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Et maintenant on va où ? Film de Nadine Labaki
Christiane Passevant
Article mis en ligne le 19 janvier 2012
dernière modification le 10 février 2012

par CP

Second long métrage de Nadine Labaki [1], Et maintenant on va où ? commence sur une scène saisissante, une mise en scène à la manière d’une séquence de théâtre antique. Un groupe de femmes, toutes vêtues de noir, s’avance vers la caméra du fond d’un décor désertique, de nulle part. Un cimetière, le groupe se scinde en deux, celles qui vont vers les tombes chrétiennes et celles qui se dirigent vers les sépultures musulmanes. Des portraits sur les tombes, de jeunes hommes pour la plupart et l’on comprend que ces femmes portent le deuil d’un époux, d’un père, d’un frère, d’un fils.

Dans un village libanais — bien qu’aucun pays ou lieu ne soit indiqué [2]—, coupé du monde car le pont a été détruit, les habitant-es n’ont rien oublié du conflit qui a ravagé le Liban entre 1975 et 1990, et qui a eu pour résultat des milliers de victimes civiles.

La réalisatrice a tourné dans la plaine de la Bekaa, entre Beyrouth et Damas et dans la montagne, au nord. [3]Théâtre même des conflits confessionnels meurtriers.
Nadine Labaki montre bien à quel point la paix est fragile et qu’une étincelle peut à nouveau tout embraser. En l’occurrence, c’est une antenne de télévision, rapportée par deux jeunes du village qui va susciter de nouvelles dissensions. D’abord le village, réunit en plein air, se réjouit de
pouvoir regarder un film, mais très vite, ce sont les informations évoquant des heurts dans le pays, et les hommes ressortent les armes.

Fable contre la guerre, le film de Nadine Labaki met en cause les fondements mêmes de la société libanaise, société multiconfessionnelle
au bord de l’éclatement, en danger incessant d’imploser. Pourtant les "communautés" partagent les mêmes lieux, vivent les mêmes difficultés, connaissent les mêmes problèmes de ravitaillement et pleurent également leurs morts, particulièrement dans ce village qui est entouré de champs de mines. Mais rien n’y fait. La menace de la guerre civile est sans cesse présente.

Une différence cependant, si les hommes sont prompts à reprendre les armes pour s’entretuer, les femmes, elles, ne veulent plus être enfermées dans une fatalité du malheur et demeurer dans leurs rôles de pleureuses à vie. Elles décident donc d’user de stratagèmes et de ruses pour arrêter l’engrenage des hostilités, depuis des danseuses venues de l’Est jusqu’au haschisch en passant par le dialogue avec la vierge, avec l’aide du prêtre maronite et de l’imam du village.

Si le film traite d’un sujet extrêmement grave, Nadine Labaki y ajoute un humour particulier, issu de son observation des femmes, de leur franc parler et de leur connivence.
Déjà son premier film, Caramel, était habité par une ironie acerbe et tendre aussi parfois. Réalisatrice et également comédienne (elle incarne la patronne du café du village), elle dirige merveilleusement ses comédien-nes et utilise tous les ingrédients cinématographiques : le drame, la comédie, la farce même, la comédie musicale… [4]

Tragédie, dérision et complicité, c’est peut-être ce qui ressort le plus du film de Nadine Labaki que l’on sent sur le qui vive pour saisir toute forme spontanée d’expression, de rythme dans les dialogues, du jeu et des regards. Une réussite et un très beau film de femme.


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