Chroniques rebelles
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Pacifique
Éric Michel (Salvator)
Article mis en ligne le 4 juin 2012
dernière modification le 14 juin 2012

par CP

Pacifique

Éric Michel (Salvator)


Lectures Nicolas Mourer

Trois révolutions méconnues, l’insurrection kabyle de 1871, la Commune de Paris la même année et la révolte des Kanaks en 1878) et trois hommes épris de justice et de liberté.

Situé au XIXe, le roman remet en question une problématique très instrumentalisée — le « choc des civilisations » —, ce qui provoque un questionnement sur l’enjeu de l’émergence de cette notion.

Algérie, 1871. La révolte gronde dans les tribus sous la pression des injustices du système colonial. Quand éclate l’insurrection, Akli prend le maquis à la tête d’un groupe de combattants kabyles.

Paris, 1871. La Commune souffle sur la capitale un vent d’utopie sociale. Malaterre livre avec les Communards un des derniers combats au cimetière du Père-Lachaise contre l’armée gouvernementale.

Les deux soulèvements sont écrasés. Akli et Malaterre, devenus amis en détention, sont embarqués pour une traversée infernale jusqu’à la colonie pénitentiaire de Nouméa.

En Nouvelle-Calédonie, les Kanaks réduits à la famine se révoltent contre l’autorité française. En 1878, l’île s’embrase. Surpris par l’explosion du mouvement, les coloniaux débordés en appellent alors à ceux qu’ils combattaient hier, les déportés...

« Au-delà des lignes de crête, le soleil sous presse s’enfonce lentement dans une mer d’huile qui vole quelques instants à l’émeraude ses reflets. Il est étrangement calme à présent le grand astre, il sait que son heure reviendra. Ici la nuit est un souffle qui ne retient qu’à peine son élan, une courte rémission sans effet sur son empire d’impitoyable beauté et tel un poing brandi pour la colère, il disparaît. Demain, son lever donnera le signal. À l’aube, le second groupe, fantassins et cavaliers, sera lancé en traqueur.
Alors commencera la razzia…
 »

Au début était la colonisation… 1830, la conquête de l’Algérie au prétexte officiel de civilisation à propager… La propagande justifie la barbarie… On déshumanise les « indigènes » pour mieux les spolier, les massacrer, les soumettre. Les principes de la « guerre totale », expérimentés lors des guerres coloniales, seront ensuite appliqués contre la population française en juin 1848 par les mêmes chefs de guerre qui se sont illustrés par leurs crimes en Algérie et ailleurs.

1871, la Kabylie se soulève contre l’occupant, contre les « Roumis ». Mais qui a entendu parler de l’insurrection kabyle de 1871 ?

En écho, la Commune de Paris… L’utopie en marche, bientôt écrasée par les Versaillais. Révolutions méconnues ou carrément passées à la trappe de l’histoire officielle, l’insurrection kabyle, la Commune de Paris et bientôt le soulèvement kanak pour cause de famine et de spoliations des terres… Révoltes des peuples, massacres et répression.

L’histoire est écrite par les vainqueurs dit-on généralement… Pas toujours, car à travers le roman d’Éric Michel, Pacifique, on vit une autre vision de l’histoire, celle d’êtres humains, et d’abord de deux hommes, Akli le Kabyle et Malaterre le Communard qui deviennent amis en détention et feront ensemble la traversée cauchemar jusqu’au bagne de Nouvelle-Calédonie.

Une autre vision de l’histoire, une autre approche… Celle de Louise Michel qui reste fidèle à la « révolution en en tirant les conclusions pratiques » : « Dans leurs soulèvements successifs contre les spoliations, [dit-elle à Malaterre], je ne vois rien moins que le peuple de Paris autrefois descendu dans la rue. »

Cependant, lorsque le peuple kanake se révolte, des communards prendront les armes du côté des oppresseurs… Mais revenons au début du roman, dans les montagnes berbères — des Imazigen dirait-on aujourd’hui —, aux heures soi-disant « glorieuses » de la colonisation « civilisatrice » de l’Algérie par la France dont les chefs militaires préconisaient les pires exactions.

« Les cavaliers s’enfoncent dans la ville écorchée par les cris. Les fantassins font voler les portes des gourbis en éclats.

C’est le saccage.

À dix heures, la résistance est farouche mais les défenseurs frappés de surprise et submergés par le nombre s’éteignent un à un. Matés. Eux dont le code d’honneur impose de protéger demeures, femmes et fusils, emportent l’image des mères crevées du même plomb que leur enfant contre leur cœur. D’autres ont le fer moins chanceux ; qu’un soudard leur arrache leur nourrisson et sous leurs yeux il finit, jet de bilboquet, sur une baïonnette.

À midi le gros de la besogne est accompli, tout est en place pour le sabbat. Ne reste qu’à tourmenter ceux qui ont pris la vie d’un compagnon d’arme avant de les exécuter, à outrager les dépouilles pour frapper d’effroi les vivants, à souiller les filles devant les pères car elles brûlent, disent de languides littérateurs de métropole, les sangs plus qu’ailleurs et parce que le seul moyen de faire céder les rebelles est de s’attaquer à leurs intérêts, au premier chef les femelles, a dit Bugeaud.

On suivra encore la méthode de l’empereur sans sceptre en Algérie en châtiant ceux qui ont échappé à la sentence des sabreurs, on enfumera comme des renards les villageois en sursis terrés dans les grottes à portée de pierre ; puis ces reîtres piétineront au sabot dans un carrousel de fortune les indigènes enterrés jusqu’au cou, on lardera les agonisants, on emportera le bétail et les armes, on remplira les carrioles du butin partagé entre les hommes pour compenser la maigreur de leur solde et les maîtres Jacques corrompus des bureaux arabes.

Et l’État se remboursera des frais de campagne ainsi qu’il fait depuis le pillage du trésor colossal d’Alger…

Au bout de leurs piques, des soldats débraillés brandissent des têtes de musulmans. Ils jouent à apparier les oreilles monnayées dix francs la pièce à des chefs qui en font le trafic.

Quand la colonne est partie, la ville chauffée à blanc repousse obstinément la caresse du crépuscule. L’air est chargé d’une odeur de viscères et il fait nuit lorsqu’un homme laissé pour mort se relève de ses blessures. Rien ne bouge plus ni ne bruisse, hors le fracas périodique des pans de torchis qui s’effondrent sous la chaleur et alimentent les brasiers.

L’homme n’est pas d’ici, il venait acquérir du bétail. La lune accompagne d’une clarté blafarde son pas chancelant. Désorienté, il erre en direction d’un olivier dont les branches tortueuses s’élèvent en une supplique inutile… pris de stupeur à la vue d’un corps déformé, il s’approche… Et tombe à genoux. La jeune fille n’a pas quinze ans. Elle est éventrée. Sa tête brune repose de côté sur une pierre. Son cou souple et frêle est pareil à celui de l’oiseau qu’on vient d’étouffer, pourtant elle respire. À peine. Son pouls file mais le cœur de l’enfant bat. Encore. Elle était quasiment au terme. Le berger lui caresse le front, chuchote quelques mots… Elle peut partir en paix. Puis habitué à soulager les bêtes, il plonge les mains dans son ventre pour délivrer l’enfant.

À bout de forces, elle abandonne. C’est une mère qui meurt quand le nouveau-né pousse son premier cri et l’homme coupe le cordon avec ses dents. Jamais ses croyances ne l’avaient tant violenté, jamais.

— Même les djinns auraient eu pitié, murmure-t-il en fuyant l’infernal avec le garçon blessé au front dans son burnous…

Même les djinns auraient eu pitié… »