Chroniques rebelles
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Géraldine Pigault
La Parade
Film de Srdjan Dragojevic
Article mis en ligne le 27 mars 2013

par CP

Le Jardin d’Hanna de Radar Friedlich est distribué sous son titre anglais Beautiful Valley depuis le 24 novembre. J’allais dire enfin, car le film a été présenté en compétition des longs métrages en 2011 lors du 33e festival international du cinema méditerranéen de Montpellier et y a reçu le Prix de la critique.

Beautiful Valley de Radar Friedlich casse le mythe du kibboutz, du partage, de la solidarité et de l’égalité auquel Hanna a cru. Hanna est une vieille dame qui a vécu de et pour ce mythe, même si le voisinnage n’est pas idyllique. Elle cultive son jardin, un rituel qui rythme ses journées, s’occupe du centre de la mémoire du kibboutz avec les amis de sa génération et regarde un passé finalement proche en ignorant le présent… Un présent qui l’oblige à prendre sa retraite, qui privatise le kibboutz et lui jette une réalité à la face : elle ne sert plus à rien.

Le libéralisme est passé par là et le kibboutz n’est plus rentable ! Ou pire, il est endetté… Les personnes agées, valides ou non, doivent partir et la gestion du kibboutz est confiée à de jeunes bureaucrates parmi lesquels se trouve la propre fille d’Hanna.

Le rêve s’écroule, le mythe s’effondre, les vieilles personnes doivent mourir ou céder la place. « Ce qui m’a plu en arrivant ici », [dit Shimon le vieil ami d’Hanna dans un message ultime], « c’est toute cette idée de partage, d’amitié, de vivre ensemble. » Et Hanna de confier à une jeune voisine :
« Je n’avais jamais réalisé qu’un jour j’allai être vieille ».

C’est un rêve détruit. Depuis les spoliations et les guerres, qui avait déjà sacrifié les principes de base à l’origine du kibboutz, mais avant, c’était au détriment de la population palestinienne, et à présent c’est l’ancienne génération des Israéliens et des Israéliennes qui fait cruellement les frais d’un libéralisme sans masque. Finie l’utopie ! Vous ne servez plus à rien, on vous jette ! L’État n’a aucun état d’âme, seulement des sbires qui obéissent aux lois du profit. Hanna résiste car elle ne peut se résigner à ce que tout ce qui a construit sa vie, le travail et la communauté, soit anéanti.

Beautiful Valley, premier long métrage de Radar Friedlich, est une critique acerbe du système kibboutz et de ce qu’il est devenu. Il est intéressant de voir combien l’actuel cinema israélien remet en question les mythes de l’État israélien, ceci malgré une idéologie prégnante et une propagande habile et bien huilée.

Le Jardin d’Hanna / Beautiful Valley [1] participe de cette critique en décrivant la dérive libérale du kibboutz, de même que l’évolution des mentalités par rapport à l’ancienne génération. La solitude de la vieillesse et le mythe de la fondation de l’État d’Israël, deux sujets à la base du film, deux sujets sur lesquels la jeune réalisatrice s’est penchée, qui posent à dessein ou involontairement des questions sur la notion du nationalisme et de la terre.

Radar Friedlich : Le personnage du film, Hanna, est inspiré d’une femme que je connais et son histoire m’a personnellement touchée. Mais si Hanna est particulière, son histoire est commune à des personnes âgées.
Dans les kibboutz, la retraite n’existait pas et les gens travaillaient tant qu’ils et elles le pouvaient, mais depuis que la privatisation des kibboutz, la retraite est obligatoire.

Dans de nombreux kibboutz, la population est vieillissante, le jeunes sont parti-es et il n’y a que peu d’enfants, mais ce n’est pas ce que j’ai voulu montrer.

Christiane Passevant : J’ai vu dans votre film un aspect très critique du kibboutz et de son évolution. Le personnage d’Hanna évoque les principes d’origine et de fondation des kibboutz et mon impression est qu’avec la privatisation, ces principes sont abandonnés.

Radar Friedlich : J’ai surtout voulu montrer les conséquences de l’évolution et de la privatisation, et qu’il y a des gens qui la supportent plus ou moins bien. Mais je n’ai pas voulu porter de jugement sur la situation ou les personnages. Il m’est apparu important de comprendre d’abord la situation, après chaque personne peut tirer des conclusions. Pourquoi cette femme si déterminée et forte n’accepte pas cette évolution ? C’est cela qui m’intéresse. Il n’était pas question de dire qu’avant le kibboutz c’était génial et qu’aujourd’hui, ça ne marche plus. Je ne veux ni juger ni dire comment faire, je me borne à observer. Et mon sujet d’observation principal est Hanna.

Ceux et celles qui ont construit les kibboutz avait une relation très forte à la terre, au fait de construire pour la communauté et Hanna fait partie de cette génération. Aujourd’hui, cette génération est confrontée à des changements, certains kibboutz sont privatisés et deviennent des villages,
mais même pour les kibboutz qui ne le sont pas, l’évolution est irréversible.
Le rapport à la terre n’est plus le même, on travaille dans les industries et des étrangers au kibboutz peuvent venir travailler la terre. Tout est changé.
La privatisation des kibboutz est liée avant tout aux problèmes économiques et le temps manque pour préparer les personnes âgées à ce changement.

Christiane Passevant : Où se trouve le kibboutz d’Hanna ? Les acteurs sont-ils des professionnels, en particulier la formidable Batia Bar ?

Radar Friedlich : J’ai en fait tourné dans trois kibboutz différents qui se trouvent dans une vallée au nord-est d’Israël. Tous les acteurs sont des non professionnels sauf deux des personnages. Batia Bar, qui interprète Hanna, est kibboutznik depuis plus de soixante ans. J’ai choisi une grande partie du casting parmi les ceux et celles qui vivaient dans les kibboutz.

Christiane Passevant : C’est votre premier long métrage. Avez-vous déjà d’autres projets ?

Radar Friedlich : J’écris actuellement un scénario sur la difficulté des rapports entre les hommes et les femmes, et autour de trois personnages de femmes. Je dois dire que j’ai été surprise de voir le film de Mohamed Diab, Les Femmes du bus 678 [2], parce que dans mon scénario il y a aussi une scène qui se passe dans le bus. Ce n’est pas le même sujet, mais cela m’a tout de même surpris.

Christiane Passevant : On peut dire que malheureusement le harcèlement des femmes est universel. Le film parlera des droits des femmes ?

Radar Friedlich : Oui, mais il y sera aussi question du sexisme, de la religion et de la militarisation en Israël.


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