Chroniques rebelles
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Insaisissable. Les Aventures de B. Traven de Rock Recknagel (L’Insomniaque)
Samedi 10 octobre 2009
Article mis en ligne le 12 octobre 2009

par CP

Cette biographie unique de Traven est l’aboutissement des longs travaux de Rolf Recknagel qui prouva dès les années soixante que le mystérieux B. Traven (1882 ? — 1969) — vagabond et conteur établi au Mexique dans les années 1920, qui prétendait à l’anonymat complet n’était autre que l’agitateur allemand Ret Marut.

Ce pamphlétaire brava la censure militaire pendant le premier conflit mondial et joua un rôle actif dans l’éphémère République des Conseils de Bavière en 1919.

Jusqu’à sa mort en 2006, Recknagel ne cessa d’affiner le portrait de ce grand défenseur des pauvres et chantre de la subjectivité – immensément populaire en Allemagne et au Mexique, et dont les œuvres ont été traduites dans des dizaines de langues (dont une douzaine de titres en français).

Les Éditions de L’insomniaque est un collectif éditorial basé à Montreuil (Seine-Saint-Denis, France), créé en 1992 dans le but « d’affirmer la vitalité persistante de l’esprit critique en publiant des textes dissidents que les épiciers d’un marché de la lecture toujours plus normalisé vouent à l’obscurité ».
Les membres du collectif, qui utilisent des pseudonymes comme Julius Vandaal, Alexandre Dumal ou Hsi Hsuan-wou, y participent bénévolement. Les prix des livres sont généralement bas, leur recette utilisée pour l’impression et l’achat de papier, les autres tâches de fabrication étant assurées par les membres du collectif.

L’Insomniaque éditeur 43, rue de Stalingrad • 93100 Montreuil-sous-Bois.

Tél. & fax : 01 48 59 65 42. E-mail : insomniaqueediteur@free.fr

Insaisissable ! Effectivement, la biographie de Traven nous le fait paraître encore plus insaisissable sous ses innombrables noms d’emprunt, de scène, ses changements de pays, de métier… Évidemment, Ret Marut, alias Traven est un acteur, mais plus que cela, il joue avec la remise en question des règles, des lois, de la conformité et de l’allégeance à l’État :

« Vous devriez avoir des papiers pour prouver qui vous êtes » me conseilla l’agent de police. « je n’ai pas besoin de papiers, je sais qui je suis », répondis-je. B. Traven, Le Vaisseau des morts.

Cette biographie de Traven — la « plus passionnée et la plus rigoureuse » — se lit comme un roman. Un homme qui change d’identité comme on change de rôle, qui s’implique dans les révolutions et les mouvements sociaux, qui écrit de véritables pamphlets contre le système et l’ordre établi, des romans si proches d’une réalité violente et des scripts dont le cinéma se saisit… Des romans dont on ignore qui est l’auteur, est-ce l’œuvre d’une ou de plusieurs personnes, d’un collectif ? D’un homme, d’une femme ?

«  Je suis plus libre que n’importe qui, je suis libre de choisir les parents que je veux, la patrie que je veux, l’âge que je veux »

Jeu de rôles et subversion, Traven aux mille facettes et aux mille talents garde une force d’engagement qui ne faiblit pas durant toute sa vie. Cet engagement et sa vie de vagabond en font un écrivain proche de Jack London, vous savez lui qui signait ses lettres par Yours for the Revolution.
Traven masque son identité, revendique une non identité et mystifie les autorités :

« Je [fonctionne] dans un complet anonymat. […] Je ne veux rien être d’autre que : parole ! »

Parole, il l’est et en jouant plusieurs rôles et quand vient le succès, il nourrit tous les fantasmes médiatiques : acteur, écrivain, scénariste, journaliste, aventurier… Mais la presse, il la connaît bien depuis le temps où «  il devint le loup démocratique au milieu du troupeau de moutons de la presse guerrière, le courageux agent des droits de l’homme parmi une troupe tremblante de propagandistes de l’effort de guerre. »

« On ne parviendra jamais à une vraie démocratie tant que la presse se trouve aux mains de gens qui pensent en premier lieu à gagner de l’argent et ne songent qu’en dernière instance à mettre la presse au service de l’humanité. […] Toutefois un métier voué à entraver la divulgation de la vérité et à propager le mensonge, un métier qui pourchasse les hommes et s’abaisse au commerce pour l’amour du profit, un tel métier est immoral. […] Le journalisme pratiqué au sens capitaliste est une infection dont il faut délivrer l’humanité. La liberté de la presse n’est possible que lorsque la presse n’exerce plus son activité pour l’amour du commerce. »

Dans cette presse marchande qu’il s’amuse à mystifier, il est parfois un homme, une femme, plusieurs écrivains, il est mort… Bref il est un être, une image qui échappent à tous les critères. D’où vient-il d’ailleurs ?

« Je ne me considère pas comme Allemand parce que je n’ai nul titre à y prétendre. Personnellement, je ne considère cela ni comme un honneur ni comme une honte, car je suis, comme la plupart des hommes, aussi peu responsable de ma nationalité que de ma date de naissance ou de la couleur de mes yeux. En revanche, mes vrais compatriotes, ce ne sont pas ceux auxquels je me rattache par le hasard de mon lieu de naissance, mais bien ceux qui sont les miens au regard de ma conscience et sur la base de ma conception du monde, qui ne vivent pas enfermés à l’intérieur des frontières d’une nation particulière, même aussi loin qu’on veuille repousser ces frontières. »

Et ses livres sont là et le reste importe autant par la mystification que par la lutte et l’aventure. Insaisissable… La vie et les textes de Traven, les faits, les mystères et le récit onirique… Hormis l’indéniable intérêt de la somme de recherches biographiques qu’il représente, ce livre de Rolf Recknagel est un plaisir de bout en bout…

« Où donc est ma patrie ? Ma patrie est où je suis, où personne ne me dérange, où personne ne me demande qui je suis, d’où je viens et ce que je fais. »

Traven, par Marcos Carrasquer