Chroniques rebelles
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Christiane Passevant
Hakanion (Le Chantier/The Mall). Documentaire de Yonathan Ben Efrat
Clandestins en Israël
Article mis en ligne le 18 décembre 2007
dernière modification le 24 septembre 2009

par CP

Dans le cadre du 29e festival du réel — du 9 au 18 mars 2007 —, le centre Pompidou — a présenté un documentaire remarquable sur les conditions de vie des travailleurs clandestins palestiniens des territoires occupés en Israël. Ce court documentaire, réalisé par Yonathan Ben Efrat, est une enquête sur le terrain de la situation de ces travailleurs vivant dans des conditions précaires à proximité de Tel-Aviv et ne pouvant rentrer chez eux le soir du fait de la politique israélienne de blocage des territoires occupés de Cisjordanie et de Gaza.

En 1993, plus de 100 000 Palestiniens des territoires occupés travaillaient en Israël. Depuis la politique de fermeture des territoires palestiniens fait de ces travailleurs des clandestins qui, pour beaucoup, n’ont pas d’autre choix pour survivre. Le mur de séparation a encore accru les difficultés pour ces Palestiniens qui viennent en Israël à la recherche de jobs journaliers, souvent dans la construction, et se retrouvent évidemment sans protection et en toute illégalité.
Ce documentaire a été filmé dans un chantier de supermarché, près de Tel-Aviv.

Sous une autoroute, près de dépôts d’ordure, un trou dans le sol en guise d’entrée. Le chantier est abandonné, sans eau ni électricité, sans air… Et là, chaque soir, se réfugient plusieurs centaines de Palestiniens clandestins. La menace des rafles de police, les expulsions ne les empêchent pas d’y revenir. D’ailleurs ont-ils seulement le choix ? L’économie palestinienne dépend des autorités israéliennes et tout développement autonome en Palestine est pratiquement impossible. Le chômage atteint des records impensables, 70 % dans la bande de Gaza.

Dans cet univers de béton et de boue, les clandestins tentent de conserver un semblant de dignité : « Quand je suis arrivé ici, la première fois, c’était l’enfer. Je ne pouvais pas dormir. L’odeur était insupportable et les moustiques pullulaient. C’était un cauchemar. Au bout d’une semaine, je me suis habitué et j’ai pu dormir. »

Deuxième sous-sol. Du béton, de l’eau croupie, des tiges de fer qui sortent des sols en béton armé : « Quand je grimpe en haut le matin, j’ai l’impression de sortir de la tombe. Je ne peux pas respirer ici. Mais que puis-je faire ? Il faut bien vivre. »

Sur le bord de la route, les travailleurs attendent les éventuels employeurs, souvent un travail de journalier dans la construction. Les camionnettes s’arrêtent, on négocie et c’est l’embauche.

Depuis les accords d’Oslo, l’arrivée massive d’une main-d’œuvre (organisée par l’État israélien) venant de Chine, de Roumanie, du Sud-est asiatique, a permis d’écarter les Palestiniens du marché du travail et de négocier les salaires à la baisse. Tout cela avec l’aval de l’Histadrout qui gère les services sociaux (caisses d’assurance maladie, chômage) et les activités culturelles. L’Histadrout est également l’un des grands propriétaires employeurs d’Israël. Après les accords d’Oslo en 1993 et l’exclusion du marché du travail des travailleurs palestiniens de Gaza et de Cisjordanie, l’arrivée massive en Israël d’une main-d’œuvre immigrée a représenté une manne pour l’Histadrout. Les agences, qui fournissent la main-d’œuvre, enregistrent les adhésions sans donner d’information sur les droits des immigrés. D’ailleurs l’Histadrout, qui perçoit ces adhésions, ne s’est jamais exprimée sur la question, ni n’a jamais rien fait pour la défense de ces travailleurs immigrés soumis à des conditions de travail inacceptables, ni sur leur expulsion quand ils revendiquent leurs droits ou leurs salaires.

Une voiture de police s’arrête près d’un groupe de Palestiniens et le flic prévient l’un d’eux : « si je te trouve ici ce soir, je prends le téléphone et toi avec. »

Retour au chantier : « Jusqu’à il y a quatre ans, nous pouvions venir en Israël et rentrer chez nous le soir. Depuis qu’ils construisent le mur de séparation, cela n’est plus possible. Pour un travailleur sans permis, il est impossible de rentrer le soir à la maison. »

Le soir. Les sous-sols sont inondés : « Quand je quitte la maison, je suis comme un soldat qui part au combat. Il n’y a pas de retour possible, faire la moitié du chemin et revenir désespéré ! » Les hommes nettoient, cherchent un matelas, s’aménagent un coin de fortune : « À la lumière du jour, on peut voir, mais ici absolument rien ! Ici, la voie est bloquée. Il n’y a rien à faire, seulement penser. »

Une passerelle improvisée entre des carcasses de béton pour atteindre une sorte de petite pièce. Un poster de Julianne Moore au mur et deux matelas de mousse sont installés à même le sol. Deux hommes se saluent. « Nous avons quitté la maison un peu avant midi, en nous débrouillant et en passant par les villages : Hawara, Akraba, Za’atra et Beita. La route est longue et compliquée. » Un portable sonne : « Allo. Oui Sima…À 8 heures, je serai chez vous. Je suis à Pardes-Katz. Oui, ne craignez rien, j’ai un permis de travail. Je suis jordanien, vous savez bien. Allez, bonne nuit. » L’homme a répondu à une femme qui l’emploie et a menti, bien sûr. Son compagnon ajoute « vous avez entendu ? Il a dit qu’il dormait à Pardes-Katz ! Il ne lui a pas dit : je dors sur un chantier avec quatre cent cinquante autres travailleurs. » Le premier explique : « Ils ne savent rien. Nous sommes obligés de mentir pour survivre. Si les patrons m’interrogent sur mon permis de travail et que je dis la vérité, c’est-à-dire que je n’en ai pas, je ne travaille pas. »

Le matin. Le réveil et le départ à la recherche du travail. Un jeune homme témoigne devant la caméra : « Je ne peux pas rentrer chez moi sans avoir travaillé. Même s’ils m’expulsent cent fois, je reviendrai. Jamais je n’ai imaginé vivre dans un endroit pareil. À mon âge, je devrais poursuivre mes études. Mais je dois venir ici et trouver du travail, il y a trop de problèmes à la maison. »

Un autre explique : « Je vais vous dire, j’arrive ici le samedi soir et je reste jusqu’au jeudi soir. Quand je suis chez moi, le vendredi, cet endroit me manque. C’est presque plus qu’un foyer pour moi : c’est le moyen d’existence de toute ma famille. » Son compagnon ébauche un sourire ironique et dubitatif.

Un autre jeune homme s’écrit : « Je regarde les travailleurs ici et quand je vois un homme de 50 ans poser son assiette sur le sol pour manger, j’ai pitié. Je me demande si ce sera pareil pour moi à 50 ans. Est-ce que je serai dans la même situation, obligé de venir chercher du travail ici ? La vie sera-t-elle la même : venir pour une journée de travail, manger et vivre dans les ordures ? Quand je vois ces travailleurs âgés, je suis totalement bouleversé. »
Un homme ajoute : « Tout a une fin. Cet endroit ne nous appartient pas. Ce n’est pas notre pays. » Un autre lui répond : « Si la situation politique reste au même point, ce sera la même chose pour cet endroit. Cela recommencera de la même manière. »

Beaucoup de travailleurs dorment à l’extérieur, à même le sol. Un homme répond au téléphone, se voulant rassurant : « Je dors à mon travail ma chérie. » Un autre mensonge… Mais que dire à ses proches sur cette réalité ? Que dire de cet endroit insalubre et dangereux ? La maison, la famille sont proche en termes de distance, mais il y a tous les contrôles de police, les check points, les fermetures, le mur, l’occupation…
Une voiture de police passe, sirène hurlante, et les regards se font anxieux…
Hakanion est dédié à tous les travailleurs du « chantier » qui luttent pour leur droit à la vie.

À suivre dans Divergences.be n° 7, mai 2007.


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