Chroniques rebelles
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Christiane Passevant
La sociologie de l’image : Entretiens avec Jean-Michel CARRÉ (2)
Propos recueillis le 18 novembre 1997, au Grain de sable.
Article mis en ligne le 25 mai 2008
dernière modification le 3 octobre 2010

par CP

Christiane Passevant : Au vu de ta filmographie, on y remarque immédiatement les thèmes récurrents : l’enfance et la construction de l’être humain dans un système, les femmes et l’incarcération, ces sujets représentent plusieurs années de ton travail de cinéaste.
Mais comment se fait le passage de On est pas des minus aux femmes ? Quel est le lien entre ces sujets ?

Jean-Michel Carré : Après Galères de femmes, [1]un éditeur m’a proposé de faire un livre sur le hors champ, sur tout ce que j’ai vécu autour de la prison. Revenir en arrière alors que j’étais déjà dans d’autres films, c’était difficile. Je ne pouvais pas le faire seul et j’ai travaillé avec une journaliste. Finalement, nous avons parlé de vingt cinq ans de cinéma militant. Je représente ce cinéaste qui, en 1968, désirait faire du cinéma politique et a continué de le faire.

CP : Il s’agit également de la volonté d’un cinéaste d’avoir l’autonomie de la production et de la distribution, de faire des films, de produire et de distribuer des films indépendants.

Jean-Michel Carré : Il est essentiel de prendre en charge son outil de travail, de ne plus avoir à quémander. Pas d’aide, mais l’entière liberté.
Avec le matériel, on a l’outil de production. C’est l’autogestion dont on parlait après 68. S’autogérer, gagner l’argent nécessaire, par la location et l’action militante, pour réaliser d’autres films. C’est un système d’autoproduction grâce au public. Les comités d’entreprise, les écoles, les universités louent
nos films et donnent ainsi les moyens de refilmer. Ils utilisent nos films, sans aucune censure. Dans les années 1970, les projets de films se décidaient en fonction des luttes qui nous semblaient importantes de mener. C’était l’âge d’or. On était interdit de télé, mais on se battait pour la distribution de nos films en salles. Le circuit parallèle en place représentait cinq mille points de diffusion, partout en France. Les films étaient projetés, suivis de débats organisés par les associations.

Pour revenir au lien entre la formation de l’individu et l’incarcération, tous mes films parlent de la lutte pour la liberté des citoyens, des individus, des êtres humains. Si, en 68, j’étais dans un courant maoïste, je suis un libertaire au sens profond de ce que cela signifie, pas dans un groupe parce que je refuse toujours cette perspective, mais dans l’application. Et j’ai toujours travaillé sur la liberté. Sur l’échec scolaire, l’idée était de donner la parole à ceux qui ne l’avaient pas, et j’ai vite été confronté à la prison qui est l’antinomie de la liberté et la liaison avec l’éducation. Avec la prison et la délinquance, je retrouve l’échec scolaire. J’ai travaillé sur la petite délinquance parce que là est le vrai problème de société qui nous renvoie à de multiples questions, au pouvoir politique, et réclame une refonte de la société.

Dans L’enfant prisonnier, [2] j’avais mis une image de la prison — une image réelle tournée dans une cellule de prison —, de l’école comme un lieu de prison. Liberté Jean [3] parlait aussi de l’emprisonnement de l’individu.
Ma famille, aussi, m’avait enfermé quelque part et j’ai toujours mené une lutte personnelle et collective pour la liberté. C’est donc naturellement que
j’ai traité le sujet de la prison.

J’ai choisi de travailler sur les femmes parce que la première loi importante pour le droit des femmes, pour la liberté de l’avortement, la loi Veil était passée en 1978. Les Films Grain De Sable ont fait plusieurs films sur le sujet, Regarde, elle a les yeux grands ouverts et Liberté au féminin entre autres, liés à la lutte du MLAC et des féministes. [4] Le MLF faisait d’ailleurs partie des groupes filmés dans la troisième partie du Ghetto expérimental. Nous avons été les seuls hommes à filmer une réunion féministe à Vincennes. La lutte des femmes est très importante par rapport
à la vie quotidienne, parce que cela touche évidemment le problème de l’éducation, de la liberté, du logement. Les femmes posaient le problème
de la double journée, de la sexualité encore plus que les hommes à l’époque, même militants. Et en tant qu’homme, je m’intéresse à la problématique d’une femme par rapport à la prison.

En 1990, on parlait de prisonniers, de détenus au masculin, rarement des femmes. Pourtant leur nombre augmentait et elles étaient dans la délinquance. Après mes rencontres avec des détenus et des détenues, les femmes me semblaient plus fortes. La confiance établie, elles analysaient, elles étaient plus profondes. Dire que la prison c’est dégueulasse et pourri,
on le sait déjà, et les hommes s’arrêtaient souvent à la vision très violente des matons par exemple. Les femmes le disaient aussi, mais elles expliquaient leur parcours, leur vécu, leurs espoirs. Elles analysaient leur situation dans le contexte de la société, de la domination d’une justice et d’un État , mais aussi de la domination des hommes, d’un système économique et politique au niveau du travail. Leur vision était plus globale que celle des hommes. Elles assumaient aussi un problème supplémentaire, celui des enfants.

Malheureusement, les femmes en prison sont les seules à s’occuper des enfants, elles accouchent et gardent leurs bébés jusqu’à dix huit mois.
Les enfants sont les seul êtres qui n’ont pas commis de délit et subissent
tout de même dix huit mois d’enfermement. Ce film m’a permis de souligner des problèmes aberrants, comme celui d’enfermer des êtres innocents.
Je me souviens d’une scène où une jeune femme de 18 ans m’a dit :
« Voilà, je viens d’avoir dix huit ans. Je suis née ici à Fleury et aujourd’hui je suis enceinte et j’accoucherai à Fleury. » Trois générations liées à la prison, le système fait que trois générations se retrouvent au même endroit. La société écrase et les personnes n’arrivent plus à s’en sortir. Inconsciemment, la prison joue sur le vécu de ces enfants. La délinquance de la mère semble marquer inéluctablement la fille et ainsi de suite.

CP : L’enfant est condamné dès le départ.

Jean-Michel Carré : Le constat de cette très jeune femme était :
« j’étais là il y a dix huit ans et où sera mon enfant dans dix huit ans ?
Que pourrais-je lui apporter dans ma situation ?
 »
Les femmes savent que la réinsertion est un leurre. Rien n’est fait pour qu’elles s’en sortent, au contraire, tout est fait pour qu’elles retombent. Et dans tout ça, comment l’enfant s’en sort-il ?

CP : Comment as-tu établi une relation de confiance avec ces femmes pour qu’elles acceptent de tourner à visage découvert ?

Jean-Michel Carré : Je me suis d’abord battu pour avoir une autorisation de plusieurs semaines de tournage à l’intérieur de Fleury. Les cinéastes n’avaient pas le droit de pénétrer dans les prisons. De temps en temps, une équipe de télé venait filmer quelques heures un concert ou une animation qui flattait l’image de l’administration pénitentiaire, et cela se passait toujours dans la tour centrale de Fleury. J’ai trouvé une sorte de cheval de Troie par des copains qui faisaient une activité de danse orientale et j’ai posé la question à l’administration pénitentiaire : « Puisque vous parlez beaucoup
de réinsertion et que vous devez de par la loi vous occuper de la réinsertion des détenues, il serait intéressant de montrer cette réinsertion par une activité culturelle.
 » Les activités culturelles étaient mises en avant à cette époque.

J’ai mis un an et demi à obtenir l’autorisation de tourner et j’ai eu trois semaines pour suivre l’activité de danse orientale ; du début jusqu’au spectacle final présenté devant les détenues et les surveillantes. C’est ainsi que j’ai pu filmer à l’intérieur de la prison. Le principal était d’être dans la place et c’était ensuite à moi de me débrouiller. Nous avons fait en sorte de repousser l’échéance du spectacle, d’une ou deux semaines, ce qui m’a donné du temps à l’intérieur de la prison pour que la direction et les matonnes s’habituent à moi. J’avais une autorisation heureusement assez floue. J’ai eu alors un coup de chance, l’administration pénitentiaire avait à sa tête une femme, différente, qui est devenue ensuite secrétaire générale du syndicat de la magistrature. Elle nous a aidé, même financièrement, en insistant pour que le ministère de la justice nous donne une petite subvention pour le film.

Cette aide financière nous aidé doublement, notamment vis-à-vis du personnel de la prison. Cela a ouvert les portes, le film qu’on tournait pouvait passer un film de commande du ministère. Ils se sont habitués à moi et j’ai réussi à me faire oublier à l’intérieur de la prison. L’équipe de tournage faisait partie des murs, jusqu’à me faire enfermer en cellule avec les détenues pour faire les interviews, à aller au mitard — cela m’a pris cinq mois quand même. Ils avaient oublié le temps de l’autorisation de tournage. Au bout de six mois, nous avons croisé dans un couloir une visite d’officiels. On m’a demandé ce que je faisais là et, dans l’heure qui a suivi, nous avons du partir. Cela a occasionné un petit scandale, mais j’avais filmé tout ce dont j’avais besoin et j’avais eu le temps d’établir un climat de confiance avec les détenues.

CP : Elles ne t’ont pas ressenti comme un voyeur ?

Jean-Michel Carré : Absolument pas, je n’étais pas dans l’urgence. Je prenais le temps, je discutais, j’expliquais, j’essayais de comprendre quel film je voulais faire avec elles. J’étais dans une position étonnante par rapport à ce qu’elles vivaient avec les éducateurs, les psy, je leur disais : « Vous avez des choses à m’apprendre. » Alors qu’on leur dit : « Vous êtes moins que rien. Vous êtes dans l’échec. Vous êtes une prisonnière, c’est-à-dire la lie de la société. Nous allons vous aider. » Et c’est moi qui leur demandais de l’aide. Le rapport était différent et elles se rendaient compte que je ne tentais pas de voler des images, mais que j’essayais de comprendre le film à faire. Dès le début du tournage, le bouche à oreille a fonctionné sur le type de rapport que j’établissais et quelles étaient les questions posées.

Pour la première fois les détenues ont été filmées à visage découvert. À la télé, les visages étaient cachés. Je ne suis pas journaliste, je ne sais pas
poser des questions, je suis dans une sorte de dialogue et je n’attends pas forcément des réponses. Dans le film, les silences, puisque j’ai la chance d’avoir l’image, les regards sont aussi importants que des réponses.
J’ai besoin du regard, du visage, de voir les sentiments, l’émotion.
Et elles ont accepté. La raison supplémentaire de leur confiance était le contrat moral que j’avais avec elles. Je devais les suivre pendant plusieurs mois, plusieurs années dans leur tentative de réinsertion. Je ne m’intéressais pas à elles seulement en tant que détenues, mais comme êtres humains à part entière. Le vrai problème se trouvait d’ailleurs là, dans la réinsertion, je ne l’ai pas compris en entreprenant ce film. La prison était à mes yeux l’endroit le plus violent. Mais, quand j’ai vu des jeunes femmes qui, en apprenant leur libération imminente, tentaient de se suicider, ou agressaient des surveillantes pour aller au mitard et repousser leur sortie alors qu’elles ne souhaitaient que sortir de cette prison, j’ai pensé que quelque chose m’échappait.

En les suivant à l’extérieur, j’ai compris la violence de la société, la violence de ne pas avoir de boulot, pas d’argent, d’être jetée, de faire la prostituée, de retomber dans la came. Elles avaient peur de retrouver cette réalité. La prison était en même temps l’horreur et une protection. J’ai compris aussi, en les suivant, que l’ensemble des citoyens étaient responsables de cette violence. Le rapport entre l’individu moyen, dans la rue, et les anciens détenus, est si dur, que cela aboutit à la solitude et à la récidive. Il n’y a pas de solution. Impossible de rentrer dans la normalité, il faut retourner dans la marginalité, dans la violence, la prostitution, la drogue. La spirale est sans fin jusqu’à la mort qui malheureusement intervient vite et souvent. C’est une machine énorme.

CP : C’est très grave de parler de responsabilité collective, car personne ne veut l’assumer.

Jean-Michel Carré : Personne en effet. Mon idée, en traitant de la prison, correspondait à mon analyse politique par rapport à ce que disait Foucault,
par rapport aux luttes de 68. Il fallait une prise en charge globale de la société, une lutte au niveau de chaque citoyen et que nous étions tous responsables de la situation. Il n’était pas question de dire c’est tel ou telle
au pouvoir. C’est à nous de changer. Chaque personne doit se battre pour transformer la société à tous les niveaux, que cela parte du rapport le plus simple avec quelqu’un qui sort de prison ou de quelle attitude on a pour l’aider à franchir une marche, à s’en sortir, l’aider à garder sa violence, positive dans une action politique, et perdue quand elle est dirigée contre tous et une sorte d’appel au secours qui blesse n’importe qui ; le côté suicidaire de la drogue
par exemple. Les délinquants sont souvent d’une trop grande sensibilité, incapables de supporter une société sans humanité.

CP : C’est ce que dit une des femmes dans Galères de femmes : « Quand une société pousse ses individus, ses propres citoyens à souhaiter, consciemment ou non, l’incarcération, la prison, la mise à l’écart, l’exil pour certains, je crois qu’il y a quelque chose qui ne va pas… Forcément la société est bancale. Je ne suis pas sûre de réussir ce qu’on me demande, une insertion, parce que je ne suis pas sûre d’être très bien dans cette société là. »

Jean-Michel Carré : Galères de femmes finit sur cette phrase de réflexion globale sur le problème de la société. Pourquoi et à quel prix une insertion dans une société inhumaine, sans respect de la personne humaine ? C’est désespérant.

CP : Ces femmes sont totalement livrées à elles-mêmes en sortant de prison, elles ne bénéficient d’aucune prise en charge. Elles sont en général rejetées par leur famille.

Jean-Michel Carré : Les quelques associations caritatives qui sont censées les aider, on le voit dans Laurence, [5] c’est une catastrophe.
Malgré la volonté de bien faire, c’est la maladresse et l’horreur. Si j’avais mis cela dans un film de fiction, on m’aurait accusé de caricaturer. Je ne pouvais croire mes oreilles de ce que j’entendais, des horreurs qui cassent quelqu’un en voulant être gentil.

CP : Elles sont coincées entre la violence et la charité ?

Jean-Michel Carré : Elles vont dans ces associations parce qu’elles n’ont rien, ni logement, ni ticket de métro, ni possibilité de manger. Quand on est en prison pendant des mois, on devient fragile. Tout est cassé. Certaines ne savent plus ouvrir une porte, elles restent devant la porte ; on ouvre pas de porte en prison. Au premier bruit d’animal ou de voiture, elles sursautent.
Les gosses, nés en prison, n’ont pas connu d’animaux, de plantes, c’est impossible de rester neutre devant cela. C’est une violence inimaginable.
La vue est différente. Impossible de voir à plus de cinquante mètres à Fleury. Quand elles sortent, elles ont des problèmes visuels. L’œil ne fonctionne plus de la même manière. Quinze heures en cellule, l’œil ne voit pas à plus de
trois mètres. Les réflexes sont cassés.
Michèle disait : « la prison, c’est en noir et blanc. » C’est toujours pareil.

CP : C’est le pourquoi du choix de la plus grande Maison d’arrêt du monde de femmes, Fleury-Mérogis, de la "prison moderne", expérimentale, ouverte en 1968 ?

Jean-Michel Carré : Une prison sans barreau, moins carcérale.
Quelques années plus tard, l’administration faisait le premier constat d’un taux de suicide supérieur aux autres établissements. C’est toujours le cas pour le taux de suicides et de récidives. C’est un échec et une aberration.
Il y a aussi la surpopulation, 500 détenues pour 350 places. Les détenues couchent sur le sol, on les entasse sans trouver de solution. Neuf mètres carrés pour trois personnes. J’ai retrouvé les analyses de Foucault, on passe de l’enfermement physique à l’enfermement mental ; la prison devient de plus en plus un hôpital psychiatrique. Dans les prisons, les sections psychiatriques sont importantes parce que l’enfermement amène à la folie
et on distribue des doses de neuroleptiques pour le sevrage. On traite maintenant la violence, l’inquiétude, la solitude par des doses de
médicaments très proches de la psychiatrie.

Foucault voyait la liaison entre la prison et l’hôpital psychiatrique dans tous ces lieux d’enfermement créés au XIXe siècle. C’est ce que j’avais analysé dans Votre enfant m’intéresse. Comment la société bourgeoise avait mis en place au XIXe siècle — siècle de tant de luttes, de révoltes spontanées, de révolutions de la classe ouvrière et du peuple —, des institutions d’enfermement : l’école de Jules Ferry, la prison, l’hôpital psychiatrique, la famille ouvrière créée contre le concubinage. D’ailleurs, quand les députés parlent de la classe ouvrière à cette époque, ils ne parlent pas d’humains, mais de barbares. À la Chambre des députés, il est question du peuple barbare. Les classes dangereuses. Ce siècle est vraiment celui de la lutte des classes. Mais après la création des syndicats, résultat de bien des luttes, celles-ci seront beaucoup moins violentes avec les syndicats parce que tout devient organisé.

CP : Il y a la sociologie aussi, comme les syndicats pour contrôler la situation.

Jean-Michel Carré : À la fin du XIXe siècle, toute la société moderne est mise en place pour contrôler l’individu. Ensuite viendront les médias, autre forme d’aliénation.

CP : En présentant Les trottoirs de Paris, tu as déclaré : « Au niveau de Nation, il y a une fille qui meurt par mois. Des problèmes d’assassinat, d’overdoses, de sida, de suicides, la violence et l’angoisse. Et la came leur fait oublier cette angoisse. Une violence à tous les niveaux et toujours avec le mépris des gens. » Après l’enfermement de Fleury et l’infantilisation des détenues, tu as exploré l’enfermement du dehors. Quand elles sont libérées, c’est très vite la prostitution et la drogue.

Jean-Michel Carré : En sortant de Fleury, le constat était presque toujours le même : « Je n’ai plus de famille. Je suis sans boulot, ce n’est pas la prison qui m’a trouvé un boulot. Je n’ai pas d’argent, j’ai gagné au mieux 300F par mois en prison. Je ne sais pas où loger et je n’ai même pas de quoi bouffer. » Laurence avait 2F50 en poche à sa sortie. On lui avait donné cette somme et un ticket de métro pour se rendre à Paris, c’est tout.
Aucune autre solution. Sans copains, sans voler, deux heures plus tard elles se retrouvent à Nation et font le tapin pour manger et se payer une chambre le soir.

Sans savoir où aller, elles commencent la prostitution. Et pour le supporter, elles rentrent dans la came. C’est un enfermement « libre », un nouveau profil de la prostitution, sans mac, qui existe depuis une dizaine d’années dans la petite délinquance. Personne ne les oblige à se prostituer, c’est une solution de survie. Cela signifie de l’argent immédiat, car si elles trouvaient un boulot il leur faudrait attendre un mois avant de toucher leur paye. Et comment vivre jusque là ? Cela pose évidemment le problème du mépris des autres et de soi-même, de la sexualité, de l’argent, du pouvoir, du rapport avec les hommes, c’est-à-dire toujours le problème de l’enfermement au plan global de la société. Ces femmes ont eu confiance dans mon travail et ont accepté de parler à visage découvert devant la caméra après avoir vu mes films sur les prisons. Je voulais faire un film sur la prostitution et j’en ai fait six. Et j’ai de quoi en faire dix autres. En six films, j’ai tenté de faire le tour de multiples problèmes, par exemple celui des clients. Pourquoi les hommes vont-ils voir les prostituées et quels sont leurs rapports avec ces femmes ?

CP : Il a fallu un certain courage à ces femmes pour accepter d’être filmées ?

Jean-Michel Carré : Un grand courage. C’est pareil dans le contexte de la prison. Je ne leur ai pas caché que des milliers de personnes pourraient les reconnaître dès le lendemain. À travers nos discussions préalables, j’ai compris que toutes s’enlevaient ainsi le poids du mensonge.

CP : Bénédicte déclare d’ailleurs : « Une des raisons qui m’a fait participer à ce film, à visage découvert, c’est pour enfin dire à ma mère que je suis prostituée ». Et tu as ajouté : « Participer à ce film et faire cet aveu à sa mère, c’était sortir du mensonge. Elle a décidé d’arrêter le trottoir à la suite de notre rencontre. »

Jean-Michel Carré : Bénédicte a pensé qu’elle pourrait enfin être elle-même. Les paroles des femmes, dans le film, sont remarquables d’intelligence, de lucidité, de vie, d’humour. Et cela a frappé. Finalement,
il faut peu de choses dans la vie pour se retrouver sur le trottoir, et être
une prostituée ne signifie pas être la lie de la société. Ces femmes ne sont ni des débiles, ni des salopes, parfois ce sont des bachelières.
La vie les a cassées et elles ont un regard extraordinaire sur la société.


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