Chroniques rebelles
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Cheminots, film documentaire de Luc Joulé et Sébastien Jousse
Samedi 13 novembre 2010
Article mis en ligne le 14 novembre 2010
dernière modification le 18 novembre 2010

par CP

Cheminots

Film documentaire de Luc Joulé et Sébastien Jousse

Sortie nationale le 17 novembre 2010.

En compagnie de Sébastien Jousse

http://www.cheminots-lefilm.fr

Un train entre en gare de La Ciotat.
Le berceau du cinéma est le point de départ d’un voyage à la rencontre de celles et ceux qui travaillent quotidiennement à « faire le train ».

Au fil de la découverte de différents sites ferroviaires et de la rencontre avec le travail et la parole des cheminots, l’évidence se révèle : le train a structuré un réseau, une communauté et un territoire. Sur les murs de gares ou d’ateliers, le cinéma révèle les traces de son histoire… Le train est porteur d’une certaine vision du « travailler et vivre ensemble ». Le train fait société.

Mais aujourd’hui, à l’heure de la libéralisation économique et de l’ouverture à la concurrence, le réseau est divisé, les services et les métiers sont séparés. Le cinéaste Ken Loach explique combien la privatisation de British Rail en Grande-Bretagne a été une catastrophe. Le Grand Résistant Raymond Aubrac souligne que la résistance face au recul progressif du Service Public est l’affaire de la société toute entière.

Les cheminots expriment leurs doutes et leurs espoirs, ils posent plus largement la question du travail et de son sens.

Alors que voyageurs et marchandises circulent physiquement sur le même réseau, tout est fait pour diviser, séparer ce qui depuis le statut des cheminots de 1909 s’était peu à peu constitué comme un statut unique pour un service commun. Les membres sont tronçonnés et le sang se retire. Il faudrait à la fois convoquer les figures de Landru et de Dracula pour com- prendre comment le néo-libéralisme opère. Cheminots parle d’une force invisible et agissante. Contrairement à ce qui s’est passé avec EDF-GDF ou France Télécom, le pouvoir ne parle pas de privatiser ni de changer le statut des personnels de l’établissement public de la SNCF : il le dépouille de l’intérieur, il le dilue, au profit de filiales de droit privé, tout en douceur en apparence.

Lors d’une avant-première du film de Luc Joulé et Sébastien Jousse, un syndicaliste cheminot confiait : « Ce que je trouve incroyable, c’est que ces deux réalisateurs, au départ totalement extérieurs au monde des cheminots, réussissent à nous apprendre des choses sur ce que l’on vit tous les jours à la SNCF. »

Ce qui est sans doute encore plus incroyable, c’est l’existence même de ce documentaire, tant les images du travail sont de plus en plus difficiles à filmer librement à l’intérieur des en- treprises, verrouillées derrière leurs stratégies de communication.

C’est incroyable... et pourtant possible !

On se souvient de The Navigators de Ken Loach, c’est de cela qu’il est question dans ce remarquable film documentaire de Luc Joulé et Sébastien Jousse, Cheminots.

La première impression qui se dégage du film, c’est son élaboration et sa recherche. On sent bien que ce film-là ne s’est pas fait rapidement, il est libre de toute pression exercée par la production et rien ne donne le sentiment, dans cette expérience cinématographique, d’être superficiel ou même survolé. On entre littéralement dans l’univers professionnel des cheminots et la réflexion de spectateurs disant « on ne regardera plus les cheminots comme avant ! » est très juste.

Le film documentaire de Luc Joulé et Sébastien Jousse fait prendre conscience, bien au-delà des cheminots, de l’importance du travail d’équipe pour un service public. Car c’est aussi de cela dont il est question, le service public et sa disparition à court ou moyen terme pour des raisons de profit.

Les premières images du film sont un retour aux sources et au mythe, l’entrée historique du train en gare de La Ciotat. Parallèle entre l’image emblématique du début du cinéma et des chemins de fer, et la période actuelle, c’est ensuite, filmés dans le même axe, la gare de La Ciotat et le train, « le train[qui] met les gens, la société, en mouvement. ».

L’accueil, le rapport aux voyageurs, le service public, c’est la réalité culturelle du métier, des métiers dans le transport en commun. Au guichet, l’employé connaît les visages et même parfois les noms de la plupart de ceux et celles qui prennent le train chaque jour. Regarder et écouter pour comprendre, cela crée du lien social.

Le film, qui s’inscrit, comme le dit Luc Joulé, dans le projet d’une « exploration cinématographique du travail », est une réussite car, non seulement il décrit les professions spécifiques dans la chaîne des métiers de cheminots, les liens indispensables entre les différents corps de métiers, l’attachement et la solidarité profondes des salarié-es, mais il rend compte également d’une construction sociale dans le travail et dans un contexte historique. Les images de films, imbriquées dans les murs des hangars ou des ateliers abandonnés, des images de légende comme celles du film de René Clément, la Bataille du rail, les images reviennent comme une mémoire des lieux de travail, comme pour souligner le potentiel de résistance et de solidarité des cheminots.

Pourtant le constat actuel est amer quand la parole se libère : « C’était différent avant. Il était à nous le travail », dit l’un des cheminots qui ajoute,
« dans l’avenir, je ne sais pas si ça va durer cette fraternité des cheminots. » Des témoignages simples, directs qui nous renvoient aussi à des constats et à des questionnements sur le travail, le rapport à la hiérarchie, les luttes :
« aujourd’hui, il n’y a plus de rapport de force. On dirait qu’il faut tout recommencer depuis le début », et « Je n’ai pas envie de subir ce système. »
Ce système, c’est la privatisation, l’isolement, la concurrence vantée par les bureaucrates de la direction devant des cheminots sceptiques et découragés de se voir pris pour des imbéciles, comme si, eux, ne connaissaient pas leur métier, sa finalité et la coordination nécessaire au transport en commun par chemin de fer.

Le travail change de nature, l’intérêt disparaît, le cloisonnement s’installe… Où est le service public ? Certainement pas dans ce système basé sur le profit que les cheminots décryptent en soulignant ses aberrations. L’incrédulité de l’un d’eux traduit bien le sentiment de ses collègues, quant au décalage des propos de la direction, lorsqu’il déclare : « Moi je pense et je vis chemin de fer. »