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Cinéma de résistance : les femmes algériennes disent non
Christiane Passevant
Article mis en ligne le 14 juin 2009
dernière modification le 23 septembre 2009

par CP

"Notre courage, c’est de ne pas céder,
de nous rendre à notre travail chaque jour,
de continuer à vivre.
" [1]

Nous assistons en ce moment au retour de l’OAS issue de nous-mêmes.
Si l’une d’entre nous meurt,
dix autres se lèveront contre les intégristes
qui sont des criminels et des mercenaires.
Nous sommes des révolutionnaires et mourrons la tête haute.
Non au terrorisme et à la mafia financière.
Non aux tueries, aux décapitations de femmes et d’enfants.
 [2]

Les informations qui nous parviennent d’Algérie laissent une impression d’enlisement du pays et de sa population dans une barbarie aussi incompréhensible qu’abominable. L’absence d’images télévisuelles et d’informations sur le terrain ajoute encore au sentiment de tension et de frustration que l’on ressent devant la litanie des actes meurtriers. Cent mille morts. Une guerre civile qui a commencé en 1992, après l’arrêt du processus électoral, mais peut-être serait-il plus juste de dire une guerre faite aux civils, coincés entre des groupes armés religieux fanatisés et un gouvernement militaire incapable d’assurer leur protection, et que certains accusent même de complicité. Les massacres de civils désarmés ont franchi ces derniers temps un degré dans l’horreur sans susciter de mesures de la part des autorités, sinon éviter les affrontements avec les groupes armés, ni à première vue de résistance. Cependant, cette impression de désespoir et d’impuissance ne correspond pas à l’entière réalité car les femmes, premières victimes désignées de la violence fanatique des islamistes, résistent. Une résistance documentée et illustrée par les films de Hafsa Koudil, Le démon au féminin (1992) [3], et de Djamila Sharoui, La moitié du ciel d’Allah (1995). [4] Ces deux films montrent la poursuite d’une lutte contre la domination culturelle et institutionnalisée, mais aussi révèlent comment la phase “intégriste” plus récente de cette domination a été instaurée par des gouvernements à première vue opposés à l’intégrisme islamique.

En Algérie, les femmes sont nombreuses à travailler, à accompagner les enfants à l’école, ou à faire leurs courses avec le risque perpétuel d’être attaquées ou assassinées. Cet aspect de la résistance des femmes au quotidien est rarement abordé parce que sans doute moins spectaculaire que les manifestations qu’elles ont organisées, notamment à Alger en 1994. Il n’en est pas moins le reflet d’une détermination de témoigner courageusement son refus de plier devant la violence politique et religieuse. Les résistantes à l’oppression d’aujourd’hui rejoignent la tradition des combattantes algériennes pour l’indépendance.

C’est la continuité de cette résistance que Djamila Sahraoui retrace dans son film, "l’histoire d’une « moitié du ciel » contrainte, par l’histoire et les hommes, à faire de sa vie un combat pour être simplement." Une remise en mémoire de la lutte des femmes depuis la guerre d’indépendance jusqu’à aujourd’hui, un film où sa réalisatrice s’implique en tant que femme, algérienne et militante : "Le sort des femmes en Algérie est lamentable, explique-t-elle, depuis longtemps. C’est le pouvoir soi-disant socialiste qui a instauré des lois inhumaines en ce qui concerne le droit des femmes. Comme si les coutumes et la religion ne suffisaient pas, il a fallu que l’État légifère, institutionnalise la violence envers les femmes avec des lois votées à l’Assemblée. Le code de la famille est infamant pour une nation."

Le code de la famille de 1984 [5] stipule, notamment dans l’article 52, qu’en cas de répudiation, si la garde des enfants échoit à la femme, "Le domicile conjugal, s’il est unique, revient au mari." Avec la gravité de la crise du logement, la conséquence de cette loi a été de jeter soixante mille femmes avec leurs enfants à la rue. La répudiation est la décision seule de l’époux, la femme peut se retrouver à tout moment dehors et sa famille n’est pas toujours en mesure de l’héberger. La pression sociale est telle qu’en cas de divorce du mari, la famille de la femme considère dans de nombreux cas qu’elle n’a été une "bonne épouse". Traitée en mineure à vie, elle est néanmoins jugée responsable de la répudiation. L’article 39 est très clair sur la soumission : "La femme doit obéir à son époux". Ce qui entraîne le constat de Louisa Hanoune dans ses entretiens avec la journaliste Ghania Mouffok : "Ce code de la famille est une prison familiale, contre l’émergence de l’individu au sein de la famille et donc de la société. Cette structure de la famille est un des fondements du maintien du régime algérien." [6]

Les femmes qui ont accepté de témoigner devant la caméra de Djamila Sahraoui ont estimé qu’il n’était plus question de se taire, puisque "même si on se tait, on meurt dans ce pays. On marche dans la rue, une voiture piégée saute et on saute avec. Les trains déraillent. les autobus sont attaqués. Et quand on est une femme militante, féministe, c’est encore pire, on est dans leur ligne de mire." Les anciennes militantes pour l’indépendance de l’Algérie ont été les premières à comprendre la dérive du système et ce que cela signifiait pour les femmes en général. Si elles avaient accepté, au moment de l’indépendance, de rester en retrait en dépit de leur place en première ligne dans la lutte, elles ne s’attendaient pas à une telle régression en ce qui concerne leurs droits et le respect de la personne humaine. Celle-ci n’a d’ailleurs pas été immédiate après l’indépendance. "Cela s’est passé en douceur. En trente ans, on a nié nos droits. Les femmes ne se sont pas méfiées. Ce qui les a fait finalement réagir, c’est le code de la famille. Le vote a eu lieu la nuit, en été pour qu’il n’y ait pas de protestation. Elles ont compris qu’elles avaient touché le fond. Et malgré le parti unique et l’interdiction de manifester, elles sont descendues dans la rue. C’était formidable de voir les anciennes maquisardes se mettre entre les flics et les jeunes femmes, pour leur faire un bouclier." Ce qui n’a freiné ni la brutalité des forces de l’ordre, ni les arrestations. Au commissariat, elles apostrophaient les policiers : "Pauvre type, si je n’avais pas été là, tu serais encore cireur des Français ! C’est nous qui avons gagné l’indépendance." Depuis 1984, des associations de femmes ont été créées. Avec "l’arrivée des intégristes aux municipalités, les femmes ont senti qu’elles perdraient tout. Elles avaient déjà perdu leurs droits et là elles perdaient la vie." Cette prise de conscience les a poussées à prendre la parole, à résister, à prendre des risques tous les jours.

Le film de Djamila Sahraoui a été tourné en sept jours, entretiens et extérieurs. Toutes les archives proviennent de la télévision algérienne et leur recherche a nécessité plusieurs voyages de la réalisatrice avant le tournage. L’image des combattantes dans le maquis, en treillis, auprès des combattants, ou secourant les populations, remet en question le cliché de la femme voilée : "Je voulais montrer qu’elles ont fait la guerre comme les hommes." Tourner à Alger obligeait à adopter des pratiques de clandestinité. Filmer avec une équipe très légère, être vigilante chaque instant tandis que le caméraman filmait, travailler rapidement, sans repérages, sans jamais revenir au même endroit, même pour des plans à refaire, jouer sur la surprise, ne pas avoir de contact direct avec les femmes ayant accepté de témoigner, utiliser des intermédiaires. Planter une caméra en extérieur représentait un danger certain, mais Djamila Sahraoui s’est vite adaptée à cette manière de filmer la ville à la sauvette. Les entretiens ont tous été filmés dans des endroits non identifiables, sûrs pour les témoins. "Les femmes qui parlent dans le film sont menacées quoiqu’elles fassent et elles prennent le maximum de précautions. Elles ne donnent ni leur téléphone ni leur adresse. Elles fonctionnent dans la clandestinité et communiquent par relais. Elles ont lutté contre l’armée française donc elles savent comment vivre dans des réseaux clandestins."

Autre sujet évoqué dans le film, les mères célibataires, sujet tabou dans tout le Maghreb. Pour ces mères célibataires qui n’ont souvent que la solution d’abandonner les enfants à la naissance, les groupes de femmes ont créé des refuges. "Là encore d’anciennes maquisardes ont organisé la solidarité. Elles ont dit «  il y a des femmes à la rue, il y a des jeunes filles enceintes. On ne peut pas les laisser aller en prison ou se faire tuer par leurs parents. Ici, c’est une question d’honneur et un père ou un frère peut tuer sa fille ou sa sœur parce qu’elle est enceinte. Elles ont alors organisé SOS femmes en détresse avec de très petits moyens. Elles manquent d’argent, mais accueillent les femmes, victimes du code de la famille ou les femmes qui ne savent pas où aller, dans trois petites maisons. Elles nécessitent des moyens, des médecins, des psychologues. Les femmes qu’elles ramassent dans la rue sont en miettes, brisées." Certaines disent leur angoisse de la rue et le havre de paix que représente le refuge pour elles, à l’abri de la violence et parfois de la mort. Dehors, c’est le risque d’être agressées à tout moment même si elles se réfugient, encore par réflexe, près des commissariats ou des mosquées. Elles ne peuvent compter sur aucune aide des autorités militaires ou religieuses, c’est plutôt les insultes, les coups, les viols : "une femme dans la rue, c’est une pute et elle n’a que ce qu’elle mérite."

L’ironie tragique de la situation actuelle est parfois traduite par l’hommage rendu au courage des femmes. "Les hommes de ce pays, ce sont les femmes", écrivent les journalistes avec admiration, mais, observe Djamila Sahraoui, "je n’aime pas beaucoup cette expression parce que je pense plus important de nous laisser simplement être des femmes. Qu’ils soient des hommes et qu’ils reconnaissent nos droits d’être humain."

Le 1er mai 1995, le film de Hafsa Koudil, Le démon au féminin, achevé en 1992, est projeté pour la première fois dans une salle du centre d’Alger, à l’initiative de l’association Femmes Algériennes Unies pour l’Égalité des Droits (FAUED)7 [7], devant un public de femmes algériennes et internationales. Le film de fiction de Hafsa Koudil a été réalisé avec difficulté dans la semi-clandestinité, avec le soutien de Tahar Djaout et Rachid Mimouni. Ce qui fait dire à l’une des femmes présentes : "On ne rend hommage qu’aux morts à présent !" Hafsa Koudil a du ensuite s’exiler en Tunisie. La projection a été suivie par un débat sur l’intégrisme et la violence contre les femmes et les jeunes, et a porté d’abord sur la véracité de la situation présentée dans le film.

Le scénario du film est inspiré d’une histoire vécue, celle d’un couple d’Alger, dont la femme était enseignante d’anglais. Peu de temps après la naissance de son bébé, le mari est devenu frère musulman et a exigé de son épouse qu’elle abandonne son travail. Devant son refus, il a voulu la faire exorciser par des intégristes qui l’ont violemment frappée. Elle a porté plainte, mais aucune sanction n’a été prise par la justice. Horizon est le seul journal qui ait relaté les faits. Plusieurs groupes de femmes ont dénoncé la barbarie des intégristes et soutenu la jeune femme. La famille de la victime, une famille aisée de Constantine, inquiète du scandale, a fait pression pour qu’elle retourne auprès de son mari. Mais celui-ci a récidivé. Elle a finalement obtenu le divorce et, fait rarissime, la garde des enfants et du domicile conjugal.

Le film décrit l’évolution d’un couple qui, peu à peu, avec l’embrigadement du fils aîné chez les intégristes, puis du père, sombre dans la folie. Une chronique de la folie ordinaire qui a pour finalité la torture de la mère. La critique majeure du film a porté sur le personnage du père de famille, montré comme un être fragile, sujet à des hallucinations, un malade mental. Maintes interventions sont allées dans ce sens, l’intégrisme n’étant pas un problème de troubles mentaux. Le fait de voiler les statues, de supprimer les livres, les photos ou les poupées, comme cela est montré dans le film, n’est pas le résultat d’hallucinations, mais la démarche de tout intégriste qui voit dans ces objets la représentation du mal et du péché. Certains font également retirer les revêtements de sol sous le prétexte qu’il s’agit de produits en provenance de l’Occident. Les réactions des spectatrices lors de cette projection à Alger ont prouvé combien ce film reflète une réalité vécue. Nombreux sont, en effet, les témoignages de cas similaires, dans la famille, dans le voisinnage. Un des plus bouleversants a été celui de Fouzia :

"En 1962, j’avais 17 ans. J’ai eu un fils. Après le divorce, j’ai élevé mon fils seule. Je me suis battue pour l’élever seule, mais nous étions très proches et il était ma force et ma fierté. C’était un très bon élève. Quand il a eu 18 ans, petit à petit, j’ai senti mon fils s’éloigner de moi et glisser vers l’intégrisme. Cela a été comme une lente descente aux enfers. Puis il a disparu et j’étais sans nouvelles de lui. Je l’ai cherché partout, pendant des semaines, des mois, j’étais folle d’inquiétude. Un jour, je l’ai aperçu assis sur le trottoir, méconnaissable, sale et avec une barbe très longue. Les passants le prenaient pour un mendiant et certains lui jetaient des pièces. Il ne réagissait pas et semblait inconscient. Je l’ai ramené à la maison, j’ai tenté de le raisonner. Il refusait de se laver disant qu’il était honteux d’utiliser le savon car c’était un produit occidental. Mon fils me paraissait perdu, ailleurs. À force de patience, j’ai réussi à le laver, à le nourrir comme un bébé. Il a peu à peu repris des forces. J’ai tout tenté pour le soutenir, je lui ai manifesté toute ma tendresse de mère. Il répétait sans cesse : « Nous aurons une république islamiste ». Un jour, en rentrant à la maison, il m’a dit « Tu sais ce que j’ai fait aujourd’hui pour toi ? J’ai rayé ton nom sur la liste des condamnées à mort. J’ai dit que tu étais ma mère. » Nous n’avons pas le même nom. Il porte le nom de son père.

Mon fils a volé, escroqué pour les islamistes. je ne l’ai pas revu depuis deux ans et demi. J’ai appris qu’il s’était marié, mais je n’ai aucune nouvelle, ni de lui, ni de son épouse, ni de ma petite fille de quatre mois. Parfois, je me demande si nous n’avons pas enfanté des monstres."

Dans l’assistance, une femme s’est alors exclamé : "Notre courage, c’est de ne pas céder, de nous rendre à notre travail chaque jour, de continuer à vivre." Et une autre d’ajouter : "Nous luttons pour les générations à venir".

Le démon au féminin souligne aussi l’importance du travail des femmes et du rôle émancipateur que celui-ci peut avoir sur leur vie familiale et sociale. En effet, seulement 6% des femmes sont dans la vie active, les femmes qui travaillent à la maison ne sont pas recensées. Les islamistes leur refusent tout droit au travail et les enseignantes reçoivent quotidiennement des menaces pour les dissuader d’ouvrir les écoles. La majorité des enseignantes travaillent dans les écoles primaires, six millions d’enfants sont scolarisés. "Certaines enseignantes ont choisi de porter le foulard afin de continuer à enseigner, mais disent-elles : « Nous sommes encore plus dangereuses aujourd’hui car nous sommes porteuses d’autres idées. »" D’autres, moins nombreuses, ont choisi de se mettre en disponibilité. Les enseignantes de l’enseignement supérieur sont également menacées comme l’explique Hassiba, professeur de droit :

"Nous recevons toutes des condamnations à mort : premier et dernier avertissement avant la sentence. La semaine dernière, une de mes collègues a été assassinée devant l’institut de polytechnique. Un mois auparavant, une enseignante, professeur d’agronomie avait été poignardée devant ses étudiants. Notre droit au travail nous est ainsi dénié afin de, disent les intégristes, démettre le pouvoir. La peur est présente à chaque instant. Nous marchons dans la rue avec la conscience du danger imminent, nous n’empruntons jamais deux fois le même itinéraire. Dans la salle de cours, c’est la méfiance car nous ne savons pas si, parmi les étudiants, se trouvent notre bourreau." [8]

Dans les rues d’Alger, malgré la tension et la peur toujours présentes, les femmes voilées côtoient les femmes et les jeunes filles en jupe ou en pantalon, les cheveux sur les épaules. "C’est la diversité" constate Baya, chercheuse scientifique, exilée en France :

"L’impression en Algérie est celle que l’on retrouve dans tous les pays en lutte. Il y a l’instant où la terreur sévit et tous les autres moments où il faut bien vivre. Il faut rappeler que les femmes résistent non pas dans un héroïsme armé, militaire, mais dans le quotidien. Elles résistent en s’opposant au diktat, à la fois d’un pouvoir qui est rejeté par la population et de ces groupuscules politiques alimentés par le pétrodollar et l’intégrisme international. Cette opposition existe tous les jours, en envoyant les enfants en classe, en allant faire les courses, en s’habillant comme on a envie de s’habiller et de se maquiller si l’on en a envie, en continuant de dire : « Je ne me coucherai pas. Je resterai debout. Je suis déterminée à faire que l’Algérie soit le pays où j’ai toujours vécu. » Car il est vrai que bien que la population soit en majorité musulmane, la pression et l’oppression qui s’exercent actuellement sur les femmes et l’ensemble de la société civile n’a jamais été le fait d’un islam maghrebin plutôt tolérant dans l’ensemble et en tous cas qui n’a jamais été jusqu’à des meurtres ou des exactions physiques sur les individus."Propos recueillis lors de la réunion de la FAUED, op. cit.

Diverses commissions se sont formées, issues d’associations algériennes ou algériennes-françaises, pour mettre en place une aide aux femmes algériennes, aide à court terme dans l’urgence, mais aussi aide à moyen et à long terme pour autonomiser la femme et lui donner un rôle actif dans une société qui ne peut en aucun cas se développer sans sa participation active et reconnue.

"Notre commission (FEDA) s’est occupée essentiellement de faire apparaître le travail des femmes donc de former une autonomie financière et de promouvoir les femmes en tant qu’actrices économiques. Cela a permis de faire apparaître toutes les potentialités existantes en Algérie et dans les associations en dehors de l’Algérie, de pouvoir établir des relations et de monter des réseaux. Les femmes sont par tradition attachées à la préservation du patrimoine. Les expositions sont possibles dans le cadre des ONG, ou par l’entremise des associations de solidarité. Les fonds rassemblés serviront à organiser des expositions de femmes et à mettre en route des unités de production de manière à offrir un premier salaire à des filles qui ont l’habitude d’avoir un travail à domicile. L’objectif est de créer avec les femmes de la commission, en coordination avec les associations algériennes et les associations en dehors de l’Algérie, des boutiques-relais. Le but étant à long terme l’autonomisation des femmes par la mise en valeur de l’héritage matrimonial puisqu’il s’agit d’un héritage transmis par les femmes." [9]

Le chômage et la précarisation des femmes est un des aspects importants de leur marginalisation, qui permet aux pouvoirs en place de les cantonner dans un statut de "mineures", sans espoir d’une quelconque émancipation. Les études sur les causes et les conséquences du chômage des femmes reviennent toujours sur la nécessité d’une autonomisation économique, mais restent secondaires dans le contexte troublé de l’Algérie actuelle. L’émancipation des femmes n’est guère mis à l’ordre du jour par un pouvoir qui se dérobe à toute remise en cause du code de la famille. "La question de la femme en Algérie est devenue un enjeu de propagande", écrit Benjamin Stora : "Les groupes proches du pouvoir utilisent cette question à des fins de diabolisation de l’adversaire et de la propagande en direction de l’Occident." Quant aux Islamistes, ils "diabolisent" les femmes et ont déjà proposé "la liquidation du chômage par le renvoi massif des femmes de leurs postes de travail." [10]

La démarche des deux réalisatrices tient tout autant de l’engagement politique que de la création cinématographique. Qu’il s’agisse de Hafsa Koudil et de son étude de l’effet de l’intégrisme sur les rapports de la famille et du couple. Ou de l’objectif explicite de Djamila Sahraoui dans sa recherche du rôle actif des femmes algériennes dans une société qui leur dénie des droits élémentaires. Le film de fiction comme le documentaire s’inscrivent en effet tous deux dans une perspective de lutte pour la reconnaissance d’un rôle social des femmes algériennes et de leur citoyenneté à part entière. Est-il possible en effet d’envisager une cessation de la peur et de l’emprise des groupes d’hommes armés sans une émancipation de la domination masculine ? Ces films renforcent la conviction que la responsabilité de la situation n’incombe pas aux seuls dirigeants algériens qui se sont succédés au pouvoir depuis l’indépendance, mais également aux États et à ceux qui profitent de la corruption politico-économique qui règne en Algérie. L’oppression des femmes, la croissance démographique, le chomâge, l’exploitation financière, la dictature oligarchique-militaire, la répression et le recours à la violence sont les aspects d’un même système. Dans le contexte actuel, les massacres de femmes, d’enfants et de veillards servent aussi ceux qui tirent profit des conditions d’inégalité, soient-elles sociales ou sexuelles. [11]


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