Chroniques rebelles
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Une violence éminemment contemporaine. Essais sur la ville, la petite-bourgeoisie intellectuelle et l’effacement des classes populaires
Samedi 3 avril 2010
Article mis en ligne le 11 avril 2010

par CP

Une violence éminemment contemporaine.

Essais sur la ville, la petite-bourgeoisie intellectuelle et l’effacement des classes populaires

Jean-Pierre Garnier

Une violence éminemment contemporaine.

Essais sur la ville, la petite-bourgeoisie intellectuelle et l’effacement des classes populaires

« Les nouveaux habitants qui ont entrepris de s’approprier certains secteurs urbains où vivait une population majoritairement composée d’ouvriers et d’employés appartiennent pour la plupart à une petite bourgeoisie intellectuelle très diplômée occupant des emplois hautement qualifiés dans la « nouvelle économie » fondée sur l’information, la communication et la création. Ses membres exercent leur activité professionnelle dans les médias et la publicité, mais peuvent être également artistes, psychanalystes ou enseignants du supérieur.

Ce groupe très composite dispose d’un pouvoir d’achat élevé qui lui permet de consommer « autrement » que les « bourgeois » traditionnels, mais à des coûts tout aussi prohibitifs, que ce soit en matière d’habillement, d’alimentation, de loisirs, d’ameublement ou, bien sûr, de logement. Promues à longueur de pages « culturelles » par la presse de marché, les pseudo-transgressions et autres « œuvres dérangeantes » dont cette catégorie privilégiée fait son miel participent d’une autre forme de conformité conservatrice en phase avec l’esthétisation du mode de vie qui lui permet de se démarquer du commun.

Cependant, aussi dispendieux soit-il, cet hédonisme consumériste n’autorise pas à classer ce groupe parmi la bourgeoisie proprement dite dans la mesure où ce n’est pas le niveau de revenus ou la quantité de patrimoine qui définit celle-ci, ni même son capital culturel, mais sa place dans les rapports sociaux de production : celle de classe dominante. À cet égard, l’appellation oxymorique et médiatique de « bobos » qui sert couramment à désigner les néo-petits bourgeois qui tiennent le haut du pavé dans les quartiers « gentrifiés » est doublement trompeuse. »

« “Capitalisme”, “impérialisme”, “exploitation”, “domination”, “dépossession”, “oppression”, “aliénation”… Jadis érigés au rang de concepts, ces mots de “guerre civile larvée” […] ont été rayés du vocabulaire dans les salles de cours ou de rédaction, dans les amphithéâtres universitaires comme sur les plateaux de télévision [dans le contexte dit d’]une “démocratie apaisée”. Idem pour d’autres […] décrétés “non opératoires”, tels
“classes”, “antagonismes”, “contradictions”, “intérêts”, “bourgeoisie”, “prolétariat”, “travailleurs”
[…] Et que dire de ces vocables renvoyant à des utopies chimériques : “émancipation”, “socialisme”, “communisme”, “anarchisme” ?! » Des «  gros mots » qui reviennent peu à peu,
essaimés dans les discours. Est-ce la crise qui les remet au goût du jour ?

«  Les saisies et les expulsions qui ont jalonné la crise des subprimes aux Etats-Unis, jetant à la rue des milliers de familles de prolétaires déjà affectées par la récession et le chômage, attestent de la violence sociale imposée aux classes populaires par les possédants en matière d’habitat urbain, laquelle n’a rien à envier à la rapacité des débuts de l’industrialisation pressurant sans états d’âme leurs locataires ouvriers dans les faubourgs des grandes agglomérations. » Jean-Pierre Garnier, Une violence éminemment contemporaine. Essais sur la ville. La petite-bourgeoisie intellectuelle et l’effacement des classes populaires.

Vider la ville des pauvres demeure une constante de la politique des villes. La stratégie consiste d’abord à exclure ceux et celles qualifié-es d’« exclu-es » qui font désordre dans les centres-villes — comment dit-on ? —
« gentrifiés », rénovés, embourgeoisés… Pour ensuite favoriser l’installation d’une nouvelle petite bourgeoisie, qui adhère évidemment au système et dont «  La volonté de se distinguer à tout prix du “commun” va de pair avec un suivisme constant à l’égard des courants idéologiques en vogue, soumission qui peut aller jusqu’à l’obéissance aux injonctions émanant des représentants de l’ordre établi, à charge pour les “créateurs” et autres “concepteurs” de trouver le style qui aidera à faire passer la servilité pour de l’anticonformisme. »

La novlangue fait des ravages et leurs émules, de droite comme de gauche, s’en donnent à cœur joie. Certains promettent une reprise économique — la bourse remonte paraît-il ! —, reprise hypothétique sur fond de régression sociale et sur l’air de Tout va très bien madame la marquise, sans bien sûr évoquer un capitalisme qui se recycle sur la paupérisation des populations, alors que le clan des happy few — entendez la minorité des possédants — s’en met plein les poches grâce à la crise qui permet de faire passer des réformes scandaleuses.

Jean-Pierre Garnier, dans Une violence éminemment contemporaine. Essais sur la ville. La petite-bourgeoisie intellectuelle et l’effacement des classes populaires, revient sur un processus politique de privation du droit à la ville. Une dépossession qui laisse de plus en plus de citadins et de citadines sur le carreau de banlieues éloignées, parqué-es dans des logements sociaux s’ils ont la chance d’en bénéficier et, à terme, assurément lobotomisés par le piège métro-dodo-vidéo-boulot, quand ils ou elles ont l’heur d’en avoir un de
boulot !

Déjà en 1996, Jean-Pierre Garnier écrivait dans Des Barbares dans la cité :
« La prolifération de l’arsenal sécuritaire donne plutôt l’impression que la pacification de l’espace urbain sera de plus en plus tributaire d’une surveillance de tous les lieux et de tous les instants. Tantôt discrète, tantôt pesante, elle s’appuiera, comme elle le fait déjà, sur le nec plus ultra de l’innovation technologique. Et sur la “compréhension” des citadins dont le civisme sera lui aussi mobilisé. Tant il est vrai qu’avec l’assentiment populaire, cette barbarie high tech et sophistiquée peut aisément passer pour un progrès. »

Cependant, aujourd’hui, « Faute d’alternative politique leur permettant de s’extraire de leur désastreuse situation, les laissés-pour-compte de la “métropolisation” pourraient bien dans les années qui viennent contribuer à la diffusion de la “violence urbaine” sur l’ensemble du territoire. »
Une « radicalisation dont rien ne garantit qu’elle empruntera le chemin de la légalité. »

De la « racaille » aux « crapules » — terme employé aujourd’hui par un ministre —, le problème des laissés-pour-compte, des insurgés, des rebelles n’est pas prêt d’être abordé en d’autres termes que ceux de la répression !