Chroniques rebelles
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Gavroche (n° 159) : René Lefeuvre pour le socialisme et la liberté. La crise et le « retour » à Marx avec Larry Portis et Nicolas Mourer. Armand Robin : textes libertaires.
Samedi 29 août 2009
Article mis en ligne le 31 août 2009

par CP

Depuis quelque temps, il est souvent question dans les médias du « retour » à Marx. La pièce d’Howard Zinn, Marx le retour, est de plus en plus jouée, comme nous le disait Thierry Discepolo en venant présenter dans les Chroniques rebelles la réédition du Concile d’amour d’Oskar Panizza, deux textes publiés par Agone.

« J’ai lu vos journaux. Ils proclament tous que mes idées sont mortes ! Mais il n’y a là rien de nouveau. Ces clowns le répètent depuis plus d’un siècle. [...] J’ai vu les luxueuses publicités dans vos magazines et sur vos écrans (il soupire). Oui, tous ces écrans avec toutes ces images. Vous voyez tant de choses et vous en savez si peu. Personne ne lit-il l’Histoire ? Quel genre de merde enseigne-t-on dans les écoles par les temps qui courent ? »

Qu’enseigne-t-on en effet dans les écoles ? Certainement pas les méfaits du capitalisme, la nécessité d’avoir un esprit critique et d’être autonome, et que la seule démocratie intéressante est la démocratie directe. Mais la crise du capitalisme tenant une place de plus en plus importante, force est de constater que des mots qui avaient été bannis du langage, reviennent dans les discours et sortent du domaine tabou où ils se trouvaient depuis la fin des années 1970. La crise, les crises de ce système y sont évidemment pour quelque chose.

Mais pour autant, l’analyse des crises économiques est-elle profonde ? Ou bien fait-on une sorte de replâtrage symbolique de la pensée critique à la manière du soutien étatique aux banques dans les différents pays capitalistes ? Pour autant, fait-on le constat de la nécessité de ces crises pour relancer le système capitaliste ? Encore une fois, les médias ne jouent-ils pas un rôle de chambre d’écho d’une dramatisation de la situation pour permettre des révisions drastiques des droits civiques et syndicaux ? Autrement dit, n’est-ce pas là une stratégie de communication afin de rendre la paupérisation des populations inéluctable, banale et « naturelle » ?

Le retour à Marx : mode ou tendance ? Nous aborderons le sujet dans la seconde partie des Chroniques rebelles en compagnie de Larry Portis.

Mais tout d’abord, il sera question du nouveau numéro (n° 159) de Gavroche  [1] qui, entre notamment un épisode de la guerre d’Algérie relatant l’emprisonnement d’un officier algérien démissionnaire, la fantastique histoire de l’absinthe, la lutte contre la tauromachie au XIXe siècle et la répression en Argentine, en 1919, d’un mouvement ouvrier qui se transforme en rafle des juifs, Gavroche propose un article de Julien Chuzeville, René Lefeuvre, socialiste révolutionnaire.

Julien Chuzeville est aussi le réalisateur d’un documentaire de 40 mn, René Lefeuvre pour le socialisme et la liberté.Ce documentaire, accompagné d’un livret, retrace l’itinéraire de René Lefeuvre, militant socialiste révolutionnaire et éditeur des Cahiers Spartacus.

René Lefeuvre meurt en 1988, peu de temps après la disparition de Daniel Guérin. René tient une place importante dans l’édition militante.

En 1933, il fonde la revue Masses et publie la première brochure des Cahiers Spartacus en 1936 : 16 fusillés à Moscou de Victor Serge. Son idée est alors de diffuser des textes pour une réflexion critique sur le système et pour lutter contre l’exploitation et la domination. Et cette idée ne le quittera plus. Nombreux sont les textes publiés sur la révolution espagnole, sans oublier les écrits de Rosa Luxembourg, Daniel Guérin, Paul Mattick, Flores Magon, Max Stirner, Maurice Dommanget, Marcel Cerf, Anton Pannekoek, Camillo Berneri, Boris Souvarine et bien d’autres.

Le but des éditions Spartacus est de « contribuer à la compréhension critique du monde dans lequel nous vivons en vue d’aider ceux [et celles] qui en sont les principales victimes à le transformer.

En 1947, René Lefeuvre écrivait dans la revue Masses :
« Nous savons fort bien ce qui se cache derrière l’anticommunisme de certains : la volonté de discréditer la grande aspiration des masses à la justice sociale en confondant intentionnellement le socialisme avec le totalitarisme qui en est la négation. Le stalinisme comme tous les totalitarismes repose sur le mépris des individus et des masses considérés comme instruments des volontés supérieures de l’État, du parti, de l’église ou de la race… »

René Lefeuvre est l’une de ces personnes qui, dès que l’on prononce son nom, provoque un sourire, de même que le respect et une profonde tendresse chez ceux et celles qui l’ont connu : un homme simple, ouvert et à l’écoute des autres. Quand Jorge Valadas dit, dans le film de Chuzeville, que René était proche de la figure du père, c’est en même temps touchant, personnel et si réel, car René savait créer des liens sans hiérarchie d’âge, de génération ou à quelque niveau que ce soit.

Autodidacte convaincu de la nécessité de poursuivre le combat révolutionnaire, René Lefeuvre a soutenu, maintenu les éditions Spartacus,
«  la plus belle édition politique de France » écrit Claire Auzias dans Un Paris révolutionnaire. René a sans conteste été important pour beaucoup dans la prise de conscience et la formation politique. René qui nous appelait ses « petits », ce qui ne manquait pas encore une fois de nous faire sourire, et il revenait sur cette idée que, malgré les divergences, il fallait discuter, continuer la lutte et, surtout, surtout ne pas se tromper d’ennemi-e !
René Lefeuvre pour le socialisme et la liberté…

CP

Depuis plus de vingt ans, les Amis de Spartacus poursuivent la tâche de René pour des éditions pas comme les autres et ont récemment publié Barricades à Barcelone (1936-1937) d’Augustin Guillamon.

« Les révolutions sociales, ces tentatives de réorganisation de la production et de la société sur de nouvelles bases, sont extrêmement rares. Au-delà des circonstances particulières dans lesquelles elles surgissent, elles apportent toujours une expérience irremplaçable sur ce qui peut en faire le succès ou l’échec. Agustin Guillamon, qui publie depuis 1993 Balance, une revue d’histoire du mouvement ouvrier international et de la guerre d’Espagne, décrit dans ce livre, sous une forme ramassée mais avec une grande précision, ce parcours de la CNT de juillet 1936 à mai 1937. »

Depuis le début de l’année 2008, un ouvrage explose le record des ventes en librairie, au point que certaines sont en rupture de stock. Ce n’est ni Marc Levy, ni Stephen King, ni Mary Higgins Clarke, je vous rassure, c’est bien plus barbu que tout ça, je vous le donne en mille : Le Capital de Karl Marx.
Un Marx et ça repart ! Le Capital : un ouvrage pourtant réputé difficile d’accès fait son come back sur la scène littéraire et surtout politique, sur fond de crise financière. Une aubaine : mais pour qui ? Les partis d’extrême gauche qui, à l’instar du Linke en Allemagne, organisent des cercles de lecture afin de mobiliser une nouvelle génération d’électeurs et d’électrices politiquement déboussolée ? Une aubaine pour les universités peut-être qui remettent le théoricien du communisme au programme ? Une aubaine pour le milieu de l’édition qui renfloue les caisses malgré sa peine à tenir le rythme des commandes ?

Vu l’ampleur du phénomène, il est clair que cet événement ne peut se réduire à un simple effet de mode, une tendance intellectuelle forcément passagère. Il semblerait bien que la réinitialisation de l’œuvre de Marx dans les esprits soit le signe d’une analyse nouvelle des dérives du système. Mais cela est-il étonnant ?

Si l’on utilise encore la perspective des économistes d’il y a cinquante ans pour expliquer, prévoir, jauger, juger les travers d’une société qui s’effondre sur des restants de billets de banque, après tout, pourquoi ne pas reprendre Karl Marx comme fondamental de ce premier XXIe siècle ? Mais au fond, est-ce un regain d’intérêt uniquement politique ? Rien n’est moins sûr. La relecture du Capital et du Manifeste n’est pas à proprement parler une Renaissance du marxisme mais un questionnement général et primordial sur notre devenir commun dans un monde où, comme le disait ce bon vieux Karl, il n’y a pas de capitalisme sans crise. Remarquez, il était temps que l’on s’en rende compte. Et il était temps aussi d’en parler avec Larry Portis (auteur de l’Histoire du fascisme aux États-Unis, éditions de la CNT) invité des Chroniques Rebelles.

On parle de Karl Marx, on vend Karl Marx aujourd’hui, pourquoi, parce que les sciences économiques traditionnelles sont perplexes face aux événements et que Karl Marx aurait une lecture plus juste ?