Chroniques rebelles
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Samedi 8 juin 2013
Murray Bookchin et l’écologie sociale. Une biographie intellectuelle
Vincent Gerber (écosociété)
Article mis en ligne le 9 juin 2013

par CP

Père de l’écologie sociale, Bookchin partait du postulat que nos rapports de domination se transposent dans notre relation avec la nature. L’établissement d’une société écologique passe donc nécessairement par la résolution de nos problèmes sociaux. Le mieux vivre devient donc partie prenante des enjeux environnementaux. Il en ressort une volonté de changement en profondeur de nos modèles institutionnels plutôt que la seule perspective d’une réduction de la pollution. Reconnu comme l’un des derniers théoriciens de l’anarchisme, il a ainsi proposé de nouveaux modèles d’organisation sociale, que ce soit le municipalisme libertaire ou le communalisme.

Pouvoir, hiérarchie et domination sont les bases essentielles et constantes des sociétés et de leurs institutions, avec, bien entendu, des variantes dans les applications. Ce sont les piliers des systèmes qui gouvernent sans qu’aucune alternative ne soit envisagée hors du changement de la figure dominante. C’est ce qui est affirmé et réaffirmé dans les discours politiques et autres développements médiatiques de ce que l’on peut appeler la pensée unique, inaltérable, voire totalitaire si l’on considère que « des pans entiers de la vie humaine et de la nature semblent inexorablement voués à une marchandisation ou à un traitement managérial ».

Dans ce contexte, il est de plus en plus évident que l’écologie officielle est un concept dévoyé par des courants politiques qui l’ont cooptée. Si l’on prend pour exemple l’idéologie plus que floue du développement durable, force est de constater que c’est un véritable attrape gogos pour préserver le capitalisme et son mode de production basé sur le profit et non sur l’humain. Pour la tendance écologiste impliquée dans divers gouvernements, il ne s’agit évidemment pas de remettre en question le système capitaliste de production, il faut juste l’aménager. Des aménagements qui représentent de nouvelles sources juteuses de profit tout en se targuant d’éthique bidon dont l’enjeu est de ne rien changer en faisant la promotion du changement.

Les promoteurs du développement durable « que l’on retrouve dans les principales organisations environnementales respectables et les administrations publiques encore épargnées par les plans d’austérité ont toujours justifié leur posture au nom du pragmatisme. » Depuis le sommet de Rio de 1992, ils ont prétexté « que l’urgence de la crise écologique imposait la nécessité de participer au jeu de la démocratie libérale et du capitalisme. » On ne change rien et surtout pas la structure sociale dominante. « Le “fétichisme” de la marchandise et la “naturalisation” des organisations technocratiques font sentir à la conscience commune que la logique technico-économique dominante est indépassable. » Antienne récurrente !

Dans cet état des lieux, l’ouvrage de Vincent Gerber, Murray Bookchin et l’écologie sociale. Une biographie intellectuelle, arrive à point nommé pour souligner notamment l’une des idées essentielles du pionnier de l’écologie politique, à savoir que « presque tous nos problèmes écologiques du moment proviennent de problèmes sociaux profondément établis. »

Et d’ajouter : « L’être humain a rompu sa relation directe de dépendance avec la nature pour une autre relation basée sur l’exploitation. Ces dysfonctionnements dans sa relation avec la nature sont directement issus du développement de ses propres relations sociales. En conséquence, ce n’est qu’en changeant la société, en modifiant les institutions qui régissent nos façons d’agir et d’interagir entre nous, que le rapport à la nature va changer. Il s’agit donc de remettre en question nos paradigmes de société, leur fonctionnement et leurs règles pour les placer sur d’autres bases que la domination et la compétition. »

L’écologie sociale s’inspire donc de la « tradition anarchiste », adoptant en préalable « la suppression des hiérarchies et des dominations abusives comme un principe primordial pour libérer l’humanité et prendre le chemin d’une société égalitaire et écologique. »

Dans Murray Bookchin et l’écologie sociale. Une biographie intellectuelle, Vincent Gerber fait également une analyse très fine des critiques que Murray Bookchin développe à la fin de sa vie à propos de « certaines tendances au sein du mouvement anarchiste délaissant l’héritage gauchiste et socialiste en faveur de l’individualisme, du mysticisme, de l’expression de soi, de la technophobie et même du néo-privitivisme. » De même à propos de
« l’anti-étatisme primaire ».

Mais ce qu’il faut surtout retenir de Murray Bookchin, c’est sa perception aigue des « racines sociales de la crise écologique », comme son projet politique concret. Il est certain que la réactualisation de son œuvre peut susciter des réflexions critiques intéressantes, autant au sein du mouvement libertaire que dans le fatras actuel du discours écolo, contradictoire et bon chic bon genre. L’ouvrage de Vincent Gerber met en lumière le travail de Murray Bookchin et les caractéristiques d’une pensée majeure qui vise et préconise, avant tout,
à « servir et non [à] asservir l’humanité ».