Chroniques rebelles
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Christiane Passevant
My Land
Film documentaire de Nabil Ayouch
Article mis en ligne le 22 décembre 2014

par CP

Avec ce film documentaire, My Land (Ma Terre) [1], Nabil Ayouch aborde le problème de l’occupation israélienne en Palestine sous un angle à la fois profond et ordinaire [2]. Celui des personnes, des exilées et de les descendants vivant dans les camps de réfugié-es et celui des occupant-es depuis plusieurs générations. Que reste-t-il de la première rupture douloureuse de 1948 ? Quel rôle tient la mémoire collective ? Quelles sont les traces d’une histoire finalement pas si lointaine ? Quelle est l’histoire officielle de chacun des deux peuples ? Quelle analyse peut-on tirer de deux points de vue, de vécus différents ? Quel futur serait-il possible de construire à partir de rencontres fortuites par témoignages interposés ?

Le cinéaste se fait passeur d’images et d’expériences en laissant la parole libre à tous et toutes, en faisant partager l’émotion de situations inextricables… Peut-être pas… Les distances sont courtes dans ce Moyen Orient déchiré et l’on se prend à rêver qu’il puisse exister des liens estompés et des ponts encore invisibles par delà un mur imbécile.

My Land de Nabil Ayouch permet des rencontres improbables par l’entremise de la caméra. Des réfugié-es témoignent devant la caméra de la douleur de l’exil, de l’abandon forcé de leur terre, de leur maison, du paysage de leur enfance, de l’attachement qu’ils et elles ont à cette terre
et de la mémoire qui semble en faire à nouveau et toujours des laissé-es pour compte. C’est aussi l’évocation des camps de réfugié-es, zone de non droits et no Man’s Land. Le rêve d’un hypothétique les habite, sans qu’ils et elles y croient trop, mais il faut se raccrocher à quelque chose et retrouver la Palestine est l’espoir.

Ces témoignages bouleversants, Nabil Ayouch les donne à voir et à entendre à des Israélien-nes ayant accepté cette parole. C’est déjà une brèche dans le mur et la mémoire orchestrée. Les rencontres se font par delà les frontières, magie du cinéma et démarche audacieuse du réalisateur.

Les rencontres par écran interposé sont parfois tendues. Les Palestinien-nes parle d’injustice et d’exil, de spoliation puisqu’aucune indemnisation n’est intervenue, de captation des biens de facto en l’absence des occupants, de non reconnaissance de leurs droits et de déni de justice. Face à cette parole, les Israélien-nes, si certains reconnaissent quand même les faits et l’injustice, restent dans une attitude d’indifférence.

Mémoire figée et futur incertain d’un côté, découverte d’une histoire dont personne n’avait parlé. Deux imaginaires qui se heurtent avec, parfois, une prise de conscience, mais souvent le refus d’accepter le passé.

Au Liban, dans les camps, les réfugié-es n’ont aucun droit, ni de construire ou de réparer les maisons, ni de travailler, ni d’étudier, ni de voyager librement… L’hostilité des institutions est évidente. « C’est la mort ! » dit un vieil homme, et son petit-fils d’ajouter : « On n’a rien. On n’est rien ».

Alors la proposition du réalisateur de dialoguer avec les « autres », par delà la frontière, semble à la fois irréelle et répond au besoin, pour les plus âgé-es qui ont connu l’exode, de reconnaissance de la spoliation et ravive le souvenir d’un passé mélancolique et peut-être sublimé.
En Palestine, « nous vivions ensemble avec les Juifs sabras, le problème ne vient pas d’eux, mais des sionistes qui ont tout détruit », déclare Khadija.

La construction de la, mémoire n’est pas la même de chaque côté de la frontière. La terre appartient à ceux et celles qui y sont né-es, mais aussi
à ceux et celles qui en ont été chassé-es. Côté israélien, quelques jeunes Israéliens [3] se disent prêts à partager cette terre dont on leur a dit qu’elle
leur revenait de droit. « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre », la propagande a ses failles. Mais la plupart regrette la situation sans pour autant en accepter les conséquences ni en mesurer les enjeux.

Le paysage champêtre et luxuriante, côté israélien, tranche avec les images arides et les constructions de bidons villes, côté des camps palestiniens. My land accentue ce décalage, comme un constat. Le film est aussi une expérience personnelle et politique pour Nabil Ayouch, profondément impliqué dans l’histoire de cette région, symbolique à bien des égards de son histoire familiale.

Dans sa volonté de traverser les frontières, Nabil Ayouch est loin d’Intervention divine de Elia Suleiman qui utilise la perche pour sauter le mur de séparation ou de Fix me de Raed Andoni qui fait s’écrouler ce même mur [4].
La démarche documentaire qu’il a choisi ne prend aucune distance avec deux réalités qui s’opposent sans qu’un dialogue semble pouvoir s’établir.
Le film se termine en effet par une porte qui se ferme sur une vue, un aperçu du camp.

Mais si le dialogue paraît difficile, cela ne signifie qu’il soit pour autant voué à
l’échec et le film de Nabil Ayouch participe sans conteste de l’approche nécessaire du problème complexe des réfugié-es, de la spoliation des terres palestiniennes et du déni de mémoire.