Chroniques rebelles
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Le déplacé de Denis Langlois (éditions de l’aube)
Samedi 11 février 2012
Article mis en ligne le 12 février 2012
dernière modification le 12 mars 2012

par CP

Un avocat français, militant révolutionnaire déçu, est chargé d’une étrange mission au Liban. Il s’agit de retrouver la trace d’un nommé Elias Kassem qui a disparu au cours de la Guerre du Liban lors des affrontements entre Druzes et Chrétiens.

Le silence, la gêne de ses interlocuteurs, les obstacles rencontrés, lui font vite comprendre que cette disparition – ce « déplacement » – est beaucoup plus mystérieuse qu’il n’y paraît.

D’un monastère au-dessus de la baie de Jounieh jusqu’aux montagnes du Chouf, en passant par un Beyrouth en reconstruction, il découvrira la réalité de la guerre, ses atrocités et la difficulté pour les différentes communautés à revivre ensemble après s’être massacré entre voisins.

Récit contre la guerre porté par une belle écriture, ce livre est aussi une quête initiatique. Comment ne pas être un déplacé dans une société tragique où l’être humain a si peu d’importance ?

En refermant ce livre, Le Déplacé de Denis Langlois, les questions fusent. Questions sur la situation au Moyen-Orient, sur les enjeux qui s’y jouent encore et encore, sur les religions orchestrées pour justifier les horreurs, mais peut-être et avant tout sur les différences de classes et le pouvoir qui génèrent les conflits, comme sur le pourquoi de la barbarie et son retour possible lorsque le silence et l’occultation occupent l’espace de l’analyse…

On bétonne, on bétonne au Liban… Et les morts sont restés sous ces couches de béton… Les politiques tentent par un vaste chantier de recouvrir la mémoire collective, de même qu’ils veulent ignorer les interrogations sur les quelque 150 000 disparu-es qui demeurent une énigme douloureuse pour les proches confrontés au silence des responsables. « C’est le passé », disent certains et certaines, mais on ne tourne pas une longue page d’histoire violente en se défaussant par une phrase toute faite traduisant l’indifférence et la mauvaise foi.

En lisant Le Déplacé de Denis Langlois, on touche à une réalité, celle de l’après affrontement, de l’après barbarie au Liban. À partir d’un cas particulier, celui de la disparition d’Élias Kassem et du massacre de sa famille, c’est le contexte libanais et, plus généralement, des pays déchirés par la guerre civile et les violences militaires qui est abordé dans ce récit. Le Déplacé — en l’occurrence les déplacés — est un récit où les frontières s’estompent entre fiction, enquête documentaire sur les conséquences de la guerre civile et introspection personnelle. C’est aussi la découverte d’un pays, le Liban, bien loin des clichés habituels, rencontre impossible à imaginer si l’on n’a pas vécu dans le pays des cèdres, la « Suisse du Moyen-orient » comme l’ont rêvé certains politiques.

Alors, que s’est-il passé entre 1975 et 1990 ? Pourquoi ces massacres et le basculement dans la barbarie ? Pourquoi le laisser faire ? Pourquoi la destruction des maisons ? « Aussi longtemps qu’il n’existera pas de réponse à ces questions, aussi longtemps qu’il n’y aura pas d’un côté une reconnaissance de culpabilité personnelle et de l’autre un pardon, il ne pourra pas y avoir de véritable réconciliation, [explique une jeune femme druze au cours du récit]. Les tensions subsisteront. Les non-dits, c’est le plus lourd à porter. Non seulement pour les victimes, mais aussi pour les coupables. Ils croisent dans la rue ceux dont ils ont massacré la famille ou pillé la maison. Ils ont peur. » Une autre question jalonne tout le récit : combien sommes-nous à penser que la guerre détruit les humains et la nature ?

1998. À la recherche d’Élias, intellectuel antimilitariste, déplacé, disparu, mort ou survivant par hasard d’un massacre insoutenable, c’est la trame du récit.
Le mot clé ? Le hasard qui revient sans cesse au gré du récit, c’est le fil rouge d’une quête à plusieurs volets dans un Liban où la reconstruction se fait à marche forcée, dans le déni des souffrances de la guerre civile. Il faut passer
à autre chose, le pouvoir change de mains, mais ne se partage pas, le fric
non plus…

Le «  théâtre » de la réconciliation se joue un peu partout dans les villages, dans les bourgs, mais peut-on pour autant oublier les disparu-es ? Est-il possible de se reconstruire en vivant auprès des assassins ?
Comment ne pas ressentir le besoin de vengeance lorsque la douleur de l’incompréhension et l’absence sont trop fortes ? Comment oublier les visages, les gestes de ceux qui ont abattu froidement des familles entières ? Ils étaient des voisins, des amis… C’est certainement la question essentielle puisque la barbarie se reproduit, se perpétue, ailleurs…