Chroniques rebelles
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Samedi 24 janvier 2014
Marx et Engels, poètes romantiques
Marcel Ollivier (Spartacus)
Article mis en ligne le 26 janvier 2015
dernière modification le 3 février 2015

par CP

Marx et Engels, poètes romantiques

Marcel Ollivier (Spartacus).

Préface Jean-Michel Kay

Et

Poésies

Karl Marx (L’Insomniaque)

Traductions Hélène Fleury,Evelyne et Geneviève Lohr

Préface Hélène Fleury

Marx et Engels, poètes romantiques

Marcel Ollivier

« Il connaissait par cœur Henri Heine et Goethe qu’il citait souvent dans sa conversation », écrivait Paul Lafargue quelques années après la mort de son beau-père. « Marx possédait une imagination poétique incomparable ; ses premières œuvres furent des poésies. Mme Marx gardait soigneusement les œuvres de jeunesse de son mari, mais ne les montrait à personne. » Dans ses premières années d’étudiant, autour de ses dix-huit ans, Karl Marx se consacra en effet avec énergie à l’écriture de ces poèmes ; au même âge, Friedrich Engels, de deux ans son cadet, en avait déjà publié plusieurs et si sa production fut à l’époque moins abondante, elle n’était certainement inférieure ni en contenu, ni en style, à celle de son aîné.

En consacrant un livre aux travaux poétiques de ces très jeunes adultes, Marcel Ollivier a voulu les replacer dans cette époque où en Allemagne, une petite partie de ses intellectuels commençait à s’élever contre la réaction qui s’était abattue sur l’Europe continentale après la victoire de la Coalition sur la France napoléonienne. La censure, la destitution ou l’exil s’abattaient sur les poètes, les littérateurs et les enseignants critiques ou irrévérencieux de comme ce fut le cas pour Heine et d’autres poètes tels que Börne et Freiligrath – châtiments qu’on pourrait juger bénins au regard du sort que connaissent encore aujourd’hui les esprits libres dans de nombreuses régions du monde. En écrivant ces poèmes, les jeunes Marx et Engels exprimaient leurs sentiments sur le monde qui les entouraient et témoignaient des courants de pensée qui les influençaient, quelques années seulement avant qu’ils se lancent dans le combat politique et qu’ils se fassent les chantres du communisme dont le spectre allait hanter l’Europe.

Poésies

Karl Marx

Nous briserons nos malheureuses lyres et nous ferons ce que les poètes n’ont fait que rêver

Karl Marx

Une surprise, il faut l’avouer, que ces poèmes de deux intellectuels connus pour un tout autre champ créatif et des sujets de réflexion dans des domaines bien différents. Et la surprise ne s’est pas manifestée uniquement au sein de l’équipe des Chroniques rebelles.

Depuis la réception des deux ouvrages, pour le moins inattendus et originaux, j’ai mené une petite enquête, dans le style micro-trottoir : « tu connais
les poèmes de Marx et d’Engels ?
 » Et la réponse était invariablement
«  non », à chaque fois. Il semble que personne n’imaginait des épanchements personnels et émotionnels de la part des deux futurs philosophes et théoriciens politiques, auteurs de La Sainte famille et du Manifeste du Parti communiste, pour ne citer que ces écrits.

Passer de poèmes d’amour, ou de rage d’ailleurs — et là est peut-être le lien avec leurs engagements intellectuels politiques, par la suite —, passer donc des poèmes d’amour au matérialisme dialectique, à L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État, et au Capital, il y a un pas énorme qui paraît impossible à franchir.

Mais finalement pourquoi pas ? D’où viendraient des règles qui imposeraient de se borner à une seule direction de création et à s’y tenir toute sa vie ? Ce serait plutôt ennuyeux non…

Avec la poésie, Marx et Engels renouaient peut-être avec la tradition, en Orient et ailleurs, des mathématiciens, des astronomes, et autres savants, qui, comme Omar Khayyam, avec les Rubaiyat, s’essayaient, avec plus ou moins de succès et de talent, à l’art de la poésie. Ou bien ce type d’expression était-il courant au XIXème siècle ?

Le cours des siècles se déroule sans fin,
 Les générations passent,
 La température du bonheur change,
 L’échelle de la vie monte et descend.
 Rien n’est durable comme le changement,
 Constant comme la mort.
 Chaque battement de notre cœur nous apporte une souffrance,
 Et la vie ne serait qu’une éternelle blessure, s’il n’y avait la poésie.

(Ludwig Börne)

Les jeunes Karl Marx et Friedrich Engels aimaient donc écrire des poèmes, et voilà que sont publiées certaines de leurs œuvres poétiques, inédites dans Poésies de Karl Marx aux éditions de L’Insomniaque, et en une réédition de 1933 pour Marx et Engels, poètes romantiques de Marcel Ollivier, publié par les éditions Spartacus.

Commençons par Marx, dont l’admiration pour Goethe et surtout pour Heinrich Heine, l’inspirait à coup sûr. En 1844, il publie en première page de son journal, ce poème de Heine, Les Pauvres Tisserands :

Dans leurs yeux sombres, pas une larme,
 Assis à leurs métiers, ils montrent les dents :
 Vieille Allemagne, nous tissons ton linceul,
 Nous y tissons la triple malédiction !
 Nous tissons ! Nous tissons !

 Maudit soit le dieu aveugle et sourd
 Que nous avons prié avec une foi d’enfant !
 Nous avons en vain espéré, attendu,
 Il nous a raillés, bernés, bafoués !
 Nous tissons ! Nous tissons !

 Maudit soit le roi, le roi des riches,
 Que notre misère n’a pu fléchir,
 Qui nous a soutiré le dernier sou,
 Et nous fait abattre comme des chiens !
 Nous tissons ! Nous tissons !

 Maudite soit la prétendue patrie,
 Où seuls prospèrent le mensonge et l’infamie,
 Où règnent putréfaction et odeur de mort.
 Vieille Allemagne, nous tissons ton linceul !
 Nous tissons ! Nous tissons !