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La Désintégration. Film de Philippe Faucon
Christiane Passevant
Article mis en ligne le 19 janvier 2012
dernière modification le 24 décembre 2011

par CP

Le titre du nouveau film de Philippe Faucon, La Désintégration [1], est parfaitement juste sur plusieurs plans, tant symbolique, qu’ironique que physique. La Désintégration évoque la désintégration sociale qui est le pendant occulté de « l’intégration » médiatisée à outrance et en toute mauvaise foi par les politiques, les sociologues du sérail et les journalistes en mal de copie. Film courageux et percutant, la Désintégration bouscule les tabous, les jugements hâtifs et les idées reçues en cernant un problème social majeur, celui de la discrimination et de ses conséquences possibles. L’action du film se situe dans la banlieue lilloise, mais évidemment pourrait tout aussi bien se dérouler dans la banlieue d’une autre agglomération.

Le film décrit la dérive progressive de trois jeunes gens, Ali, Nasser et Nicolas (qui se fait appeler Hamza), âgés d’une vingtaine d’années, vers un islamisme radical. Leur rencontre avec Djamel, homme plus mature, les impressionne et bouleverse le cours de leur vie. Ce dernier les écoute et, jouant de leurs déceptions, de leur révolte, les manipule, les endoctrine et les coupe peu à peu de leur famille et de leurs amis. Djamel, le « recruteur », expert religieux, les entraîne, au prétexte de constat d’injustice sociale flagrante, vers un jihad meurtrier en cul-de-sac.

Comme auparavant dans plusieurs de ses films, Philippe Faucon explore le milieu de l’immigration avec une acuité rare et directe. Avec la Désintégration, il offre au public un film fort, libre des astuces convenues et des fioritures exotiques habituelles lorsque l’on traite ce sujet. Auteur du scénario, très documenté, Philippe Faucon sait de quoi il parle. Les trois jeunes gens, à l’orée d’une vie active, se trouvent confrontés au rejet social et rencontre Djamel qui fait basculer irrémédiablement leur avenir. Il connaît leur parcours, leurs difficultés, leurs frustrations, leurs espoirs déçus et en joue pour les embrigader dans une cellule islamiste. « Regarde où tu vis. Tu n’as droit et accès à rien » pourrait être le point de départ du basculement des trois garçons. L’endoctrinement ira jusqu’à la mort, après avoir coupé tout lien avec la réalité. D’abord le discours idéologique, xénophobe et violent au nom d’un islam originel, les isole de leur environnement familial et amical, puis, progressivement, ils s’excluent eux-mêmes.

La direction des acteurs et actrices est remarquable. Les personnages secondaires existent à l’écran au même titre que les principaux. La caméra filme en plans serrés les visages pour cerner l’évolution des personnages, les regards qui, peu à peu, se durcissent. Le rythme du récit fait monter une tension lourde jusques dans les détails pratiques de l’attentat qui créent un suspens jusqu’à la fin. On pense à Paradise Now [2] qui se passe entre Naplouse et Tel-Aviv et qui retrace le cheminement de trois jeunes Palestiniens des territoires occupés se préparant à un attentat-suicide. Une autre situation, un autre contexte politique il est vrai, les Territoires occupés ne sont pas comparables aux banlieues, mais il n’en reste pas moins une vision du désespoir dans les deux films et la tension qui demeure bien après les dernières images.

On se prend à espérer que des films français de cette intensité soient plus nombreux. Du vrai cinéma !

Sélectionné à la 68e Mostra de Venise hors compétition, la Désintégration a fait partie des films montrés en avant-première au 33e Festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier, CINEMED. Fidèle à ce festival, Philippe Faucon y a présenté en compétition La Trahison, en 2005, et, lors d’un hommage à son itinéraire cinématographique, en 2008, Dans la vie. Sortie nationale de La Désintégration : février 2012.

Philippe Faucon [3] : Le sujet du film m’a été proposé par deux jeunes producteurs que je ne connaissais pas et dont c’était pratiquement le premier long métrage. Le scénario n’était pas très bien écrit, mais je l’ai accepté parce qu’il rejoignait un intérêt que j’avais pour les questions abordées dans le film. Je m’étais intéressé notamment à l’histoire de Zacarias Moussaoui qui a revendiqué être le vingtième pirate de l’air dans l’attaque du World Trade Center et à celle d’autres personnes moins médiatisées. Je me rappelle avoir vu des photos de Zacarias Moussaoui, très jeune, sur lesquelles on voyait un jeune garçon plein de vie, souriant, ayant des relations avec des filles, très ami avec un garçon juif. Mais son évolution, due à diverses déceptions, a échappé à son entourage. J’ai lu le livre écrit par sa mère et celui de son frère [4]. Après ses études, déçu dans sa recherche de débouchés professionnels, Zacarias est parti en Angleterre et s’est éloigné de sa famille. Son frère et sa mère ont ensuite appris qu’il fréquentait une mosquée radicale de Londres. Les dernières images de lui montrent un personnage très différent des autres photos. Il a un regard vide, tient un discours de robot, très violent et judéophobe. Cela m’avait alors questionné sur le processus de ce type de changement.

Le projet du film rejoignait évidemment ces thématiques et j’ai donc accepté de le réaliser, mais le scénario traitait le problème de manière simpliste, attendue et stéréotypée. Le projet nous rassemblait, les producteurs et moi, mais en même temps nous savions qu’il ne serait pas facile à écrire ni à financer et qu’il ferait peur. Nous avons cependant décidé de l’entreprendre en travaillant beaucoup pour éviter les écueils que nous pressentions.

Christiane Passevant : Dans la première partie du film, vous placez en quelque sorte les personnages, vous expliquez la complexité de ce qui les anime. Dans la seconde partie, c’est la description du processus de transformation de vos personnages qui les conduit au terrorisme.

Philippe Faucon : Il se passe quelque chose insidieusement qui fait que le personnage principal s’isole de plus en plus et est exclu aussi. Dans son livre, le frère de Zacarias Moussaioui décrit ce phénomène. Lors d’une visite à Londres, il s’est aperçu que son frère avait été coupé de l’influence de ses parents et enfermé dans un discours à sens unique. C’est la même chose pour des cas de captations sectaires. C’est du même ordre, les gens sont manipulés et la première chose est de les couper de toute influence. Donc petit à petit, le personnage s’enferme, s’éloigne des siens parce qu’on les discrédite, et cette dérive va très loin dans le film. La fin du film a, pour moi, un sens métaphorique en même temps qu’elle est possible.

Éliane Olivares (RCF Maglone Hérault) : Le fait que vous soyez né au Maroc joue-t-il dans le choix du sujet de vos films ?

Philippe Faucon : Je suis né au Maroc et je vis avec une jeune femme d’origine algérienne, donc mon entourage est concerné par ces problèmes et c’est aussi cet entourage que je décris dans mes films. J’ai également entendu parler d’histoires semblables à celle du personnage du film, rapportées par des proches qui disaient — « on ne sait pas ce qui s’est passé. On lui a retourné la tête. Il a changé. » — sans bien sûr que cela aille aussi loin que pour Rachid. Mais il a des garçons qui sont partis en Bosnie, en Irak, ou qui se sont enfermés dans une attitude sectaire et de rejet de tout le reste.

Éliane Olivares (RCF Maglone Hérault) : Dans votre film, vous envisagez tous les cas de figures, plusieurs générations mais aussi plusieurs attitudes adoptées face à la société…

Philippe Faucon : Dans le film, plusieurs discours se revendiquent de l’islam, celui de l’imam, celui de la mère et celui du recruteur qui est au service d’un dessein politique.

Christiane Passevant : Concernant le personnage faisant partie de la « nébuleuse » islamiste, il n’y a pas d’éléments sur sa vie personnelle, vous êtes-vous basé sur les personnes qui recrutaient des jeunes dans les mosquées en Algérie durant les années 1990 ? Les recruteurs avaient un discours différent, sinon opposé, de l’imam, comme dans votre film.

Philippe Faucon : Pour construire ce personnage, nous nous sommes beaucoup documentés. J’ai rencontré à plusieurs reprises Mohamed Sifaoui, journaliste parfois contesté, mais qui a beaucoup travaillé sur ces questions. J’ai également rencontré des jeunes qui avaient eu ces tentations à certains moments et qui m’ont parlé de ce qui s’était passé. On trouve aussi beaucoup de choses sur Internet, notamment de la propagande radicale islamique. Et l’on voit bien sur quoi elle s’appuie et son danger. Mohamed Sifaoui l’explique très bien, dans leur discours pour approcher les jeunes, les recruteurs mélangent le vrai et le faux et il est parfois impossible de rejeter leurs allégations comme fausses. Quand ils disent aux jeunes, « regarde où tu vis. Tu n’as droit et accès à rien. », ce n’est pas évident de leur dire que c’est faux. Les arguments face à ce type de discours ne tiennent pas. L’un des jeunes que j’ai rencontré me disait que la manière dont ils procédaient était très simple, ils vont dans un quartier ghettoïsé, laissé à l’abandon, et approchent quelqu’un en lui disant : « Regarde ce qui se passe, voilà l’œuvre de la France. Ta sœur se prostitue, ton frère se drogue, tes amis tiennent le mur. Vous n’avez droit à rien et soi-disant vous êtes français ! » Ce n’est pas faux, mais ils savent mélanger ce constat à un discours très dangereux.

Dominique Sarda (Vu de profil) : Dans votre film, le recruteur dit « je sais écouter » et s’oppose à l’éducation française classique. Cette phrase est très importante.

Philippe Faucon : C’est en effet très important car plus personne n’écoute ces jeunes ni ne leur parle. Et le personnage qui dit cela a sans doute eu le même parcours que ces jeunes. À un autre moment, il ajoute qu’à son époque, c’était pire encore. Il est, en quelque sorte, le dernier interlocuteur de ces jeunes qui n’écoutent plus leurs profs.

Dominique Sarda (Vu de profil) : Avez-vous voulu opposer ce personnage à celui du professeur, plein de bonne volonté, mais qui semble laisser tomber lorsque Rachid lui rétorque qu’il a déjà envoyé plus d’une centaine de CV ?

Philippe Faucon : Le professeur n’abandonne pas, il soutient son étudiant en l’encourageant à continuer d’envoyer des CV même s’il y a du racisme et de la discrimination à l’embauche en lui disant que ce n’est pas à lui-même de s’exclure. Mais à un moment donné, cela n’a plus prise et paraît vide de sens par rapport à la réalité vécue par ce garçon. C’est l’histoire d’un parcours solitaire. Le prof a beau dire que les Noirs et les Arabes ne sont pas tous exclus de la réussite, l’histoire d’Ali est significative de ce qui se passe.

Éliane Olivares (RCF Maglone Hérault) : Il a pourtant l’exemple de son frère sous les yeux ?

Philippe Faucon : Comme pour Zacarias Moussaoui et d’autres, à un certain moment, l’entourage n’a plus d’influence. C’est très rapide, en quelques mois, cela ne peut pas durer longtemps. Les jeunes sont dans une fragilité, une défaillance et ils sont plus réceptifs.

Éliane Olivares (RCF Maglone Hérault) : Mais aller jusqu’à les envoyer à la mort…

Philippe Faucon : Du point de vue du recruteur, il agit comme un général étatsunien qui envoie des soldats se faire tuer. C’est une guerre et la fin, les objectifs justifient les moyens.

Christiane Passevant : Le personnage de la mère qui, à mes yeux, est très fort et très présent dans le film, comment l’avez-vous construit ?

Philippe Faucon : J’ai construit le personnage de la mère avec elle. Je savais que je ne trouverai pas une actrice pour interpréter la mère, avec cette justesse et cette dimension. Nous avons fait une recherche en dehors des agences et j’ai rencontré cette femme qui m’a paru d’une grande richesse et tout à fait intéressante pour jouer ce personnage. Elle fait partie de ces femmes qui sont pleines de ressources et ont eu des vécus difficiles. Exilées, elles sont arrivées dans un pays dont elles ne parlent pas la langue, ont eu des enfants qui ne parlent plus leur langue. Alors finalement, se retrouver devant une caméra pour jouer un personnage, ce n’est pas quelque chose qui l’a intimidé.

Christiane Passevant : Ce qui me conduit à vous poser la question du choix du casting en général ? Le personnage de la sœur qui, dans le film, travaille dans le milieu associatif, les trois garçons qui tombent dans l’intégrisme ?

Philippe Faucon : Le personnage de la sœur est interprété par la fille de cette femme. J’ai d’abord rencontré la mère, puis la fille, et j’ai décidé de les faire jouer toutes les deux dans le film. Dans la vie, la mère porte le foulard et elle m’a demandé si elle devrait l’ôter pour le tournage. Ce n’était pas nécessaire sauf pour quelques plans, lorsqu’elle se réveille ou pendant son travail à l’hôtel où il n’est pas autorisé de porter le foulard. Elle a accepté, ayant déjà travaillé dans des endroits où il n’était pas possible de le porter. Mais ses filles ne portent pas le foulard, ont bu du vin devant elle lors des quelques pots durant le tournage et dans la vie. La mère pratique sa religion d’une manière très apaisée et tolérante. Les scènes dans lesquelles elle tente d’expliquer à son fils la religion et d’avoir un contre discours, c’est en fait un discours qu’elle a dans sa vie.

Christiane Passevant : Elle se l’est appropriée. Et le choix des trois
garçons ?

Philippe Faucon : Rachid Debbouze, qui incarne Ali, a été choisi en premier. Il jouait dans un spectacle comique, à Paris, et je suis allé le voir sur scène. Je l’ai trouvé très intéressant même s’il ne jouait pas dans le même registre. Il n’était d’ailleurs pas dans la reproduction de l’humour de son frère aîné. Je lui ai donc proposé le scénario, mais n’ai pas eu de réponse immédiate. Les producteurs ont ensuite reçu un appel de son frère, Jamel Debbouze, qui désirait en savoir plus sur le projet. On lui a envoyé le scénario et peu après Rachid nous a donné son accord. Pour les deux autres garçons, Nasser qui renonce à la fin n’est pas un comédien professionnel, et Nicolas qui se fait appeler Hamza, d’origine européenne, est un jeune comédien promis à émerger, mais qui n’avait pas fait grand chose jusques là. Dans le film, il a un rôle à part, mais est impressionnant dans les quelques scènes où il apparaît.

Christiane Passevant : Le personnage du recruteur est-il interprété par un comédien ?

Philippe Faucon : C’est un comédien qui va également se révéler. Il est peu apparu au cinéma jusqu’à présent et, pour moi, c’était le seul comédien possible pour le rôle. Il était à la mesure du rôle. J’étais très inquiet par rapport aux discours manichéens et didactiques du personnage et je me demandais comment cela allait passer. Nous savions que cela serait un défi pour le comédien de trouver le ton juste, surtout sur un tournage où le temps est réduit. Après notre rencontre, j’étais convaincu d’avoir trouvé mon personnage.

Christiane Passevant : Il est d’autant plus intéressant qu’il est hors des clichés de l’islamiste radical.

Philippe Faucon : Absolument. Il ne s’agissait pas de mettre à l’écran un personnage avec la barbe.

Jérémi Bernède (Midi libre) : On sent le très riche travail de documentation dans le film, mais néanmoins c’est du pur cinéma. Comment avez-vous trouvé cette distance de ce qui pourrait apparaître comme un jugement moral ?

Philippe Faucon : On y arrive en réfléchissant et en ayant conscience de tout ce que l’on ne veut pas faire. Je veux faire un film de cinéma et pas un dossier d’enquête pour Envoyé spécial ou le Nouvel Observateur, je refuse de faire du sensationnalisme ou d’asséner des jugements, je veux donner à apercevoir certains aspects d’un problème et surtout laisser le public libre de sa réaction. Donc je ne cherche pas à l’enfermer dans des schémas qui affichent ce qu’il faut déduire et penser de tout ça. J’essaye de mettre ensemble des aperçus, des impressions sur ce qui est dans l’air aujourd’hui, pour donner corps à des choses, mais je ne pense pas apprendre quoi que ce soit à quiconque. On sait que ce genre de recrutement se fait à partir de telles situations, de telles fragilités et de tels désespoirs. Dans ce film, j’essaie de donner corps et chair à des personnages pour permettre aux spectateur-es de se les représenter davantage. Après libre à lui/elle de penser ce qu’il/elle veut.

Jérémi Bernède (Midi libre) : Ce n’est pas un avertissement ?

Philippe Faucon : D’une certaine façon, c’est un avertissement par rapport à une situation qui porte en germe des risques, des dangers et le film en donne les raisons. L’avertissement n’est certainement pas une incitation à la méfiance vis-à-vis de ceux et celles qui portent un nom bizarre.

Christiane Passevant : Avez-vous pensé au film d’Hani Abu Assad, Paradise Now, en construisant le scénario ?

Philippe Faucon : Non. J’ai vu le film car on m’a conseillé de le voir lorsque j’ai travaillé sur le sujet. La situation est très différente et il ne m’est pas resté en tête pendant le travail sur le scénario de Désintégration. J’ai évidemment vu des films ou des téléfilms, parfois intéressants, qui abordent ces questions. La question est dans l’air et cela émerge dans les fictions, dans le cinéma.

Annie Gava (Zibeline) : Pourquoi avoir choisi ce titre ? Je crois que ce n’est pas le titre initial ?

Philippe Faucon : Le premier titre ne me plaisait pas et, après avoir épuisé pas mal de possibilités, l’un des producteurs a proposé ce titre, Désintégration. Cela a fait tilt pour moi parce que cela m’a rappelé qu’au moment du tournage de Samia [5], à Marseille, les jeunes des quartiers employaient ce mot avec ironie par rapport à leur situation et à leur demande d’intégration. Un détournement ironique du mot intégration pour exprimer, qu’en fait, ils vivaient une désintégration sociale. J’ai tout de suite été d’accord pour ce titre tout en étant conscient de la difficulté de manier ce mot, un peu lourd. Mais il a un sens multiple, celui d’une désintégration sociétale, mais aussi d’une destruction physique.

— (Divergences FM) : Pourquoi ce choix de la ville de Lille, et pas Paris par exemple ? Par ailleurs, il n’y a pas de plans larges des quartiers. On voit un seul plan de tour.

Philippe Faucon : Cela pouvait se passer dans n’importe grande ville qui a une périphérie, à Marseille, à Lyon, à Paris, à Lille… Les producteurs m’ont proposé de tourner à Lille parce que nous devions faire des plans en Belgique, donc en même temps pour des commodités de tournage et pour la cohérence de l’histoire. L’attentat devant se passer à Bruxelles, on peut imaginer que le recrutement de jeunes se fasse dans une ville proche de la frontière. C’est ce qui a décidé du choix du lieu. Mais on peut aussi imaginer cette situation à Roubaix ou Tourcoing.

Les scènes d’intérieur ont été tournées à Marseille, les régions ont participé au financement du film, la région Nord et la région Paca. Nous avons eu trois semaines de tournage à Marseille, en intérieur, puisque l’histoire se situe dans le Nord. De nombreuses scènes sont tournées en intérieur, en lieu clos, pour exprimer une forme d’autisme et l’enfermement des personnages et de la situation. L’endroit où le recruteur les endoctrine se trouve à Marseille. Le film s’est fait sur un temps de tournage très court et il a fallu faire des choix en fonction de ce temps. Ce qui écartait le tournage de scènes extérieures compliquées et je n’ai pas voulu marquer à gros traits le lieu géographique. Lille est brièvement évoquée, cela suffisait.

Christiane Passevant : Combien de temps a duré le tournage ?

Philippe Faucon : Le tournage a duré 35 jours, moins un jour de déplacement entre les deux régions. Ce qui est très court et nous n’avons pas pu tourner l’intégralité du scénario. Il a fallu à un moment donné faire des choix. Il manque des scènes, car nous avons beaucoup travaillé le scénario dans lequel rien n’était inutile. C’est comme ça. La durée du film est d’une heure et dix-huit minutes.

Jérémi Bernède (Midi libre) : Vous montrez la vie, vous ne forcez pas le trait comme on peut le voir dans certains films étatsuniens, donc pas de clichés sur l’univers carcéral de la banlieue.

Philippe Faucon : Il est important de montrer qu’il n’y a pas que ça.

Dominique Sarda (Vu de profil) : Le côté très réaliste de la préparation de l’attentat est impressionnant. Je suis restée sur ces images de l’installation dans les voitures, sur les regards…

Philippe Faucon : Les images sont impressionnantes et disent beaucoup. Ce n’est pas simple d’aller jusqu’au bout même si l’on est convaincu et c’est ainsi que les gens procèdent.

— (Divergences FM) : Tout le passage à l’acte est très long.

Philippe Faucon : Depuis le lever du soleil et avant le passage à l’acte, cela semble long car il y a aussi du suspens.

Annie Gava (Zibeline) : C’est tellement désespéré que je me suis surprise à espérer qu’ils renoncent.

Philippe Faucon : J’ai envie de dire que c’est une réaction « normale », on a envie d’y croire. La larme que l’on voit sur la joue de Rachid n’était pas dans le scénario, elle lui est venue à ce moment-là. La scène était sans doute très forte pour lui.

Dans le film, le frère d’Ali (Rachid Debbouze) lui dit de réfléchir, de ne pas se laisser manipuler, de faire marcher sa tête, mais l’endoctrinement ne lui laisse guère le choix. Les jeunes sont à la fois enfermés et coupés de toute influence autour d’eux. Ils ne sont réceptifs qu’à la parole du recruteur. C’est une technique et ces gens sont très forts dans ce domaine. Je ne sais plus si cela est resté dans le film, mais, dans le scénario, le recruteur dit connaître tous les coins du cerveau et l’histoire de ces jeunes.

Christiane Passevant : Vous avez parlé de secte, c’est le même système.

Philippe Faucon : C’est la même chose.

Annie Gava (Zibeline) : Les dernières paroles de la mère sont « ils ont tué mon fils ». Le « ils » est ambigu. Vous l’avez voulu ainsi ?

Philippe Faucon : Elle évoque sans doute ceux qui ont manipulé et détourné son fils, mais il n’y a sans doute pas qu’eux. De toute façon, elle ne pouvait pas le dire autrement.

Christiane Passevant : C’est aussi plus fort pour la réflexion de laisser cette ambiguïté. C’est une porte ouverte pour comprendre la situation et ses conséquences.

— (Divergences FM) : Pensez-vous que le festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier soit une opportunité de montrer ce genre de film ?

Philippe Faucon : Oui et c’est un festival que j’aime beaucoup. J’y suis déjà venu plusieurs fois. C’est un festival différent qui montre des films pas forcément produits pas de grosses machines et de façon très judicieuse. Des cinéastes sont apparus ici, soi-disant découverts ailleurs ensuite. Cinemed est un des rares festivals où le public est très présent et avec une grande curiosité. Les salles sont pleines, les gens sont en demande, il y a une envie, de l’intérêt et c’est bien de sentir cela. Ce n’est pas le cas partout.


Cet entretien a eu lieu le samedi 22 octobre 2011 dans le cadre du 33e Festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier, CINEMED.

Projeté en avant-première au 33e CINEMED, La Désintégration sort le 15 février 2012 dans les salles.


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