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Samedi 11 octobre 2014
Hautes terres. Film documentaire de Marie-Pierre Breitas. Festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier. 36e CINEMED 25 octobre-1er novembre 2014
Article mis en ligne le 14 octobre 2014
dernière modification le 16 octobre 2014

par CP

Hautes terres

Film documentaire de Marie-Pierre Breitas

Sortie nationale : 15 octobre

Hautes terres. Dans le Nordeste du Brésil, Vanilda, son compagnon Antonio et une vingtaine d’autres familles de paysans obtiennent un terrain, après quatre années de luttes, et avec le soutien du syndicat des Sans terre. Ce n’est pas leur propriété, c’est un territoire concédé, pour y vivre, le défricher et le cultiver… Un beau projet, mais la gestion collective des terres et des ressources s’avère plus complexe qu’il n’y paraît, notamment en ce qui concerne l’utilisation et le partage de l’eau et les pâturages.

Marie-Pierre Brêtas filme ici l’utopie sur le terrain et montre comment celle-ci se réalise, portée par la détermination de ceux et celles qui n’ont connu jusques là que l’exploitation au quotidien. Hautes Terres, c’est l’évolution d’une aventure humaine passionnante, sans pour autant ignorer les difficultés de la mise en place d’un projet commun. Les discussions du groupe font effectivement ressortir certains blocages et les attentes parfois irréconciliables de chacun et chacune. Construire une société rêvée, après des années de misère et d’exploitation, cela demande parfois presque de l’abnégation pour pouvoir accepter l’autre.

La discussion du projet autogéré se poursuit dans le film autour des éléments
à prendre en compte : l’eau, le bétail, les mauvaises récoltes, de fait l’organisation du bien commun, la coordination des pratiques et la solidarité.
« Fonder une communauté autogérée », ça n’est pas simple et cela exige des concessions. Après l’élan et l’enthousiasme du début durant le défrichement et la construction des maisons, la réussite de l’expérience passe alors par le vivre et le travailler ensemble sans patron, sans autorité. Et c’est tout un apprentissage.

La caméra de Marie-Pierre Brêtas se fait discrète, se glisse dans le quotidien, comme un élément invisible du paysage, un témoin accepté. Et le témoignage est exceptionnel ; on assiste à la genèse d’une utopie et à sa mise en œuvre. Dans la première moitié du film, la détermination des protagonistes est certainement le point essentiel : « Ce mouvement prenait vie non pas juste à travers des mots, mais dans l’intelligence de leurs gestes qui forgeaient la forme même de leur liberté ».

Sont ensuite porteuses de réflexions et de questionnements, les discussions, les dissensions, les altercations, les échanges de points de vue, au cœur même de la réalisation du projet commun. Par exemple : comment gérer collectivement les désaccords ? Néanmoins, les enthousiasmes, le partage, et même la frustration, qui se lit sur le visage de Vanilda après le vote à la majorité, ainsi que ses arguments développés avec ardeur, face à son contradicteur, tout cela évoque l’expérience des collectivités libertaires de la révolution espagnole de 1936 et 1937. Il faut se souvenir qu’à cette époque, les collectivités autogérées d’Aragon regroupaient 430 000 paysans et paysannes.

Dans Hautes Terres de Marie-Pierre Brêtas, on est dans une réalité qui dépasse de loin les problèmes d’un groupe spécifique, on rejoint effectivement une problématique universelle. Le film sort le 15 octobre, il faut le voir, car, comme le souligne la réalisatrice, « c’est sacrément intéressant de pouvoir assister à la création d’une communauté, d’une petite société ».

Hautes terres

Sortie nationale : 15 octobre

À Paris : Le Latina et La Clef



Festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier 36e CINEMED 25 octobre-1er novembre 2014

Montpellier, capitale du cinéma méditerranéen. Sans aucun doute.

L’offre de ce 36e festival est fidèle à son ambition et à son exigence habituelle, avec plus de 250 films, dont 120 sont inédits, et sous toutes les formes cinématographiques, longs et courts métrages, films documentaires, cinéma expérimental, animations… Sans compter les rencontres, les expositions, les débats avec des professionnels du cinéma, des réflexions sur la création issue des rives méditerranéennes élargies et son influence. Une création multiforme ancrée dans des pays différents, que ce soit par leurs traditions ou leurs situations sociales et politiques…

Certifiée Halal de Mahmoud Zemmouri (Algérie/France, 2013)

Ça bouge en Méditerranée, ça tangue aussi, ça invente, parfois dans la fulgurance, dans l’urgence, toujours avec une imagination à la fois grave et scintillante. On se souvient des films égyptiens présentés l’année dernière par le festival, de la rencontre avec Marianne Khoury, productrice généreuse, découvreuse de talents et réalisatrice. La création cinématographique témoigne des mouvements sociaux, des conflits, aide à comprendre une réalité qui échappe souvent au journalisme d’information, par manque de recul et d’immersion dans des réalités sociales spécifiques. Au cinéma, l’histoire individuelle rejoint la grande histoire. Le cinéma est à l’écoute des sociétés, des bouleversements, des innovations, y gagne en profondeur et crée la surprise, et cela en dépit des difficultés de production.

Bastardo de Najib Belkadhi (Tunisie, 2013)

Par ses choix, le festival international du cinéma méditerranéen se fait l’écho, à Montpellier, des multiples facettes cinématographiques de l’univers méditerranéen. Il est bon de rappeler quelques-uns des longs métrages présentés par le festival en 2013 : le poétique et magnifique Ladder to Damascus du Syrien Mohamed Malas, le surprenant Demain les chiens du Marocain Hicham Lasri, l’étonnant Rags and Tatters de l’Égyptien Ahmad Abdalla, la fable politique de Rani Massalah, Girafada, ou dans le registre de l’ironie et de la comédie, Only in New York de Ghazi Albuliwi, ou encore Paradjanov de Serge Avédikian.

Fish de Dervis Zaim (Turquie, 2013)

La création se « lâche » en Méditerranée et gageons que, cette année encore, le festival Cinemed nous offrira des joyaux cinématographiques, espérés pour certains, et inattendus pour beaucoup d’autres. 12 films longs métrages en compétition, 14 films longs métrages en panorama, l’Algérie y semble plus présente que ces dernières années. 22 films courts métrages en compétition, 18 films courts métrages en panorama. Enfin dix documentaires. Un voyage en Méditerranée qui promet.

This is my land de Tamara Erde - Documentaire

Si l’on en juge déjà par les copies restaurées proposées au public et les avant-premières, il va falloir se dédoubler pour voir le maximum de films, en dehors même des sélections en compétition et en panorama. Par exemple, il faut voir ou revoir Stella femme libre de Michael Cacoyannis (1951), Le Grand embouteillage de Luigi Comencini (1978) ; et, pour les nouveautés, L’Oranais de Lyes Salem, Mon fils d’Eran Riklis, L’incomprise d’Asia Argento et Les Opportunistes de Paolo Virzi, parmi beaucoup d’autres.

Le Cinemed, cette année, nous fait découvrir la nouvelle vague du cinéma grec. La Grèce est toujours présente au festival, mais cette fois, c’est une palette de 14 films représentatifs du nouveau cinéma grec qui offre leurs visions du monde. Il n’y est pas toujours question de la crise qui traverse le pays, du moins exprimé directement, mais cette nouvelle vague cinématographique témoigne de sa résistance, par la détermination des cinéastes à faire leur cinéma. Panos Koutras, réalisateur de Strella (2008) et de Xénia (2014), sera présent au festival.

Standing Aside de Yorgos Servetas (Grèce, 2013)

Plusieurs hommages sont rendus à des réalisateurs et à des producteurs. Notamment au cinéma de Luis Garcia Berlanga, dont une partie de la filmographie a certainement marqué le public par son audace, d’abord son chef-d’œuvre d’humour noir, El Verdugo (Le bourreau) qui, tel un météore, a traversé, en 1963, la dictature franquiste. Le film montre une Espagne soumise, conformiste, et dominée par la morale chrétienne, et dans cet univers réactionnaire, Berlanga s’attaque à un sujet absolument tabou, la peine de mort et son mode d’exécution, le garrot. En choisissant le mode comique et la dérision, Berlanga renoue avec la farce libertaire d’un Fernando Mignoni, réalisateur de Nuestro Culpable, film produit en 1938 par la CNT.

El Verdugo de Luis Garcia Berlanga (1963)

Luis Garcia Berlanga, cinéaste libertaire qui ne s’apparente à aucune école, a certainement contribué au renouveau du cinéma espagnol, bien avant la fin du règne franquiste, en particulier avec trois de ses films réalisés dans les années 1950 et coécrits avec Juan Antonio Bardem, autre réalisateur subversif de l’époque : Ce couple heureux (1951), Bienvenue, Monsieur Marshall (1952) et Les jeudis miraculeux (1957), ce dernier film a été interdit pendant quatre ans par la censure.

La censure, Berlanga en a souvent fait l’expérience, mais El Verdugo (Le bourreau), qui marque le début de sa collaboration d’écriture avec Rafael Azcona, l’a contournée. Comme coproduction italienne, le film est projeté à Venise, obtient le prix de la critique et, du coup, acquiert une renommée internationale. Hormis ce film, le festival Cinemed permet de voir, ou de revoir, sur grand écran, Calabuig (1956), Plácido (1961), Bienvenue, Monsieur Marshall, Les jeudis miraculeux et La Vaquilla (1985).

Je la connaissais biende Antonio Pietrangeli (1965)

Un autre hommage est destiné au réalisateur italien Antonio Pietrangeli qui, après avoir assisté Luchino Visconti sur Ossessione (1943), version du Facteur sonne toujours deux fois de James Cain, a choisi de traiter dans plusieurs de ses films un thème d’avant-garde, celui de l’émancipation des femmes. Par exemple, dans La Parmigiana (1963), Annonces matrimoniales (1964) et Je la connaissais bien (1965), un film rare.
Il sera aussi possible de voir Adua et ses compagnes (1960), avec une Simone Signoret éblouissante, Fantômes à Rome (1961) et Le Cocu magnifique (1964).

Il y aura également un hommage à Daniel Toscan du Plantier, producteur méditerranéen, et un coup de chapeau à la comédienne Leila Bekhti.

Discipline de Christophe M. Saber (2014)

Pour la traditionnelle nuit en enfer, ce sera la saga Eurociné que Marius Lesoeur, cinéaste français et producteur indépendant, a fondé en 1957 pour des coproductions avec l’Espagne. Savants fous, zombis nazis et amazones aux seins nus hanteront cette nuit en enfer, en compagnie d’un émule de Jess Franco, et créateur du « western-paella » !

Que dire d’autre ? Bon festival !