Chroniques rebelles
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D’un festival à l’autre… La Méditerranée dans tous ses états
Christiane Passevant
Article mis en ligne le 13 décembre 2009
dernière modification le 4 juillet 2010

par CP

Le Festival international du cinéma méditerranéen se tiendra à Montpellier du
23 octobre au 1er novembre 2009. Ce 31e Cinemed offre, comme les années précédentes, un choix toujours aussi riche de films originaux et reste "un rendez-vous dont le but toujours affiché est d’aider les cinématographies peu diffusées
du bassin méditerranéen" à trouver un public.

Le Festival c’est plus de 120 films dans la sélection officielle (compétitions, panoramas, avant-premières, projections spéciales), des hommages à de grands artistes, cinéastes
et comédien-nes, un regard sur le cinéma régional, sur le cinéma expérimental, le soutien de projets avec la bourse d’aide [1], une réflexion sur la diffusion et la promotion des
productions cinématographiques, des rencontres et des rendez-vous professionnels.

Montpellier sera encore fois durant ces dix jours le carrefour du cinéma, des cinémas méditerranéens, de ses créateurs et des équipes qui contribuent
à l’intensité et à l’originalité spécifique de la cinématographie autour de la Méditerranée, avec cette année une escale particulière "du côté du Bosphore",
en Turquie.

Philippe Faucon, président du jury en 2008 pour la sélection des longs métrages, abordait cette « mission » avec « une part de rigueur » et
« quelque chose de l’ordre du plaisir » : « c’est important de partager
des films. J’ai beaucoup de curiosité de voir les films d’autres réalisateurs et, en particulier, venant de ces origines géographiques. Je suis très content de cette occasion. Les documentaires m’intéressent également, mais intervient la question de la disponibilité. C’est une superbe programmation, foisonnante, très riche et presque exhaustive. Il est impossible de tout voir. »

Cette année, c’est la comédienne Ariane Ascaride qui sera la présidente du jury de l’Antigone d’or 200 [2].

Depuis 1980 [3], elle tourne dans les films de son compagnon, Robert Guédiguian, et a également joué dans Changement d’adresse d’Emmanuel Mouret (2006) auquel le 31e Festival rend hommage.

Cette année, comme en 2008, un coup de projecteur est donné sur le cinéma politique italien avec une rétrospective des films d’Elio Petri [4]. Le 30e festival s’est ouvert sur le remarquable Il Divo de Paolo Sorrentino [5], récit de l’itinéraire d’un politicien au pouvoir qui a marqué des décennies de l’histoire politique italienne.
Le film est le portrait acerbe d’un individu médiocre et ambitieux et la peinture sans complaisance des coulisses du pouvoir, manipulations, assassinats, pressions et deals occultes. La reconstitution de la sphère politique est brutale, cinglante pour les arcanes d’un pouvoir cynique et compromis dans des affaires maffieuses. L’État sordide, ses ramifications et ses réseaux gérés par un « petit homme » terne, pathétique, ennuyeux, mais redoutable et sans principes. Tous les autocrates sont des autocrates sont des êtres médiocres qui bénéficient des circonstances qui les propulsent et les maintiennent au pouvoir par le jeu des intérêts et du contrôle qu’ils ont sur la « bande » qui les entoure.

Film dense qui ouvrait le festival en présence des frères Taviani, Paolo et Vittorio, rejoints ensuite par le cinéaste espagnol Jaime Camino. Des cinéastes qui, par leurs œuvres cinématographiques, dévoilent le dessous des cartes de l’histoire officielle. Ces cinéastes ont le don certain de fissurer cette histoire imposée, et présentée comme une réalité, et ceci en partant des êtres humains, sujets de l’histoire, pris dans le maelström de la barbarie. Il n’est pour cela que de citer Le Mas des alouettes des Taviani et Le long hiver de Camino.

Comment peut-on réagir dans des situations extrêmes ? Les personnages sont à la fois proches, héroïques et totalement bouleversants. Le film des frères Taviani, Le Mas des alouettes [6], est certainement l’un des films les plus ancrés dans l’horreur du génocide arménien, drame terrible qui n’a cessé d’être occulté depuis le début du XXe siècle.

Le cinéma de Paolo Taviani et Vittorio Taviani semble découler d’une prise de conscience qu’ils ont eu très jeunes, tant par leur expérience vécue que par des rencontres cinématographiques :

(Vittorio Taviani) « Notre maison a été détruite par les fascistes. À leur arrivée dans le village, ils ont demandé qui était l’antifasciste le plus connu et on leur a répondu : l’avocat Taviani. Nous avons alors quitté San Miniato pour Pise où nous avons poursuivi nos études. Et c’est ainsi qu’une après-midi, nous avons séché les cours pour aller voir Païsa de Rossellini. C’était la seconde séance et les spectateurs qui en sortaient nous déconseillaient le film : "N’y allez pas, c’est un film italien qui prend la tête".

Le film avait déjà commencé quand nous sommes entrés dans la salle obscure et nous avons été littéralement transportés. Le rythme du récit et sa manière étrange nous touchèrent immédiatement. Une scène en particulier, celle qui se déroule à Florence : les partisans capturent un fasciste, franc tireur sur un toit, et le fusillent. La façon incongrue, non académique, dont la caméra filme l’exécution est remarquable. Nous désirions évidemment la mort du fasciste en raison de notre vécu, mais cela donnait aussi la dimension tragique de la mort. Dans la dernière scène de Païsa, des partisans et deux aviateurs sont capturés par les nazis et sont jetés dans le fleuve, lestés de poids, et le bruit du corps des hommes qui tombe à l’eau est une blessure acoustique. Cette image est une déchirure et la souffrance est annulée par la voix off qui commente : "ce que vous voyez s’est passé en avril 1945 et, deux jours après, la guerre était finie." C’est là toute la tragédie de la guerre. »

(Paolo Taviani) « Nous ne faisons pas un film pour illustrer ou démontrer quelque chose dans l’histoire d’hier ou d’aujourd’hui. Nous utilisons souvent le passé pour parler d’aujourd’hui. Nous étudions l’histoire, mais nous la trahissons au nom d’une vérité. Si l’on prend l’exemple de Jeanne d’Arc, elle est une sorcière dans l’œuvre de Shakespeare, une rebelle dans Brecht et une innocente ailleurs. Chaque auteur a utilisé cette partie de l’histoire pour parler de sa réalité. Utiliser le présent est problématique. »

Et Paolo Taviani d’ajouter à propos du cinéma : « En Italie, la situation est difficile pour ce qui concerne la culture. Dans le monde, il y a une crise majeure et, en Italie, c’est la culture qui est d’abord frappée par le manque de moyens. »

Le long hiver de Jaime Camino [7] revient sur quarante années de chape de plomb franquiste, à la manière de ce jeune homme dont le retour est avant tout animé par la volonté de savoir. Qui est responsable de la mort de son père ? Qui est le délateur ? Et, par ces questions, l’histoire personnelle rejoint l’histoire tragique d’un peuple : Barcelone, 1939, la fin d’un espoir et le début d’une dictature. Une immersion qui ajoute à complexité des personnages et des situations.

La nuit en enfer mettra à l’honneur un cinéaste espagnol de la nouvelle génération, Alex de la Iglesia, connu pour son humour iconoclaste décapant et sa démesure. Il n’est que rappeler quelques-uns de ses neuf longs métrages, Action mutante (1992), financé par Pedro Alomodovar, Le Jour de la bête (El Dia de la bestia, 1996), Mes chers voisins (La Comunidad, 2000), Le Crime farpait (Crimen perpecto, 2004).
Un tour d’horizon du cinéma fantastique espagnol de la nouvelle génération permettra au public de mesurer la richesse du genre et de découvrir des réalisateurs/trices non distribués encore en France.

Revenons sur l’escale cinématographique turque et le renouveau de ce cinéma qui, "avec une vingtaine de films produits par an, […] couvre plus de 50 % des entrées de son marché intérieur, un cas unique en Europe." Le cinéma turc relève d’une longue tradition. Il a commencé dans les années 1910 et s’implique dans une réalité profonde du pays. Les films, montrés au festival du cinéma méditerranéen, en témoignent, de même qu’ils illustrent l’inventivité — tant sur le fond que sur la forme — des réalisations passées et actuelles. Le cinéma populaire turc se porte bien et le cinéma d’auteurs n’a rien à lui envier. Le festival 2009 de Montpellier [8] se fera l’écho d’une nouvelle génération de jeunes cinéastes avec leurs courts et longs métrages, Yesim Ustaoglu, Nuri Bilge Ceylan, Tayfun Pirselimoglu pour ne citer que ceux-là.

Les trois singes de Nuri Bilge Ceylan [9], présenté l’année dernière est un exemple intéressant de ce renouveau du cinéma turc. Le traitement de l’image soutient la narration du film et c’est dans une ambiance étrange de compromissions, de mensonges et de secrets, qu’une famille se déchire, dépassée par des enjeux qu’elle ne peut comprendre. Le père est en taule pour un crime qu’il n’a pas commis, la mère est submergée par un désir jusque là ignoré, le fils tente de s’en sortir par des magouilles. Tout semble perverti comme dans la fable des trois singes. Et le manège recommence… Le crime commis sera endossé par un innocent. Le traitement de l’image et l’étalonnage a son rôle à jouer dans le film et en accentue le caractère de fatalité.

Autre film, autre univers est celui de Hüseyin Karabey, qui a également présenté son film l’année dernière. My Marlon and Brando [10] est une road movie dans une région en guerre. Une jeune actrice turque, Ayça, vit à Istanbul, séparée de l’homme aimé qu’elle a rencontré durant un tournage. Hama Ali est comédien, kurde et vit en Irak. Elle décide de le rejoindre en Irak, mais l’invasion états-unienne change les conditions de la rencontre déjà très difficile.

Et pour mémoire, quelques films qui ont illustré la diversité de la sélection 2008 :

Falling From Earth de Chadi Zeneddine (Liban/France, 2007) qui revient sur la mémoire à travers les photos des jours heureux, dans une ville qui n’en finit pas de vivre ses blessures.

Pour mon père de Dror Zahavi (Israël/Allemagne, 2008). Le cinéma israélien est remarquable par la manière dont les réalisateurs et réalisatrices traitent de sujets sensibles. Il existe une liberté dans le constat des problèmes sociaux et la critique de l’occupation militaire. Il s’agit cette fois d’un jeune Palestinien qui vient à Tel-Aviv pour un attentat suicide. La bombe qui n’explose pas, la rencontre avec un vieux couple qui
a perdu un fils à la guerre et l’adopte, avec une jeune femme dont il tombe amoureux, vont faire basculer sa détermination et revoir ses motivations.

Out Of Coverage d’Abdellatif Abdelhamid (Syrie, 2007). Les films syriens sont assez rares et celui-ci s’inscrit dans la vie quotidienne en abordant deux problèmes graves sur le ton de la comédie, la liberté sexuelle et les prisonniers d’opinion. En effet, Zuhair est prisonnier et son ami Amer le remplace auprès de son épouse. Amer jongle avec le temps et la ville pour vivre ses deux vies de famille avec stress et satisfaction lorsque l’ami revient.

Baby Doll Night d’Adel Adeeb (Egypte, 2008) est un film déroutant car c’est plusieurs films qui s’entremêlent de même que les genres. C’est un film comique, mais tragique aussi puisqu’il parle de l’engagement, de la mort et de la torture. Le terrorisme vu d’une autre manière avec un humour décapant. Un couple séparé, il est New York et elle vit au Caire, a décidé de concevoir un enfant durant la dernière nuit de l’année, mais voilà tout se complique et les voilà, bien malgré eux, mêlés à un projet d’attentat, sans jamais pouvoir trouver le temps et l’endroit pour leurs ébats amoureux.

Des cinémas, on l’aura compris, qui donnent à voir dans les sociétés méditerranéennes. Dommage que les occasions de voir ces films se fassent rares. Cette année, cependant, un film espagnol a retenu l’attention des distributeurs, même s’il n’est pas resté longtemps sur nos écrans. Il s’agit de El patio de mi cárcel de Belén Macías (Espagne, 2008) qui met en scène une délinquante qui, après un braquage qui tourne mal, se retrouve en prison. L’univers carcéral est décrit avec force, dans tous les détails de l’humiliation utilisée par les matonnes, de la violence entre prisonnières et de l’inadaptation engendrée par les conditions de l’enfermement. Isa et ses amies, Dolores, gitane blonde qui a tué son mari, Rosa, prostituée fragile, Ajo, amoureuse de Pilar et Luisa, Colombienne innocente et dépassée par une réalité qu’elle ne comprend pas. Et dans cette prison arrive une jeune gardienne qui refuse de suivre les règles et décide, avec les prisonnières, de créer une troupe théâtrale.
Tout se transforme alors, Isa et ses amies s’investissent dans le projet…

Autre univers, celui de l’entreprise, tout aussi féroce que le carcéral qui décrit les nouvelles méthodes managériales dans ce film de Max Lemcke.
Casual Day (Espagne, 2007) est une description sans concessions du monde des cadres qui, au cours d’un week-end ensemble dans un hôtel isolé, sont observés tels des rats de laboratoire et traités comme des pions. On sait à quel point le cinéma espagnol excelle dans ce type d’exercice, à savoir démonter les méthodes de gestion capitaliste. Apprendre à dire non n’est pas simple, être complice est quasi
inéluctable, et les réactions des personnages portent à la réflexion nos propres expériences du travail et du manque de solidarité ambiant, surtout à un certain niveau de l’échelle sociale. La crise et la compétition n’ont pas fini de fournir des sujets de films.

Survol d’un festival à l’autre, il y aurait encore beaucoup à dire sur les cinémas méditerranéens. Notamment que l’Antigone d’or a été remportée en 2008 par le film de Goran Markovic, Tournée (Serbie/Bosnie-Herzégovine, 2008) qui traite une période sombre de la guerre en Bosnie-Herzégovine. En 1993, une troupe de comédiens de Belgrade part en tournée en quête de cachets. Ils sont alors pris dans la tourmente du conflit sans comprendre ce qui leur arrive. Humour et drame pour, là encore, un autre regard sur la question.

À suivre… Le 31e Festival nous réserve de belles surprises.