jeunes aient une idée plus claire.

Le colloque — Historia do movimento operario revolucionario — s’est déroulé en deux parties, d’abord à Sao Paulo, du 9 au 11 septembre, et ensuite à Rio de Janeiro, du 13 au 15 septembre. Les intervenant-e-s brésiliens travaillent dans les universités brésiliennes et sont des
militant-e-s anarchistes. Tout d’abord Margareth Rago, historienne, qui a parlé sur le collectif Mujeres libres pendant la révolution espagnole.
Alexandre Samis, historien du mouvement anarchiste brésilien, qui a
fait un travail précis sur Clevelândia — camp de concentration brésilien
dans les années1920 — où les anarchistes étaient déportés. Plus de 50 % sont ainsi morts dans la forêt amazonienne. Il est également intervenu
sur le syndicalisme au Brésil et la répression du mouvement ouvrier révolutionnaire. Eduardo Valladares, historien, a parlé de la Confédération ouvrière brésilienne (COB) et de l’éducation libertaire. Carlo Romani,
historien et militant, s’est aussi intéressé aux camps de concentration en Amazonie et à la répression des immigrés anarchistes. Il a d’ailleurs réalisé un film — projeté pendant le colloque — sur cette question des exilés
en Amazonie. Renato Ramos, géologue et vieux militant anarchiste de
Rio de Janeiro, qui a brossé un tableau syndicalisme révolutionnaire et Anarchisme à Rio de Janeiro. Et bien d’autres. On ne construit pas un mouvement révolutionnaire anarchiste sans les livres, la réflexion.

Ce n’est pas tout, mais c’est un début. Le colloque nous a rapproché. J’espère qu’à partir de ce colloque les échanges continueront et prendront d’autres formes entre nous et les participants venant d’Europe, Eduardo Colombo, Daniel Colson, Frank Mintz et Larry Portis. Les projets sont larges et il faut y travailler. C’est un collectif avec des jeunes. La pratique se nourrit de théorie : Une possibilité d’échange entre la France, l’Europe avec le Brésil pour la pensée libertaire.

2ème ville du colloque international libertaire, Rio de Janeiro du 13 au 15 septembre, et la rencontre avec Renato, l’un des organisateurs.
Renato : Je suis géologue et je travaille comme consultant sur un projet concernant l’environnement. J’ai terminé ma thèse de doctorat l’année dernière, sur un sujet académique. Et maintenant, j’aimerais enseigner à l’université, après ce travail de consultant qui ne me convient pas vraiment.
Je suis membre de la Fédération anarchiste de Rio de Janeiro et je me vois comme l’un des dinosaures du mouvement anarchiste de Rio. J’ai 39 ans. La fédération anarchiste fait ici un très bon travail, bien plus ces derniers temps qu’en dix ans depuis la fondation de la FARJ.

Chroniques rebelles : Quelle a été ta participation durant le colloque ?

Renato : J’étais dans le comité de coordination du colloque, pour prendre les inscriptions, obtenir les autorisations, le soutien du syndicat, enfin tout ce qui était nécessaire à l’organisation du colloque. Mais je n’étais pas seul, mes camarades étaient très présents, Alexandre, Rafael et bien d’autres.
Pour moi, le colloque a été un succès.

Chroniques rebelles : Tu as participé aux débats et tu y as contribué ?

Renato : J’ai présenté mon travail et ma recherche sur le syndicalisme révolutionnaire à Rio de Janeiro pendant les années 1920 jusqu’en 1933-1934 qui sont des années très importantes pour le mouvement à Rio.
Pour mes camarades, cette recherche paraît lointaine dans le temps, mais pas pour moi car mon travail et ma formation remontent à bien plus loin dans le passé, bien avant l’anarchisme. Ma thèse porte sur un bassin sédimentaire de 50 millions d’années. J’aime ce travail de recherche.

Chroniques rebelles : Tu es donc géologue et historien en plus d’être anarchiste ?

Renato : La géologie, c’est l’histoire de la terre. C’est l’histoire du pays et de la nature. J’aime ce travail sur le terrain et j’aime l’anarchie.

Chroniques rebelles : Tu es allé dans l’antarctique ?

Renato : En 1999, je suis allé sur l’Antarctique avec un programme brésilien et j’y suis resté 34 jours pour faire des cartes et des profils stratosphériques avec sept autres géologues. Cela a été une des plus fortes expériences de toute ma vie. Pas pour l’aventure mais pour le paysage, la glace. Pour des gens qui vivent dans un pays tropical, c’est un rêve d’enfant. C’est fantastique.

Chroniques rebelles : Quand nous avons fait un tour dans Rio, tu nous as montré les favelas. Nous n’y sommes pas allés, mais tu nous as dit beaucoup de choses sur ces quartiers et j’aimerais que nous en parle à nouveau pour les auditeurs de Radio Libertaire. Combien y a-t-il de favelas ? Comment cela se passe-t-il à l’intérieur et quelles sont les conditions de vie ?

Renato : Rio de Janeiro est une pionnière au Brésil en matière de favelas. À la fin du XIXe siècle, au moment de la campagne des Canudos et après que des milliers de pauvres aient été massacrés à Bahia par l’armée brésilienne, les troupes sont venues à Rio de Janeiro. De nombreux soldats n’avaient pas de domiciles, pas d’endroits où installer leurs familles. Ils ont campé autour de la caserne militaire avec l’aval des autorités. Ce camp s’appelait Morro da Favela (favela est une sorte de végétation provenant d’une région semi-aride du Brésil) Et “ favela ” est devenu le nom de toutes ces communautés, installées ça et là sur les collines ou dans les plaines, disséminées dans toute la ville. La première favela se trouve près de la gare centrale, elle date d’un siècle.

Au début des années 1920, la ville de Rio de Janeiro avait l’ambition de se transformer de ville coloniale en ville comme Paris. Son maire voulait faire de grands travaux, ouvrir des boulevards et, bien sûr, déplacer les pauvres du centre ville dans les banlieues. Ces gens n’avaient pas d’endroits pour vivre et ils ont commencé à construire des maisons en bois sur les collines, dans le centre de Rio. Quand l’avenue de Rio Branco — la voie la plus importante du centre ville —a été ouverte, 15 000 personnes ont été déplacées et ont perdu leurs maisons.

Ce type de maisons s’appelait des corçissos, des ruches. Deux, trois familles vivaient dans une pièce sans aucune hygiène ni confort. Lors des épidémies, de grippe espagnole et de fièvre jaune, des milliers de personnes mourraient dans les favelas. Déplacés dans les banlieues, les gens étaient abandonnés par le gouvernement dans des conditions épouvantables. Et les favelas se sont encore développées, après l’agrandissement de la ville avec le gouvernement Vargas, et la migration d’une population venue du Nord du Brésil, de l’État de Parabas. Ils devaient bien vivre quelque part, alors ils ont occupé les collines car les riches et les classes moyennes occupaient les plaines de Rio de Janeiro. Le paysage de la ville de Rio se compose de plaines parsemées de nombreuses collines. Beaucoup d’immigrés du Nord-est du Brésil se sont installés et, avec les années, les maisons se sont agrandies en même temps que les familles, avec les nouvelles générations. Et maintenant, un tiers de la population de Rio vit dans les favelas, dans ce type de communautés.

Les politiciens ont une grande responsabilité dans le processus de ce phénomène parce que cela les arrange, cela créé des sortes de réservoirs — des réservoirs à votes au moment des élections.
Les politiciens se rendent alors dans les favelas, font de nombreuses et belles promesses — l’eau, l’électricité,etc… — et les gens votent pour eux. La conduite des politiciens est pour beaucoup dans la situation des favelas de Rio.

Un tiers des habitants de la ville vit dans les favelas.
Dans ces quartiers, le trafic de drogue existe depuis toujours. Pendant la Seconde Guerre mondiale, mon père, qui était enfant, avait une nourrice.
Et l’ami de celle-ci était trafiquant de drogue, chez lui, déjà en 1942.
Ce type vendait de la marijuana. Une fois soldat, il est devenu un héros
de la Seconde Guerre mondiale en Italie. Le trafic a toujours existé.
Dans les années 1970, pendant la dictature, il y avait une prison sur une île importante, au sud de l’état de Rio de Janeiro, Ila Grande. Depuis les années 1930, les autorités y enfermaient les prisonniers politiques, ensuite ce fut le tour des prisonniers de droit commun. Lorsque les guérillas ont commencé à Rio, la dictature a emprisonné dans cette prison des guérilleros, des gauchistes et aussi des prisonniers de droit commun. Et pendant des années, les guérilleros leur ont enseigné les tactiques de guérilla urbaine et à s’organiser.

À la fin des années 1970 et au début des années 1980, on a commencé à entendre parler des "phalanges rouges". Ce fut la première organisation criminelle à utiliser les tactiques de guérilla, la première qui s’est implantée dans les favelas. Le trafic de drogue était organisé avec la Colombie, avec des contacts extérieurs, et grâce à la corruption politique et policière. Des réseaux furent mis en place depuis la production des plantations colombiennes jusqu’à la vente, dans les favelas, aux classes moyennes ou riches.

Au début des années 1980, avec le gouvernement Grisolla, les gangs ont pris le nom de "Commandos rouges". Ils ont contrôlé les favelas et se substituaient à l’État. Ils apportaient une aide, une aide alimentaire aux communautés et jouaient les Robins des bois modernes auprès d’une communauté abandonnée par l’État fédéral, en volant de la nourriture. Ils vendaient de la drogue aux classes moyennes et aidaient la population défavorisée.

Chroniques rebelles : Quelle est l’attitude du gouvernement, la politique de la ville vis-à-vis des favelas et le comportement de la police ?

Renato : À Rio de Janeiro, il y a actuellement un mouvement important des associations communautaires, autonomes. La fédération des associations des favelas est de plus en plus importante. Mais les trafiquants contrôlent tout et n’hésitent pas à tuer les leaders des communautés qui leur résistent. Il en résulte une situation dangereuse pour la population. Quand le trafic de drogue est passé au stade organisé, la police est devenue plus violente. Elle reçoit de l’argent du trafic. On appelle ça “ minera ”, c’est-à-dire que les policiers rackettent et que les trafiquants payent pour être tranquilles. La violence augmente aussi avec la prolifération des gangs, aux “ Commandos rouges ” se sont ajoutés le “ Troisième commando ”, les “ Amis des amis ” et d’autres. Les gangs s’affrontent et la police ne respecte personne à l’intérieur des favelas. Les policiers ouvrent le feu sur les enfants, sur les personnes sans papiers d’identité, les noirs, ils tirent avant même de poser des questions. Ce qui fait qu’un tiers de la population de Rio est prise entre deux feux : entre la violence de la police et la violence engendrée par le trafic de drogue. Il faut penser qu’à Rio, sur une population de 6 millions de personnes, 2 millions vivent dans les favelas.

Chroniques rebelles : Peux-tu revenir sur les conditions de vie dans les favelas ? Qu’en est-il aujourd’hui de l’eau courante, de l’électricité, des égouts, du ramassage des ordures ?

Renato : Les conditions concernant l’eau, l’électricité, les égouts, c’est plutôt mieux. Dans les plus anciennes favelas, ce ne sont pas les meilleures conditions du point de vue de l’hygiène, mais les gens ont l’électricité — la plupart du temps avec des raccords clandestins —, ils ont l’eau même si les canalisations sont un vrai foutoir et que la connexion aux égouts est mauvaise, la plupart du temps à ciel ouvert. Les nouvelles favelas, celles des banlieues, sont dans les plus mauvaises conditions, sans électricité, avec de l’eau parfois contaminée. Les favelas construites sur les collines ou dans les plaines ont toutes de sérieux problèmes au niveau technique durant les périodes de fortes pluie, pendant l’été, en décembre, janvier, février, mars. Tous les ans, il y a des glissements de terrains et des accidents pendant les fortes pluies. Déjà, il y a des problèmes au niveau des dépôts d’ordures entassées, avec les infiltrations et les maisons ont des fondations très précaires, que n’arrange pas l’absence de végétation…

Chroniques rebelles : Quel type de fondations ?

Renato : Ils construisent d’abord une maison à un étage, puis les fils ont une famille et construisent un second étage mais avec les mêmes fondations et ainsi de suite, un troisième étage, toujours avec les mêmes fondations. Il est rare de voir une maison s’écrouler dans les favelas, je pense qu’elles sont bien construites, mieux qu’avant quand elles étaient en bois. Les matériaux employés — briques, ciment — sont corrects, mais le problème c’est le sol et la roche sur lesquelles les maisons sont construites, et les fortes pluies de la région. Dans les plaines, dans la région métropolitaine, les favelas sont construites dans des zones inondables. Toutes les ordures sont entraînées dans les rivières, les remplissent, les maisons sont inondées par l’eau souillée et les ordures. Ce qui transmet des maladies aux enfants — hépatites, toxoplasmose. Et dans ces zones inondables du grand Rio, la mortalité infantile est très élevée.

Chroniques rebelles : Et le chômage ?

Renato : La plupart des habitants des favelas vivent de petits boulots, d’expédients, travaillent au noir. Ils vendent dans la rue. La seule possibilité pour la plupart des jeunes, c’est ce type de boulot ou le trafic de drogue. Ils gagnent dans la rue à travailler durant un mois un salaire minimum de 270 reals (100 dollars) — et c’est dur — alors que dans le trafic de drogue un jeune de 13, 14 ans peut gagner 200 ou 300 dollars en une semaine.

Chroniques rebelles : Le trafic est très bien organisé et, en nous montrant un jeune garçon sur un scooter, tu l’as comparé aux livreurs de pizzas ?

Renato : Très bien organisé, avec une hiérarchie dans ces gangs. Le trafic commence avec des enfants de 9 ou 10 ans, les fougeteros qui guettent et signalent la présence de la police ou des gangs rivaux avec les tags et des fusées éclairantes. Et s’ils survivent, ils passent au stade de vapos, ceux qui attendent les commandes des clients qui viennent acheter de la cocaïne et de la marijuana. Ils prennent l’argent et vont chercher la drogue dans la favela. Le client leur donne un pourboire et le gang leur paie un salaire. S’ils survivent, ils deviennent alors des soldats du trafic. Ils sont armés. À 15 ans, ils ont des Uzis, des fusils de l’armée brésilienne. Avec le trafic d’armes, ils ont des bazookas, des armes anti-chars, des armes très modernes qui viennent pour beaucoup du Paraguay, des États-Unis, d’Europe et d’Israël. Le Paraguay a toutes les connections possibles pour le trafic d’armes avec Rio de Janeiro, par l’autoroute ou par le port. On passe comme dans du gruyère pour tous les types de trafic, mais essentiellement l’énorme business capitaliste de la drogue et des armes.

Et ces gens des favelas sont le dernier maillon du réseau. Ils ne vivent en général pas plus de 17 ou 18 ans. Il est très rare de voir un soldat du trafic plus vieux qui devienne caïd. La Bocca da fumo a un patron, le chef principal. C’est une hiérarchie stratifiée.

Chroniques rebelles : C’est une organisation maffieuse.

Renato : Exactement. Mais les gens qui apportent les armes, la drogue à Rio de Janeiro ou à Sao Paulo ou dans les grandes villes, vivent dans les quartiers chics, Ipanema, etc… Ce sont des politiciens, des hommes d’affaires, des personnes insoupçonnables. Ce sont eux les responsables du trafic, ce sont eux qui permettent l’arrivée de la drogue et des armes.

Chroniques rebelles : Crois-tu qu’il soit possible que ce gouvernement puisse changer la situation ?

Renato : Actuellement, le maire de Rio de Janeiro a un projet concernant les favelas. Il veut y faire des aménagements, augmenter la participation de l’État dans ces quartiers — lentement — y permettre un meilleur accès. Il y a l’installation d’un tramway dans la favela de Santa Martha car beaucoup de personnes âgées vivent en haut des favelas. Il veut accroître l’engagement de l’État dans les favelas de la région Sud parce que la situation devient insupportable. Les gens riches ont peur à Rio, ils construisent des barrières autour des maisons, des immeubles, la violence devient intolérable. La pression sur le maire est très forte pour plus de sécurité, notamment pour faciliter l’accès de la police dans ces quartiers.
S’il y a une guerre de gangs comme il y a un mois entre les commandos rouges et le Troisième commando dans l’une des favelas les plus violentes de Rio — qui se trouve près de la bibliothèque du centre culturel libertaire — les gens de la rue sont les premières victimes, en particulier les enfants qui sont atteints par des balles perdues.

Chroniques rebelles : Cela paraît contradictoire parce que les politiciens profitent du trafic et de la situation des favelas, mais les classes privilégiées se sentent menacées. La situation est compliquée.

Renato : La majorité des personnes des classes privilégiées ne sont pas impliquées dans le trafic et n’ont aucun rapport avec, en revanche, ils subissent la violence qui en découle. En cas d’affrontements dans les favelas, la police vient en force et encercle toutes les entrées. Et cela fait chuter le trafic de drogue. Et si les voitures de police restent une, deux semaines, voire un mois en place, les trafiquants s’énervent, la tension monte et ils peuvent s’attaquer aux banques, aux camions, aux gens dans la rue, aux commerces, ils peuvent aussi bloquer l’un des tunnels de la villes et agresser les automobilistes. Ils font du terrorisme contre la population. Les classes moyennes ont peur et font pression sur le gouvernement pour réprimer et rétablir l’ordre. C’est un cercle vicieux parce que la police est corrompue et il est impossible de mettre fin au trafic.

Si la drogue arrive à Rio, si des milliers de personnes aiment sniffer de la coke ou fumer du shit, c’est impossible d’en finir. La drogue arrive et beaucoup de gens aiment en prendre. La police est corrompue. Le trafic a des appuis au Congrès, sénateurs, députés…

Chroniques rebelles : C’est un cercle vicieux. Mais penses-tu à une solution potentielle à ce problème ?

Renato : La solution potentielle ne peut venir que des gens des favelas eux-mêmes, de ces gens pris entre deux feux qui décident de réagir contre la violence policière et celle des trafiquants. Certains cas existent, rares, mais il est arrivé que des habitants des favelas expulsent les trafiquants de leur quartier ou ne leur permettent pas de s’y implanter et de contrôler la favela.

Chroniques rebelles : Comment peuvent-ils faire si les trafiquants sont si bien armés ?

Renato : Ils peuvent tuer une personne, dix personnes, cinquante personnes, mais si la communauté est organisée cela devient difficile pour les trafiquants. Il n’y a encore que quelques cas rares. Dans la majeure partie des cas, les trafiquants ont de bonnes relations avec les habitants des favelas parce qu’ils donnent de l’argent. Ils font la loi aussi, si une fille est violée le violeur est tué, les vols de voiture sont punis en tirant sur les membres des voleurs. Leur justice est expéditive et se substitue à l’État. La population vit le plus souvent tranquillement sauf en cas de guerre de gangs, ou d’affrontements avec la police ou encore si les trafiquants n’honorent pas le racket de la police.

Là, la police se rend dans la favela et tire sur la première personne rencontrée. D’abord, la police téléphone à l’association et donne un délai de deux heures pour rassembler la somme, 1000 reals, sinon les flics tirent sur la première personne. C’est un cas banal. La solution est de se défendre contre cette violence, comme contre celle des gangs, mais c’est très difficile.

Chaque favella a une situation différente, spécifique. Les trafiquants de certaines favelas y sont parfois nés, d’autres non, certaines sont plus violentes et alors il n’existe aucune règle. Les gangs sont différents. Les commandos rouges sont plus populistes — portés sur l’assistance —, le Troisième commando est lié à la police, plus violent et plus implanté dans les favelas difficiles. Les cas sont très complexes. Je ne crois pas qu’il puisse y avoir une seule solution pour toutes les favelas. Chaque favela a sa solution car la situation est à chaque fois différente : selon l’emplacement dans les différentes parties de la ville, au nord, au sud, au centre, autant de situations diverses. Au centre, elles sont plutôt habitées par une classe moyenne paupérisée. C’est une situation très complexe.

Colloque international libertaire : Sao Paulo 9-11 septembre 2004 et Rio de Janeiro 13-15 septembre 2004

Trois essais de philosophie anarchiste
Islam . Histoire . Monadologie
De Daniel Colson (Leo Scheer)

Un livre très dense, à lire à petites doses. Un livre qu’il faut garder pour revenir sur certaines des pistes de réflexion, notamment par rapport à la notion de subjectivité, ou à la perception orientale de l’histoire, ou encore en regard de l’importance de l’anarchisme aujourd’hui dans ce qu’il peut offrir comme alternative à une société étriquée et en perte de repères.
« Sans doute, par ce qui le constitue, l’anarchisme est-il toujours du côté des mouvements que l’on peut qualifier d’émancipateurs, du côté des révoltes contre toute forme de domination ou d’exploitation, contre toute mutilation des possibles » écrit Daniel Colson, auteur également du Petit lexique philosophique de l’anarchisme , de Proudhon à Deleuze (Livre de poche, 2001).
Et de revenir sur les différentes formes de l’anarchisme. Hétérogénéité et discontinuité — « Nous sommes unis parce que divisés » —, ce qui nous ramène au Brésil puisque Daniel donne en exemples les influences des penseurs anarchistes et les différentes tendances à Sao Paulo et Rio.
Et pour finir cette présentation d’un livre qui ouvre des champs de réflexion et d’imagination, pourquoi ne pas rappeler cette phrase de Bakounine, comme un principe de base : «  La liberté d’autrui, loin d’être une limite ou la négation de ma liberté, en est au contraire la condition nécessaire. »