Chroniques rebelles
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Christiane Passevant
Images, critiques et engagement en Méditerranée…
26e Festival international du cinéma méditerranéen à Montpellier
Article mis en ligne le 17 décembre 2007
dernière modification le 4 juillet 2010

par CP

Comme à son habitude, le festival du film méditerranéen de Montpellier présentait un choix remarquable de films, tant pour leur diversité culturelle que pour la variété des thèmes. Encore une fois et pour sa 26ème édition, le festival met en valeur l’aspect de l’engagement au cinéma. Cela porte en particulier sur l’hommage rendu à Marco Bellocchio, cinéaste dont l’œuvre cinématographique se distingue par la cohérence d’un regard critique lié à son itinéraire et à sa vision d’une réalité sociale « en mouvement ». L’intime, lié au politique, ressort dans la représentation de l’engagement et de la réalité sociale.

Buongiorno, notte, son dernier film, revient sur un des épisodes des années dites de plomb, l’enlèvement d’Aldo Moro et sa séquestration par des membres des Brigades rouges. L’univers clos, la complexité de l’engagement révolutionnaire, le lieu d’enfermement — pour tous les protagonistes — avec, pour seule ouverture vers l’extérieur, la télévision qui donne une dimension chronologique et officiellement historique. La fin du film montre, avec des images d’archives, une classe politique italienne en plein désarroi — toutes tendances confondues — se prêtant à une mascarade de funérailles… sans la dépouille d’Aldo Moro. Portrait au vitriol d’une farce macabre où le pape est trimbalé, en icône grotesque, sur son trône doré.

Si l’on hésitait encore sur l’anticléricalisme de Bellocchio après le Sourire de ma mère (L’Heure de religion dans sa traduction littérale), le montage qu’il fait des images d’archives lève le moindre doute. Buongiorno, notte n’est pas une reconstitution historique, mais plutôt une réflexion sur l’Italie actuelle où, dit-il, « existe un conformisme, une hypocrisie, un désintérêt ». C’est l’histoire officielle soumise à la perception de plusieurs générations avec une fin à double détente qui « signifie que l’on peut refuser la fatalité de l’histoire ».

Les scènes oniriques de Moro marchant dans la ville, les images de la Résistance italienne massacrée pendant la Seconde Guerre mondiale avec référence à Rossellini, les doutes de Chiara la brigadiste, sont autant de questionnements sur la réalité politique et sociale italienne d’aujourd’hui.
L’hommage rendu à cet immense cinéaste a permis de découvrir (ou de revoir) ses premiers films, Les Poings dans les poches (1965), La Chine est proche (1967), Au nom du père (1972), mais aussi des films politiques comme La contestation (1969) ou le documentaire Sogni infranti (1995) qui revient sur les aspects théoriques et pratiques de la lutte armée.

L’anticléricalisme (le Sourire de ma mère – 2002), la critique sociale (la Nourrice – 1999), la dénonciation du conformisme et de la morale bourgeoise (le Saut dans le vide – 1979), la folie sont les thèmes récurrents d’une oeuvre dont la programmation est trop rare.

Le festival, cette année, n’était pas en reste avec les monuments cinématographiques, puisque Orson Welles y était aussi à l’honneur, notamment avec des films tournés en Méditerranée : Don Quichotte (1957), Le Marchand de Venise (inachevé - 1969). Et Mario Bava, dans un genre différent, pour une nuit en enfer — tradition du festival — avec le Masque du démon (1961) et Six femmes pour l’assassin, deux films de « l’âge d’or du fantastique italien ».

Les risques, le festival sait aussi en prendre, par exemple avec le film espagnol qui a ouvert le festival, un policier dans l’Espagne franquiste de 1973. Machisme, dictature et armée sur fond d’enquête de meurtres et relents de services secrets. Morts communs de Norberto Ramos del Val replonge dans l’univers et l’ambiance du franquisme, dernière période, et offre bien des rebondissements autour d’un secret d’État : la course à l’armement nucléaire.

Onze longs métrages de fiction en compétition pour cette 26e édition dont plusieurs films se détachent par leur engagement critique assez bien résumé par la « lettre » du réalisateur slovène de Banlieue (Prix du jeune public), Vinko Möderndorfer : «  Banlieue est un miroir pour le public européen et il ne lui renvoie pas une belle image. Nous vivons une époque cruelle, de double standard et de guerre perpétuelle… Plus que jamais, le monde est divisé entre les extrêmement riches et les extrêmement pauvres […] Avec ce film, nous voulons nous adresser au monde sans masque, sans artifice, sans embellissement d’aucune sorte. Nous avons choisi un langage très rude qui ne fait pas cas de la popularité, des commerciaux et ne vise pas à plaire. Ce qui nous importe, c’est le message, la réalité du monde et des gens.
La chose la plus dangereuse pour la civilisation européenne est le malheur de la majorité des individus qui commencent à accuser d’autres de leur misère et de leurs maux. La xénophobie, l’intolérance, la haine sont les plus grands dangers de notre Europe commune. Le fascisme n’appartient pas au passé, il revendique toujours ses aspirations sanguinaires. Nous avons fait le choix délibéré d’employer un langage cinématographique fort, direct et quasi documentaire, car c’est la seule façon de choquer le public et de le faire réfléchir.
 »

Comme l’année dernière, c’est un film turc qui remporte l’Antigone d’or du festival du cinéma méditerranéen. Des bateaux d’écorce de pastèque, premier film d’Ahmed Ulçay, raconte la passion de deux adolescents pour le cinéma avec beaucoup de clins d’œil cinématographiques par le truchement des chutes de pellicule récupérée de la salle de projection de leur village d’Anatolie. Reste à construire un projecteur… S’il émeut par son récit, le film n’atteint pas toutefois la densité et la force d’Uzak de Nuri Bilge Ceylan (premier prix du 25ème festival), où Istanbul enneigée reflétait le monde intérieur des personnages.

Déception pour Dans les champs de bataille de Danielle Arbid qui a seulement obtenu le prix du soutien technique GTC. Ce premier long métrage de fiction est pourtant aussi original dans sa forme que par le traitement du récit. Une réflexion sur la société libanaise, disloquée par huit années de guerre civile — le film se situe en 1983 — dont le contexte se reflète au sein d’une famille, elle aussi déchirée. Lina, jeune adolescente, vit ces conflits avec une totale perte de repères, observe les adultes qui l’ignorent, trop préoccupés par leurs problèmes. Sa révolte éclate d’autant plus violemment qu’elle revendique des droits sans les comprendre et qu’elle subit les tensions de la famille comme celles d’une société déchirée. « Je m’en fous de Dieu et de l’Église ! s’écrit-elle tandis que le père flambe dans des cercles de jeu, que la tante joue aux cartes entre amis et se saoule au whisky. Dehors les murs sont grêlés par les tirs d’obus. West Beyrouth (1999) de Ziad Doueiri, montrait déjà la guerre civile à travers le regard de trois adolescents, mais cette fois la vision est plus sombre, introvertie. C’est aussi un autre cycle du conflit, plus dur, et le drame vécu est intérieur. L’éveil de la sexualité de Lina est une autre facette du récit comme son admiration pour Siham, la domestique délurée de sa tante, seul personnage avec qui elle semble tisser des rapports de connivence entre les terrasses et la cave où les habitants de l’immeuble se réfugient lors des bombardements. La solitude d’une adolescente face aux conflits internes et externes, Dans les champs de bataille de Danielle Arbid sort sur les écrans ce 29 décembre.

La guerre est encore présente dans Un camion gris de couleur rouge de Srdjan Koljevic (Serbie/ Montenegro/Allemagne/Slovénie). 1991, dernier jour de paix en Yougoslavie. Rencontre d’un Bosniaque, passionné de camions, daltonien et ex-taulard, et d’une punkette de Belgrade, enceinte. Suit un voyage dans un monde qui bascule dans le chaos filmé entre dérision et absurde, un étrange road movie dans la violence décalée. L’humour décapant de Srdjan Koljevic n’évacue certainement pas l’horreur de la guerre, mais en souligne l’imbécillité. C’est une fable contre la guerre, contre le nationalisme et la violence qu’il engendre immanquablement, mais aussi contre une société de consommation qui place le fric et la bagnole au-dessus des vies humaines et de la vie tout court. Pour preuve la première scène, en prologue du film, où les trafiquants d’armes se trucident entre eux avec le regret d’endommager la belle voiture de l’un d’eux « Tu peux me tuer, mais ne rayes pas ma bagnole neuve… AAA !!! ». Le film a remporté le prix du public et il faut espérer qu’il aura bientôt un distributeur.

La sélection des longs métrages en panorama a permis de découvrir des réalisations inscrites dans des réalités, souvent brutales. Les Suspects de Kamal Dehane (Belgique/Algérie) suit le combat d’une psychiatre algérienne qui écrit sur les traumatismes laissés par la guerre d’Algérie. Rappeler les blessures enfouies et les lâchetés sublimées, dénoncer la corruption et la montée de l’intégrisme, montrer la résistance des femmes pour leur indépendance, le droit au plaisir et le refus des schémas conventionnels, tout est abordé dans les Suspects dont le scénario est tiré d’un roman de Tahar Djaout, Les Vigiles. Nadia Kaci y joue le rôle de Samia, touchante et révoltée, face aux événements qui s’emballent dans un engrenage de folie meurtrière. De l’Algérie, un film dans une autre catégorie — le documentaire — révèle le malaise social qui règne dans le pays par le biais d’un hôpital psychiatrique, Aliénations de Malek Bensmail (France), qui a reçu le prix Ulysse.

Pour rester au Maghreb, À Casablanca, les anges ne volent pas de Mohamed Asli (Maroc/Italie) est peut-être l’une des plus belles découvertes du festival. Trois hommes, contraints de s’exiler dans la capitale, travaillent dans un restaurant. L’un rêve de son village dans la montagne où sa femme l’attend avec désespoir, le second d’un cheval resté à la ferme, son seul trésor, qu’il montait adolescent lors de fantasias, et le dernier est attiré par une vitrine où une paire de chaussures l’attire irrésistiblement. Une peinture sociale du Maroc actuel pour un premier long métrage qui s’attache aux personnages et montre les différents univers qui se côtoient dans Casablanca, la ville « mangeuse d’hommes », magnifiquement filmée, avec naturel et dans toute sa réalité.

L’exil encore pour Lettres au vent d’Edmond Budina (Italie) qui décrit la vie d’un intellectuel albanais à la recherche de son fils parti en Italie. Un parcours douloureux pour cet homme intègre qui refuse l’aide d’un ami devenu riche grâce à divers trafics, dont celui du transport des candidats à l’immigration clandestine et aux réseaux de prostitution. Marchands de rêve, mafia et société en déliquescence pour ce film réalisé avec rage et justesse.
Photo de groupe avec une femme de Itzhak Rubin (Israël) traite de la quête d’une femme, mais cette fois d’une identité et d’une enfant abandonnée des années auparavant. Ce film, dans son traitement, passe de la fiction au documentaire, en ellipse, le récit s’achèvant sur le personnage dans la vie réelle. Une réflexion intéressante sur la condition des femmes en Israël.

Plusieurs des films israéliens ont un point commun, le problème religieux qui semble de plus en plus prégnant dans une société en repli. C’est le cas d’Avanim – Les Pierres de Raphaël Nadjari (France/Israël) où une jeune femme se trouve confrontée à des pressions sociales et religieuses violentes. La lutte est rude pour son indépendance et contre l’hypocrisie. De même Feu de camp de Joseph Cedar (Israël) qui se situe en 1981 et met en scène une mère et ses deux filles. La vie sans un « chef » de famille n’est pas simple surtout quand la mère décide de rejoindre une colonie religieuse. La tendance se confirme dans quelques-uns des courts métrages, Divertissement shabbatique de Mihal Brezis (Israël), cette fois une adolescente doit se dissimuler pour sortir avec ses amies la veille du Shabbat, mais un accident dévoile le mensonge. Puis dans deux courts métrages, L’âge de raison de Myriam Aziza (France) — dans lequel Déborah, 7 ans, est tentée par la transgression des traditions et des règles imposées —, et Les Souliers de Shabbat de Zohar Behrendt (Israël) — où Zoé regarde, malgré l’interdiction, Dieu qui passe, du moins le croit-elle et suit le père de son institutrice, vénérable vieillard religieux. Plusieurs thèmes donc liés au religieux avec de personnages — surtout des femmes et des filles — en rupture avec les traditions ou qui observe, interrogatives. L’air du temps ou constat critique ? Pour le constat critique, Veronica de Evgeny Ruma (Israël) raconte le quotidien d’une jeune femme russe, exilée économique et dans un état de solitude extrême. Le déracinement est pathétique et le retour à son pays d’origine impossible.

La sélection des courts métrages réserve chaque année des surprises et brossent souvent avec acuité des tableaux justes de la situation sociale de chaque pays. Par exemple Conversations de salon de Danielle Arbid (France/Liban), remarquable série de chroniques douces amères en trois actes : « le pays, les maris et la famille ». Dans un salon, les femmes de sa famille discutent de tout, de la guerre, des blessures, de la peur, de l’ennui, des hommes, d’argent… On rit parfois aux banalités, aux mesquineries, puis l’on songe aux non dits. C’est filmé sans concession, mais juste, avec maturité.

De même pour Cousines de Lyes Salem (France/Algérie) qui, au détour de vacances à Alger et de retrouvailles avec la famille et les amis, photographie la réalité algérienne d’aujourd’hui. Les sourires s’estompent peu à peu devant les questions de Driss. Le pays a bien changé, comme lui qui se sent désormais plus proche de ses cousines qui revendiquent une liberté et une indépendance alors que les hommes acceptent les conventions, les traditions. Cousines a reçu le prix du jeune public.

Le problème de l’immigration est abordé par le biais comique dans la Dictée d’Ibrahim Letaief (Tunisie), mais pas seulement. Comment obtenir un visa pour atteindre cette Europe de tous les rêves ? Le regard d’Ibrahim Letaief sur les nouvelles lois de l’immigration est à la fois ironique et percutant. Le film a été choisi par Ciné Cinémas avec programmation à la clé.

Le grand prix du court métrage a été décerné à Un voyage à la ville de Corneliu Porumboiu (Roumanie – 2003). Pour l’anniversaire du maire d’un petit village, un trio s’en va en ville avec la mission de ramener des WC roses et du matériel informatique. Et c’est alors que tout se complique…
Deux courts à signaler, l’un, noir et blanc, pour sa poésie, En attendant le train de Catherine McGilvray (Italie), et La course de Theo Papadoulakis (Grèce) qui a reçu le prix Canal +.

Pour finir avec humour (détergent) et sans écarter la critique, trois courts métrages espaganols. Les superzamies contre le professeur Vinyle de Domingo Gonzalez (Espagne) résume assez bien toute l’originalité du jeune cinéma espagnol. Une parodie réussie — présentée en ouverture du festival — à la manière de Kill Bill traité façon Monty Python, dont le rythme et les trucages servent un scénario délirant. Le second, en noir et blanc, est excellent d’inventivité : 7h35 du matin de Nacho Vigalondo ou quand une comédie musicale tourne à la farce, façon bombe et confettis.

Et enfin les Parents de Xali Sala — petit bijou d’humour noir et de trash à la John Waters dans Pink Flamingos. Plan séquence : deux adolescentes fument un joint devant un gâteau d’anniversaire après s’être débarrasser des parents. Musique illustrative, outrance et conventions liquidées… À suivre…

Les documentaires présentés pendant ce dernier festival s’attachaient pour la plupart aux problèmes graves autour de la Méditerranée. Qu’il s’agisse de la Terre de 48 de Barrack Rima (Belgique) ou de Jusqu’à quand ? et de Dahna Abourahme (Palestine/USA) — sur la situation palestinienne —, des Passeurs de Laetitia Moreau (France) — sur l’immigration clandestine —, de Channels of Rage de Anat Halachmi (Israël) — duel à travers le rap —, de Entre femmes de Hala Galal (Égypte) — sur la condition des femmes — ou encore de Leyla Zana, l’espoir d’un peuple de Kudret Gunes (France) — qui retrace la vie d’une militante kurde —, tous ces films montrent la richesse des documentaires en pays méditerranéens.

Dix jours de cinéma, dix jours « sans langue de bois » ni « faux-fuyants » durant lesquels est diffusée la création méditerranéenne dans toute son originalité. Mais où voir ensuite ces films ? Le problème de la distribution demeure entier.

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