Chroniques rebelles
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Votez nuit gravement ! et "Je vote donc Tu suis !"
Samedi 7 avril 2012
Article mis en ligne le 8 avril 2012
dernière modification le 10 avril 2012

par CP

Pièce radiophonique

Voter nuit gravement !

une création La Balancelle

mise en scène et direction d’acteur : Monique Surel-Tupin

avec Nicolas Mourer

pour un sevrage complet avec immersion théâtrale :

01 45 26 50 89

labalancelle@free.fr

La débauche de propagande et la campagne électorale assourdissante de vacuité, on n’en peut plus ! On ne sait plus où donner de l’oreille pour entendre autre chose que des polémiques idiotes à propos des sondages sur les présidentielles et sur la stratégie des candidats et candidate dans la course au pouvoir. Des problèmes sociaux, de la santé, de la paupérisation, de l’école… Rien de précis et de constructif, sinon quelques slogans balancés ça et là pour faire accroire que tout va changer !

On n’en peut plus ! Et à en croire les politiques, le patronat, les médias : les abstentionnistes sont des irresponsables par qui la catastrophe arrive. Calomnie habituelle destinée à stigmatiser ceux et celles dont la préoccupation première n’est pas de choisir un camp, ni de faire des chèques en blanc, mais plutôt de se poser les questions par des biais différents de la propagande habituelle. Les problèmes ne viennent pas de l’insécurité ou de l’immigration… Non, ils viennent du capitalisme !

NON ! C’est le titre du pamphlet anti-électoral de Charles Maestracci
(publié par L’Insomniaque) et c’est un cri de colère contre l’État, le capital
et sa « phinance » planétaire.

« Le nombre de pauvres en surnombre, devenus inutiles à leurs maîtres, d’exclus et de prolos surexploités devient gigantesque. Le chantage de la dette va évidemment accélérer un processus dévastateur.

“Quand on laisse littéralement pourrir des millions d’êtres humains dans les réserves du paradis capitaliste, quand on militarise des quartiers entiers pour accueillir des sommets de chefs d’État, parler d’intégration est une ignoble plaisanterie. Dans cet impérialisme marchand, qui oblige des millions de gens à rêver le même rêve sans vie, aucun appel au dialogue et à l’intégration démocratique n’est possible.”

Je suis donc convaincu que “l’homo financius” n’aura aucune pitié envers quiconque ; que ce monstre engendré par le capitalisme, est un buveur de sang et qu’il ne va pas hésiter à fomenter une guerre ou quelque autre calamité. Car comme ironisait Jean Servier : “C’est manquer de beaucoup de confiance en l’homme que de croire qu’il a atteint un absolu dans le crime au cours du XXe siècle.”

Voilà ma crainte et la raison pour laquelle je me soulève contre l’État, ce simple valet armé des puissances financières et qui agit avec elles en symbiose. S’abstenir de voter pour désigner le chef des forces armées — le président de la République — serait une manière de s’insurger, sans se jeter dans la rue pour tomber sous le feu nourri de leurs armes perfectionnées.

Ce serait donc tout à son honneur si le peuple français boycottait massivement les urnes, car la force d’une insurrection est sociale.

Aucun maître, aucun dirigeant ne peut enlever la possibilité d’un refus. D’un “NON !” qui va bien au-delà du choix de la “marionnette présidentielle”, puisqu’il s’adresse au système global, au NOM — au Nouvel Ordre Mondial.

S’abstenir, c’est donc s’insurger contre ce système injuste, c’est commettre un acte de révolte en jetant, ici, sur la politique française, le filet de l’opprobe.

Osez ! N’allez pas voter ! »

***

Autre texte, celui de Jean-Pierre Garnier (à retrouver dans le Monde Libertaire)

Je vote, donc Tu suis

Pourquoi les abstentionistes ne sont-ils pas plus nombreux ?

Avant ou après chaque consultation électorale, éditorialistes et sondeurs, politologues et politiciens se penchent avec des mines inquiètes ou contrites sur un phénomène qui, depuis quelques temps déjà, leur paraît des plus préoccupants : l’abstention. Il est vrai qu’une tendance insidieuse se manifeste, pas seulement en France, témoignant d’une désaffection indéniable à l’égard du spectacle politicien, en particulier parmi les couches populaires. Désaffection qui, pour être évaluée à sa juste mesure, devrait inciter à comptabiliser aussi les bulletins blancs ou nuls et le pourcentage croissant de Français-es en âge de voter non inscrits sur les listes électorales (environ 12%). Aussi ne compte-t-on plus les articles et les débats, voire des livres entiers, où l’on s’échine à expliquer ce « déclin de l’esprit civique », avec, diffusé en boucle, ce diagnostic tautologique : «  il y une crise de la démocratie représentative ».

Il ne nous revient évidemment pas de nous joindre au chœur des pleureuses [et des pleureurs] et encore moins de réfléchir sur les moyens de redonner quelque crédibilité à ce simulacre de souveraineté populaire. En revanche, à la différence de tous ceux [et de toutes celles] pour qui la montée de l’abstention constitue un problème, on s’interrogera plutôt sur les raisons qui poussent tant de gens à continuer d’aller voter. Ou, du moins, certaines gens.

On comprend que les industriels, les banquiers, les managers, les hauts fonctionnaires, les cadres supérieurs, les ingénieurs, le gratin de l’université et de la recherche, les têtes d’affiche du complexe intello-médiatique et les vedettes du show-biz accomplissent rituellement leur « devoir de citoyens » sans qu’il soit même besoin de les en prier. Il en va de même pour les vieilles professions libérales, souvent parasitaires (juges, avoués, notaires, avocat d’affaires, commissaires-priseurs…), mais indispensables à l’exercice du droit bourgeois. C’est, après tout, leur « État démocratique » garant de leur statut et de leurs privilèges qu’il s’agit de préserver, et donc de relégitimer par le vote. Et l’on pourrait en dire autant de la petite bourgeoisie traditionnelle, artisans, commerçants et paysans, encore que leur situation ne cesse de se dégrader sous l’effet de la concentration et de la transnationalisation du capital.

En revanche, on peut se demander pourquoi les ouvriers [les ouvrières],
les employé-es et les fractions inférieures ou même moyennes de la
petite bourgeoisie intellectuelle, classe médiane préposée à l’encadrement
des précédents, qui, depuis déjà plusieurs décennies, font les frais de
l’« accumulation flexible », à des degrés variables et sous des formes diverses, mais d’une manière de moins en moins supportable, persistent encore à courir nombreux [et nombreuses] déposer un bulletin dans l’urne quand ils et elles sont sommé-es de le faire par [les mêmes] qui les roulent dans la farine.

Certes, le spectacle commence à ne plus faire recette parmi la plèbe et les couches moyennes menacées de la rejoindre par la déqualification et le déclassement. « 40 % d’abstentionnistes en moyenne dans les quartiers sensibles ! », gémissent les coryphées de l’« État de droit ». Pour insuffler aux nouvelles générations de ces zones de relégation le goût, voire la passion des urnes, de bonnes âmes téléguidées par certaines instances étatiques ont lancé en mars 2011 une « action d’envergure nationale pour lutter contre l’abstention des jeunes » : « La Flamme Citoyenne ». Avec cette devise à la connotation cartésienne : « Je Vote donc je Suis ». On ne saurait mieux résumer le substrat idéologique du citoyennisme : si tu ne votes pas, tu n’es pas un-e citoyen-ne et, donc, tu n’es rien. Néanmoins, l’autoritarisme et le panurgisme qu’implique ce mot d’ordre justifieraient un léger correctif. «  Je vote, donc tu suis », telle est, en effet, l’injonction à laquelle obéissent, consciemment ou non, les gogos qui imaginent par là s’affirmer en tant que sujets politiques alors qu’ils [et quelles] ne font que confirmer leur assujettissement. Reste à savoir pourquoi ils [et elles] y obéissent avec un tel empressement.

Le degré 0 de la politique

Juin 2011. Dans une France politiquement assoupie, alors que les
« Indignés » espagnols venaient de prendre la relève de la «  rue arabe » en occupant les places des grandes villes, une manifestation festive et consensuelle faisait figure d’événement dans la torpeur estivale parisienne :
la « Marche des fiertés ». Des personnalités en vue et désireuses de se
faire voir la patronnaient une fois de plus. Dont quelques figures de proue
de la gauche comme il faut : l’inévitable Jack Lang, Anne Hidalgo, dauphine
du maire Bertrand Delanoë, Harlem Désir, surnommé « Harlem Besoin »
par les post-situs pour sa soif de sinécures, Jean-Paul Huchon, Président-potentat de la Région de l’Ile de France, Eva Joly, candidate par défaut des Verts et jugée après coup pleine de défauts par ceux-ci, Jean-Luc Mélanchon, à la recherche de quelques voix supplémentaires parmi les homos, lesbiennes, queer and Co. Avec en prime… Arielle Dombasle, ex-Mme BHL, « marraine » de cette bouffonnerie. Une immense banderole était déployée en tête du cortège, avec ce slogan. « CETTE ANNÉE NOUS MARCHONS. L’AN PROCHAIN, NOUS VOTONS ». On avait là le point d’aboutissement emblématique de
ce qu’est devenue la politique dans un pays privé d’alternative à force
d’« alternances » politiciennes.

On fera remarquer à juste titre que ces marcheurs-ses « marchent » d’autant plus volontiers au carburant électoraliste qu’ils [et elles] appartiennent en majorité à la catégorie des « bobos », néo-petits bourgeois qui se soucient comme d’une guigne de l’émancipation collective, mais [apportent] toujours leurs voix aux partis, PS ou Verts, attentifs à l’épanouissement individuel de ces nanti-es. Le « hic » est qu’il reste également une proportion non négligeable de démuni-es qui se laissent aussi tenter par les sirènes électorales. Et que, par-dessus le marché, la plupart de ceux [et de celles] qui s’abstiennent ne cherchent pas par là, comme les anarchistes, à exprimer tacitement un « vote contre le vote », c’est-à-dire un refus de principe de toute délégation de pouvoir à des professionnels de la représentation. Résignation, écœurement, indifférence inspirent en général ce retrait populaire sans autre débouché qu’une absolue passivité.

Les innombrables enquêtes, menées auprès des prolétaires et des néo-petits bourgeois déclassés ou menacés de l’être qui s’entêtent à voter malgré des déconvenues qui s’ensuivent, font ressortir deux types principaux de motivation : les uns [et les unes] vont aux urnes parce qu’ils [et elles] n’ont pas, malgré tout, abandonné tout espoir de voir en sortir une amélioration de leur condition, fût-elle minime, sans que cela leur coûte d’efforts, tandis que les autres, ayant perdu leurs dernières illusions, utilisent l’isoloir comme défouloir. Globalement, cela donne, dans un cas, un vote en faveur de la gauche [gouvernementale] ou d’une droite jouant la carte du populisme, et, dans l’autre, un « vote de protestation contre la classe politique » […] où l’extrême droite rafle la mise. Un autre facteur, d’ordre anthropologigue ou psycho-sociologique pousserait les dominé-es et les exploité-es à participer à la mascarade électorale : y prendre part serait la preuve consolatrice et compensatrice [d’avoir] encore leur place sur la scène politique, ne serait-ce que [pour une figuration] intérimaire.

Comme s’il n’y avait pas assez de gens encore dupes de la farce électorale, voilà qu’un imposteur « libertaire » croit bon d’y aller de son argumentaire pour convaincre de leur erreur les plus rétifs au « jeu électoral
démocratique
 », à savoir les anarchistes. Dans un pavé ultra-réactionnaire à la gloire d’Albert Camus, qui lui a valu les louanges unanimes des journalistes de marché, Michel Onfray, nous livre une série de préceptes plus ineptes les uns que les autres sous l’intitulé « Abstention, piège à cons », détournement finaud de la célèbre mise en garde soixante-huitarde de Sartre, bête noire (et rouge) la plus honnie du philosophe « libertaire ». Ainsi apprend-t-on que
« ne pas voter, c’est voter pour le statu quo », comme si les élections ne servaient pas depuis l’aube de la démocratie bourgeoise à assurer le changement dans la continuité. Ce que feint d’ignorer Onfray quand
il appelle à voter […] Mélanchon au premier tour. Cette contre-vérité
est suivie de truismes qui semblent tirés d’un dictionnaire des idées reçues.
Du genre : « Ne pas vouloir changer, c’est vouloir l’immobilité », crédo de tous les opportunistes, dont Onfray, il est vrai, est un spécimen particulièrement gratiné. Ou encore « Ne pas élire un homme, c’est laisser en élire un autre », ce qui a conduit les gogos de gauche, voire d’extrême gauche, à voter Chirac pour « battre Le Pen », Ségolène Royal […] pour
« battre Sarkozy » et, qui sait, demain, Sarko lui-même, si Hollande défaillait, pour « battre Marine Le Pen » […]. Onfray en est arrivé là où arrivent tous les renégats qui ont décidé de se mettre du côté du manche : raisonner comme un manche.

On aurait tort, cependant, de trop ironiser à propos de ce « pragmatisme responsable » préconisé par Onfray à l’encontre des «  gardiens du
temple libertaire
 » dont « la pureté intellectuelle consubstantielle à l’idéologie se moque du réel au profit des seules idées ». Sans doute la présentation de l’élection comme « un moindre mal dans un monde qui va très mal », mais « qui permet heureusement de faire de la politique autrement » ne fait-elle que reprendre un argument niais cent fois entendu de la part des notables Verts pour justifier la relégation de leur radicalisme initial au vestiaire. Mais il se trouve qu’elle coïncide aussi avec la ligne de conduite adoptée par une majorité de gens dont on eût pu attendre, compte tenu de leur profession et des diplômes nécessaires pour l’exercer, un minimum de distance et d’esprit critique à l’égard de ce qui leur est vendu comme le moment fort et irremplaçable de la vie démocratique.

Un historien italien de l’Antiquité, pourtant peu suspect de « gauchisme », discernait récemment à son tour cette vérité évidente aux yeux des penseurs et des militants anticapitalistes. À savoir que le suffrage universel sert à
« légitimer des équilibres, des classes, un personnel politique presque immuable », perpétuant ainsi « cette domination de quelques uns qui ne peut cependant se maintenir qu’à condition de s’assurer un large consensus. Tout en restant, bien entendu, au sens plein de ce mot, une domination » Luciano Canfora, La nature du pouvoir, Les Belles Lettres, Paris, 2010. [1]. Comment se fait-il, dès lors, que des normaliens progressistes […] dont la hauteur de vues se situe à cent coudées au-dessus des platitudes émises par un Onfray […] n’aient pas fait leur pareille appréciation pour en tirer les conclusions qui s’imposent ?

La mémoire courte

Selon un proverbe souvent repris par les instituteurs de la IIIe République,
[la population française] ignore la géographie et croie connaître l’histoire.
En ce qui concerne cette dernière, cela reste apparemment vrai pour le corps enseignant et, plus largement, la masse des fonctionnaires qui fournissent le gros des bataillons d’électeurs invétérés du parti dit socialiste malgré la série
de déboires que celui-ci leur a occasionnés quand il lui est arrivé d’accéder
aux responsabilités gouvernementales. Les leçons de l’histoire récente de
l’« alternance » en France semblent, en effet, ne leur avoir en rien servi […]. Aujourd’hui, comme hier, la plupart s’apprêtent à apporter leurs suffrages à un politicien « de gauche » dont tout indique qu’il ne pourra que décevoir les espoirs mis en lui. Sauf qu’aujourd’hui n’est pas hier, et que la réalité de l’exercice du pouvoir par les « socialistes » durant les calamiteuses années Mitterrand, pour ne rien dire de celles, plus affligeantes encore, du gouvernement Jospin, aurait dû inciter leur électorat à mettre un bémol à cette confiance, au moins parmi les anciennes générations, et à faire enfin preuve d’un peu de lucidité quant à la volonté des dirigeants du PS d’en découdre avec la classe dirigeante. Non pour « passer au socialisme », projet remisé depuis belle lurette dans le grenier à chimères, mais ne serait-ce que pour lui arracher les conquêtes sociales sur lesquelles les gouvernements de droite n’ont cessé de revenir. Comment expliquer cet aveuglement persistant ?

Certes, cette fidélité électorale du fonctionnariat est compréhensible, à première vue, étant donné que c’est grâce au socialisme parlementaire
que l’on doit en grande partie l’essor des services publics. Pourtant, la dérive
« sociale-libérale » des gouvernements à majorité « socialiste » tout au long deux dernières décennies du siècle passé aurait dû logiquement mettre à mal cette fidélité, notamment à partir du tournant de la « rigueur » de 1983, accompagnée dans les années qui suivirent, par leur ralliement non seulement idéologique, mais aussi pratique à l’entreprise, au marché et
au profit, pour ne pas dire au capitalisme, comme moteurs de la
« modernisation » et de la « compétitivité » économique de la France face aux « défis de la mondialisation ».

De fait, le soutien sans faille apporté par les dirigeants du PS à la construction de l’Europe du capital et les reculades successives des Premiers ministres Bérégovoy, Cresson, Rocard puis Jospin face aux exigences des industriels et des banquiers, sur les plans tant national qu’international, ont effectivement entamé quelque peu la foi des travailleurs du secteur public et parapublic
dans la capacité ou la volonté des hiérarques « socialistes » de préserver
les acquis. Par chance pour le PS, cependant, la droite revenue au pouvoir politique depuis 2002, s’est dotée depuis la présidentielle de 2007 d’un représentant assez caricatural pour focaliser sur sa personne la détestation des fonctionnaires lésés par l’accentuation du cours néo-libéral de la politique menée par les gouvernants. Et pour les inciter à se montrer peu regardants quant à l’aptitude de son remplaçant éventuel à l’Élysée à inverser ce cours.
Il a suffi, par exemple, à François Hollande de promettre de recruter plusieurs dizaines de milliers d’enseignants s’il était élu, pour que, tel un troupeau,
le gros des professeurs affirment leur intention de voter en sa faveur
(46% selon un sondage de février 2012). Cela au moment où l’aggravation
de la crise structurelle du capitalisme et les diktats imposés, en guise de réponse, par la « troïka » ne laisse quasiment aucune marge aux gouvernements européens, toutes tendances politiques — ou plutôt politiciennes — confondues, pour accorder des largesses de ce genre.

Oubliées, donc, les mesures prises dès les années 1980 pour « modérer » l’augmentation des salaires sous couvert de tenir compte de la « contrainte extérieure ». Oubliée la dérégulation des marchés financiers et suppression de la loi de 1948 bloquant la hausse des loyers sous le gouvernement Fabius ou les privatisations à la chaîne qui reprendront à un rythme accéléré à la fin du siècle avec un DSK, alors ministre de l’Économie, en qui les caciques et les cadres du PS verront par la suite pendant longtemps l’homme providentiel susceptible de « battre Sarkozy ». Oublié aussi le « l’État ne peut pas
tout
 » du pitoyable Jospin face aux suppression d’emplois en France par la firme Michelin ou le « mon programme n’est pas socialiste » du même, précision dont il aurait pu se dispenser tant est évident que son parti n’a plus de socialiste que l’appellation, mais qui fut ressentie par nombre de ses électeurs potentiels comme une concession inutile et déshonorante, sur le plan symbolique, pour grapiller des voix au « centre », c’est-à-dire à droite. Gommant de leur mémoire tout ce qui pourrait freiner leur ardeur électorale, les voici prêts [et prêtes] à se précipiter une fois de plus dans l’isoloir pour sacrer Président celui qui ne peut que les décevoir.

Peu leur importe, dès lors, qu’une fois revenu-es à la tête de l’État, les
« socialistes » ne manqueront pas de faire ce qu’ils avaient déjà fait deux
ans après leur arrivée au pouvoir en 1981 : le « sale boulot », comme le reconnaîtra après coup, l’un de ses maîtres d’œuvre principaux, Laurent Fabius — l’autre étant le ministre de l’économie Jacques Delors —, que la droite n’avait pas oser faire. Pour s’en convaincre, il suffit pourtant de savoir de quels conseillers économiques s’est entouré Hollande, non seulement pour mener campagne, mais pour tracer les grandes lignes de son action une fois installé à l’Élysée. Mais, c’est précisément ce que la presque totalité des électeurs [et électrices] scolairement dotés qui s’apprêtent à voter pour lui, non seulement ne savent pas, mais, surtout, ne veulent pas savoir. Car [ils et elles] n’ont pas seulement la mémoire courte encore qu’il serait plus exact de parler d’amnésie sélective. La plupart n’ont pas la moindre idée, malgré... ou à cause de leurs diplômes, du fonctionnement réel du pouvoir d’État en France, et trouvent en outre parfaitement normal, sans doute, parce que cela les rassure, qu’il en soit ainsi.

Une ignorance crasse

Sans doute le corps enseignant est-il structuré selon une hiérarchie très inégalitaire en termes de capital scolaire. Il en découle que l’accès à l’information et plus encore la volonté d’y accéder sont inégalement réparties. Mais on pourrait a priori supposer chez les enseignants de rang supérieur, auxquels on peut ajouter les chercheurs du secteur public, et notamment
ceux en sciences sociales, portés à voter « socialiste » de manière presque automatique, au moins au deuxième tour de la présidentielle, une curiosité minimale quant à l’identité des experts qui, dans l’ombre, prodiguent leurs lumières à celui qui, directement ou par Premier ministre interposé, est censé infléchir le cours désastreux de la politique économique mentionnée plus haut. Il n’en est rien. Mis à part quelques économistes « hétérodoxes », c’est-à-dire antilibéraux — ce qui ne les empêchera pas de voter presque tous pour Hollande au deuxième tour voire, pour beaucoup, au premier, eux aussi, alors qu’ils savent à quoi s’en tenir —, les bac plus 5 et + du secteur public ignorent tout des noms, et surtout des fonctions et des postes des économistes qui encadrent le candidat. Pourtant, n’importe quel utilisateur d’Internet peut se procurer ces données. Mais la volonté de savoir pèse peu de poids face à la volonté de voter à tout prix. Il est vrai que connaître, ne serait-ce que sommairement, la composition de l’aréopage où François Hollande puise ses idées en matière de politique économique suffirait à dissiper les illusions que l’on pourrait avoir sur la voie qu’il sera amené à emprunter dans ce domaine.

Le 9 novembre 2011, le candidat « socialiste » réunissait « ses » économistes pour réfléchir à un plan de réponses à la crise. Au menu :
le bilan du G20, les moyens de réglementer le système financier ainsi
que la « gouvernance de l’Europe et de l’euro ». En rendant publique cette réunion, via ses « communiquants », le député de Corrèze entendait montrer qu’il n’était pas absent sur le terrain économique. […]

On va voir que l’on a pas affaire avec ce petit monde savant à des foudres de la guerre de classe contre le « capitalisme financiarisé-et-globalisé-sous-dérégulation-néolibérale », pour reprendre la formulation rituelle chère aux « altermondialistes » — altercapitalistes, en fait — : tous occupent des postes-clefs dans l’oligarchie, autre notion en vogue dans la gauche bien pensante et bien votante, qui leur évite d’avoir à parler de classe dominante.

Les conseillers personnels de François Hollande, tout d’abord, le « premier cercle d’experts » comme les appellent les journalistes, sont au nombre de trois : Philippe Aghion, professeur à Harvard. Ce théoricien de la croissance, ancien membre de la commission Attali sur la « libération de la croissance » — ce qui est un gage d’antilibéralisme ! — avait coordonné une première réunion des économistes pro-Hollande en août 2012 ; Élie Cohen, directeur de recherche au CNRS, avait rejoint le candidat dès le début de la précampagne des primaires. Cet ancien proche de Michel Rocard, non encarté au PS, a rédigé un premier rapport sur la crise économique où les financiers n’étaient mis en cause que pour leur « imprudence » et leurs « excès » ; Jean-Hervé Lorenzi, professeur à l’université Paris-Dauphine, cumule un nombre de fonctions qui font de lui un champion toutes catégories du « capitalisme financiarisé ». Entre autres : membre du Conseil d’analyse économique, conseiller du directoire de la Compagnie financière Edmond de Rothschild, membre des conseils d’administration de BNP Parisbas et du Crédit Foncier de France, président du Cercle des économistes, aréopage dont les sensibilités évoluant entre un néo-libéralisme pur jus et un social libéralisme atténué, consistant à «  se démarquer des politiques d’austérité »… en trouvant un autre nom pour les désigner. « Rigueur » ayant déjà servi, il va falloir à ces têtes pensantes inventer autre chose.

À ce trio initial s’est adjoint un deuxième cercle de chercheurs de haute volée. On y trouve André Sapir, professeur à l’université libre de Bruxelles et ancien conseiller économique auprès du très libéral président de la Commission européenne, Romano Prodi ; Romain Rancière, professeur associé à l’École d’économie de Paris et ancien chercheur au FMI ; Gilbert Cette, professeur associé de l’université d’Aix-Marseille 2, lui aussi membre du CAE ; Karine Berger, ancienne élève de l’École Polytechnique, de l’Ensae (École nationale
de la statistique et de l’administration économique), de Sciences-Po et de l’université de Droit Paris II, conseille aussi la société d’assurance Euler
Hermès ; Emmanuel Macron, inspecteur des finances, ancien rapporteur de
la commission Attali et aujourd’hui banquier chez Rothschild ; Manuel Flam, maître de conférences à Sciences-Po, spécialiste de l’« économie verte » ; Stéphane Boujnah, ex-conseiller de Dominique Strauss-Kahn et patron de la Banque Santander en France ; Thomas Piketty, professeur à l’École d’Économie de Paris (EEP) qui avait conseillé Ségolène Royal en 2007 et a largement inspiré le PS sur la réforme fiscale. Il avait critiqué « le manque d’audace et de propositions alternatives » du candidat, qui risquait de lui faire perdre des voix. « Je reste dans un soutien vigilant », assurait ce jeune économiste.
À ses yeux, « l’alternance est devenue une question de salubrité publique ». Et d’ajouter ce jugement qui aurait dû tuer l’intéressé : « Quelles que soient ses limites, François Hollande fera mieux que Sarkozy ».

Pour clore cette liste qui constitue à elle seule tout un programme dont l’orientation « socialiste » est pour le moins problématique, on terminera
avec Michel Sapin, le Monsieur Loyal chargé de cornaquer cette troupe. Énarque « socialiste » comme son ami François Hollande, député-maire, remarié récemment à une journaliste des Échos — journal progressiste s’il en est —, il avait officié au début des années 1990 comme ministre de l’Économie et des Finances du gouvernement de Pierre Bérégovoy. Ardent partisan et artisan acharné du Traité de Maastricht, on lui doit cette déclaration publique : « Le traité d’union européenne se traduira par plus de croissance, plus d’emplois, plus de solidarité. » [2] Une déclaration sans doute passée inaperçue, oubliée ou ignorée comme le reste de l’électorat du PS qui, à force de suivre, ont fini par ne plus penser.

***

Voter nuit gravement !

Une création La Balancelle pour la radio
Mise en scène par Monique Surel-Tupin

avec Nicolas Mourer

L’anarchiste du XXIIème siècle

(Nicolas chantonne Y’a d’la joie)

Si vous m’entendez si joyeux, c’est parce que je viens de faire une découverte épatante : La Méthode simple pour en finir avec le bulletin de vote. Je sais ce que vous allez penser : qu’il s’agit d’une énième technique utilisant les stratégies de management motivationnel afin de mobiliser les masses autour d’une cause sans intérêt ? Il n’en est rien. Je ne viens ni d’une autre galaxie, et ne me prends pas pour un nouveau théoricien génial, ni même un quelconque gourou. Je souhaite simplement vous montrer à quel point cette phrase peut vous aider à trouver la liberté : l’homme nait bon, c’est le droit de vote qui le rend con.

Tout cela vous paraît absurde, et je le comprends. Mais croyez moi, dans peu de temps, vous réaliserez qu’il n’y aura jamais assez de place pour vos rêves dans une urne. Les rêves auxquels vous aspirez sont en vous, en vous seuls, et ne dépendent pas d’un maître que vous auriez choisi. Croyez-vous qu’un maître ait peur que vous choisissiez un autre que lui ? Certainement pas ! Le suffrage universel ne fait pas peur aux puissants car les gens votent exactement comme on leur dit.

Je vous propose tout de suite de suivre un séminaire radiophonique pour vous aider à venir à bout de cette dépendance qui se manifeste au minimum tous les cinq ans.

Je vous rappelle que le terme « vote » est accompagné du mot « droit » en période non électorale et du mot « devoir » en période électorale. Cela suffit à montrer à quel point on manipule notre cerveau. Vous remarquerez d’ailleurs les points communs qui existent entre l’électeur et le fumeur. L’institut de recherche en tabacologie a récemment mis au jour ces ressemblances. Bien que le fumeur commence la cigarette en général avant 18 ans, la dépendance au bulletin de vote devient aussi forte que celle due à la nicotine et ce, statistiquement, vers l’âge de la majorité. Les raisons qui poussent l’individu à voter ou à fumer sont d’ailleurs strictement identiques : sentiment d’appartenir à une communauté, impression de contenance et de supériorité sur l’autre, sensation de plaisir extrêmement passager et volonté délibérée de passer pour un adulte aux yeux de ses petits camarades.

De même que l’on parle de « tabagisme passif », il existe un
« l’électoralisme passif » qui consiste à se faire insulter en période électorale.

Vous allez me demander : qu’ai-je à gagner en arrêtant de voter ? Tout d’abord de l’argent. En effet, vous pensez que le vote est entièrement gratuit, contrairement à la cigarette. Demandez vous alors simplement qui finance les campagnes électorales et vous prendrez conscience que, là encore, le tabac et le bulletin sont des voisins de pallier. Finalement, l’électeur n’est qu’un candidat raté, souffrant d’une « déception du troisième tour ». Et si vous additionnez l’ensemble des électeurs, vous additionnez également l’ensemble de leur traumatisme, si bien que le suffrage universel se transforme en ratage universel. Pour résumer cette sensation déceptive, rappelons ce dicton suisse : dimanche, votation ; lundi, à l’usine. Ou encore : votez aujourd’hui, regrettez-le demain. Une fois que vous avez donné votre voix, vous n’avez en effet plus rien à dire, si bien que l’on peut parler dans le cadre du vote, de voix de garage.

Mes cher-es ami-es, ce séminaire est d’une importance capitale pour toutes celles et tous ceux d’entre vous qui s’imaginent encore que le vote changera quelque chose à leur existence tout comme les enfants imaginent le Père Noël au pied de leur lit. Rappelez-vous que, sexuellement parlant, le vote est avant tout un droit masculin. Il n’a été que chichement concédé aux femmes comme un os à ronger pour leur faire oublier que c’est toujours elles qui descendent les poubelles.

Monique : D’accord, c’est bien gentil vos histoires de cigarettes et de vote, m’enfin vous n’avez pas des arguments plus sérieux tout de même ?

Nicolas : Si ! Elisée Reclus.

Monique : Elisée Reclus ?

Nicolas : Oui, Elisée Reclus, 1830 – 1905, il est l’auteur de la célèbre expression, « L’anarchie est la plus haute expression de l’ordre. » Écoutez cette lettre adressée à Jean Grave insérée dans Le Révolté en 1885.

Voter, c’est être dupe ; c’est croire que des hommes comme vous acquerront soudain, au tintement d’une sonnette, la vertu de tout savoir et de tout comprendre. L’histoire vous enseigne que le contraire a lieu. Le pouvoir a toujours affolé, le parlotage a toujours abêti. Dans les assemblées souveraines, la médiocrité prévaut fatalement.

Voter c’est évoquer la trahison. Sans doute, les votants croient à l’honnêteté de ceux auxquels ils accordent leurs suffrages — et peut-être ont-il raison le premier jour, quand les candidats sont encore dans la ferveur du premier amour. Mais chaque jour a son lendemain. Dès que le milieu change, l’homme change avec lui. Aujourd’hui, le candidat s’incline devant vous, et peut-être trop bas ; demain, il se redressera et peut-être trop haut. Il mendiait les votes, il vous donnera des ordres. L’ouvrier, devenu contremaître, peut-il rester ce qu’il était avant d’avoir obtenu la faveur du patron ? Le fougueux démocrate n’apprend-il pas à courber l’échine quand le banquier daigne l’inviter à son bureau, quand les valets des rois lui font l’honneur de l’entretenir dans les antichambres ?

L’atmosphère de ces corps législatifs est malsain à respirer, vous envoyez vos mandataires dans un milieu de corruption ; ne vous étonnez pas s’ils en sortent corrompus.

N’abdiquez donc pas, ne remettez donc pas vos destinées à des hommes forcément incapables et à des traîtres futurs. Ne votez pas ! Au lieu de confier vos intérêts à d’autres, défendez-les vous-mêmes ; au lieu de prendre des avocats pour proposer un mode d’action futur, agissez !

Les occasions ne manquent pas aux hommes de bon vouloir. Rejeter sur les autres la responsabilité de sa conduite, c’est manquer de vaillance. Je vous salue de tout cœur, compagnons.

Monique : concrètement, le droit de vote, ça donne quoi ?

Nicolas : Concrètement ?

Monique : Oui, les grands textes, les grandes idées, tout le monde peut les entendre mais dans la réalité ?

Nicolas : Venez, je vous emmène dans un village beauceron où Gaston Couté nous raconte un jour de vote.

Monique : Gaston comment ?

Nicolas : Gaston Couté, qui a vécu de 1880 à 1911. On chantait ses chansons dans tous les lieux populaires. C’est à la fois le patois du paysan de la Beauce et le jargon pittoresque de Gavroche.

Gaston Couté, les électeurs

Ah ! bon Guieu qu’des affich’s su’ les portes des granges !

C’est don’ qu’y a ’cor queuqu’ baladin an’hui dimanche

Qui dans’ su’ des cordieaux au bieau mitan d’la place ?

Non, c’est point ça !... C’tantoût on vote à la mairie

Et les grands mots qui flût’nt su’ l’dous du vent qui passe :

Dévouement !... Intérêts !... République !... Patrie !...

C’est l’Peup’ souv’rain qui lit les affich’s et les r’lit...

(Les vach’s, les moutons,

Les oué’s, les dindons

S’en vont aux champs, ni pus ni moins qu’tous les aut’s jours

En fientant d’loin en loin l’ long des affich’s du bourg.)

Les électeurs s’en vont aux urn’s en s’rengorgeant,

" En route !... Allons voter !... Cré bon Guieu ! Les bounn’s gens !...

C’est nous qu’je t’nons à c’t’heur’ les massins d’la charrue,

J’allons la faire aller à dia ou ben à hue !

Pas d’abstentions !... C’est vous idé’s qui vous appellent...

Profitez de c’que j’ons l’suffrage univarsel ! "

(Les vach’s, les moutons,

Les oué’s, les dindons

Pàtur’nt dans les chaum’s d’orge à bell’s goulé’s tranquilles

Sans s’ment songer qu’i’s sont privés d’leu’s drouéts civils.)

Y a M’sieu Chouse et y a M’sieu Machin coumm’ candidat.

Les électeurs ont pas les mêm’s par’s de leunettes :

— Moué, j’vot’rai pour c’ti-là !... Ben, moué, j’y vot’rai pas !...

C’est eun’ foutu crapul’ !... C’est un gas qu’est hounnéte !...

C’est un partageux !... C’est un cocu !... C’est pas vrai !...

On dit qu’i fait él’ver son goss’ cheu les curés !...

C’est un blanc !... C’est un roug’ !... - qu’i’s dis’nt les électeurs :

Les aveug’els chamaill’nt à propos des couleurs.

(Les vach’s, les moutons,

Les oué’s, les dindons

S’fout’nt un peu qu’leu’ gardeux ait nom Paul ou nom Pierre,

Qu’i’ souét nouer coumme eun’ taupe ou rouquin coumm’ carotte

l’s breum’nt, i’s bél’nt, i’s glouss’nt tout coumm’ les gens ’ qui votent

Mais i’s sav’nt pas c’que c’est qu’gueuler : " Viv’ Môssieu l’maire ! ")

C’est un tel qu’est élu !... Les électeurs vont bouére

D’aucuns coumme à la nec’, d’aut’s coumme à l’entarr’ment,

Et l’souér el’ Peup’ souv’rain s’en r’tourne en brancillant… Y a du vent ! Y a du vent qui fait tomber les pouéres !

(Les vach’s, les moutons,

Les oué’s, les dindons

Prenn’nt saoûlé’ d’harb’s et d’grains tous les jours de la s’maine

Et i’s s’mett’nt pas à chouér pasqu’i’s ont la pans’ pleine.)

Les élections sont tarminé’s, coumm’ qui dirait

Que v’là les couvraill’s fait’s et qu’on attend mouésson...

Faut qu’les électeurs tir’nt écus blancs et jaunets.

Pour les porter au parcepteur de leu’ canton ;

Les p’tits ruissieaux vont s’pard’ dans l’grand fleuv’ du Budget

Oùsque les malins péch’nt, oùsque navigu’nt les grous.

Les électeurs font leu’s courvé’s, cass’nt des cailloux

Su’la route oùsqu’ leu’s r’présentants pass’nt en carrosses

Avec des ch’vaux qui s’font un plaisi’ — les sal’s rosses ! -

De s’mer des crott’s à m’sur’ que l’Peup’ souv’rain balaie...

(Les vach’s, les moutons,

Les oué’s, les dindons

S’laiss’nt dépouiller d’leu’s oeufs, de leu’ laine et d’leu’ lait

Aussi ben qu’s’i’s — z— avin pris part aux élections.)

Boum !... V’là la guerr’ !... V’là les tambours qui cougn’nt la charge...

Portant drapieau, les électeurs avec leu’s gâs

Vont terper les champs d’blé oùsqu’i’is mouéssounn’ront pas.

— Feu ! qu’on leu’ dit — Et i’s font feu ! — En avant Arche !—

Et tant qu’i’s peuv’nt aller, i’s march’nt, i’s march’nt, i’s marchent...

...Les grous canons dégueul’ent c’qu’on leu’ pouss’ dans l’pansier,

Les ball’s tomb’nt coumm’ des peurn’s quand l’vent s’cou’ les peurgniers

Les morts s’entass’nt et, sous eux, l’sang coul’ coumm’ du vin

Quand troués, quat’ pougn’s solid’s, sarr’nt la vis au persoué

V’là du pâté !... V’là du pâté de peup’ souv’rain !

(Les vach’s, les moutons,

Les oué’s, les dindons

Pour le compte au farmier se laiss’nt querver la pieau

Tout bounnment, mon guieu !... sans tambour ni drapieau.)

...Et v’là !... Pourtant les bét’s se laiss’nt pas fer’ des foués !

Des coups, l’ tauzieau encorne el’ saigneux d’l’abattoué...

Mais les pauv’s électeurs sont pas des bét’s coumm’s d’aut’es

Quand l’temps est à l’orage et l’vent à la révolte...

I’s votent !...

Serge Utgé-Royo chante Je ris de vos importances

Monique : Moi aussi je ris de leur importance !! L’importance des princes, des rois, des gouvernants, des puissants...

Nicolas : Et forcément des Présidents !

Monique : Cela va de soi...

Nicolas : Alors écoutez ce cri contre l’oppression que lance Marie-Victoire Louis dans un texte intitulé « De quel Droit ? »

Monsieur le Président,

Je ne veux plus de vos ami-es

Je ne veux plus conforter votre égo

Je ne veux plus de vos impositions

Je ne veux plus des miettes que vous nous jetez après vous êtes servis

Je ne veux plus de vos pseudo programmes auxquels personne ne croit plus

Je ne veux plus de votre droit à décider de tout et de rien et que vos décisions fassent loi

Je ne veux plus de vos de vos commentaires et de vos analyses, de votre pédagogie, de votre propagande, de votre cinéma

Je ne veux plus de votre petitesse et de votre suffisance, de vos préjugés et de vos sophismes, de vos alliances et de vos retournements, de vos replâtrages et de vos esquives, de vos envies et de vos mensonges

Monique : Je n’en veux plus, je n’en veux plus, je n’en veux plus !

Nicolas : C’est le rejet, le dégoût, le haut le cœur, l’overdose. Voter pour perpétuer la destruction du monde que vous nous imposez, ça suffit !

Monique : Ca suffit ! Ca suffit !

Nicolas : Voter pour cautionner la permanence de vos fausses alternatives, de vos calculs à la petite semaine et de vos coups fourrés, de vos prébendes et de votre corruption, de vos passe-droits et de vos trucages.

Monique : Ca suffit !

Nicolas : Voter pour lire, voir, savoir que, chaque jour, des femmes sont violées,

Monique : violées...

Nicolas : harcelées,

Monique : harcelées...

Nicolas : humiliées,

Monique : humiliées...

Nicolas : injuriées,

Monique : injuriées...

Nicolas : assassinées,

Monique : assassinées...

Nicolas : prostituées,

Monique : prostituées...

Nicolas : torturées,

Monique : torturées...

Nicolas : abandonnées avec leurs enfants ou contraintes à les élever seules, sans que la cohérence de cette réalité n’atteigne même votre conscience.

Monique : ça suffit !

Je ne veux plus m’indigner

Je ne veux plus être représentée

Je ne veux plus que vous décidiez pour moi

Je ne veux plus suivre personne

Je ne veux plus que vous envahissiez mon monde

Je ne veux plus justifier le mépris dont vous m’accablez

Je ne veux plus avoir pour horizon mental celui de vous critiquer

Je ne vote plus

Nicolas : Ne pas voter n’a rien de neuf, n’est pas grand chose et ne résout rien. Mais l’affirmer la tête haute — et non plus simplement s’abstenir — permet de dire, de penser politiquement en disant : « Je », sans honte, fièrement. La tête enfin libérée de vos enfermements, de vos catégories mentales et de votre « démocratie ».

Plus libre enfin de penser plus librement.

Sans vous, sans vos journalistes — sans lesquels vous n’existeriez pas — sans vos porte paroles et vos beaux parleurs, vos militant-es et vos petites mains, vos spécialistes et vos sondeurs, votre ‘com’ et vos sbires

Sans vos partis

Sans votre parlement

Monique : Vous n’existez que par la fiction de mon vote. La caution de votre monde est devenue trahison du mien. Trop d’espoirs, trop de vies, depuis des siècles, ont été perdu- es, sacrifé-es, si souvent, en vain. Le chantage à « la démocratie » — mère légitime de tant d’oppressions — a assez duré. Tant que celle-ci ne sera pas frontalement critiquée, nous resterons pris-es dans ses filets qui nous étouffent

Nicolas : Mais, à propos... :

Si l’on vous retire les décisions prises - quoi que vous en disiez, en votre nom et place — par les agences de notation, les bourses et les banques, l’OTAN et les marchands de canon, l’OMC, le FMI, l’ONU et son Conseil de Sécurité, l’OMS, la FAO, l’Union européenne, les entreprises, multinationales ou non, les services secrets, les mafias diverses et variées, la presse.... Et j’en passe...

Que reste t-il alors de votre pouvoir ? :

Monique : Les symboles

Nicolas : Nous en avons aussi. Et des plus neufs

Monique : Le choix des personnes au banquet

Nicolas : Nous n’acceptons plus vos invitations. Et nous ne voulons plus exclure personne

Monique : Le monopole de la force, du droit que vous exercez contre nous, depuis si longtemps

Nicolas : Nous ne voulons plus de ces violences institutionnelles

Monique : Nous avons assez de ces injustices, si souvent, hors sujet, Si elles se perpétuent encore, qu’il soit clair qu’elle s’exerce sans l’aval, sans la caution, sans l’accord de ceux et celles à qui vous l’imposez

Nicolas : Nous sommes si nombreux et si nombreuses à vouloir vivre autrement, sans rien donc — ou pas grand-chose — attendre de vos élections, sans solution de rechange toute faite, sans programme clé en main, sans
plan B.

Monique : Avec nos histoires, nos réflexions, nos intelligences, nos aspirations, nos refus, notre lucidité et surtout nos volontés de changer ce monde que vous menez, sans excès de scrupules, droit dans le mur.

Léo Ferré chante Ils ont voté

Nicolas : vous venez d’entendre Léo Ferré, ils ont voté et puis après...

Monique : ...et puis après... après quoi ?!

Philippe Malone, Morituri

Après, je suis élu.

Monique : bravo !! bravo !!

Nicolas : Je suis élu...

Monique : bravo, oui bravo !!!!

Nicolas : Tout a été simple.

Monique : Ohhhh...

Nicolas : Lorsque j’ai débuté, je me souviens encore, on misait peu sur ma carrière politique. Trop prompt à réagir disait-on, pas assez réfléchi.

Monique : oh, en plus il est modeste...

Nicolas : Si bien qu’on médisait, on s’esclaffait, on m’offrait des estrades pour pouvoir s’extasier, mon dieu, j’étais si comique, j’étais si fringant,

Monique : oh, oui vraiment quel charme...

Nicolas : Ma présence alors distrayait les débats, excitait les cours lasses le soir dans les palais par des coups de gueule brusques sur les plateaux télés.

Mais c’était le début.

Monique : oh....

Nicolas : Mais c’était aux aurores.

Mais c’était mal connaître la fureur du torrent peu soucieux des eaux brunes que son courant charrie.

Monique : quel poète !

Nicolas : Je me suis construit ainsi, pour m’asseoir comme on dit sur cette base populaire, on s’assoit sur sa base d’abord, ensuite vous connaissez...

Ainsi ce fut simple.

Ivre de gloire de puissance et d’abîme, la mémoire et l’histoire s’excusant sur ma route, j’épousais à merveille les délires de l’époque, ange exterminateur surgi des fonds de l’Histoire (faisant mine de tirer sur le public avec un fusil) Tatatatatatatatatatatatatata !

Dérapages obscènes et calculés,

Répliques cajoleuses,

Amalgames douteux,

Entrechats,

Demi-pointes,

Les excuses et les pardons,

Les mensonges et les feintes,

J’employais tout mon souffle pour conclure et gagner.

Monique : Oh oui, bravo, bravo, félicitations, bravooooo !!!!!

Nicolas : Tout fut simple parce que moi, moi je jubilais, pensez, toute cette poussière levée, toutes ces traces effacées tous ces repaires brouillés préparaient ma venue : ils claironnaient mon nom au milieu du brouillard, ils imploraient la grâce sans en cerner le prix. Toute la haine semée au cours de ma carrière, voyez vous, je n’eus plus qu’à la moissonner, les terreaux sont fertiles lorsque la pourriture croît.

Ainsi tout devint simple

Les discours s’adoucirent

Les journaux se calmèrent

J’avais droit aux chroniques

Au sérieux des dîners !

Monique : C’est un homme du monde, j’en étais sûre...

(un temps)

Nicolas : Impossible dites-vous ?

Souvenez-vous.

Le monde vivait mal, vous ne le nierez pas, il trimballait sa crainte dans des ventres grondants, il glissait, simplement, il engonçait son cul dans l’habitude. Je ne fis que poursuivre ; le chemin existait et j’osais et j’hurlais je crachais je dégueulais

Ordre

Monique : bravo !

Nicolas : Rupture

Monique : bravo !

Nicolas : Nature

Monique : bravo !

Nicolas : Invasion

Monique : bravo !

Nicolas : Déchéance

Monique : bravo !

Nicolas : Race

Monique : bravo !

Nicolas : Patrie

Monique : bravo !

Nicolas : Et pourris

Tous pourris

La harangue violente, le regard inspiré, mes invectives s’enflaient en crachat torrentueux, j’élevais pour chacun, pour une foule sursitaire la vengeance virile en hymne national, je lui offrais un monde plus étroit qu’un cercueil. J’ai défendu cela !

Monique : Quel courage...

Nicolas : J’ai exigé le pire — mais qu’est-ce que le pire ? Et ainsi ce fut simple ! Ils écoutaient, calmement, ils acquiesçaient.

Monique : oui, oui, oui, oui...

Nicolas : Alors ce fut simple, l’exaltation du fort, la condamnation du faible, le retour de la race. Pourtant je peux l’avouer maintenant, je vous ai craint longtemps.

Monique : il ne fallait pas, voyons...

Nicolas : J’ai eu peur souvent, vous savez ce que c’est, on surestime l’autre à force de l’avilir, on l’attend, on le guette, on se prépare au pire, on n’envisage plus on hésite on repousse, si bien que lorsqu’il arrive enfin le démon démocrate, l’hydre parlementaire tant de fois redoutée, on ose à peine y croire, on perd toute contenance, comprenez on en attendait tant, une guerre un combat une résistance que sais-je, un crachat pour l’honneur, une salve pour l’histoire, pour les morts et la honte.

Pour l’avenir qui sait

Pour l’héritage Mais rien Rien du tout. Ils m’ont tous suivi.

Monique : oui...

Nicolas : Ils se sont avilis

Monique : oui...

Nicolas : Ils ont bouffé les restes

Monique : oui...

Nicolas : Mais qu’importe après tout.

Oublions oubliez. Ecoutez aux fenêtres les lendemains frapper, écoutez dans la rue, voyez la s’élever ma victoire jusqu’aux cieux, touchez-la, gouttez-la sous les bottes et les chants, sous les flammes et le sang, écoutez le dehors écoutez le mugir mon triomphe pour mille ans, écoutez le s’enfler comme une frustration mâle, brusquez par les chants militaires, par mes phalanges brunes, écoutez les brailler écoutez les vômir, ils ont la rage altière mes chéris, ils ont l’excitation franche avant le grand trépas, ils attendent leur maître ils réclament le fouet, ils seront bientôt fiers, ils seront bientôt las je vous le garantis, vous ne serez pas déçu-es.

Nicolas : Venez à moi

Monique : je viens...

Nicolas : Venez au père

Monique : oui...

Nicolas : Venez en masse

Monique : oh oui...

Nicolas : Venez aux pieds

Monique : c’est tellement bon...

Nicolas : Venez chérir

Monique : encore...

Nicolas : Venez sombrer

Monique : oh ouiiii !!!!!!!

Nicolas : Vous m’avez tant élu

Monique : Oui, comme vous dites, on les a tant élus qu’ils s’en mettent plein les poches et finissent chez le juge d’instruction.

Mise en examen, Nicolas Mourer

Bonjour Monsieur le Député. Asseyez-vous, je vous en prie. Je me présente : Olivier Collage, je suis chargé d’instruire votre dossier. Pardon ? Vous m’imaginiez plus grand ? Espérons que la compétence ne se mesure pas au nombre de centimètres Monsieur le Député.

Votre avocat ? Ne vous en faites pas, il va arriver. Il doit être pris dans les embouteillages. Mais ça ne nous empêche pas de bavarder un peu : donc... Comment ? Ce que je veux ? Mais je vais vous dire ce que je veux...

Je veux procéder à votre mise en examen pour abus de bien sociaux, abus de confiance, présentation de comptes inexacts, et j’en passe en attendant votre avocat ça vous convient ? Et tout ça, avec l’argent du contribuable. Vous êtes le numéro 1 du parti Monsieur le Député, c’est normal que je vous demande des comptes. Après j’interrogerai le numéro 2, et le numéro 3 et ainsi de suite.

Ah, voilà votre avocat... Maître Parlebas, bonjour... Oui, votre client a besoin de médicament, j’ai entendu, ça se voit ; il sera examiné à la maison d’arrêt, comme c’est la règle. Alors, allons y... Si je comprends bien, deux gouvernements successifs vous ont accordé leur confiance en vous octroyant des portefeuilles de ministre, et visiblement vous pensez que cette confiance vous exonère de toute responsabilité. Je vous explique : ces portefeuilles, il semble que vous en ayez un petit peu abusé, Monsieur le Député. Vous le savez aussi bien que moi, non ? Le petit jeu des commissions... Les morts que vous avez fait voter pour faire élire votre collègue en échange de quelques émoluments compensatoires...

Comment ça vous ne pouvez pas tout vérifier, mais moi je peux le faire...

Hein ? Vous dites ? C’est pas si simple ? Mouais, c’est pas si compliqué. Il suffit de regarder les listes : un mort, ça ne vote pas, Monsieur le Député. Ah ! Vous n’étiez pas au courant ! Ah bon...

Mais revenons sur terre, moi je vais vous dire ce que je constate. Je constate que vous avez honteusement profité de la situation et que vous avez poursuivi un but d’enrichissement personnel au profit de votre famille et de vos amis en détournant l’argent des contribuables et en touchant des « dessous de tables » de la part des collègues que vous avez faits élire, Monsieur le Député. Oui, je connais le refrain, vous venez d’un milieu qui connaît la valeur du travail, qui a gravi les échelons un à un avec effort et persévérance. Je vous sais gré de m’épargner la grandeur de la France... Comment ? Mais je n’ai pas du tout l’intention de vous piéger, Monsieur le Député.

Vous vous souvenez de votre ami, Monsieur Delhombre ? il s’est improvisé consultant politique, activité assez lucrative, apparemment. Vous lui trouviez des clients de choix, et il vous reversait quelques royalties. Il s’est montré très généreux avec vous apparemment... Tellement qu’il en a pris peur et que je ne trouve plus trace de lui... vous non plus je suppose ? Ah, vos activités sont séparées ? Oui, c’est marrant, j’ai remarqué que tout était très cloisonné chez vous, Monsieur le Député. Savez-vous oui ou non ou se trouve votre ami Delhombre ? Aux Seychelles ? Bien sûr, où ai-je la tête : Delhombre est au soleil. Enfin, dites lui de revenir rapidement dans les parages, je pourrais être amené à entendre sa déposition.

(Le Juge sort une photo, celle d’une femme très élégante)

Regardez cette photo, Monsieur le Député. Cette femme, vous la connaissez ? C’est qui elle ? Comment, votre collaboratrice ? Je vais être un tout petit peu plus précis que vous : c’est votre ancienne maîtresse dont vous avez fait votre collaboratrice. Elle lui va très bien d’ailleurs cette robe. Il y en a pour combien là-dessus ? Non mais je sais pas, la robe, les bijoux, le pull ! Combien ? Vous ne connaissez pas le prix ? Attendez...

Vous habillez une femme de la tête au pied, sans compter les à-côtés, hôtels, voyages, restaurants, et vous ne connaissez pas le prix ?... Et beh, heureusement qu’chuis là. Décembre dernier, voilà un relevé de toutes les factures payées avec la carte de votre parti, me semble-t-il. Vous auriez pu être un peu plus discret... Oui, c’est insensé, j’vous l’fais pas dire... Je vous apporte un verre d’eau, mais répondez à ma question d’abord, Monsieur le Député : comment justifiez-vous ces dépenses ? Vous ne savez pas... Ecoutez ce n’est pas de ma faute si vous avez une double vie mais ne mélangez pas les espaces...

Tenez, parlez moi de ces commissions extravagantes que vous avez versées depuis le début de votre mandat : dossier « Hérode » ; vous êtes d’accord avec la somme ? Vous pensez que c’est monnaie courante... Monnaie courante, monnaie courante, le mot est plaisant, mais ce n’est pas l’avis de la cour des comptes, Monsieur le Député, il semble que vous ayez fait un usage imprévu des deniers de l’Etat... Vous voulez que je vous explique : on lance une campagne électorale, on surévalue le coût de l’opération, et on se sert au passage. Ca s’appelle des rétrocommissions que vous avez placées sur un compte à l’étranger, Monsieur le Député, et elles prouvent que vous avez blousé vos adhérents, vos électeurs et que vous vous êtes piégé tout seul.

Voilà les factures : aspirateur de piscine dernier modèle, 4000 euros, la piscine, forcément, 50 000 euros, et encore ça ne comprend pas le SPA qu’elle vous a fait changer de place. Deux SPA, deux forages : une bagatelle... Bon, enfin ça c’est pas pour vous faire peur, c’est tout de même sur le compte de votre parti... Vous savez combien de gens gagnent le smic en France, Monsieur le Député ?

Bon, ben, moi j’ai fini pour aujourd’hui. Maître Parlebas, je vous laisse étudier le dossier de Monsieur Le Député. Ah oui, ça, il y a beaucoup de pages, oui, mais votre client me donne énormément de travail vous savez ? Et puis vous avez tout l’après-midi pour vous y mettre, et au passage, je vous serai reconnaissant d’être un peu plus coopérant lors de notre prochain rendez-vous, Monsieur le Député, ce n’est pas la France qui a besoin de vous, ce sont vos enfants.

Je vous souhaite bon courage.

(Nicolas chante)

Bien qu’on nous dise en République

Qui tient encore comme autrefois

La finance et la politique,

Les hauts grades et les bons emplois,

Qui s’enrichit et fait ripaille,

Qui met le peuple sur la paille ?

C’est qui ? C’est qui ? Toujours la bande à Riquiqui !

Monique : Ca y est ? Vous recommencez à pousser la chansonnette ?

Nicolas : C’est gênant...

Monique : hein ?...

Nicolas : je vous demande si c’est gênant.

Monique : non pas du tout mais je songe à quelque chose de plus grave, de plus important, quelque chose vous fait passer l’envie de voter, un texte qu’Octave Mirbeau a publié dans le Figaro du 28 Novembre 1888.

Nicolas : Vous pouvez préciser ?

Monique : Et bien, je suis étonnée qu’à l’heure où je vous parle, après les innombrables expériences, après les scandales journaliers, il puisse exister encore dans notre chère France un électeur, un seul électeur, cet animal irrationnel, inorganique, hallucinant, qui consente à se déranger de ses affaires, de ses rêves ou de ses plaisirs, pour voter en faveur de quelqu’un ou de quelque chose. Je comprends qu’un escroc trouve toujours des actionnaires, la Censure des défenseurs, le Figaro des abonnés ; je comprends tout. Mais qu’un député, ou un sénateur, ou un président de République, ou n’importe lequel parmi tous les étranges farceurs qui réclament une fonction élective, quelle qu’elle soit, trouve un électeur,

Nicolas : c’est-à-dire l’être irrêvé, le martyr improbable, qui vous nourrit de son pain, vous vêt de sa laine, vous engraisse de sa chair, vous enrichit de son argent, avec la seule perspective de recevoir, en échange de ces prodigalités, des coups de trique sur la nuque, des coups de pied au derrière, quand ce n’est pas des coups de fusil dans la poitrine, en vérité, cela dépasse les notions déjà pas mal pessimistes que je m’étais faites jusqu’ici de la sottise humaine, en général, et de la sottise française en particulier.

Monique : notre chère et immortelle sottise !

Nicolas : Il est bien entendu que je parle ici de l’électeur averti, convaincu, de l’électeur théoricien, de celui qui s’imagine, le pauvre diable, faire acte de citoyen libre, étaler sa souveraineté, exprimer ses opinions, imposer — ô folie admirable et déconcertante — des programmes politiques et des revendications sociales ; mais les autres ?

Monique : Ah ! oui, les autres ! Les sérieux, les austères, les « peuple souverain », ceux-là et celles-là qui sentent une ivresse les gagner lorsqu’ils/elles se regardent et se disent : « Je suis électeur ! Je suis électrice ! Rien ne se fait que par moi. Je suis la base de la société moderne. Comment y en a-t-il encore de cet acabit ? Comment, si entêtés, si orgueilleux, si paradoxaux qu’ils soient, n’ont-ils pas été, depuis longtemps, découragés et honteux de leur œuvre ?

Nicolas : Comment peut-il arriver qu’il se rencontre quelque part, même dans le fond des landes perdues de la Bretagne, même dans les inaccessibles cavernes des Cévennes et des Pyrénées, un bonhomme assez stupide, assez déraisonnable, assez aveugle à ce qui se voit, assez sourd à ce qui se dit, pour voter bleu, blanc ou rouge, sans que rien l’y oblige, sans qu’on le paye ou sans qu’on le soûle ?

Monique : À quel sentiment baroque, à quelle mystérieuse suggestion peut bien obéir ce bipède pensant, doué d’une volonté, à ce qu’on prétend, et qui s’en va, fier de son droit, assuré qu’il accomplit un devoir, déposer dans une boîte électorale quelconque un quelconque bulletin, peu importe le nom qu’il ait écrit dessus ?...

Nicolas : Qu’est-ce qu’il doit bien se dire, en dedans de soi, qui justifie ou seulement qui explique cet acte extravagant ?

Monique : Qu’est-ce qu’il espère ? Car enfin, pour consentir à se donner des maîtres avides qui le grugent et qui l’assomment, il faut qu’il se dise et qu’il espère quelque chose d’extraordinaire que nous ne soupçonnons pas. Il faut que, par de puissantes déviations cérébrales, les idées de député correspondent en lui à des idées de science, de justice, de dévouement, de travail et de probité ;

Nicolas : Et c’est cela qui est véritablement effrayant. Rien ne lui sert de leçon, ni les comédies les plus burlesques, ni les plus sinistres tragédies.

Monique : Voilà pourtant de longs siècles que le monde dure, que les sociétés se déroulent et se succèdent, pareilles les unes aux autres, qu’un fait unique domine toutes les histoires : la protection aux grands, l’écrasement aux petits. Il ne peut arriver à comprendre qu’il n’a qu’une raison d’être historique, c’est de payer pour un tas de choses dont il ne jouira jamais, et de mourir pour des combinaisons politiques qui ne le regardent point. Que lui importe que ce soit Pierre ou Jean qui lui demande son argent et qui lui prenne la vie, puisqu’il est obligé de se dépouiller de l’un, et de donner l’autre ? Eh bien ! non. Entre ses voleurs et ses bourreaux, il a des préférences, et il vote pour les plus rapaces et les plus féroces. Il a voté hier, il votera demain, il votera toujours. Les moutons vont à l’abattoir. Ils ne se disent rien, eux, et ils n’espèrent rien. Mais du moins ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera, et pour le bourgeois qui les mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les moutons, l’électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a fait des Révolutions pour conquérir ce droit.

Nicolas : Ô électeur, Ô électrice, inexprimable imbécile, pauvre hère, si, au lieu de te laisser prendre aux rengaines absurdes que te débitent chaque matin, pour un sou, les journaux grands ou petits, bleus ou noirs, blancs ou rouges, et qui sont payés pour avoir ta peau ; si, au lieu de croire aux chimériques flatteries dont on caresse ta vanité, dont on entoure ta lamentable souveraineté en guenilles, si, au lieu de t’arrêter, éternel badaud, devant les lourdes duperies des programmes ; si tu lisais parfois, au coin du feu, Schopenhauer et Max Nordau, deux philosophes qui en savent long sur tes maîtres et sur toi, peut-être apprendrais-tu des choses étonnantes et utiles. Peut-être aussi, après les avoir lus, serais-tu moins empressé à revêtir ton air grave et ta belle redingote, à courir ensuite vers les urnes homicides où, quelque nom que tu mettes, tu mets d’avance le nom de ton plus mortel ennemi. Ils te diraient, en connaisseurs d’humanité, que la politique est un abominable mensonge, que tout y est à l’envers du bon sens, de la justice et du droit, et que tu n’as rien à y voir, toi dont le compte est réglé au grand livre des destinées humaines.

Monique : Rêve après cela, si tu veux, des paradis de lumières et de parfums, des fraternités impossibles, des bonheurs irréels. C’est bon de rêver, et cela calme la souffrance.

Nicolas : Mais ne mêle jamais l’homme à ton rêve, car là où est l’homme, là est la douleur, la haine et le meurtre. Surtout, souviens-toi que l’homme qui sollicite tes suffrages est, de ce fait, un malhonnête homme, parce qu’en échange de la situation et de la fortune où tu le pousses, il te promet un tas de choses merveilleuses qu’il ne te donnera pas et qu’il n’est pas d’ailleurs, en son pouvoir de te donner.

Nicolas : L’être humain que tu élèves ne représente ni ta misère, ni tes aspirations, ni rien de toi ; il ne représente que ses propres passions et ses propres intérêts, lesquels sont contraires aux tiens.

Monique : Pour te réconforter et ranimer des espérances qui seraient vite déçues, ne va pas t’imaginer que le spectacle navrant auquel tu assistes aujourd’hui est particulier à une époque ou à un régime, et que cela passera. Toutes les époques se valent, et aussi tous les régimes, c’est-à-dire qu’ils ne valent rien.

Nicolas : Donc, rentre chez toi, bonhomme, et fais la grève du suffrage universel. Tu n’as rien à y perdre, je t’en réponds ; et cela pourra t’amuser quelque temps. Sur le seuil de ta porte, fermée aux quémandeurs d’aumônes politiques, tu regarderas défiler la bagarre, en fumant silencieusement ta pipe. Monique : Et s’il existe, en un endroit ignoré, un honnête homme capable de te gouverner et de t’aimer, ne le regrette pas. Il serait trop jaloux de sa dignité pour se mêler à la lutte fangeuse des partis, trop fier pour tenir de toi un mandat que tu n’accordes jamais qu’à l’audace cynique, à l’insulte et au mensonge.

Monique et Nicolas : Je te l’ai dit, auditeur ou auditrice, rentre chez toi et fais la grève.

(Nicolas chante)

La bande à Riquiqui

Bien qu’on nous dise en République

Qui tient encore comme autrefois

La finance et la politique,

Les hauts grades et les bons emplois,

Qui s’enrichit et fait ripaille,

Qui met le peuple sur la paille ?

C’est qui ? C’est qui ? Toujours la bande à Riquiqui !

Qui fait l’assaut des ministères

pour s’engraisser à nos dépens,

Qui joue encore au militaire

avec la peau de nos enfants,

Qui ne rêve que plaies et bosses

Pourvu qu’on fasse bien la noce ?

C’est qui ? C’est qui ? Toujours la bande à Riquiqui !

Qui se fait pitre et Saltimbanque

pour décrocher le plus de voix,

Qui fait du prêt et de la banque

Comme Cartouche au coin d’un bois,

Et par un train à grande vitesse

Qui file un jour avec la caisse ?

C’est qui ? C’est qui ? Toujours la bande à Riquiqui !

Les mots ne donnent pas de pain

Car nous voyons dans la grand ville

Travailleurs cherchant un asile

Et enfants un morceau de pain

Qui fait payer toujours payer

Le paysan et l’ouvrier

C’est qui, c’est qui, toujours la bande à Riquiqui !

Bien qu’on nous dise en République

Il reste encore tout à changer

On nous parle de politique

On nous laisse rien à manger

Et qui se moque la panse pleine

Que tout le peuple meurt à la traine ?

C’est qui ? C’est qui ? toujours la bande à Riquiqui ! (Bis)

Nicolas : Ce séminaire est à présent terminé : merci de votre abstention.

Pour un sevrage complet avec immersion théâtrale :

01 45 26 50 89

labalancelle@free.fr