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Samedi 19 décembre 2015
Cinéma. À peine j’ouvre les yeux de Leyla Bouzid. Argentina de Carlos Saura. Gumri. Arménie, si loin du ciel de Jean-Luc Sahagian
Article mis en ligne le 19 décembre 2015
dernière modification le 1er janvier 2016

par CP

À peine j’ouvre les yeux

Film de Leyla Bouzid

Sortie nationale le 23 décembre

Argentina (Zonda)

Film de Carlos Saura

Sortie nationale le 30 décembre

Le Dernier jour d’Yitzhak Rabin

Film d’Amos Gitaï

Allende mon grand-père

Film de Marcia Tambutti Allende

Au-delà des montagnes

Jia Zhang-Ke

Et

Un livre

Gumri. Arménie, si loin du ciel

de Jean-Luc Sahagian (Ab irato)

Et si nous parlions cinéma… Tout d’abord avec Leyla Bouzid, réalisatrice de À peine j’ouvre les yeux, il y aura ensuite un extrait de l’entretien avec Carlos Saura pour son film Argentina (Zonda), l’entretien sera diffusé la semaine prochaine.

Nous parlerons également de plusieurs films actuellement sur les écrans, le Dernier jour d’Yitzhak Rabin d’Amos Gitaï, véritable thriller politique sur l’assassinat du Premier ministre israélien en 1995, Allende mon grand-père de Marcia Tambutti Allende qui s’est vue décerner l’œil d’or à Cannes — première pour un documentaire — ; sans oublier de dire un mot à propos de Au-delà des montagnes de Jia Zhang-Ke, portrait subtil de la société chinoise et de son évolution sur trois décennies, à travers la vie d’une femme, et de Mia madre de Nani Moretti qui a choisi d’évoquer la mort de sa mère, la douleur de la perte, à travers les yeux d’une femme réalisatrice…

La deuxième partie de l’émission est consacrée à un ouvrage, un récit très personnel à deux voix, Gumri, Arménie. Si loin du ciel… de Jean-Luc Sahagian et Varduhi Sahagian.

À peine j’ouvre les yeux de Leyla Bouzid. C’est un premier film qui se situe à Tunis, durant l’été 2010. La famille Ben Ali règne en maître sur la Tunisie à force de corruption et de brutalités policières, deux ans après la répression brutale des travailleurs dans la région minière de Gafsa, et quelques mois avant la mort d’un jeune homme, Mohamed Bouazizi, qui s’immolera par le feu.

L’oppression de l’État est palpable, mais une jeune génération s’éveille et semble prête à la révolte face à celle, oubliée, de leurs parents.

Issue de la classe moyenne, Farah a 18 ans et chante des poèmes contestataires dans un groupe de rock. ll n’est pas question, pour elle, de vivre dans la peur et la résignation, de subir un régime autoritaire et d’accepter de censurer ses chansons. Farah se rebelle, brave les interdits, revendique une autonomie, ses choix de vie, le droit d’aimer, de s’exprimer…

Le groupe, comme les chansons ont été créées pour le film, dont le titre est tiré de l’un des textes interprétés par Baya Madhafar, jeune comédienne qui incarne avec conviction Farah, une jeune femme qui se bat pour ses droits.

À peine j’ouvre les yeux

je vois les gens privés de travail, de bouffe,

et d’une vie hors de leur quartier.

Méprisés, dépités, dans la merde jusqu’au cou,

ils respirent par leurs semelles.

À peine j’ouvre les yeux,

je vois des gens qui s’exilent,

traversant l’immensité de la mer, en pèlerinage vers la mort.

De la galère du pays, les têtes perdent l’esprit,

cherchant une galère nouvelle, que celles déjà vues.

À peine j’ouvre les yeux,

je vois des gens éteints, coincés dans la sueur,

leurs larmes sont salées, leur sang est volé et leurs rêves délavés.

Sur leur dos, on construit des châteaux.

(Textes de Ghassen Amami, traduction de Leyla Bouzid)

Le film de Leyla Bouzid, À peine j’ouvre les yeux, a reçu le prix du public au Festival de Venise.

Argentina

Zonda

Carlos Saura

Le « zonda » est un vent chaud qui traverse l’Argentine du Nord Ouest au Sud Est et embrase le pays sur son passage. Le film de Carlos Saura est à l’image du zonda, il enflamme l’écran, emporte le public avec les vagues de musiques, les textes, les voix, les rythmes et la gestuelle qui illustrent les facettes multiculturelles de l’Argentine subversive et éternelle.

Poème en images et en sons, Argentina/Zonda est un conte musical, « un prisme d’images et de sons d’où émane, avec une profondeur et un regard original, une mosaïque conceptuelle et affective d’un art venu de la terre, transmis par les hommes et les femmes vivant sur ce sol étendu et pluriel » de l’Argentine.

Le film sera sur les écrans le 30 décembre.

Le dernier jour de Yitzhak Rabin

Amos Gitaï

Amos Gitaï réalise là un film de virtuose, mêlant images d’archives et mise en scène de fiction. Le film est extrêmement dense et plonge dans l’inconnu des images manquantes de l’attentat, des images que le réalisateur reconstitue, fictionnalise, pour mener une enquête sur les failles de la sécurité, celles qui ont permis au meurtrier du Premier ministre de l’approcher et de l’atteindre par des balles tirées à bout portant, malgré ses gardes du corps et l’impressionnant système de protection déployé pour la circonstance par la police et les services secrets.

Que s’est-il passé le soir du 4 novembre 1995 ? Comment cet extrémiste religieux a-t-il évité les nombreux contrôles policiers, dans un espace sous haute surveillance ? Comment a-t-il pu se retrouver ainsi, avec une arme, à quelques mètres de Rabin ?

Gitaï aborde un angle particulier de l’événement, celui des zones d’ombre, des questionnements laissés en suspens, pour peu à peu dénouer les enjeux politiques de l’assassinat et analyser la propagande haineuse qui a généré le geste de l’assassin.

Le film présente une étude sociale et politique impressionnante, très étayée, du pays qui a certainement des résonances jusqu’à aujourd’hui. Car, passée la période de « sidération » provoquée par la mort de Rabin, Gitaï pose la question des conséquences et des responsabilités. Les scènes montrant la commission d’enquête sur l’attentat, avec les interrogatoires des responsables de la sécurité se défaussant sur l’autre service sont très intéressantes. La commission n’aboutira évidemment pas à une conclusion convaincante sur l’absence de protection au moment où le Premier ministre rejoint sa voiture.

À noter également, le témoignage de son épouse qui rapporte les impressions de Rabin et ses craintes de l’extrémisme religieux. Son analyse est précise et ajoute un élément personnel au récit de cette dernière journée.

Autre point fascinant et certainement méconnu hors d’Israël : les discours hystériques des extrémistes religieux et des colons, qui expliquaient la politique de Rabin comme étant celle d’un malade dangereux qu’il fallait anéantir pour « sauver le peuple hébreu ». Se place alors dans le film une scène étonnante, celle du discours invraisemblable d’une femme, littéralement possédée et en transe, improvisant un diagnostique pseudo psychiatrique pour justifier l’exécution « sur ordre messianique » du Premier ministre.

Le rythme apporté au film par le montage, l’équilibre réalisé par Gitaï entre archives, témoignages et reconstitutions, font la réussite de cette œuvre cinématographique troublante, dont il reste, avant tout, un éclairage original sur la politique actuelle du pays et sur l’emballement de la violence.
Le Dernier jour d’Yitzhak Rabin est un film puissant.

Un vrai thriller politique.

Le film est sur les écrans depuis le 16 décembre.

Allende mon grand-père

Marcia Tambutti Allende

Le film documentaire de Marcia Tambutti Allende est une autre forme de plongée dans l’histoire, dans la mémoire douloureuse d’une famille et d’un pays. Le film remonte au moment du coup d’État militaire chilien soutenu par l’extrême droite et les États-Unis, le 9 septembre 1973, qui aboutit à la destitution de Salvador Allende et à son suicide qui est un assassinat, une mort forcée, même s’il le considérait lui-même comme un acte politique pour éviter la guerre civile. L’histoire familiale se poursuit dans la tragédie, un an après, sa fille Beatriz se suicide à Cuba, de même que sa sœur Laura en 1981.

Le silence de la famille — « on ne parle pas de ce qui fait mal » — serait peut-être l’une des raisons qui a motivé la réalisatrice, petite fille de Salvador Allende — El Chicho —, pour se lancer dans cette aventure intime et émouvante. Il s’agissait ainsi d’établir un contact avec une mémoire bouclée, scellée pour la protection des proches ; un contact qui s’avère une tâche difficile dans laquelle Marcia Tambutti Allende persévère avec douceur, notamment avec sa grand-mère. Le projet, qui l’habitait depuis longtemps, prendra trois années pour le tourner, en plusieurs périodes — les imprévus du documentaire, l’exhumation du corps d’Allende —, et finalement pour en achever la réalisation.

Biologiste de formation, Marcia Tambutti Allende analyse sa démarche de réappropriation de la mémoire comme coïncidant avec son retour au Chili et une introspection suite à un travail de thérapie. Récupérer la parole lui est apparu comme une nécessité, d’où l’idée du film qui rompt peu à peu le silence en retrouvant des archives et des photos, éparpillées dans une famille en exil. La dictature avait fait disparaître les documents de la famille, les albums photos, les traces…

La mémoire au Chili est un sujet difficile et très douloureux, le silence s’est alors installé pour tenter d’oublier. Marcia, en se mettant elle-même en scène, en questionnant avec pudeur et tendresse ses proches, dépasse les réticences, brise le silence et remonte lentement un fil d’Ariane familial grâce aux photos, aux souvenirs partagés… De sa grand-mère, elle fait le portrait d’une femme exceptionnelle, qui, après la mort de son compagnon, s’est retrouvée dans la sphère sociale et politique et sur la sellette médiatique.

À la question : pensez-vous poursuivre votre expérience cinématographique ? Marcia a répondu qu’elle aimerait faire un autre film avec la même équipe, en majorité de femmes, qui l’a entourée et lui a apporté ce regard extérieur, d’autant plus essentiel qu’elle était aussi l’une des protagonistes du film. « L’équipe de tournage était pour moi comme ma deuxième famille [a-t-elle confié] et j’aimerais que le coup de projecteur sur le film puisse faire connaître la richesse des films documentaires sud-américains. »

Le film est un très beau récit de mémoire personnelle et bien plus, d’ailleurs la réalisatrice le souligne, le titre en espagnol peut se traduire par « Au-delà d’Allende, mon grand-père ».

Le film documentaire de Marcia Tambutti Allende est sur les écrans depuis le 9 décembre.

Au-delà des montagnes

Jia Zhang-Ke

Le film traverse trois décennies, depuis 1999, de la société chinoise en pleine mutation à travers le récit de vie d’une femme, Tao. Deux amis la courtisent au début du film, Zhang, jeune homme ambitieux et arriviste qui possède une station service, et Liangzi, ouvrier modeste qui travaille comme mineur. Pressée de choisir entre les deux par Zhang, elle l’épouse et donne naissance à un petit garçon que le père prénomme Dollar, tout un symbole dans ce début de XXIe siècle.

« Même si les montagnes disparaissent, les émotions demeurent », un proverbe chinois qui paraît guider la trame de l’histoire et résume la situation des trois personnages. Trois chapitres, trois périodes, dont la dernière se situe en 2025.

Tao est séparé de son fils qui vit dans un univers artificiel avec son père, caricature de l’affairiste corrompu et paumé. Destins brisés, rêves vains avec pour unique préoccupation, le fric et le rêve de l’Occident pour Zhang, alcoolique et fan d’armes, qui vit exilé en Australie sans pouvoir retourner en Chine. Liangzi est gravement malade, du fait des conditions de travail dans un univers pollué et du manque de moyens pour se soigner. Tao, qui semble la plus forte et la plus lucide, vit seule avec son chien. Quant à Dollar, son fils qui ne se souvient plus de sa mère, il recherche son identité…

C’est un constat désespéré, sans concession, que ce film de Jia Zhang-ke sur la mutation de son pays et sur les conséquences sociales et économiques pour la population. Partant de l’histoire personnelle de ces trois ami-es, il rejoint l’histoire nationale de tout un peuple avec un point de vue tout aussi critique que dans son film précédent, Touch of Sin (2013).

Du très grand cinéma.

Enfin un livre, un récit…

Gumri. Arménie, si loin du ciel

de Jean-Luc Sahagian (Ab irato)

Un voyage, une rencontre, la mémoire de l’exil, l’imaginaire lourd de l’enfance, le besoin de brouiller les pistes du souvenir, des regards croisés sur une ville attachante et ignorée, c’est un peu tout cela Gumri, Arménie… Si loin du ciel…

C’est pour cela que nous avons choisi de commencer cet entretien par la lecture d’extraits du texte pour vous mettre tout de suite dans l’ambiance et vous raconter une belle histoire, celle du périple d’une femme, de son petit-fils, Jean-Luc Sahagian…

Musiques :

 BO À peine j’ouvre les Yeux

 BO Argentina (Zonda)

 Assaf Avidan, Little Parcels of an Endless Time

 Serge Utgé-Royo, Te recuerdo Amanda

 Tigran Hamasyan au piano

 Serge Utgé-Royo, Ami-e dessous la cendre…