Chroniques rebelles
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samedi 10 mai 2008
Cinéma et théâtre politiques : Lucio d’Aitor Arregi et Jose Mari Goenaga et Sacco et Vanzetti de Loïc Joyez.
Avec Lucio Urtubia, Daniel Pinos, Loïc Joyez, Séverine Chabin, Julien Vialon (Vanzetti), Marc Hazan (le procureur), Fedele Papalia (l’avocat).

Un film, une vie : Lucio d’Aitor Arregi et Jose Mari Goenaga

Un combat et une pièce de théâtre : Sacco et Vanzetti au Dejazet (Paris) tous les lundis du mois de mai 2008

Article mis en ligne le 16 mai 2008
dernière modification le 14 juillet 2008

par CP

La guerre civile espagnole ne s’est pas achevé pas le premier avril 1939.
Vainqueurs et vaincus étaient au moins d’accord là-dessus. Seule une propagande idéologique intense qui s’appuyait sur tous les moyens d’expression, en tentant de masquer la réalité, pouvait imposer comme une évidence une paix sociale qui n’existait pas.

Quand le régime franquiste placardait les rues d’affiches proclamant « vingt-cinq années de paix », cela ne faisait pourtant que quelques mois que le dernier des guérilleros ayant entamé la lutte contre le franquisme en 1936, venait de tomber. À partir de là, il est possible de dire que la guérilla, rurale ou urbaine, depuis 1939, n’a jamais cessé d’exister en Espagne.

Les actions menées par les groupes armés étaient d’une témérité sans limites. La guérilla ne fut jamais nommée par les médias de l’époque. Les hommes qui l’animaient étaient traités de
«  bandoleros  », d’assassins, de braqueurs et de bien d’autres qualificatifs masquant la réalité de leurs actions. Qualificatifs inventés par des journalistes faisant partie de l’engrenage franquiste.

L’histoire de la guérilla est difficile à reconstituer. La majorité de ses protagonistes sont morts. La plupart des hommes qui participèrent à la lutte armée libertaire furent éliminés physiquement, lors d’affrontements avec la police, ou furent exécutés. Ceux qui parvinrent à survivre échappent encore à la curiosité des historiens.

Le principal ennemi de la lutte armée fut la Garde civile. Le nombre de gardes déplacés pour en finir avec les guérilleros était impressionnant. S’infiltrant dans les milieux exilés, les gardes pouvaient informer du départ des groupes vers l’Espagne. La collaboration de la police française fut également très importante. Si, initialement, le gouvernement français laissa les groupes de guérilleros s’organiser sur le territoire français, sans aucun doute en raison de leur participation active à la résistance contre le nazisme, le début de la guerre froide transforma les relations diplomatiques entre la France et l’Espagne.

« Fin d’un bandolero. Il était 8 heures et 26 minutes. Au croisement des rues Mator et San Tecla à Sant Celoni, étreignant sa mitraillette Thompson, gisait mort le tristement célèbre Francisco Sabaté Llopart. » Sans le savoir, l’informateur officiel du régime franquiste fit au Quico Sabaté, un ultime hommage en le traitant de «  bandolero ».
Ce qui veut dire en Espagne « bandit de grand chemin », mais aussi dans un sens large : le « champion des opprimés ». L’homme qui allait, avant de mourir, définitivement influé sur les choix politiques et humains de notre invité Lucio Urtubia.

Qui était Sabaté ? Il est né le 30 mars 1915 à Barcelone, il adhèra à la C.N.T en 1931. En 1932, suite aux événements de Fijols, il créa le groupe d’action "Los Novatos" et adhèra à la F.A.I. En 1935, il s’insoumit au service militaire et effectua sa première expropriation pour le comité d’aide aux prisonniers. Le 18 et 19 juillet 1936, le soulèvement fasciste est brisé à Barcelone. C’est le début de la révolution libertaire. Le 27 août 1936, Sabaté s’engage avec son frère José dans la colonne de la C.N.T- F.A.I qui va combattre sur le front d’Aragon. A la fin de la guerre, il est interné en France au camp du Vernet. Une fois libre, il va poursuivre la lutte clandestine en Espagne. Le 20 août 1945, il réussit à faire libérer deux camarades. Dès lors, avec son groupe, il ne cessera plus les coups de mains contre le régime franquiste ou bien contre les entreprises et les banques pour financer le mouvement. Le 2 mars 1949, ils abattent deux chefs de la phalange. Sabaté réussit de nombreuses fois à passer à travers les mailles du filet de la police, mais beaucoup de compagnons seront arrêtés ou tués.

Fin décembre 1959, il franchit la frontière espagnole avec quatre compagnons. Mais repérés début janvier, ils sont assiégés par l’armée et la garde civile à Sarriá de Ter et abattus. Seul Francisco Sabaté (grièvement blessé) réussit à leur échapper quelques heures, avant de succomber sous leurs balles à San Celoni. Il avait 45 ans.

Quand la nouvelle de la mort du Quico Sabaté parvint à Barcelone, les gens ne voulurent pas admettre la réalité de cette disparition. « El Quico viendra bientôt démentir ces menteurs », commentaient les travailleurs catalans pensant à un montage de la police. Il est certain que quand Sabaté et Facerias, un autre grand guérillero libertaire, entrèrent dans la mythologie populaire cela prouva que, d’une certaine manière, ils étaient représentatifs de l’opposition d’un grand nombre d’Espagnols à un pouvoir qui voulait soumettre l’ensemble du peuple espagnol. Nous, les espagnols anarchistes le savont très bien, le « bandolero » a toujours été mythifié en Espagne, parce qu’il incarne la lutte du faible et de l’opprimé contre le pouvoir établi. Il est défini par l’imagination populaire comme le voleur de riches et le défenseur des pauvres. Ce fut le cas de Sabaté, celui de Facerias et de leurs compagnons. Ils furent la personnification du « bandolero noble » qui lutte jusqu’à la mort pour la liberté et contre ceux qui s’opposent à elle.

« Nous poursuivons et nous poursuivrons notre lutte par rapport à l’Espagne, en Espagne, nous considérons que l’inertie est la mort de l’esprit révolutionnaire. Nous ferons que la voix de l’anarchisme se fasse entendre dans tous les recoins d’Espagne, de même que la solidarité
avec nos frères détenus.
 »

Ce texte daté du 8 décembre 1957 fait partie d’une lettre adressée par les Grupos anarco-syndicalistas à la CNT et à la FAI en exil, pour protester contre l’inaction de ces organisations pour sauver les anarchistes emprisonnés en Espagne et pour dénoncer leur absence sur le terrain des luttes dans la péninsule.

Des anarchistes, il y en a eu et il y en a encore beaucoup dans le monde. Ceux qui ont du commettre des attaques à main armée ou pratiquer la contrebande pour la cause sont nombreux. Ceux qui ont parlé de stratégies avec le Che et ont aidé Eldridge Cleaver – le leader des Panthères noires – sont moins nombreux. Ceux qui ont été liés à tout ce que l’on vient d’énumérer, ceux qui ont réussi à mettre dans les cordes la banque la plus puissante de la planète au moyen de la falsification massive de travellers cheks, et sans rater un seul jour de travail en tant que maçon, il n’y en a qu’un seul : Lucio Urtubia, enfant de Cascante (Navarre).

Lucio vit aujourd’hui sa retraite à Paris. Il a été témoin – et de nombreuses fois acteur – des grands événements historiques qui ont eu lieu à la moitié du XXe siècle. Il a vécu de l’intérieur le mouvement de Mai 68, il a soutenu activement les débuts du régime de Castro, il a participé à différentes activités contre le franquisme… Mais sans aucun doute son meilleur coup il le réalisa dans la seconde moitié des années soixante-dix, en occupant les colonnes des journaux avec ces titres : «  le Quichotte anarchiste », « le bon bandit » ou le « Zorro basque ». À cette époque, il parvint à escroquer la First National Bank (aujourd’hui Citibank) de 20 millions d’euros de l’époque pour investir cet argent dans des causes en lesquelles il croyait. Étonnamment, sa carrière ne lui a coûté que quelques mois de prison.

Daniel Pinos

Je savais depuis longtemps l’originalité et la richesse du cinéma espagnol — tant dans le domaine de la fiction que dans celui du documentaire. Un cinéma espagnol que nous découvrons trop rarement en France, en raison d’une distribution qui se fait hélas au compte-goutte. Mais au détour de festivals comme ceux de Montpellier, de Toulouse ou de Nantes, il est possible de mesurer la créativité foisonnante des cinéastes espagnols.

Et c’est donc avec une double curiosité que je suis allée à une projection de Lucio d’Aitor Arregi et de Jose Mari Goenaga, curiosité cinématographique bien sûr, mais surtout pour voir comment deux jeunes cinéastes avaient rendu compte, dans leur documentaire, de la vie, de la révolte et de la lutte de Lucio Urtubia.

Lucio, notre compagnon, notre ami, l’animateur du centre Louise Michel.
Comment en effet rendre compte de l’itinéraire hors du commun de Lucio, de l’acuité de ses critiques, de cette vie d’actions et de logique libertaire, de sa volonté de travail et de sa ténacité à changer la société ?

Passer de la théorie à la pratique de la manière la plus évidente et la plus spontanée qui soit, comment le traduire en images sans faire de Lucio un héros, une icône ? Image qu’il refuserait certainement. S’il existe un caractère d’exemplarité dans le récit de cette vie, il réside plutôt dans le sens de susciter l’imagination de chacun et chacune, de provoquer la réflexion.

Alors que fait-on pour enrayer un système inégalitaire ?
« Les banques sont des voleurs », hé bien « Volons les banques » avait conclu Lucio le faussaire.

Candide contre le système et génie du détournement, Lucio nous rappelle que Marius Jacob n’est pas loin, et le film Lucio en fait une brillante démonstration.

Documentaire-fiction, le film est une découverte de la vie d’un homme qui prend conscience très jeune et douloureusement de l’injustice sociale, qui s’insurge, se joue du système et qui travaille sur le terrain dans tous les sens du terme : maçon, contrebandier, faussaire, illégaliste…

Lucio est un film à la fois touchant, passionnant, ironique, parfois jubilatoire, inventif… Une découverte dès le générique qui joue sur les thèmes abordés.

Lucio, c’est une attitude face à la vie plus qu’une idéologie.

Alors l’anarchie, c’est la vie et, il le dit lui-même, « La vie est action ».

SACCO ET VANZETTI
Une pièce de théâtre écrite et mise en scène par Loïc Joyez

« Rien ne manque au procès de Sacco et Vanzetti. L’Innocence et la Culpabilité. Les Victimes et les Bourreaux. Le Tragique, la vie et la mort. Tous les symbolismes primodiaux apparaissent à tour de rôle, à la place qui leur est assignée par le grand Mythe de la Justice. Nul n’y échappe »… (Ronald Creagh, L’Affaire Sacco et Vanzetti)

Le décor est planté.
« Une rue. Un orgue de barbarie, une prostituée, quelques ouvriers. […] Quelques militants qui veulent inventer leur propre soleil. On attend Galleani, le grand leader anarchiste, à une époque » — les années 1920 — où la répression est intense et s’abat sur toutes les organisations progressistes du pays tandis que règnent la corruption politique et une spéculation financière sans limites.
Une époque où les tendances fascistes se dévoilent car la peur des « rouges » fait son effet et la répression des mouvements syndicaux et anticapitalistes est très dure après la Première Guerre mondiale.

Le syndicat révolutionnaire des IWW est laminé. Les années 1920 sont une époque de réaction idéologique qui voit le renouveau du Ku Klux Klan et son installation dans le nord des États-Unis. Cette décennie est le temps des procès iniques, comme celui de Sacco et Vanzetti.

Le décor est planté.
Descente de police. « On embarque deux hommes, italiens, armés, un peu agitateurs, un peu suspects... » L’affaire Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti commence et évoque l’un des épisodes les plus dramatiques de la répression d’État.

5 mai 1920

Aux États-Unis, en pleine crise identitaire et xénophobe, deux hommes, Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, sont accusés d’avoir participé à un hold-up avec mort d’hommes à la clef. Ils sont immigrés, italiens et anarchistes. Tout est dit et il n’en fallait pas davantage. Sans véritables preuves, au terme d’une parodie de justice en guise de procès, ils sont jugés coupables et condamnés à mort.

23 août 1927, 0 heure. Sacco et Vanzetti sont exécutés par courant électrique. Ce sinistre coup d’éclair jettera la lumière sur tout un monde émergeant : le nôtre. L’événement, le sentiment d’injustice secouent le monde entier, mais le monde entier n’y pourra rien. Il restera perclus dans son sentiment d’impuissance. Pour la première fois dans l’histoire, l’émotion est mondiale.

Mai 2008
Les Inactualistes décident de remettre au goût du jour l’histoire de Sacco et Vanzetti, à l’heure où les jeunes générations les ignorent et où les usines de l’oubli tournent à plein régime pour nous refourguer la production planétaire du consommable éphémère et du divertissement tarifé.

Théâtre Dejazet
41 Boulevard du Temple Paris 3ème
les 12, 19 et 26 mai 2008 à 20h30

www.saccoetvanzetti-lapiece.com