Chroniques rebelles
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Samedi 11 juin 2005
Coloniser. Exterminer. Sur la guerre et l’État colonial (2)
Olivier Le Cour Grandmaison (Fayard)
Article mis en ligne le 5 février 2008
dernière modification le 10 février 2008

par CP

La guerre coloniale et la guerre sociale

Avec nous aujourd’hui de nouveau dans Chroniques rebelles, Olivier Le Cour Grandmaison pour son livre : Coloniser, exterminer. Sur la guerre et l’Etat colonial publié en 2005 chez Fayard.

En mars dernier, nous avons discuté, dans les grandes lignes, de la question coloniale et de son importance dans le débat politique des années 1830-1871, de la nature de la guerre coloniale – guerre totale menée notamment par Bugeaud avec des moyens d’exception – faite par la France dans ses possessions du nord de l’Afrique.

À travers sa réflexion sur la guerre coloniale d’abord, sur l’Etat colonial ensuite, Olivier Le Cour Grandmaison nous avait bien montré alors en quoi
la colonisation française avait été autant une entreprise de destruction des sociétés locales — par la guerre coloniale à laquelle il faut ajouter famines et choc épidémiologiques (disparition d’un tiers de la population algérienne), mais aussi par l’État colonial qui s’est installé dans la foulée et qui a imposé l’expropriation des terres, le code de l’indigénat — qu’une entreprise de renaissance nationale.

Renaissance nationale face à l’ennemi britannique qui s’était, depuis le traité de Paris signé en 1763, taillé la part du lion, mais aussi face aux « ennemis de l’intérieur » qui menaient en France, depuis 1830, la « guerre sociale ».

Dans l’esprit de nombreux acteurs politiques et militaires de l’époque, il faut en effet coloniser pour réduire cette opposition venant des « classes laborieuses et dangereuses ». Pour eux, l’équation est simple : c’est le colonialisme ou la révolution. C’est de cette question particulière — des rapports liant « la Coloniale » à « la Sociale » — qu’il sera question dans l’émission d’aujourd’hui.

La « coloniale » contre la « sociale ».
Les classes dangereuses (expression popularisée par Louis Chevalier dans son ouvrage : Classes laborieuses et classes dangereuses à Paris pendant la première moitié du XIXe siècle ). La « classe oisive, errante et vicieuse », ce sont les prolétaires, ces « nouveaux barbares » : mode de vie et vices (alcoolisme, desserrement des mœurs) les ont décivilisés, les ont fait régresser. Thème de la régression et de la décivilisation présent chez les auteurs de l’époque.

Citation de Buret in De la misère des classes laborieuses en Angleterre et en France (1840) : « Jetons un moment les yeux sur l’homme barbare » écrit-il : « Il est pauvre, dénué de tout ; mal abrité, mal vêtu, demandant sa subsistance aux chances hasardeuses de la chasse ou de la pêche, souvent au péril d’un combat ». Classique portrait des « barbares de l’extérieur », mais Buret se distingue par la synonymie de portrait qu’il fait entre les «  indigènes » et les classes laborieuses d’Europe : force brute et salaire de misère ont rendu le prolétariat des agglomérations urbaines à la «  vie sauvage ».
Les ennemis de la civilisation et du progrès ne sont donc pas seulement à l’extérieur de l’Europe. Les « nouveaux sauvages » sont donc clairement identifiés : ce sont les prolétaires. Mais là où les indigènes sont barbares « par nature », les prolétaires sont soumis à des processus de décivilisation basée sur une sorte de «  barbarie de culture » d’autant plus dangereuse qu’elle peut devenir héréditaire : racisme de classe.

Le prolétariat est dangereux car il se construit un monde à part.
La peur des classes dominantes se construit d’abord sur :
— Le thème de la surpopulation, de la « masse pullulante ». On craint le dépassement par le nombre (idem pour la colonisation).
— Le thème du ghetto, ces quartiers – véritables cours des miracles ou grandes cavernes du mal — qui se sont soustraits à l’autorité de l’État. La ville comme figure de la décadence : Babylone moderne.
— Le thème de la contre société : exemplifié par l’utilisation d’une langue à part : l’argot (idem pour la colonisation avec le sabir).

Une société divisée en classes : lutte de classes/lutte de races. Michelet « pense l’ouvrier en termes de dégénérescence » et axe son analyse sur une apologie de la paysannerie — « partie la plus forte et la plus saine de la nation — et de la terre. Au contraire des paysans (qui feront selon lui d’excellents soldat-laboureurs pour les colonies), la classe ouvrière ne représente que la « tourbe des manufactures » soumise au tyran (le contremaître). En somme, les prolétaires sont des serfs modernes qui se trouvent hors du monde civilisé. Michelet très marqué par l’héritage révolutionnaire.

La colonisation : voie de l’expansion impérialiste française (expansion continentale barrée depuis Waterloo). Le pays « étouffe » dans des frontières trop étroites, l’Algérie est la proximité. Il s’agit du prestige de la France en Europe, mais aussi régler la question sociale.
Michel Chevalier (économiste saint simonien ) : « Alger peut être à la France ce que l’Amérique fut à la Grande-Bretagne ». Thème de l’écoulement. Thème commun à l’ensemble de l’Europe.

— Transformer des prolétaires en propriétaires. Bonnal : Les prolétaires deviendront des colons propriétaires et ils défendront les institutions. La propriété garantie de l’ordre social. Faire du bon colon. Idée de la domestication des classes laborieuses.
— Transformer des criminels en bons citoyens. « Colonies de réhabilitation » pour désengorger les prisons. La transportation/déportation (Charles Lucas et Guillaume Ferrus, 1853) inspirée par les exemples en Russie, Hollande et Grande-Bretagne. Prisons agricoles et champs d’asile. Algérie, sanction intermédiaire entre la prison en France et la déportation en Guyane ou en Nouvelle Calédonie. Il s’agit donc d’une « purification sociale et politique ». (299-300) L’Algérie « est un émonctoire ». Napoléon III (au moment du Royaume arabe) : l’Algérie ne peut être le dépôt de mendicité de la France.

La guerre aux prolétaires, ces « bédouins de la métropole ». La guerre « intérieure » avec les mêmes méthodes que dans les colonies et avec les mêmes militaires notamment en 1848. Cavaignac, le « prince de sang », Lamoricière et la politique des razzias, Saint Arnaud, Duvivier, Négrier… Bugeaud, La guerre des rues et des maisons. La peur de la Sociale justifie tout : La Coloniale a maté la Sociale. Les bédouins parisiens ont été écrasé comme les Algériens : moyens d’exception ; exécutions de prisonniers désarmés. Engels : « guerre d’extermination » menée avec des «  moyens algériens ». Hugo confirme : barricade du faubourg Saint Antoine réduite comme à Zaatcha et à Constantine. Le caractère exceptionnel de 1848, la différence de nature de la « guerre véritable » menée contre le peuple (12000 victimes, exécutions de personnes désarmées). Déportations en Algérie : peine de mort déguisée. Le souvenir de la guerre « coloniale » et totale contre les insurgés de 1848 pendant la Commune de Paris.