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Christiane Passevant
Rendez-vous à Atlit
Film de Shirel Amitaï
Article mis en ligne le 5 octobre 2015

par CP

Rendez vous à Atlit

Film de Shirel Amitaï

Entretien avec la réalisatrice

L’action se déroule en 1995, au cœur de la ville israélienne d’Atlit [1]. Trois sœurs sont réunies dans la maison familiale et l’une d’elles, Cali, se retrouve confrontée à son enfance, après un long séjour à l’étranger. La raison des retrouvailles, c’est la mise en vente de la maison qui, pour chacune d’elles, a une signification bien particulière. Pour Darel, elle signifie un nouveau départ ; pour Asia, c’est certainement plus anecdotique ; pour Cali, la vente de la maison, c’est couper un lien douloureux, c’est une délivrance, mais en même temps, c’est abandonner une part d’elle-même sans avoir réglé les problèmes de son enfance et de son adolescence. La maison, la famille, la terre, l’héritage… Des symboles et des sentiments qui s’accompagnent de culpabilité et d’une colère sourde dont Cali ne mesure pas entièrement l’ampleur.

Dès son arrivée, les signes et les souvenirs font irruption dans son vécu et font surgir des épisodes du passé et de la vie familiale… Des signes qui, dans un premier temps, se matérialisent et se succèdent entre rêve et réalité, puis s’immiscent de plus en plus dans le quotidien de Cali. Elle se défend des visions qu’elle seule perçoit, qui la poussent à tourner définitivement une page de son histoire personnelle et conflictuelle avec sa famille et son pays. Cependant, vendre une maison où les parents apparaissent de manière imprévisible et semblent liés inéluctablement à l’endroit, n’est pas si simple. Hallucinations ou réalité ? Peu importe ! Se séparer de la maison où Cali se trouve assaillie par la mémoire de la terre, par les souvenirs — par exemple celui de son âne, enterré dans le jardin sauvage —est plus qu’une formalité anodine. De toute évidence, vendre la maison et le jardin signifie également la destruction des souvenirs et l’effacement de la mémoire.

Pour les trois sœurs, 1995 est l’année des retrouvailles comme de la coupure familiale. 1995 marque également l’étape d’un espoir de paix en Israël Palestine, après les accords d’Oslo et la poignée de mains entre Arafat et Begin.

À travers les doutes, les rires, les apparitions, Rendez-vous à Atlit est l’histoire d’une terre qui s’invite dans un moment crucial de la vie des trois jeunes femmes. Le 4 novembre 1995, l’assassinat de Yitzhak Rabin met un point d’orgue au processus de paix — même fictif — et aux espoirs d’une vie différente pour les populations, de même que l’événement bouleverse les projets des trois sœurs.

Dans le film, l’impact de l’événement sur les personnes est illustré par une scène filmée, comme une image arrêtée, ou plutôt suspendue, qui donne la dimension de stupeur et de sidération de la population à l’annonce de l’attentat d’un colon israélien contre le chef de l’État.

La maison symbolise fortement la mémoire de la famille, et même au-delà. Et c’est Cali, qui était peut-être la plus décidée à s’éloigner du passé, qui soudain refuse de vendre la maison à un groupe d’Israéliens religieux venus des États-Unis.

Rendez-vous à Atlit de Shirel Amitaï… Histoire de trois femmes, de trois destins, rencontres avec la mémoire d’une terre, dans le contexte de l’occupation du Proche-Orient et d’un épisode de l’histoire israélienne où tout bascule…

Shirel Amitaï : Avec ce film, j’ai choisi de parler de paix. Et cette période particulière a été le dernier moment où l’on pouvait parler de paix. La paix avec les autres, avec ses propres fantômes. Je voulais partir de la petite histoire pour parler de cette histoire et de ce désir.
Pendant l’écriture, je suis partie sur le visible et l’invisible. Le visible, c’est les trois sœurs, ce qu’elles vivent, ce qu’elles se disent. L’invisible, c’est tout ce qui surgit de l’intérieur, les pensées, les rêves, les désirs, les souvenirs… Je voulais traiter ces deux dimensions sur le même plan, car tout ce que l’on trimballe, l’inconscient intervient tout le temps, et j’ai voulu jouer là-dessus.

En Israël, il y a en permanence ce passé, la présence de ces générations qui ont évolué. Le garçon est sur le même niveau que les parents ou que l’âne. Ce sont des apparitions aussi importantes. Cali est la seule à voir ces apparitions, c’est aussi la seule à se poser des questions liées au partage de cette terre, de cette maison, du jardin. Et l’enfant se place face à elle en miroir, tous deux cherche leur place, elle dans sa famille et lui dans les souvenirs.

Je veux pas parler de politique actuelle. La seule chose que je veux dire, c’est soyons nombreux et nombreuses à parler de paix, à envoyer un message très clair aux politiciens. Qui va nous parler de maintenant ? Netanyahoo, il faut le virer, peut-être…

Christiane Passevant : Pourquoi avoir placé la mort de l’âne Raspoutine en début de film ? Le jeune garçon, Ziad, fait-il référence à 1948 et à l’exil de la population palestinienne, ou bien à 1967 ? Il y a aussi son exécution.

Shirel Amitaï : Dès l’écriture du film, il y a eu la mort de l’âne. La mémoire d’un animal mort, c’est toujours très fort dans l’enfance. Et certainement cette mémoire de Raspoutine hantait Cali. L’exécution de Ziad… C’est une terre qui a vu beaucoup de morts qui la hantent. Il n’y a pas de référence de date, ce sont des images de l’inconscient, les olives c’est la paix, les bottes des soldats écrasent les olives et la paix, le bandeau c’est celui de l’exécution et de l’aveuglement… L’olivier est depuis très longtemps dans le jardin et ses racines sont dans une terre qui raconte une histoire, comme la maison.

Le film se veut un message de paix puisqu’à la fin les fantômes de la maison s’acceptent et jouent aux échecs. C’est l’espoir de Cali et c’est aussi une libération.
Si les fantômes de la Palestine faisaient la paix, peut-être que les vivants pourraient également la faire.


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