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Cinéma et Objet théâtral
Cinq caméras brisées, Syngué Sabour, Lina Wertmüller, Les chevaux de dieu…La Mise en procès
Samedi 16 février 2013
Article mis en ligne le 17 février 2013
dernière modification le 13 mars 2013

par CP

Cinéma :

Cinq caméras brisées

Film documentaire de Emad Burnat et Guy Davidi

Syngué Sabour

D’Atiq Rahimi

Trois films en copie restaurée de Lina Wertmüller :

Film d’amour et d’anarchie

Mimi Métallo blessé dans son honneur

et Chacun à son poste et rien ne va

enfin

Les Chevaux de dieu

de Nabil Ayouch

Seconde partie des chroniques :

Dans le cadre de la semaine anticoloniale,

La Mise en procès

par la compagnie Monsieur Madame

Mise en scène de Maylis Bouffartigue

Avec Olivier Le Cour Grandmaison et Maylis Bouffartigue

La semaine prochaine, le cinéma est à l’honneur avec plusieurs films à voir, d’auteur-e et de réflexion. Un film documentaire dont Le Monde Libertaire et Radio Libertaire sont partenaires, Cinq caméras brisées de Emad Burnat et Guy Davidi. Les Chevaux de dieu de Nabil Ayouch dont nous avons déjà parlé dans les chroniques après sa présentation au Festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier. Pour ces deux films, nous avons rencontré les réalisateurs.

Également, le film d’Atiq Rahimi, Syngué Sabour, qui retrace le drame d’une jeune Afghane dont le mari est dans le coma. Enfin, la reprise de trois films de Lina Wertmüller en version restaurée, Mimi Métallo blessé dans son honneur, Film d’amour et d’anarchie et Chacun à son poste et rien ne va. Des films brillants, perturbants, hors normes et hors clichés. Un régal !

Lina Wertmüller a travaillé avec Federico Fellini. Dans un entretien, elle disait d’elle-même : « Je suis un peu une canaille. Quand je dis un voyou, c’est vrai, parce qu’en réalité, j’ai toujours fait que ce qui me plaisait. Seul le plaisir a dicté ma conduite. Je ne le fais pas pour faire plaisir à dieu ou au public et encore moins aux critiques. Si ce qui me plaît leur plaît, tant mieux. Si ça ne leur plaît pas, tant pis. Mais ce que je fais doit me plaire. Je m’en suis toujours tenue à ce principe. » Et j’ajouterai : qu’on se le tienne pour dit !

De même qu’Elio Petri, réalisateur de chef-d’œuvres comme, entre autres, la Classe ouvrière va au paradis ou de Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, Lina Wertmüller fait partie de ces cinéastes qui ont participé à la richesse foisonnante du cinéma italien des années 1970, mais dont certains, depuis, ont été quelque peu oubliés.

Dérangeante Lina Wertmüller ? Sans doute. Très controversée certainement, indépendante et originale, la cinéaste ne fait guère de concessions et ne recule pas devant le scandale. C’est une « canaille » comme elle le dit elle-même et c’est ce qui rend son travail si intéressant et impossible à classer. On a parfois comparé Lina Wertmüller à Lilana Cavani, bien que leur style et leur propos cinématographiques soient fort différents. Lina Wertmüller est une
« canaille » sans étiquette, sinon celle de grande cinéaste.

Trois films donc, Mimi Métallo blessé dans son honneur (sorti en 1972), histoire de Mimi le sicilien, sur fond de rébellion et de mafia. Second film, sorti en 1973, Film d’amour et d’anarchie, dans lequel un paysan anarchiste a pour mission de préparer à Rome un attentat contre Mussolini. Enfin,
Chacun à son poste et rien ne va de 1974, film encore inédit en France. Trois « turbulences » déstabilisantes de Lina Wertmüller sur les écrans… Des films plus actuels que jamais, à découvrir ou à redécouvrir…

Cinq caméras brisées

Film documentaire de Emad Burnat et Guy Davidi

Cinq caméras brisées est un carnet de lutte au jour le jour, un témoignage de la violence générée par l’occupation militaire israélienne en Cisjordanie. C’est un récit à la fois très personnel — Emad Burnat filme sa famille et ses proches — et collectif car il montre la mobilisation non violente de tout un village contre l’implantation d’une colonie et la construction d’une « barrière de sécurité » qui prive 1 700 personnes de la moitié de leurs terres. Il rend compte aussi de la mobilisation des activistes venant d’Israël — notamment les Anarchistes contre le mur — et de partout dans le monde. La lutte de Bil’in est longue et le film en témoigne de l’intérieur.

C’est la vie quotidienne qui est sur l’écran, pas seulement les images habituelles des reportages. Guy Davidi, qui a participé à l’élaboration et à la réalisation du film, revient sur cette spécificité. Il ne s’agissait pas en effet de faire un nième reportage sur la situation en territoires occupés palestiniens, mais de montrer le vécu des personnes et les conséquences de la poursuite d’une politique d’annexion des territoires.

Cinq caméras brisées a été récompensé par le prix de la réalisation au Festival de Sundance, par le prix du public et du jury au Festival d’Amsterdam, par le prix du Festival Eurodok en Norvège et il a été nominé pour les Oscars, aux États-Unis.

Au moment de leur passage à Paris, Emad Burnat et Guy Davidi nous ont accordé un entretien dont Nicolas Mourer a assuré la traduction.

Le film ouvre sur des images brouillées, non professionnelles, ce qui illustre en quelque sorte la dimension symbolique de l’initiative du projet. Une voix off, celle de Emad Burnat, énonce : «  je filme pour la mémoire. » À cet instant même, l’image devient claire. Une manière d’entrer dans le récit du film et de souligner combien la mémoire est essentielle pour la population palestinienne, et au-delà, au plan international.

Emad Burnat : La mémoire est effectivement essentielle et, depuis le début, j’ai filmé la lutte de mon village, la vie de mon village pour informer, pour conserver la mémoire, pour se remémorer ce qui s’est passé et en garder la trace. J’ai commencé à filmer en 2005, sans avoir des notions de cinéma, en tant que membre actif de la lutte, pour témoigner, pour montrer les images et garder des traces de cette lutte. Ces moments de lutte sont très importants pour la mémoire, pour la mémoire de mes fils, de mon village. Dans vingt ou trente ans, nous aurons ces images. Je regrette aujourd’hui de ne pas avoir des images de mon village, quarante ans auparavant, des vieilles photos montrant les événements qui permettent de comprendre la résistance et les enjeux palestiniens. Pour les jeunes générations, il est important de montrer ce qui s’est passé dans notre village, de leur rappeler qui a vécu ici et de construire ainsi la mémoire. C’est pour cela que j’ai commencé à filmer.

Guy Davidi : L’ouverture du film et sa conclusion tournent autour de la mémoire et des victimes de l’occupation et je crois essentiel de démarrer le film avec cette phrase, « Je filme pour ne pas perdre la mémoire ». La plupart du temps lorsque l’on traite de la souffrance, la tendance des victimes est de se tourner vers l’extérieur, de se concentrer sur l’agresseur, de regarder ce qu’il fait et de le montrer. Or, en l’occurrence, l’ouverture du film place le public dans une dimension différente. Le film repose tout d’abord sur la décision de Emad, sur son choix d’utiliser une caméra afin de conserver la mémoire. Cette démarche n’est pas anodine. Emad ne filme pas seulement les faits face aux agresseurs, il prend aussi de la distance pour regarder la situation, analyser combien elle affecte sa vie et, par là, procéder à un questionnement personnel sur lui-même. C’est ce processus qui fait la force et la profondeur du film et non une quelconque personnification avec la souffrance. Le film touche ainsi bien plus, au lieu d’utiliser la souffrance pour dénoncer la situation, ce qui aurait de fait installé une distanciation avec le public. À aucun moment, il n’est question de plainte dans ce film.

Les Chevaux de dieu

Film de Nabil Ayouch

Le film de Nabil Ayouch traite un problème très actuel, le « terrorisme », mais d’une manière tout à fait originale. Dans les Chevaux de dieu, il n’est pas question des clichés sempiternels sur les bons et les méchants. Non, il s’agit plutôt d’analyser la genèse des attentats perpétrés à Casablanca en 2003.

Quels sont les facteurs qui poussent ces jeunes gens à commettre des attentats ? Quel est le cheminement de ces adolescents « comme les autres » les amenant à accomplir ce type d’action ? Que représentent les attentats dans leur imaginaire ? Quel rôle joue l’islamisme radical dans les bidonvilles ? Mais l’on peut aussi poser la question sur la proximité des bidonvilles, et de leur pauvreté, jouxtant la richesse d’une ville comme Casablanca : quel en est l’impact sur la prise de conscience des différences de classes et de l’injustice sociale de ceux et celles qui vivent dans les bidonvilles ? La résignation ne résulte pas toujours de cette prise de conscience. Les attentats de 2003, commandités par des groupes islamistes, à l’intérieur de ces poches d’ignorance et de misère sociale, ne sont-ils pas l’expression d’une prise de conscience et d’une soif de reconnaissance de ces jeunes ?

La Désintégration de Philippe Faucon traitait du même sujet et le film partait également de la même réflexion : l’analyse des motivations des jeunes des banlieues qui, après avoir perdu tout espoir dans la société actuelle, étaient manipulés par des groupes islamistes et s’imaginaient djihadistes. Ces jeunes gens sont de véritables proies pour des idéologues habiles qui visent à prendre le pouvoir en se servant de la terreur et au nom d’une religion qu’ils assurent rénovée, « purifiée » et glorifiante.

Les Chevaux de dieu de Nabil Ayouch ajoute le contexte historique d’un pays et la perspective évolutive d’une société qui ignore encore ses laissés pour compte.

Les Chevaux de dieu de Nabil Ayouch a été sélectionné et projeté dans la catégorie Un Certain regard au dernier festival de Cannes. Il est adapté du roman de Mahi Binebine, Les Étoiles de Sidi Moumen. Dans un entretien du 28 octobre à Montpellier, lors du festival international du cinéma méditerranéen, Nabil Ayouch explique comment s’est faite sa rencontre avec le roman.

http://divergences2.divergences.be/spip.php?article139

La Mise en procès

par la Compagnie Monsieur Madame

21, 22 et 23 février 2013

au Lavoir Moderne Parisien

Lavoir Moderne Parisien : 35 rue Léon 75018 Paris

M° Château Rouge

Réservations : 01 42 52 09 14

En avons-nous fini avec la « conception hiérarchisée du genre humain » prônée par l’époque coloniale ?

Certainement non et même bien au contraire, elle est relancée par l’immigration, la peur, la méconnaissance et, depuis un peu plus d’une décennie, par l’utilisation politique de l’islamophobie. Il est vrai que la propagande de la « culture » impériale apportant la civilisation à des
« sauvages » et des « barbares » est profondément ancrée dans la mémoire collective, dans le langage, dans le regard que les populations occidentales, et en particulier française, portent sur les populations nord-africaines, africaines, moyen-orientales… Mais aussi dans les textes.

Depuis les indépendances des pays anciennement colonisés, les traces du mépris n’ont pas diminué et les restes du langage colonial perdure, loin d’être bannis du langage. Des expressions comme « parler petit nègre », « casser du nègre », « travail arabe » sont toujours utilisées, souvent inconsciemment. Et l’on peut même entendre de la bouche de certains des théories fantasmatiques et aberrantes sur la taille plus petite des « cerveaux africains » et l’absence d’histoire qui renforcent les discriminations et leur banalisation.

Le « principe même de la domination de la métropole sur les territoires d’outre-mer » a-t-il d’ailleurs jamais été remis en cause ? Le travail de conscientisation des conséquences de la colonisation a toujours été éludé.
De ce fait, l’évolution des mentalités n’a guère progressé. Si l’on prend l’exemple des médias, la différence de traitement des générations issues de l’immigration est assez significative. Les enfants d’immigrés d’Afrique du Nord, pourtant né-es en France, ne sont pas considéré-es comme ceux des immigrés européens. L’allusion aux origines pour les premiers est une indication du racisme latent issu de la colonisation. « Sous des formes diverses et souvent théorisées, [les conceptions racistes continuent] à prospérer et à produire des effets politiques, juridiques et sociaux. »

Noir-chose dont les maîtres pouvaient user, tirer les fruits brutaliser, violenter et aliéner à leur guise …

Indigène-sujet de nos colonies et non citoyen de la IIIème République, soumis à une loi spéciale dite de police …

Étranger aujourd’hui, à la France, à nos cultures et à nos valeurs, régi par un Code qui en réglemente l’entrée, le séjour et le droit d’asile…

Il y a entre ces « catégories » d’individus, par essence juridique et par définition légale, malgré le temps passé, les empires tombés, les territoires remembrés, un lien indéfectible, un instrument de comparaison ultime, une même marque qui traverse l’Histoire, notre histoire.

Esclaves, indigènes et étrangers, ils étaient et sont encore soumis à une législation d’exception, un Code : le Code Noir avant-hier, le Code de l’Indigénat hier et le Code de l’entrée et du séjour des étrangers, et du droit d’asile en France, aujourd’hui.

Tous objets, sujets du droit et étrangers au droit.

Mise en procès contradictoire du Code noir, du Code de l’indigénat et du Code des étrangers.

Proposition et mise en scène : Maylis Bouffartigue

Adaptation et extraits :

Coloniser, exterminer, Olivier Le Cour Grandmaison (Fayard)

De l’Indigénat, Olivier Le Cour Grandmaison (Zones)

Le Code Noir ou le calvaire de Canaan, Louis Sala-Molins (Puf)

Les esclaves noirs en France sous l’Ancien Régime, Marcel Koufinkana (L’Harmattan)

Comédien-nes : Willy Mancel, Hélène Sirven, Cécile Signoret, Maylis Boufartigue

Participation au débat :

Olivier Le Cour Grandmaison, Louis Sala-Molins.