Chroniques rebelles
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Samedi 7 février 2015
Rendez-vous à Atlit de Shirel Amitaï. La Dixième victime d’Elio Petri
Article mis en ligne le 9 février 2015
dernière modification le 16 février 2015

par CP

Rendez vous à Atlit

Film de Shirel Amitaï

Entretien avec la réalisatrice et la productrice du film

La Dixième victime

Nouvel épisode de la redécouverte du cinéma d’Elio Petri

Entretien avec Paola Petri et Giorgio Maruzzio

La Dixième victime d’Elio Petri est à redécouvrir en copie restaurée, le film étant actuellement sur les écrans, notamment au cinéma Champollion, à Paris. Et l’on se prend à espérer une prochaine sortie de Todo Modo, film dévastateur d’Elio Petri, basé sur le roman de Leonardo Sciascia, et tourné en 1976. Todo Modo, comme la Dixième victime, se passe dans un futur proche. Le film met en scène deux très grands comédiens, Gian Maria Volonté et Marcello Mastroiani ; l’un dans le rôle d’un politicien véreux et l’autre dans celui d’un prélat.

La Dixième victime, sortie en 1965, rassemble Ursula Andress et Marcello Mastroiani, qui était l’ami de Petri et fut également son interprète dans deux autres films, l’Assassin et les Mains sales. Dans la seconde partie des chroniques rebelles, nous parlerons de l’œuvre cinématographique d’Elio Petri avec Paola Petri et Vittorio Maruzzio.

Commençons par Rendez-vous à Atlit, un film de Shirel Amitaï, qui est sur les écrans depuis le 21 janvier. L’action se déroule en 1995, au cœur de la ville israélienne d’Atlit. Trois sœurs sont réunies dans la maison familiale et l’une d’elles, Cali, se retrouve confrontée à son enfance, après un long séjour à l’étranger. La raison des retrouvailles, c’est la mise en vente de la maison qui, pour chacune d’elles, a une signification bien particulière. Pour Darel, elle signifie un nouveau départ ; pour Asia, c’est certainement plus anecdotique ; pour Cali, la vente de la maison, c’est couper un lien douloureux, c’est une délivrance, mais en même temps, c’est abandonner une part d’elle-même sans avoir réglé les problèmes de son enfance et de son adolescence. La maison, la famille, la terre, l’héritage… Des symboles et des sentiments qui s’accompagnent de culpabilité et d’une colère sourde dont Cali ne mesure pas entièrement l’ampleur.

Dès son arrivée, les signes et les souvenirs font irruption dans son vécu et font surgir des épisodes du passé et de la vie familiale… Des signes qui, dans un premier temps, se matérialisent et se succèdent entre rêve et réalité, puis s’immiscent de plus en plus dans le quotidien de Cali. Elle se défend des visions qu’elle seule perçoit, qui la poussent à tourner définitivement une page de son histoire personnelle et conflictuelle avec sa famille et son pays. Cependant, vendre une maison où les parents apparaissent de manière imprévisible et semblent liés inéluctablement à l’endroit, n’est pas si simple. Hallucinations ou réalité ? Peu importe ! Se séparer de la maison où Cali se trouve assaillie par la mémoire de la terre, par les souvenirs — par exemple celui de son âne, enterré dans le jardin sauvage —est plus qu’une formalité anodine. De toute évidence, vendre la maison et le jardin signifie également la destruction des souvenirs et l’effacement de la mémoire.

Pour les trois sœurs, 1995 est l’année des retrouvailles comme de la coupure familiale. 1995 marque également l’étape d’un espoir de paix en Israël Palestine, après les accords d’Oslo et la poignée de mains entre Arafat et Begin.
À travers les doutes, les rires, les apparitions, Rendez-vous à Atlit est l’histoire d’une terre qui s’invite dans un moment crucial de la vie des trois jeunes femmes. Le 4 novembre 1995, l’assassinat de Yitzhak Rabin met un point d’orgue au processus de paix — même fictif — et aux espoirs d’une vie différente pour les populations, de même que l’événement bouleverse les projets des trois sœurs.

Dans le film, l’impact de l’événement sur les personnes est illustré par une scène filmée, comme une image arrêtée, ou plutôt suspendue, qui donne la dimension de stupeur et de sidération de la population à l’annonce de l’attentat d’un colon israélien contre le chef de l’État.

La maison symbolise fortement la mémoire de la famille, et même au-delà. Et c’est Cali, qui était peut-être la plus décidée à s’éloigner du passé, qui soudain refuse de vendre la maison à un groupe d’Israéliens religieux venus des États-Unis.

Rendez-vous à Atlit de Shirel Amitaï, c’est l’histoire de trois femmes, de trois destins, de rencontres avec la mémoire d’une terre, dans le contexte du Proche-Orient et d’un épisode de l’histoire israélienne où tout bascule…

La Dixième victime Nouvel épisode de la redécouverte du cinéma d’Elio Petri Extrait d’un entretien avec Paola Petri et Giorgio Maruzzio

Le cinéma d’Elio Petri a été longtemps plus ou moins relégué aux oubliettes des salles de projections, hormis quelques initiatives louables, certains considérant son cinéma comme lié à une certaine époque. Grâce au travail de plusieurs personnes, le cinéma d’Elio Petri ressort de l’ombre, année après année.

Après le succès de Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon lors de sa nouvelle sortie, après la reprise de la Classe ouvrière va au paradis, de l’Assassin, de I Giorni contati (Les Jours comptés), inédit en France, après la Propriété, c’est plus le vol, la copie nouvellement restaurée de la Dixième victime, film tourné en 1965, est aujourd’hui dans les salles… Il reste encore des films d’Elio Petri à découvrir ou redécouvrir, notamment, À chacun son dû (de 1967), Un coin tranquille à la campagne (1969), avec Vanessa Redgrave, Buone Notizie (les Bonnes Nouvelles, en 1980), dernier film réalisé par Petri, et critique féroce par anticipation de la télé selon Berlusconi ; et bien sûr Todo Modo, une satire au vitriol des dirigeants démocrates chrétiens et de leurs accointances avec la hiérarchie religieuse.

Rares sont les cinéastes à avoir réalisé des satires sociales et politiques aussi profondes, percutantes et brillantes, à avoir gardé une constance dans leurs convictions sans jamais dévier de leur itinéraire cinématographique. Elio Petri est de ceux-là. Scénariste et réalisateur majeur de la grande époque du cinéma italien, il a d’abord été critique de cinéma, puis a travaillé auprès du réalisateur de Riz amer, Guiseppe De Santis, jusqu’en 1960. Son observation acerbe de la nature humaine, son ironie sans concession, son engagement critique, font de lui un réalisateur parmi les plus originaux et les plus fascinants des années 1960 et 1970.

Sa disparition, en 1982, nous prive des suites d’une œuvre, à la fois intemporelle et ancrée dans la réalité sociale et politique de deux décennies exemplaires et tourmentées. La Classe ouvrière va au paradis, critique de l’aliénation et du consumérisme ; Enquête sur un citoyen au-dessus de tout soupçon, pamphlet incisif contre la police, la justice et les pratiques fascistes ; I Giorni contati (Les Jours comptés), réflexion sur le sens de la vie et du travail ; Todo Modo, satire secouante du pouvoir politique et religieux. Autant d’attaques du système et des possibles dérives médiatiques et politiques.

On se prend à espérer que le cinéma italien retrouve ce « langage différent » et cette créativité mêlant à la fois l’acuité d’une vision et la tenue en haleine du public, bref que le cinéma mièvre ou strictement commercial laisse enfin une place au cinéma de réflexion…

Le cinéma italien peut-il retrouver une expression subversive ? Ou la force d’une vision lucide, comme celle exprimée dans les films de Petri, dont l’œuvre « s’est concentrée sur une série de personnages qui, avec leurs névroses, leurs problèmes mentaux et leurs phobies révèlent à différents niveaux comment la répression de la société capitaliste a un impact sur l’individu » ?
Une raison supplémentaire pour voir ou revoir les films d’Elio Petri. Aujourd’hui, à voir sur grand écran, La Dixième victime. Dommage qu’aucune rétrospective de son œuvre n’ait été jusqu’alors organisée, sinon un hommage rendu en 2009, durant le Festival international du cinéma méditerranéen de Montpellier.

On trouve une partie de ses œuvres en DVD, mais le grand écran est certainement un atout supplémentaire pour apprécier le cadre et la lumière de ses films, comme I Giorni contati (Les Jours comptés), par exemple.
La Dixième victime, programmée au Champollion, sera on l’espère sur les écrans un peu partout en France. Le scénario est inspiré du roman de Robert Sheckley, dont le titre fut d’abord la Septième victime, qu’il rebaptisa ensuite la Dixième victime, après la sortie du film d’Elio Petri, en 1965.

Le film se déroule à New York, puis à Rome dans un futur proche. Il faut dire que l’histoire sonne étrangement familière aujourd’hui. Les gouvernements ont décidé de contrôler et de canaliser les pulsions meurtrières des individus en organisant une «  grande chasse » planétaire, avec des règles et des codes, afin d’éviter les guerres et les conflits. Il suffit de s’inscrire à la chasse pour y participer. Les règles : chaque participant ou participante doit survivre à dix chasses, en étant alternativement le chasseur et la proie ; les rares personnes y parvenant deviennent riches et célèbres. C’est un jeu, un concept digne de la télé réalité et décrivant parfaitement l’absurdité de la « peopolisation » à outrance dont on constate les méfaits quotidiens.

Caroline Meredith, jeune New yorkaise interprétée par Ursula Andress, en est à sa 10e et dernière participation. Pour triompher de cette ultime épreuve, elle doit tuer sa victime désignée, un Italien nommé Marcello, qui a déjà six meurtres réussis à son actif. Désireuse de maximiser ses gains, Caroline passe un contrat avec une compagnie de thé pour que la mise à mort se fasse dans un lieu prestigieux de Rome. La mort sera filmée et l’exécution sponsorisée dans le cadre d’une campagne de publicité. Détail révélé lors de la présentation du film : Elio Pétri tournera un film publicitaire pour la compagnie Shell après La Dixième victime. Mais ce sera le seul.

La Dixième victime est-il un film de science-fiction ou un thriller ?… Sans doute les deux. Dans tous les cas, c’est une réflexion sur la société du spectacle, sur la marchandisation de l’être humain et en l’occurrence de la mort, traitant avec humour de l’emprise de l’État sur la famille, sur le mariage, en un mot sur le privé et l’intime. Quant aux décors, c’est une mine d’inventions et de visions graphiques, amplifiées par le cadre et la lumière. À propos de la scène culte du bikini… Je laisse l’effet de surprise ou le plaisir de la revoir en copie restaurée.