Chroniques rebelles
Slogan du site
Descriptif du site
Christiane Passevant
Guerre civile et cinéma populaire (1)
Entretien avec Ziad Doueiri
Article mis en ligne le 27 mars 2008
dernière modification le 24 septembre 2009

par CP

Avec West Beyrouth, son premier long métrage, Ziad Doueiri [1] se place d’emblée à la jonction du film d’auteur et du film populaire. Souvent considéré comme représentant du renouveau du cinéma libanais pour avoir dynamisé la création cinématographique après la guerre civile, ce réalisateur est emblématique à la fois d’une expression internationale et moyen-orientale. Cette caractéristique, commune à plusieurs réalisateurs et réalisatrices de sa génération, illustre une tendance cinématographique très intéressante bien que les films n’obtiennent pas toujours un succès international. Outre l’expression du talent de Ziad Doueiri, West Beyrouth reflète aussi le déchirement d’une guerre civile qui a duré plus de seize ans et domine encore les esprits.

Cinéma populaire ou cinéma d’auteur, la création cinématographique libanaise est sous l’influence d’un drame social et politique inoubliable.

Christiane Passevant : Tu as quitté le Liban en 1983 pour les États-Unis où tu as étudié le cinéma, d’abord à San Diego, puis à Los Angeles. Était-ce un choix ou une opportunité ?

Ziad Doueiri : Les deux en même temps. En 1983, j’avais fini le lycée — le lycée français de Beyrouth — et je devais trouver une université pour faire des études de cinéma. À cette époque, un ami qui habitait les États-Unis m’avait trouvé une place à l’université de San Diego. En 1983, à Beyrouth Ouest, la guerre entre le Hezbollah et Amal [2] était dure. L’époque était très agitée. C’était juste après le retrait de l’armée israélienne, le chaos était total et les tentatives de prise de pouvoir par des partis politiques et religieux étaient nombreuses.

Je me souviens avoir dit à mon père qu’il fallait que je parte car la situation me paraissait sans espoir, trop dangereuse et je voulais passer à autre chose. J’habitais Beyrouth Ouest, la partie la plus chaotique, celle où il y avait le plus de milices et, en majorité, la gauche, de même que les Palestiniens. C’était également la partie la plus intéressante, parce qu’aucun parti ne réussissait à y dominer les autres, au contraire de Beyrouth Est où une idéologie [3], une doctrine s’était installée, avec un seul parti politique. À Beyrouth Ouest, il y avait beaucoup de “ boutiques ” politiques — on dirait ici l’Arabe du coin —, chacune voulant dominer l’autre, mais sans y parvenir. Il n’y a donc pas eu d’« endoctrisation » de ma génération. Nous étions ouverts aux idées nouvelles, progressistes. Nous étions plus libres que les chrétiens à l’Est que nous décrivions comme « lavés du cerveau ». Nos rues étaient sales, nous étions issus d’une gauche chaotique, mais nous étions plus intéressants. D’ailleurs, la plupart des journalistes s’installaient à Beyrouth Ouest.

CP : Comment s’est déroulé ton arrivée, puis ton installation aux États-Unis ?

Ziad Doueiri : Cela n’a pas été difficile au plan de l’adaptation culturelle parce que le Liban était très occidentalisé. Je n’ai pas ressenti de choc culturel. La seule transition a été financière car, au moment de mon arrivée, la livre libanaise a été dévaluée de 700 % et il me fallait vivre avec la somme que mes parents m’envoyaient. Vingt ans après, je me rends compte que c’était l’adaptation financière qui était difficile.

Les immigrés, issus des pays anciennement colonisés, éprouvent souvent des difficultés à s’intégrer, mais cela n’a pas été mon cas, sans doute en raison de mes études dans un lycée français, mais aussi parce qu’au Liban, il n’y a pas eu de colonisation classique, c’était un mandat. [4] De plus, nous avions beaucoup voyagé en Europe avec mes parents, même pendant la guerre, et j’ai bénéficié de cette ouverture. Les difficultés sont venues plus tard.

CP : À la fin de tes études tu es passé très vite à la réalisation, notamment en super 8 ?

Ziad Doueiri : J’ai beaucoup tourné en super 8. À cette époque, beaucoup de films m’intéressaient et je voulais expérimenter les techniques de l’image. J’avais acheté une caméra super 8 assez particulière, pour effets spéciaux. Je n’ai pas réalisé de courts métrages car, après l’université, j’ai tout de suite travaillé sur des longs métrages, de 1986 à 1997, jusqu’à West Beyrouth. Mon expérience technique aux États-Unis porte sur une soixantaine de longs métrages. J’étais surtout intéressé par le cadre, mais j’ai aussi travaillé comme machiniste, électricien, décorateur. J’aime tous ces métiers, mais j’étais particulièrement attiré par le cadre et l’image. C’est seulement en 1996-1997 que je suis passé à la réalisation.

CP : Tu as travaillé sur les films de Quentin Tarantino, mais également sur des films indépendants ?

Ziad Doueiri : Quand j’ai travaillé sur des films indépendants comme technicien, ce n’était pas un choix. Les techniciens préféraient travailler sur des films à plus gros budget, syndiqués, pour être mieux payé. Mais au départ, on n’a pas suffisamment d’expérience ni de contacts pour faire des films à gros budget, donc on commence par de petits films, très mal rémunérés. Par exemple, les films de Roger Corman où je gagnais 50 euros par semaine. Le cinéma indépendant était de plus en plus compétent, phénomène qui s’est ensuite confirmé. À Los Angeles, la main d’œuvre — qui ne pouvait pas travailler dans les grands studios, syndiqués, comme Warner Bros, Paramount, Sony classics, etc. — s’initiait aux dernières méthodes. Et le cinéma indépendant prenait une place importante : 40 % de la production cinématographique était indépendante pour 60 % aux grands studios. Les syndicats nous ont alors ouvert leurs portes. Cela nous a permis aussi de faire de très bons films, les films de Paul Schrader, de Quentin Tarantino, tous les films Miramax alors estampillés indépendants. Aujourd’hui, les films de ces réalisateurs ont de très gros budgets tout en étant considérés comme du cinéma d’auteur. La ligne de partage est bien moins claire aux États-Unis qu’en France entre les films commerciaux et les films d’auteur.

CP : Films d’auteurs, films commerciaux. Quelle est ta définition du cinéma populaire, commercial ou grand public ?

Ziad Doueiri : Il m’est encore difficile de préciser les critères du cinéma indépendant ou du cinéma populaire. Pour moi, un film doit être vu par un public, si possible un grand public, donc j’ai sans doute une approche différente de ce qu’on appelle, au sens classique, le cinéma d’auteur. Finalement, nous sommes tous des auteurs — mis à part le cinéma très commercial —, surtout quand on est impliqué dans l’écriture du scénario. La ligne de partage n’est pas nette.

Ce qui est essentiel à mes yeux, c’est le plaisir de faire un film, du scénario au projet de financement, des repérages et du casting à la réalisation et à la post production. Je ne pense pas alors au nombre d’entrées, mais plutôt au plaisir de réaliser une œuvre, en espérant évidemment le faire partager au plus grand nombre. Je viens de terminer mon second long métrage et je commence un autre projet — avec la production de West Beyrouth. Ce qui m’intéresse le plus — avec ma co-scénariste —, c’est de m’amuser avec les personnages, de les décortiquer, d’y mettre de l’humour si possible.

CP : Quelles sont les influences qui t’ont marqué ? Quelle est la part de ton expérience professionnelle aux États-Unis, de ta culture cinématographique, internationale et méditerranéenne ?

Ziad Doueiri : De nombreuses influences. Certains des films qui ont le plus influencé ma vision ne sont pas connus, d’autres sont commerciaux. Le fait de vivre entre le Liban, la France et les États-Unis joue aussi un rôle, même si cela me stresse parfois car je n’arrive pas à jeter l’ancre. J’adopte un peu de chacun de ces trois pays. Dans West Beyrouth, le sujet était libanais, traité d’une manière américaine et les personnages ressemblaient à des personnages français. La structure du film était américaine. Mon second film, Lila dit ça (2005) est basé sur un roman français. [5] Pour illustrer la question des influences, le distributeur — qui est également le coproducteur (Pyramide) — ne savait pas comment le classer après avoir vu le film. C’est un film français sans l’être pour autant, ce n’est pas un film commercial mais ce n’est pas non plus un film d’auteur. Il aime le film, mais ne sait pas comment le présenter en France. Le film a un côté français, un côté états-unien : les personnages et la structure sont traités différemment. C’est une qualité pour moi d’être hors normes, je ne voulais pas faire un film qui appartienne à une culture en particulier.
Nous avons adapté le roman en gommant toute allusion à la banlieue qui a souvent été traitée. Nous avons recréé une structure, des personnages, des archétypes, et là c’est le côté américain. Bien qu’aux États-Unis, ces personnages n’existent pas, ou rarement, parce qu’osés, crus, érotiques. Finalement, je suis le produit de trois cultures : arabe par la naissance, française par l’éducation, américaine par l’expérience professionnelle. Je suis influencé par ces cinémas, mais aussi par mon instinct.

CP : Quel rôle joue cette dimension cosmopolite dans tes films ?

Ziad Doueiri : Je ne sais pas si je resterai en décalage. La question est récurrente même si cela ne freine pas la réalisation d’autres films. Quand on est le produit de trois influences culturelles, sans être totalement intégré à l’une d’elles, la question se pose quant à la compréhension du public dans une culture donnée.

CP : L’exemple de West Beyrouth, avec cette dimension cosmopolite, qui intègre ces différents apports culturels, est intéressant. Dans la salle où je l’ai vu dernièrement, dans le public — international — tous riaient sans distinction de culture ou de nationalité. Cette dimension cosmopolite renforce-t-elle le côté populaire du film ?

Ziad Doueiri : À New York, à Toronto, au Liban, j’ai vu des publics différents rire à propos des mêmes scènes. Pourquoi ? Je ne sais pas. Ai-je réussi à toucher parce que je racontais quelque chose de très personnel, sans entrer dans la comédie qui risquait d’être trop imprégnée d’une culture spécifique ? J’ai pris des moments comiques et j’ai imaginé si telle ou telle phrase pouvait fonctionner aux États-Unis, en Irlande, en Angleterre, ou ailleurs. J’ai tenté de ne pas reproduire les particularités de la culture libanaise en ce qui concerne l’humour. Louis de Funès fait rire en France, mais pas aux États-Unis. Même chose pour Monty Python’s Flying Circus, cela marche pour certaines cultures et pour d’autres pas du tout. Les nuances, les effets comiques tombent à plat. C’est pourquoi j’ai voulu une formule qui touche le plus de cultures possibles. Le piège est qu’en modifiant l’humour particulier d’un pays, on gagne un public international en perdant celui de son propre pays.

Quand j’ai écrit West Beyrouth, je ne comptais pas toucher le public libanais. Je ne pensais pas que le film sortirait au Liban, encore moins qu’il y serait compris car, s’agissant de la guerre civile, le public libanais est amnésique. Pourtant ce public a extrêmement bien réagi à West Beyrouth et cela a été une surprise totale.


Dans la même rubrique

This is my land
le 5 octobre 2015
par CP
Rendez-vous à Atlit
le 5 octobre 2015
par CP
On récolte ce que l’on sème
le 5 octobre 2015
par CP
Our terrible Country
le 5 octobre 2015
par CP
Yamo
le 4 octobre 2015
par CP