Chroniques rebelles
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Samedi 21 mai 2005
Le Chagrin et la colère
Récit de Maurice Rajsfus (Cherche midi)
Article mis en ligne le 28 janvier 2008

par CP

« La colère reste actuellement la seule arme car la peste brune, cette épidémie qui revient au galop, ne semble pas émouvoir une population qui sort de l’indifférence le temps d’une commémoration. » Maurice Rajsfus, Le Chagrin et la colère .

Sa colère, Maurice Rajsfus l’exprime en dénonçant la mauvaise foi avec cet esprit critique qui le caractérise et en refusant toute concession. Et même si le chagrin l’a façonné, il n’est jamais cynique.

Rien n’a changé — constat récurrent —, la société est toujours aussi injuste, inégalitaire, violente… Alors « Comment éviter la colère, la rage d’assister au retour des vieux démons ? Comme si l’histoire ne nous avait rien appris. Je suis ulcéré, [écrit-il, je] me cabre, me déchaîne, me révolte, tempête. Si je m’abandonne à la réflexion, je suffoque. »

Colère en constatant la manipulation odieuse des morts, « particulièrement lorsque des militants affectent de célébrer ceux de leurs camarades morts au combat », colère à l’encontre des « simagrées religieux » qui favorisent les intégrismes, et colère aussi contre « cette attitude honteuse des athées faisant appel à la religion, par tradition,[ce qui] démontre la triste évolution des donneurs de leçons de jadis. »

Une colère « reçue en héritage. Ce sentiment de rejet contre les forces rétrogrades qui prétendent nous renvoyer vers un Moyen âge moral, que nos parents combattaient déjà, et tendent à ressusciter un passé que l’on croyait à jamais révolu. »

Et d’ailleurs, « Comment vivre tranquillement dans un pays où il y a plus de policiers que d’assistantes sociales » ?

Le Chagrin et la colère est un récit très personnel dans lequel Maurice Rajsfus revient sur son enfance, la souffrance, les déchirements, ses engagements, ses jugements du système étatique et policier, son combat contre le racisme…

Un récit ponctué de textes sur le quotidien des êtres enfermés dans les camps de concentration, des textes qui n’ont rien à voir avec les commémorations bon teint et bonne conscience que l’on connaît.

Par exemple cet extrait du Journal de Bergen-Belsen de Hanna Lévy-Haas : « Le camp est définitivement envahi par les poux et toutes sortes de verminessans parler de la dysenterie qui prend des proportions inouïes. […] Bien que consumées par ce choléra et mourant de faiblesse, on s’efforce toutes de nettoyer le terrain, tant bien que mal. Triste et inutile besogne. On se sent tout près de la démence. Tant de corps affamés, exténués, à demi-morts, réduits à l’état de squelettes. Et tant d’excréments… »

Des textes terribles dont Aucun de nous ne reviendra de Charlotte Delbo : « L’odeur était si dense et si fétide qu’on croyait respirer, non pas dans l’air, mais dans un fluide autre, plus épais et visqueux, qui enveloppait cette partie de la terre d’une atmosphère surajoutée où ne pouvaient se mouvoir que des êtres adaptés. »

Les Jours de notre mort de David Rousset : « C’était une plainte sanglante, éperdue. L’homme n’avait peut-être plus la force de bouger. Cette obstination misérable excitait Georg. L’aspect de loque humaine éveillait en lui une haine violente. Il avait envie de tuer. »

Ou encore celui de Hermann Langebein, Hommes et femmes à Auschwwitz : « La dysenterie était la maladie qui faisait le plus de victimes dans le camp de femmes. Dans les couchettes superposées, les matières fécales coulaient sur celles qui se trouvaient sous les malades. »

Et il y a ce texte d’Antonin Artaud, censuré sur les ondes en 1947 :

Là où ça sent la merde,

ça sent l’être.

L’homme aurait très bien pu ne pas chier,

ne pas ouvrir sa poche anale,

mais il a choisi de chier

comme il aurait choisi de vivre…

Dieu est-il un être ?

S’il en est un, c’est de la merde.