Chroniques rebelles
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christiane Passevant
Surarmement, pouvoirs, démocratie d’Andrée Michel
Andrée MICHEL, L’Harmattan, 1995.
Article mis en ligne le 15 janvier 2008
dernière modification le 25 mai 2008

par CP

Sur fond de renforcement de la politique sécuritaire, de loi anti-terroriste et de mondialisation, Surarmement, pouvoirs, démocratie apparaît comme un texte d’autant plus important qu’il examine avec précision les enjeux politiques et économiques des complexes militaro-industriels (CMI). Les travaux d’Andrée Michel sur les liens entre militarisation et violences à l’égard des femmes sont déjà des références. [1]

Avec cet ouvrage, elle dresse un constat global de la situation engendrée par la course à l’armement. L’“économie de la bombe” renforce les inégalités, l’impérialisme des grandes puissances et se répercute en conséquences très graves sur l’ensemble de la planète.

En une semaine, 20 milliards de dollars sont dépensés dans le monde pour l’armement. [2] Cette somme permettrait en une année de réduire le taux de mortalité infantile d’un tiers et la mortalité maternelle de moitié, de diminuer la malnutrition, d’éradiquer en grande partie la mortalité par la rougeole, le tétanos et la poliomélyte. Des budgets énormes consacrés à l’armement dans le monde au détriment de l’éducation et de la santé et sous prétexte de sauvegarder la paix. Or, il existe actuellement plus d’une cinquantaine de conflits armés dans le monde. Les pays “riches” détiennent le marché des armes et la France est au premier rang des fournisseurs au tiers-monde. La surrenchère des armements est en effet un keynésianisme militaire qui dynamise le capitalisme sans prendre en compte les besoins sociaux.

Les États-Unis et leurs alliés contrôlent les prix des matières premières, le pétrole notamment, des pays du tiers-monde, d’où la nécessité de conserver le monopole militaire avec de nouvelles options : une force d’intervention rapide, des armes “intelligentes”, testées sur une grande échelle lors des interventions en Irak et en Somalie. Il s’agit donc de mettre en place une stratégie pour mater les pays du tiers-monde récalcitrants et peut être aussi les prochaines émeutes des ghettos.

Andrée Michel dénonce la course à l’armement qui suscite la barbarie dont les populations civiles sont les victimes et les pays producteurs d’armes (États-Unis/France/Grande-Bretagne) les bénéficiaires. Les manipulations médiatiques aux ordres des CMI illustrent les complicités achetées. On se souvient encore de la “guerre propre”, des “frappes chirurgicales” et de la “guerre du droit” en Irak, de “Restore Hope”, l’“opération humanitaire” en Somalie. Le système éducatif n’est pas épargné, le groupe Matra-Hachette fabrique des armes et édite des livres. Une présence hégémonique des CMI, parfois à l’insu de la société civile, qui provoque cette réflexion de l’auteure : “Les pouvoirs exorbitants des complexes militaro-industriels sont inconciliables avec la démocratie tout autant qu’avec l’avènement d’une diplomatie et d’une politique étrangère, basées sur la négociation et non plus la violence de la cannonière. Ils sont également incompatibles avec l’autonomie d’une société civile et d’un système d’information médiatique garantissant liberté et dignité aux citoyen-ne-s.

Véritable mise en accusation des complexes militaro-industriels, Andrée Michel réalise, avec cet ouvrage, une synthèse des connaissances pour comprendre les liens au plan international entre les CMI, avec le pouvoir politique et leurs objectifs. Identifier les modes de domination et d’exploitation par la militarisation de la société est une constante de ses recherches. Andrée Michel balaie la notion de fatalité de la guerre, conséquence de la nature humaine : “Après avoir été attribuées à l’ordre divin, la soumission de la société à la guerre et à la violence comme seul mode de solution des conflits et la soumission des femmes aux hommes comme seul mode de rapports entre les sexes furent présentées comme le résultat d’une fatalité et d’un déterminisme biologique, présidant à la nature humaine.

L’espoir d’alternatives repose-il sur la résistance des populations dominées et des femmes à l’économie politique des CMI ? “Le "gender gap" ou le fossé entre les sexes relatif à l’usage de la violence” permet-il une autre vision de la fatalité guerrière imposée sur le mode industriel ? “Refuser de se soumettre à la censure et à l’autocensure pour s’aligner sur la raison d’État et se fixer le devoir de parler et de résister à l’économie politique de la bombe permettraient de donner dignité et universalité à la notion de citoyenneté.
L’ouvrage d’André Michel, fruit de longues recherches sur le militarisme et le sexisme, est un outil indispensable à la connaissance de l’enjeu militaire dans toutes les sociétés. Un livre clé sur le fontionnement de l’État et du complexe militaro-industriel.