Chroniques rebelles
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Samedi 21 juin 2008
IMMIGRATION, RÉTENTIONS, EXPULSIONS : LES ÉTRANGERS INDÉSIRABLES
Revue Lignes n°26. Avec Alain Brossat, Olivier Lecour Grandmaison et Pierre Cordelier.
Article mis en ligne le 21 juin 2008
dernière modification le 14 juillet 2008

par CP

« À la "politique d’hospitalité" conçue par Derrida et par d’autres philosophes comme le fondement de toute politique, les gouvernements actuels en Europe — et notamment en France — opposent une série de mesures policières brutales (et électoralement profitables). C’est cette sombre conjoncture que le présent volume veut penser en termes politiques, ainsi que les formes de résistances auxquelles elle donne lieu. »

« Jacques Derrida a longuement pensé et défini ce que serait une "politique de l’hospitalité". Définissant ce que serait une telle politique, il a par le fait défini ce que, selon lui, serait ou devrait être toute politique. Toute politique en tant que telle serait par principe et par définition "politique de l’hospitalité". Différemment, Alain Badiou dit en réalité la même chose, lequel place au cœur de l’action politique de défense des travailleurs en général, le sort particulier réservé aux travailleurs étrangers sans-papiers, en tant que cette particularité documente utilement et symboliquement la situation générale.

Or la politique actuelle, celle qui se donne et définit comme politique pour les jours présents et à venir (de droite en France, mais pas seulement en Europe, et la question est et sera européenne), se donne et définit aussi et essentiellement comme politique de l’inhospitalité, selon Derrida, et comme politique de l’exploitation selon Badiou. Cette politique actuelle, ces mots, entre autres, et dans le désordre, la désignent explicitement  : politique de l’immigration (immigration "subie" ou "choisie"), définition de l’identité "nationale" (un pas de plus et cette identité eût été "française") constituée en relation avec ladite politique de l’immigration (création par Sarkozy d’un dit-ministère  : de l’immigration et de l’identité nationale), police des frontières qui en assure la surveillance et y reconduit quiconque les passe illégalement (police qui peut compter sur l’érection, aux frontières de l’Europe unie, de murs prophylactiques), surveillance des territoires (généralisation des contrôles, rafles), centres ou camps de rétention (lieux de non-droits notoires), chartérisations, « quotas » d’expulsion (que les idéologues de l’exécutif n’aient pas reculé devant l’emploi de ce mot en dit long sur leurs intentions), etc. tous mots qui font l’objet d’une surenchère idéologique et d’un durcissement législatif et policier. Surenchère et durcissement qui ne devraient qu’aller s’aggravant dans le cadre de l’harmonisation prévue des dispositifs européens .[…] Tous mots d’une inhospitalité politique pensée et systématisée, dont ce numéro va à son tour s’emparer  ; pour penser et systématiser les politiques qui l’inspirent, bien sûr  ; mais pour penser aussi et surtout les politiques (actions des réseaux, associations…) qu’elles mobilisent. Une mobilisation existe en effet, efficace, grâce à laquelle de la politique revient. »

Hé bien ça y est, la « directive de la honte » est adoptée par le Parlement européen au mépris des nombreuses réactions et des protestations des associations et de la société civile.
Peu importe les voix qui s’élèvent contre le renforcement d’une politique déjà inhumaine vis-à-vis de ces « étrangers indésirables ». Les élites politiques ne s’en soucient guère et ne s’attachent même plus à sauver les apparences. Le masque tombe de cette Europe libérale et totalitaire, concoctée par des politiciens démagogues et réactionnaires dans des ministères à l’image, en France, du ministère de l’Immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du co-développement.

La Novlangue est de mise pour ce « ministère des Expulsions » qui vante « la politique pragmatique menée par le gouvernement précédent, sous la conduite du ministre de l’Intérieur, Nicolas Sarkozy, [et] les reconduites à la frontière [qui] ont augmenté de 140% entre 2002 et 2006. »

La violence de l’État se banalise : « la police vient à l’école pour prendre des enfants, […] des parents se retrouvent piégés, arrêtés, en répondant à une simple convocation ; l’extrême violence, physique et verbale, des arrestations à domicile à six heures du matin — porte cassée, cris — parents menottés comme des criminels, brutalisés, humiliés devant leurs enfants ; […] les familles sont séparées, détruites parce qu’un parent est expulsé. »

Barbelés, vidéo surveillance, conditions insalubres, traitements humiliants… Ce sont les centres de rétention administrative — en pleine expansion — où l’on entasse des enfants, des femmes, des hommes qui ne sont plus considérés comme des êtres humains, mais comme des délinquants, des illégaux, des dangers, des sans papiers !

« L’étranger est devenu de façon officielle l’incarnation de dangers multiples qu’il faut conjurer au plus vite par la multiplication de réformes législatives votées dans l’urgence au nom de la maîtrise indispensable des “flux migratoires” comme le disent les responsables politiques en usant de cette novlangue technicienne employée à droite comme à gauche désormais. »
La « maîtrise de l’immigration », la gestion des « flux migratoires » sont des termes qui rappellent la « mission civilisatrice » mise en avant pendant la colonisation et justifiant ses pires dérives.

« Quand un chef d’État, un Premier ministre, un ministère adhoc et la majorité parlementaire qui les soutient font de l’arrestation et de l’expulsion des étrangers dépourvus de papiers une priorité nationale crânement revendiquée, il ne faut pas s’étonner que d’autres, sur le terrain comme on dit, prennent de grandes libertés avec la loi et les libertés. » Xénophobie d’État et politique de la peur, Olivier Le Cour Grandmaison. Lignes , n° 26.

La Novlangue, la propagande jouent un rôle majeur pour endormir les consciences. Le pragmatisme cynique des politiciens, de droite comme de gauche — arguant qu’on ne peut pas « accueillir la misère du monde » —
a préparé la politique de la peur menée par le gouvernement actuel et l’institution d’une xénophobie d’État. Mais il n’est pas possible de dire « nous ne savions pas » et « le silence, face au mal, fait du témoin un complice. »

Le CRA de Vincennes

Quelque sept décennies en arrière, la propagande xénophobe parlait de « Débarrasser notre pays des éléments indésirables » et de les enfermer dans des « centres spécialisés ». En 2006, la question était posée sur le retour des camps en France dans un ouvrage collectif dirigé par Olivier Le Cour Grandmaison, Gilles Lhuilier et Jérôme Valluy : Le Retour des camps ? Sangatte, Lampedusa, Guantanamo… (Autrement)

Sur la couverture, extrait du film de Nicolas Klotz, La Blessure

Le CRA de Marseille

Ces nouveaux espaces se trouvent banalisés, dédramatisés et même “invisibilisés”. La loi, ajoute Alain Brossat, « en vient à “encadrer” (autoriser et légitimer) des dispositifs et des pratiques dont le propre est de dépouiller des individus de toute prérogative faisant d’eux des sujets de droit et donc de les réduire à l’état de “corps” purs et simples ou de viande humaine : ce qui est précisément le cas avec ces dispositifs voués à la saisie des étrangers indésirables, mais aussi avec la loi sur la rétention de sûreté, ou bien encore avec les tests ADN conditionnant le regroupement familial des étrangers vivant en France. »

La nouvelle directive, votée par le Parlement européen — qui permet de prolonger la rétention jusqu’à 18 mois, assorti d’un bannissement de 5 ans, applicable également aux mineurs isolés —, s’ajoute aux cinq lois et aux centaines de décrets, arrêtés, circulaires et aux onze modifications du code des étrangers depuis 2005.

Rediffusion de l’émission le samedi 9 août 2008